le problème de la philosophie de l’économie

L’économisme moderne

de l’économisme à l’économie politique

Il en est à peu près ainsi de l’économie politique. Elle aussi tient pour des positions évidentes et données trop de choses dont elle a été gratifiée à sa naissance et qu’elle s’est par conséquent accoutumée à considérer comme son attribut organique, comme son immuable bagage. A lire tel traité courant d’économie politique en se livrant au doute philosophique, l’on constate à quel point ce dogmatisme des présupposés imprègne ses constructions et dans quelle béate ignorance de ce fait elle demeure.

La science de l’économie est au nombre des disciplines les plus conditionnées et philosophiquement les moins fondées par elles-mêmes. Cependant, par le rôle et l’influence vitale qu’elle exerce de nos jours, elle prétend être le législateur impérieux de la pensée, promulguer des décrets philosophiques, étendre son effet bien au-delà de ses frontières. Et son succès même manifeste l’économisme ambiant de notre époque, le trait principal de son sentiment historique du monde. C’est dans son économisme que l’économie politique nécessite surtout d’être révisée et sa base d’être éclaircie, à la fraîcheur du doute philosophique. Un examen approfondi des prémisses de l’activité et de la pensée économique en général est une tâche qui incombe à la philosophie de l’économie, laquelle se penche sur les priori de l’économie politique aussi bien que de la conception économique globale du monde. Certes, son propre problème est beaucoup plus vaste que celui que l’analyse de la seule économie politique impose. La philosophie de l’économie fait partie intégrante de la philosophie générale, elle n’est pas un enfant illégitime de l’économie politique. En quoi, peut-elle donc consister, comme doctrine ?


Commentaire/Analyse

Le Père Serge aborde ici pour la première fois la notion de politique, inséparable compagnon de l’économisme. Une fois qu’existe une théorie économique, il advient de façon inéluctable la théorie politique qui va la mettre en acte. Et les deux, dit le Père Serge, ont leur racine dans quelque doctrine philosophique. Les doctrines politiques actuelles seront sur bien des points très différentes de celles qui existaient à l’époque du Père Serge : une approche marxiste beaucoup plus forte, des tentations totalitaires dans le sillage du fascisme italien, les mouvements très antireligieux affiliés à la franc-maçonnerie comme les radicaux-socialistes, etc. Mais au final, si l’on va dans le fond des choses, toutes ces options politiques sont au final des déclinaisons d’une même idée centrale unique : comment répartir l’argent entre les individus dans la société ? Cette option est l’option unique, l’horizon indépassable de toute pensée politique allant de Proudhon jusqu’aux tenants du bord extrême opposé. On pourra, de façon provoquante, affirmer que tout le monde est proudhonniste. C’est ce que fait avec raison le philosophe marxiste Francis Cousin qui a revivifié la pensée de Marx de nos jours. A partir du moment où l’on accepte la présence de l’argent, et de son utilisation lors d’un échange de produits sur lesquels on adosse une valeur, on rentre dans ce cadre unique de pensée. Aujourd’hui, dans le spectre politique, de l’extrême gauche à l’extrême droite, tout le monde avance une façon plus ou moins originale de gérer l’argent. Mais personne ne remet en cause l’argent. Il fait partie des présupposés de l’organisation en société. Certains le verront comme un progrès, au même titre que la domestication du feu, l’agriculture, le tissage, etc. Il y a deux grands courants de pensée qui ont remis en cause, de façon radicale et définitive l’argent : le Christianisme et le Marxisme. Dans l’Eglise primitive, devenir chrétien, cela signifiait sortir de la logique marchande, sortir de la logique monétaire, c’était rentrer dans le Royaume de Dieu sur terre, qui présuppose la disparition de l’argent. Cela fait toujours partie du « contrat » que chacun passe avec Dieu lors de son baptême. Il s’agit d’agir pour bâtir un monde sans argent. Les choses n’ont de valeur que pour exprimer l’amour. Elles n’ont aucune autre valeur marchande, économique, sociale, ou autre…

Le second appareil conceptuel à avoir considéré que l’argent devait être aboli, que l’état devait être aboli, que le salariat devait être aboli, c’est le marxisme. C’est un appareil conceptuel très puissant, brillant intellectuellement, et qui est très proche du christianisme, à ceci près (et ce n’est pas une mince différence) qu’il est matérialiste. Pour résumer, le matérialisme est une approche philosophique qui consiste à dire que tout se résume au monde concret qui nous entoure. C’est un peu plus subtil que cela en réalité. Mais ce postulat est bien évidemment faux dans une approche orthodoxe. Mais ce n’est pas là l’intérêt du marxisme. On dira plutôt que le matérialisme du marxisme devrait sonner comme un réveil mental pour tous ceux qui veulent penser patristiquement le monde. Si Marx a réussi à trouver une conclusion chrétienne sans avoir besoin de rajouter tout ce qui est métaphysique, cela devrait nous donner honte. Il n’a eu besoin d’aucune révélation, d’aucune parole prophétique pour arriver à ce qui devrait être une conclusion évidente pour tout authentique chrétien : l’argent et tout ce qui lui sert à être doit disparaître. Certains orthodoxes pourront être soucieux et choqués de voir présentés positivement le marxisme dans ce blog. Marx, comme Nietzsche a une pensée profondément antichrétienne mais qui peut facilement être baptisée et tournée vers la lumière. C’est cela aussi l’objectif ici. Il faudra aussi comprendre qu’il y a, et je paraphrase à nouveau Francis Cousin, autant de rapport entre les expériences communistes en Asie ou dans l’Europe de l’est et le marxisme authentique, qu’entre Calvin et le Christ chassant les marchands du Temple. Lorsque Marx disait que sa théorie était inapplicable en Russie ou en Chine, et qu’elle avait été conçue pour la France, l’Allemagne ou l’Angleterre, cela vaut de s’attarder quelques instants sur cette pensée presque prophétique d’une certaine façon. Le devoir des chrétiens est de changer le monde. La lutte contre l’argent est une lutte à mener pour y parvenir. N’en laissons pas le monopole aux marxistes…