L’Orthodoxie

l’Église comme Tradition

La tradition a des formes diverses et elle est à vrai dire inépuisable, qu’elle soit écrite, orale ou monumentale. Toutefois, il y a en elle une source dont l’importance est particulière : la Sainte Écriture. A qui va la primauté ? A la Sainte Écriture ou à la Sainte Tradition ?

Il n’y a en réalité pas lieu de les opposer, comme ce fut le cas dans l’Église d’occident au temps de la Réforme, à condition de ne pas durcir la question par des motivations étrangères, à savoir : de ne pas chercher dans telle ou telle position le désir d’amoindrir l’Écriture par rapport à la Tradition et vice-versa. Toutes deux relèvent de la vie unique de l’Église, mue par le même Saint-Esprit qui y agit : qui se manifeste dans a tradition et qui inspire les écrivains sacrés. D’ailleurs les études bibliques les plus récentes analysent avec succès les livres vétéro- et néo-testamentaires, l’Evangile surtout, pour remonter aux sources à partir desquelles ils ont été composés. Par là-même, l’Écriture se rapproche de plus en plus d’une Tradition écrite particulière. Aussi, la notion d’une rédaction sacrée individuelle, que l’on croyait antérieurement dictée par le Saint-Esprit, tend-elle à s’effacer. Cependant, que représentent des œuvres comme les épîtres apostoliques, sinon les documents écrits sur la vie des différentes églises et conservées par la Tradition ?

Il convient d’entendre l’Écriture et la Tradition non pas dans ce qu’elle auraient d’opposé, mais dans leur unité, laquelle n’abolit nullement leur réelle distinction. En ce sens, et avant tout, la Sainte Écriture est une partie intégrant de la Tradition ecclésiale, qui est l’autorité et le témoin du statut des livres sacrés dans l’Église. Le canon des Écritures, qui en indique l’inspiration, est établi par la Tradition ; et cette inspiration ne saurait être attestée autrement que par l’Église, à savoir : par la Sainte Tradition. Il est donné à chacun, selon son goût personnel, de juger de la valeur et même de l’inspiration de telle œuvre, mais nul n’est en mesure, par ce jugement individuel, de décider non plus simplement de l’inspiration , mais de l’inspiration divine, de la présence de l’Esprit Saint dans un écrit. Cela n’est possible qu’à l’Esprit de Dieu qui vit dans l’Église, car « nul ne connaît Dieu, sinon l’Esprit de Dieu » (2 Cor 2 :11). Ce n’est plus une question de goût, c’est l’affaire du jugement sur-individuel de l’Église. Et l’histoire nous apprend qu’elle a choisi un petit nombre d’écrits divinement inspirés parmi un grand nombre d’œuvres : de différents Évangiles, elle a retenu les canoniques ; après des débats historiques, elle a fixé certains livres dans son canon (le Cantique des Cantiques, l’Apocalypse), elle en a écarté d’autres qui y avait provisoirement figuré (les lettres de Clément de Rome, le pasteur d’Hermas), elle a distingué entre livres canoniques et non canoniques (deutéro-canonique, pseudo-épigraphiques, apocryphes).


Commentaire/Analyse




Le Père Serge prend ici un ton policé, presque diplomatique pour évoquer un des piliers de la Réforme protestante, initiée par Martin Luther, en Allemagne, au XVIème siècle : la Sola Scriptura. Par méfiance pour les traditions humaines, et dans une tentative bien maladroite d’observer véritablement les commandements divins et non les commandements humains, les protestants ont quelque peu amalgamés les pharisiens de l’Écriture et les autorités romaines, et ont vu toutes les traditions non scripturaires comme des innovations humaines venant se heurter à la véritable volonté divine, qu’on ne peut trouver que dans l’Écriture (pensent-ils).

Et le Père Serge rappelle avec douceur, que l’Écriture est une partie de la Tradition. Cette même Tradition a transmis ce que les protestants reçoivent sans sourciller, à savoir la Bible, et a transmis les choses à côté que les protestants refusent de recevoir. Et c’est là que cette réforme est bien décevante, car l’occident chrétien avait bel et bien besoin d’une réforme ; mais pas ça ! Ce qui devait être attaqué, était finalement tout ce qui n’était pas véritablement orthodoxe. L’Orthodoxie de son côté lasse une grande place à toutes ces traditions orales, en accord avec ce fonctionnement parfaitement Juif qu’elle ignore parfois sur elle-même. Mais ceci est au final une vieille problématique : Saint Basile de Césarée, dans son « traité sur le Saint-Esprit », à son époque déjà, témoigne de ces chrétiens venant le voir et déclarant : pourquoi célèbre-t-on la fête de la Dormition, puisqu’il n’y a pas de texte pour venir étayer cela ? pourquoi célèbre-t-on telle ou telle fête, alors que le Nouveau Testament n’en dit pas un mot ? Et il répond que c’est la Tradition orale de l’Église. Cette autre tradition que le protestantisme, aveugle et stupide face au fonctionnement Juif dont est issu l’Église du Christ, est en fait bien plus vaste que la Tradition écrite. En fait, l’écrit doit être considéré comme le minimum du minimum de ce qui est à connaître pour un chrétien. Il n’y a pas d’écrit sans oral. Lorsqu’un Juif rentre en Yeshiva pour étudier sa religion, on lui fait deux démonstrations : l’existence de Dieu, et l’existence de la tradition orale (certains éléments dans la Bible permettent de déduire l’existence de cette tradition orale). Et l’essentiel de son travail en tant qu’étudiant de Yeshiva sera, non pas d’étudier exclusivement la Bible, mais en fait toute la tradition orale qui l’entoure. A savoir chez les Juifs : mishna, talmud, tosefta, décisionnaires etc. Chez le chrétien sérieux (orthodoxe ou catholique romain donc) c’est la même chose, mais sur d’autres corpus : il s’agit de tout le patrimoine patristique (répartie en trois groupes : latin, grec, syriaque), tout le patrimoine liturgique (tous les textes des différents ouvrages tels que le paraclitique, les ménées, les liturgies, etc).

Le Père Serge aborde ensuite la notion de canon de l’Écriture, notion qui en soi, montre toute l’absurdité de la position protestante : elle accepte le canon de l’Église, mais refuse le fonctionnement de l’Église qui créé…le canon !!! Qu’est-ce que le canon de l’Écriture ? Il s’agit de la liste des livres, que l’Église reconnaît comme devant faire partie de la Bible. Il y a deux types de livres à considérer différemment vis-à-vis de la non-présence dans le canon. La première catégorie est celle des livres provenant de l’Église, mais dont l’Église a considéré que leur présence n’était pas fondamentale. Prenons l’exemple de la Didache, ou des épîtres de Saint Clément de Rome : ce sont des textes à l’orthodoxie parfaite. Leur non présence n’est donc pas un problème lié à la doctrine, ou même à un doute sur l’origine. Il s’agit simplement de considérer, si l’on considère l’Écriture comme le minimum vital, que ces textes là ne sont pas primordiaux dans ce que le chrétien doit lire, prier et méditer. Ils sont absolument fondamentaux dans la formation de l’Orthodoxie, et des trésors patristiques (c’est pourquoi ils sont mis à l’honneur dans ce blog). La seconde catégorie est celle des livres ne provenant pas de l’Église. Ce sont la plupart du temps, des livres provenant de milieux gnostiques, et dont le titre est faussement attribué à une grande figure de l’histoire chrétienne. Par exemple, « l’Évangile de Pierre » n’est absolument pas un ouvrage qui fut constitué par Pierre. Comment le savons-nous ? Et bien c’est l’Église elle-même qui témoigne de la non connaissance de ce manuscrit, et de ce qui y est affirmé (entre autre par exemple que Jésus fut crucifié au centre de Jérusalem). On peut dire que c’est un faux. Une forgerie grossière et maladroite. Ensuite, les esprit tentés par la gnose auront beau jeu de dire que l’Église fait le tri dans ce qui l’arrange ou non. La vérité est plus simple et plus terre à terre. Il y a une phrase de Saint Vincent de Lérins qui résume magnifiquement cette problématique : nous devons croire ce qui a été cru par tous, en tout lieu et en tout temps. Accepter cette littérature gnostique revient à dire, que n’importe qui peut insérer dans la Tradition chrétienne un livre, pourvu qu’il le nomme selon un nom important. N’importe qui pourrait alors écrire un évangile du centurion, un évangile de Marthe, un évangile du lépreux, un évangile de l’aveugle et proclamer que l’Église fait le tri dans ce qui l’arrange. l’Église témoigne juste en faisant le tri parmi les textes qui étaient usuels dans sa vie liturgique, et ceux qui ne semblent venir de nulle part, que nuls n’a jamais lu ou prié, et qui sont discordant avec l’histoire transmise par les aînés.

On notera que le canon a pu évoluer selon les usages. Par exemple, certains Pères mettaient dans leur canon biblique des textes de la première catégorie. L’apocalypse de Jean a mis du temps à se faire accepter comme faisant partie du canon. La richesse de la tradition orthodoxe est celle-ci : livresque, mais aussi dans l’architecture, la musique, les icônes, les encens, etc. La tradition de l’Église est la plus riche qui soit. Et la Bible est un élément vital de cette tradition, mais elle n’en est ni le socle, ni l’unique contenu.