Etude canonique du concile pan-orthodoxe de 2016 en Crète

VI. L’Église face à la globalisation, la violence en tant que phénomène extrême et l’immigration

15. La théorie contemporaine de globalisation – imposée silencieusement et propagée rapidement – provoque de forts remous dans l’économie et la société à l’échelle mondiale. La globalisation imposée a généré de nouvelles formes d’exploitation systématique et d’injustice sociale. Elle a planifié l’élimination graduelle des obstacles que représentent les traditions nationales, religieuses, idéologiques ou autres qui s’y opposent. Elle a mené à l’affaiblissement en vue de la déstructuration des acquis sociaux au nom de la reconstruction de l’économie mondiale, censée être nécessaire, creusant davantage le fossé séparant riches et pauvres, dynamitant la cohésion sociale des peuples et ravivant de nouveaux foyers de tensions internationales. Face au processus d’homogénéisation réductrice et impersonnelle promu par la globalisation, face aussi aux aberrations de l’ethno phylétisme, l’Église orthodoxe propose de protéger l’identité des peuples et de renforcer le caractère local. Comme modèle alternatif pour l’unité de l’humanité, elle expose son organisation structurée, basée sur l’égalité de valeur des Églises locales. L’Église s’oppose à la menace provocatrice pesant aujourd’hui sur l’individu et les traditions culturelles des peuples que renferme la globalisation ; elle s’oppose aussi au principe selon lequel l’économie possède sa propre loi ou « économisme », c’est-à-dire l’économie émancipée par rapport aux besoins vitaux de l’humain et transformée en but en soi. Elle propose donc une économie durable, fondée sur les principes de l’Évangile. Axée sur la parole du Seigneur : « Ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra » (Lc 4, 4), elle n’associe pas le progrès du genre humain à l’amélioration du seul niveau de vie ou du développement économique au détriment des valeurs spirituelles.


Commentaire/Analyse




Le concile aborde immédiatement la globalisation en affirmant qu’elle est imposée. C’est un des points les plus positifs de ce document. La globalisation, n’est pas un phénomène naturel inéluctable comme la neige ou la pluie. Elle est voulue. Elle est planifiée. Elle est organisée. Elle est défendue. Elle communique (ou si vous préférez : elle ment). Les phénomènes humains en terme de civilisation, ne sont pas des phénomènes naturels. Ce sont des choses qui répondent à des organisations, qui elles-mêmes déclinent des volontés. Cette idéologie est, comme tout ce qui est profondément mauvais, une singerie tragique de ce qu’est l’Église : une unité mondiale. L’Église a pour mission de rassembler en un seul corps, la diversité de toutes les diversités, en une unité qui ne les anéantisse pas. La globalisation, c’est seulement la moitié de cela. Elle réunit tout le monde, mais elle fait devenir tout le monde semblable. A l’identité en terme théologique (c’est-à-dire la spécificité absolue de la personne, puis du groupe auquel appartient cette personne) elle substitue l’identité en terme mathématique (synonyme d’égalité). La globalisation, et en cela elle est profondément tragique, fait que tout le monde devient américain, ou disons procède de la modernité occidentale issue des Lumières. C’est un processus qui attaque tout, de façon très corrosive. Les indiens sont invités à ne plus être indiens mais à passer au mode occidental. De même pour les chinois, les russes, etc. Les deux versants de cette machine infernale sont le commerce et la guerre. Si le commerce ne réussit pas, une guerre de « libération démocratique » viendra mettre au pas le récalcitrant. Tout le monde peut constater cela en regardant froidement le monde. Le drame, est que la perception de la réalité est parfois complexe, et le positionnement ambivalent, car c’est souvent un dirigeant terrible qui est renversé pour faire avancer l’agenda de la globalisation. Ce qui fait que finalement nous l’acceptons. Mais les peuples ne sont jamais libérés pour être eux-mêmes, mais pour devenir eux aussi, les énièmes avatars de cette bien vulgaire modernité occidentale. Ceci est à rejeter en bloc. Le drame additionnel est que ce que nous devons devenir est profondément vulgaire. Nous pourrions avoir une tentation si la globalisation tendait vers une culture et une civilisation subtile. Mais la globalisation est une américanisation. En même temps, cela rend plus simple l’opposition qui naît spontanément de son injonction.

Mais le refuge dans la nation est aussi en soi un problème. Car l’unité de l’Église reste à préserver. Et la nation ne saurait être une structure qui vienne la contrer. C’est cela qui est adressé par la référence à l’ethno phylétisme. Ceci est une hérésie condamnée au 19ème siècle suite à l’événement suivant : un évêque bulgare avait été nommé pour suivre spirituellement des fidèles de culture bulgare dans un territoire de culture grec, territoire qui avait déjà un évêque, lui aussi de culture grecque. Il y avait donc « techniquement » deux évêques sur le même territoire. Ceci est expressément interdit par les canons de l’Église, les plus anciens et les plus incontournables. Au-delà des difficultés liés aux migrations de population et des phénomènes d’immigration et d’émigration, le problème posé par cette décision du patriarcat de Bulgarie revient à cette problématique profonde : l’orthodoxie est-elle une composante de l’identité nationale, ou bien la transcende-t-elle ? La condamnation de ce double épiscopat, et la saine compréhension du concept et de l’importance de la nation indiquent la réponse. L’orthodoxie ne s’inscrit pas dans les chimères adolescentes de citoyenneté du monde, du rejet de ses propres origines et de sa nation, mais rappelle à tous les croyants que si l’identité nationale est structurante dans la construction de la personne humaine, elle n’en est pas moins passagère. Notre destination finale est les Cieux. Nous ne sommes ici que de passage. Il n’y a pas de partie roumaine, serbe ou grecque dans le paradis. Il y a le paradis. Ceci nous renvoie ensuite à la situation canonique actuelle de l’orthodoxie française. En effet, quand on garde à l’esprit qu’il ne peut y avoir qu’un évêque par Diocèse, et que l’on regarde l’assemblée des évêques orthodoxes de France, on comprend que la situation est pour le moins problématique. Le concile de Crète adresse précisément cette problématique, et j’en reparlerai donc à ce moment-là.

Résumons. La globalisation est une idéologie mortifère mise en place par certaines personnes qui singe l’universalité de l’Église. Pour mettre en place son universalité, elle détruit les nations. L’orthodoxe va donc se retrouver dans cette situation paradoxale : il va devoir défendre sa nation pour lutter contre la globalisation, tout en comprenant que la nation doit être dépassée, dans l’universalité de l’Église. Cette universalité est d’autant moins comprise qu’elle s’habille historiquement dans le terme œcuménique, οἰκουμένη. Est œcuménique ce qui est véritablement universel. Ce mot là nous a été volé. Nous aurions du demander à ce que les rencontres avec les autres confessions chrétiennes prennent un autre nom. L’œcuménicité de l’Église est celle-ci : les Serbes vont adorer Dieu avec leur génie propre. Les roumains vont adorer Dieu avec leur génie propre. Les grecs vont adorer Dieu avec leur génie propre. Et ainsi de suite pour les arabes, les russes, les bulgares, etc. Unité de la foi, diversité des pratiques et coutumes liturgiques. Il y a toujours des écueils, avec les cohortes de pharisiens qui peuplent l’Église. Un écueil classique est celui des coutumes liturgiques, vus comme des absolus. Combien de fois ai-je vu des prêtres considérer comme une faute majeure de choisir ici un usage grec plutôt qu’un usage russe, ou l’inverse ? Ceci n’est pas important au final. L’important est que toute l’Église, communie dans la même foi, en suivant un génie local propre. Ceci n’est qu’une énième déclinaison, plus large de ces versets de Paul : “y a diversité de dons, mais le même Esprit; diversité de ministères, mais le même Seigneur; diversité d’opérations, mais le même Dieu qui opère tout en tous..” (1 Co 12) Cela est valable au niveau des nations.