Définition préliminaire de l’économie : 

Définition préliminaire de l’économie « l’économie et le travail »

L’économie et le travail

Le principe du travail est corrélatif avec celui de la nature, ou principe gratuit ; et, dans une certaine mesure, il lui est opposé. A l’économie comme production et accroissement de la vie par le travail s’oppose la nature comme l’ensemble des énergies « naturelles », gratuites (pour l’homme) de la vie et de sa croissance. Ce n’est pas par un acte économique que l’homme naît, qu’il se développe dans le sein de sa mère, puis qu’il croît en se fortifiant physiquement et spirituellement, et qu’il en devient conscient. Ce n’est pas par l’économie non plus qu’ont lieu tous les processus de la nature ni qu’est créé cet univers. Au contraire, c’est l’actualité de ce dernier qui est la condition de la possibilité, tant subjective qu’objective, de l’économie. C’est seulement parce que l’univers existe qu’il est possible de travailler et que l’on en a la capacité. A cet égard, l’économie est simplement comprise dans la vie de l’univers comme un facteur de croissance.

En même temps, ce facteur est indispensable, il est inclus dans le plan de la création comme manifestation actuelle d’une vie qui est parvenue à être consciente d’elle-même avec son extrême tension. La culture, c’est-à-dire une croissance de vie, acquise par le travail, provoquée ou réalisée par des moyens économiques, suppose la nature (quant à son état non culturel ou, plus exactement, extra- et pré-culturel, d’avant l’économie) en tant que son fondement. Sans une culture de travail, la nature est incapable de manifester toutes ses énergies, du moins en l’homme, sortir de son existence engourdie. Cependant, la culture ne dispose pas d’autres forces créatrices que celles déjà imparties à la nature. Même en y « prenant soin » (c’est-à-dire en y appliquant tous les efforts de la culture), nous ne pouvons ajouter un seul pouce à notre taille, selon la parole du Seigneur. Aussi la nature est-elle la base de la culture, une matière à travailler. En dehors d’elle, l’économie est tout aussi inconcevable et impossible qu’une expérience concrète en dehors de la vie.





Commentaire/Analyse

Le Père Serge rappelle ici une évidence tellement classique, que l’on est à la limite du truisme : la réalité du monde, les forces de la nature, font que l’économie est possible. Mais le Père Serge semble ici voir les choses d’une façon qui n’est pas le cœur de l’économie : le monde comme potentiel, et l’économie comme organisation de ce potentiel, comme « amélioration » dans une optique humaine. Il semble pourtant que l’économie, davantage que la transformation d’un monde qui demande à être transformé, soit plutôt l’affectation arbitraire d’une valeur à un objet du monde. L’objet peut être plus ou moins brut : le plus simple étant un élément simple et abondant dans le monde (tel que l’eau) ou bien un objet complexe issu de multiples sources et d’un savoir-faire humain très complexe (un ordinateur par exemple).

Une des capacités les plus incroyables de l’économie est d’avoir l’aptitude de créer un marché, même sur des objets simples. On appelle ici marché, un espace virtuel sur lequel se rencontrent les acheteurs et les vendeurs de cet objet, et qui vont fixer par leurs échanges la valeur de l’objet en question. Le marché de l’eau, dans un monde où il pleut paraît assez incroyable, et montre alors la puissance de « l’économie » en tant que mode d’organisation du monde. Les grands acteurs économiques, aidés par les médias dont ils sont eux-mêmes les actionnaires principaux, arrivent à instiller l’idée que l’eau peut aussi être un marché comme un autre. Vouloir nationaliser (ou en tout cas le soustraire à la sphère marchande) est présenté comme une position « extrémiste » pour ces acteurs. Ceci montre une vision, où même les composantes du monde les plus essentielles à la vie ne peuvent plus échapper à l’accroissement infini de la sphère marchande.

C’est ici finalement que l’économie apparaît comme étant d’une insolence et d’une ingratitude folle vis-à-vis du monde. Là où Dieu a mis à disposition de tous, gratuitement, de l’eau dans des quantités colossales, l’homme dans sa vision déformée du monde croit pouvoir faire de l’eau une denrée économique. Ceci montre que l’économie, comme objet de transformation du monde, et comme fantasme de contrôle du monde, ne connaît pas de limite théorique. Et comme le rappelle le Père Serge ici : si l’économie ne conçoit pas la limite, elle oublie également qu’elle est bâtie sur un donné qui devrait l’appeler à la modestie.