Etude canonique du concile pan-orthodoxe de 2016 en Crète

VI. L’Église face à la globalisation, la violence en tant que phénomène extrême point 18 : les droits de l’homme

18. L’Église orthodoxe suit, avec douleur et dans la prière, constatant la terrible crise humanitaire qui sévit de nos jours, la propagation de la violence et des conflits armés, la persécution, les déportations et les meurtres commis contre des membres de minorités religieuses, l’expulsion forcée de familles hors de leurs foyers, la tragédie du trafic d’êtres humains, la violation des droits fondamentaux d’individus et de peuples, ainsi que la conversion religieuse forcée. Elle condamne catégoriquement les enlèvements, les tortures, les atroces exécutions. Elle dénonce la destruction d’églises, de symboles religieux et de monuments culturels.
L’Église orthodoxe est particulièrement préoccupée de la situation des chrétiens, ainsi que des autres minorités nationales et religieuses persécutées du Moyen-Orient. Elle lance tout particulièrement un appel aux gouvernements des pays de la région pour protéger les populations chrétiennes, les orthodoxes, les anciens orientaux et les autres chrétiens, ayant survécu dans le berceau du christianisme. Les populations chrétiennes et les autres populations indigènes possèdent le droit imprescriptible de demeurer dans leurs pays en tant que citoyens jouissant de l’égalité de droits. Nous exhortons donc toutes les parties impliquées, indépendamment de leurs convictions religieuses, à travailler à la réconciliation et au respect des droits de l’homme, et à protéger avant tout le don divin de la vie. Il faut que cessent la guerre et l’effusion de sang, et que prévale la justice, pour faire revenir la paix et rendre possible le retour de ceux qui ont été bannis de leurs foyers ancestraux. Nous prions pour la paix et la justice dans les pays éprouvés d’Afrique et l’Ukraine. Réunis en Concile, nous réitérons avec force notre appel aux responsables pour libérer les deux évêques enlevés en Syrie Paul Yazigi et Yohanna Ibrahim. Nous prions en outre pour la libération de tous nos semblables retenus en otages et en captivité.


Commentaire/Analyse




La notion de « droits de l’homme » est une notion complexe à aborder en théologie. En effet, dans l’analyse politique et historique de cette notion, on est confronté à des choses antérieures et postérieures aux moments fondateurs de l’histoire de l’Église. Premier élément antérieur : Cyrus, ce souverain perse, qualifié de « oint » dans l’Écriture (c’est-à-dire techniquement de Messie sans qu’on puisse bien évidemment le confondre avec Jésus) décrète la liberté religieuse, l’abolition de l’esclavage et la liberté de choix professionnelle. Ceci a lieu au sixième siècle avant l’ère chrétienne, et est très lié à l’histoire sainte, puisque c’est Cyrus qui permet aux hébreux retenus à Babylone de revenir d’exil et de revenir en terre d’Israël. Il y a ensuite le patrimoine philosophique stoïcien et platonicien, le patrimoine littéraire tragique qui étudient la notion de droits mais toujours en relation avec la notion de devoir, de destinée.

Puis à l’époque moderne, toutes les réflexions des philosophes comme Locke, Hobbes, Rousseau, Kant vont aboutir à la célèbre déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, par l’assemblée constituante révolutionnaire française. Dans ce qui constitue la sphère théologique, on pourra nommer le décalogue, le ministère du Christ, la prédication paulinienne, et ensuite l’édit de Milan en 313, proclamé par l’empereur Constantin, qui garantit la liberté de culte et la fin de l’oppression religieuse.

Le texte du Concile reprend l’expression « droits de l’homme » dans un sens positif puisqu’il appelle au respect de ceux-ci. On pourra comprendre cette formulation, comme une façon de s’adresser au monde dans ses idiomes courants mais il y a ici une maladresse presque coupable. En effet, lorsque l’on voit que des philosophes non chrétiens comme Nietzsche ou Marx penser une critique de ce concept, on se dit qu’il est bien triste que l’Église soit conceptuellement à la traîne. En effet, si l’on ne peut que se réjouir du fait que soit garantie pour chacun la liberté de penser, de réfléchir ou de critiquer, il faut toujours essayer de voir ce qui dysfonctionne dans chaque chose. Sinon, nous rentrons dans une opposition binaire bien-mal qui n’est pas à la hauteur des enjeux. Pourquoi ? Parce que depuis la chute, nous vivons dans un monde dans lequel bien et mal sont mélangés, et à part le Christ, rien n’est absolument bon. La question qui doit donc hanter le théologien est la suivante : quelle est donc la part de malice qui s’est glissée dans cette notion de droits de l’homme ?

Le monde profane a déjà établi ses propres limites, sans attendre ce qui pourrait être pensé par l’Église. Les problématiques de sécurité nationale sont des exemples profanes qui peuvent amener à relativiser cette notion. Un état, pour défendre son intérêt supérieur peut ainsi faire procéder en dehors de tout cadre légal à une incarcération ou même à une exécution. C’est ici, dans la vision de l’état, l’intérêt collectif qui doit être mis dans la balance de la réflexion. De même l’usage de la torture peut venir limiter de façon temporaire, pour des besoins de sécurité ou autre, cette religion laïque des droits de l’homme. On voit donc que le monde qui les promeut avec tant d’ardeur sait parfois les mettre en parenthèse pour des choses plus réalistes, froides et calculées. Mais ceci ne concerne pas l’Église, et revenons-en au concept.



Qu’est-ce qui conceptuellement pose problème avec cette notion de droits de l’homme ? Et bien c’est justement cette relativisation profane de ceux qui en dehors de l’Église ont décidé de promouvoir cette religion laïque de substitution. La première chose qu’il faut bien comprendre est que les droits de l’homme sont un substitut de la prédication évangélique. On pourra voir comment la déclaration de 1789 reprend visuellement la présentation des tables de la Loi de Moïse. Nous sommes ici bien au-delà du hasard ou de la culture. Et comme tout substitut à la perfection, il est limité, imparfait. Dans une perspective ecclésiale, le premier des droits c’est de vivre. Un état qui autorise et organise l’avortement de masse tout en faisant la promotion des droits de l’homme est dans une situation flagrante d’hypocrisie. Le second droit immédiat est de pouvoir accéder à la béatitude divine. Cela peut rapidement devenir contradictoire avec la vision de soi-même comme ayant des droits et donc un devoir de les défendre. Si Dieu interdit quelque chose qui est garanti par mes droits de l’homme, alors je me retrouve dans une position ou je vais devoir choisir. Et c’est là que les droits de l’homme posent problème. C’est un ciel de substitution, et cela ne doit tromper personne. J’espère que cela n’a pas trompé nos évêques et patriarches.

Je me joins à eux pour que les noms de deux hauts dignitaires chrétiens enlevés depuis des années ne soient pas oubliés et qu’ils retrouvent la liberté à laquelle chacun est appelé : Paul Yazigi, métropolite grec d’Alep et Yohanna Ibrahim, archevêque syriaque d’Alep, tous deux enlevés en 2013.