Etude canonique du concile pan-orthodoxe de 2016 en Crète

Le sacrement du mariage et ses empêchements

1. Concernant les empêchements au mariage à cause de la parenté de sang, celle par alliance et de la parenté spirituelle par adoption sont valables toutes les prescriptions des saints canons (53 et 54 du Concile œcuménique Quinisexte) et de la pratique ecclésiale qui en dérive, exprimée actuellement par les Églises orthodoxes locales, désignée et définie dans leurs Chartes constitutionnelles, ainsi que leurs décisions synodales concernant ce sujet.

2. Le mariage qui n’est pas irrévocablement dissous ou annulé et le troisième mariage préexistant constituent des empêchements absolus à contracter mariage, conformément à la tradition canonique orthodoxe qui condamne catégoriquement la bigamie et le quatrième mariage.

3. D’après les saints canons, le mariage est strictement défendu selon l’acribie après la tonsure monastique (canons 16 du IV Concile Œcuménique et 44 du Concile Quinisexte in Trullo).

4. Le sacerdoce en soi ne constitue pas un empêchement au mariage, mais, selon la tradition canonique en vigueur (canon 3 du Concile Quinisexte in Trullo) après l’ordination le mariage est empêché.

5. Concernant les mariages mixtes contractés par des orthodoxes avec des non-orthodoxes et des non-chrétiens, il a décidé que :

i. Le mariage entre des orthodoxes et des non-orthodoxes est empêché selon l’acribie canonique (canon 72 du Concile Quinisexte in Trullo).

ii. Il importe que la possibilité d’appliquer l’économie ecclésiale concernant les empêchements au mariage soit décidée par le Saint-Synode de chaque Église orthodoxe autocéphale, conformément aux principes des saints canons et dans un esprit de discernement pastoral en vue du salut de l’homme.

iii. Le mariage entre des orthodoxes et des non-chrétiens est absolument empêché selon l’acribie canonique.

6. Il importe que la praxis dans l’application de la tradition ecclésiale concernant les empêchements au mariage prenne aussi en considération les prescriptions de la législation civile à ce sujet, sans cependant dépasser les limites de l’économie ecclésiale.


Commentaire/Analyse




le terme acribie est peu courant et demande donc à être expliqué. Il s’agit de l’attention la plus minutieuse. Ce texte canonique montre l’équilibre subtil qui est réalisé dans l’Église. SI l’on doit synthétiser le texte, il dit : voici la norme mais l’économie est toujours possible. La notion d’économie a déjà été abordé dans ce blog, mais une petite piqûre de rappel ne fera pas de mal : il s’agit d’une disposition laissée à la discrétion de celui qui détient l’autorité de suspendre momentanément un canon en fonction d’une situation particulière. Ceci est la continuation directe de la logique de mitsva dans la Torah de Moïse : les mitsvots sont parfois suspendus pour telle ou telle raison. On suspend le Shabbat pour guérir une personne car le Shabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le Shabbat. On suspend un canon car le droit canon a été fait pour l’homme et non l’homme pour le droit canon.

Un des exemples de suspension d’un canon ici est la législation canonique concernant le mariage et le remariage. Le mariage est la norme et le remariage est l’économie. On voit donc que la tradition est beaucoup plus « souple » et compréhensive de la faiblesse humaine que la pratique pastorale catholique romaine par exemple. Un cas particulier a fait débat lors du Concile de Crète : le mariage entre orthodoxe et non-orthodoxe. Théologiquement, il n’a pas de sens. C’est une communion de foi, et partager la vie d’une personne qui a une autre foi empêche par nature le mariage comme communion de foi. Certains évêques de territoires ou l’orthodoxie est archi-dominante se sont élevés avec véhémence contre l’idée même de mariage interconfessionnel. Mais ce que ces évêques ont oubliés est la chose suivante : il existe des territoires où l’orthodoxie est ultra minoritaire. La probabilité d’un mariage au sein de la toute petite communauté orthodoxe est minime si on compare les statistiques de rencontre dans les milieux scolaires, professionnels, amicaux, etc. Prenons le cas de la France : un enfant ayant grandi dans l’orthodoxie a très peu de chance d’épouser une personne de confession orthodoxe. En ceci nous nous retrouvons en final dans la situation des tous débuts de l’Église où il était courant qu’un seul des deux époux fut chrétien. Le Saint Apôtre Paul a d’ailleurs expliqué que ceci ne posait pas de problème et que l’époux chrétien sanctifiait l’époux non chrétien. Mais l’ineffable sagesse de certains évêques actuels n’a pas été touchée par les recommandations pastorales et théologiques de l’Apôtre. Dieu merci, le texte final est resté conforme au bon sens : il est rappelé que la norme est le mariage inter-orthodoxe, mais l’économie est possible, à la discrétion de l’évêque dans ce cas présent.

Une précision canonique demande à être commentée : « le mariage en soi n’est pas un empêchement au sacerdoce ». La formulation est presque maladroite, puisque le mariage ou l’entrée dans la vie monastique sont les deux états requis d’un prêtre pour qu’il puisse exercer un sacerdoce. C’est-à-dire que l’homme destiné à devenir prêtre devra être marié ou déjà avoir choisi la vie monastique avant d’être ordonné. Il y a quelques situations personnelles originales mais qui sont des accidents statistiques en regard du fonctionnement classique, et qu’il ne convient pas de commenter ici. Il est fort appréciable en tout cas, d’avoir ici un rappel de quelque chose de fondamental qui s’est perdu en occident pour de sombres raisons de droits de succession : un clergé marié, qui partage et comprend les difficultés de la vie de famille. C’est en effet un Pape, qui excédé des divers problèmes de successions avec les familles des prêtres lors de l’héritage des prêtres morts, qui a décidé de ne plus avoir de clergé marié pour ne plus avoir ce type de souci. Le problème derrière cette médiocrité administrative, est que s’est ajoutée une médiocrité théologique latine qui veut que l’on ne peut pas cheminer en Dieu en tant que prêtre tout en partageant la vie d’une femme. On cite souvent les problématiques de Filioque, de péché originel, d’immaculée conception ou de positionnement canonique de l’évêque de Rome dans ce qui sépare Rome des patriarcats orthodoxes ; le problème du clergé marié et du sacrement du mariage en relation avec le sacrement de l’ordination montre également un autre problème majeur de la théologie latine. Nous rappellerons que le mariage est considéré par les Pères de l’Église comme une voie de divinisation d’égale importance avec le monachisme. C’est une lourde faute romaine que d’avoir ainsi tordu sa théologie pour coïncider avec ses incapacités administratives. A croire que le Pape responsable de cette immense faute historique était déjà dans une théologie déviante pour prendre une décision aussi lourde de conséquence. Le clergé français est aujourd’hui dans la situation actuelle : 70 ans d’âge de moyenne et un prêtre s’occupe de 19 paroisses. Nous assistons à un effondrement. Dieu fait payer cher les fautes des évêques inconséquents…