Etude canonique du concile pan-orthodoxe de 2016 en Crète

Tous les textes à commenter ayant été commentés dans les anciens posts consacrés à ce sujet, il ne me reste plus maintenant qu’à passer à la conclusion et sur pourquoi il convient de rejeter ce concile sans la moindre ambiguïté.

Il est un point qui n’avait pas été commenté, à savoir son organisation. Elle fut longue et s’est étalée sur des décennies. Pendant 55 ans, se sont succédé des réunions préparatoires, des rassemblements, des conférences pré-conciliaires, des réunions de synaxe, des conférences théologiques, des conférences universitaires. Et pendant toutes ces rencontres, rien ne fut mis en place d’efficace, pour que le concile soit une réussite. La conciliarité désastreuse du concile fut déjà beaucoup mise à mal lors de ces années de préparation. Ainsi l’exemple de Monseigneur Irénée, évêque serbe qui témoignait en 2015 de l’impossibilité, sinon à la marge, de revenir sur des passages jugés non acceptables de la relation de l’Église orthodoxe avec le reste du monde chrétien. Les premiers signes alarmants de non synodalité remontent donc à cette préparation. En fait, la conciliarité a été utilisée de façon perverse et indigne par les organisateurs des sessions préparatoires. La conciliarité a en effet été utilisée pour empêcher toute modification à certains textes, requérant l’unanimité non pour l’adoption, mais bel et bien pour la modification : au motif que le texte avait déjà été adopté de façon conciliaire dans l’une des réunions préparatoires. Ceci a poussé Bulgarie et Géorgie à s’abstenir de participer au concile. Chaque orthodoxe, à son niveau, peut témoigner de la cécité et de la discrétion de cette interminable préparation. Là où l’Église est le lieu de l’ouverture sur le monde, où rien n’est caché, secret, réservé aux alcôves ou à des initiés, le moins que l’on puisse dire est que cette préparation a été faite par une petite minorité, sur un agenda connu de peu de personnes. Les déclarations de Métropolites découvrant le contenu du concile au début de celui-ci sont éloquentes, ainsi le Métropolite Hiérothos de Naupacte, déclarant quelques mois avant le début de ce brigandage : « [les textes pré-conciliaires] sont inconnus de la plupart des hiérarques et de moi-même, ils demeuraient retenus en commission, et nous ne connaissions pas leur contenu ». Lors des grands conciles de l’histoire, convoqués pour répondre à une vraie question (à la différence criante de celui-ci), le menu, si j’ose dire, était connu. Et nous parlons d’une époque avec des moyens de communication bien moins élaborés qu’aujourd’hui. Ainsi devons-nous à certaines personnes d’avoir réussi l’improbable tour de force d’avoir moins communiqué à l’époque actuelle, que nos Saints Pères ne le faisaient dans la haute antiquité. Cela laisse songeur…



Mais le plus grave s’est produit lors de la tenue du concile lui-même. Lorsque celui-ci s’est déroulé, pour des raisons diverses en plus de celle déjà évoquée, 4 des 14 Églises orthodoxes en communion de foi n’ont pas souhaitées être présentes. Les Églises n’ayant pas le même poids démographique, le concile n’a représenté que 30% des orthodoxes que comporte le monde aujourd’hui. 162 évêques sont venus sur les 350 invités. A titre indicatif, le monde comporte environ 850 évêques. Le plus étonnant reste le nombre des évêques votants : 10. Là où historiquement les conciles les plus fondamentaux de l’Église, appelés œcuméniques, comportaient des centaines d’évêques, tous votants, ce concile de Crète n’a vu voter que les patriarches présents, ce qui introduit une classification entre évêque et patriarche. Cette classification fait tout de même diablement penser à une sorte de papisme interne à chaque patriarcat. La manœuvre a deux conséquences évidentes : la Russie se retrouve avec un poids équivalent à celui de Chypre (au cas où la Russie avait fait l’honneur de sa présence à cette mascarade canonique), et l’Église devient un synode de patriarches et non une communion de patriarcats. La manœuvre de Constantinople, combinée à la lâcheté ou la bêtise, ou l’aveuglement des autres patriarcats (rayez la mention inutile selon vos tempéraments) a donc introduit un fonctionnement absolument unique dans l’histoire conciliaire de l’Église. Car, et cela n’aura pas échappé à des canonistes avertis comme Monseigneur Job Getcha, ou à des patrologues émérites comme Jean François Colosimo, dans l’ecclésiologie orthodoxe, les évêques sont égaux. Le patriarche, en tant que primat n’est pas au dessus des autres. Ce fonctionnement fait passer les patriarches du statut de « primus inter pares » (premier parmi les égaux) à « primus sine paribus » (premier sans égaux) pour reprendre l’expression du Métropolite Elphidore, applicable selon lui à la relation entre Constantinople, petit vestige du passé sous perfusion d’argent américain, avec les autres Églises locales, telles que l’Église orthodoxe en Russie ou en Roumanie, porteuses d’une autre démographie et d’une autre dynamique historique et politique.

Le Concile de Crète a violé le 34ème canon apostolique qui dit « le premier ne doit rien faire sans l’opinion de tous. C’est seulement de cette façon qu’il y a unanimité et que Dieu sera glorifié par le Seigneur dans le Saint-Esprit ». Le canon fait une référence trinitaire à bon escient. De la même façon que la Sainte-Trinité agit toujours dans la communion des personnes, un évêque ne peut pas faire quelque chose (entériner une décision par exemple) sans le consentement des autres évêques. Pourtant, le point de friction central du Concile, à savoir le fait de qualifier les « chrétiens hétérodoxes » avec le mot « Église » n’a été validé que par 7 évêques sur 24 de la délégation Serbe. 17 n’ont pas voulu signer ce texte, à cause de l’évidence du problème : il n’y a qu’une seule Église, puisqu’il s’agit du corps du Christ. Pourtant le concile a considéré que la délégation serbe avait adopté le texte, puisque le patriarche serbe l’avait jugé acceptable. Il y a d’autres anecdotes concernant la délégation chypriote et des évêques absents qui signent des textes qu’ils ont précédemment dénoncés, qui rendent ce concile cocasse ou tragique toujours sur le même canon…



S’ajoute à l’abolition de la conciliarité et de ce papisme rampant, un œcuménisme des plus détestables qui transparaît des documents. Car le paradoxe de ce concile c’est de ne pas être œcuménique mais d’être oecuméniste. La différence doit être absolument claire pour tout un chacun. Œcuménique, au sens canonique et ecclésiologique, signifie valable pour le monde entier. C’est-à-dire qu’un concile œcuménique, qu’un canon œcuménique, s’applique à toute l’Église. On voit avec son organisation et sa tenue, que ce concile qui restera dans l’histoire le brigandage d’un patriarche avant sa chute dans l’hérésie (je fais ici référence à l’affaire ukrainienne) n’est non plus pas œcuménique le moins du monde. Il n’est signé que par dix patriarches et n’est pas validé par nombre d’évêques. Ainsi, et puisqu’il suffit qu’un évêque le refuse, pour ne pas être œcuménique, il ne l’est pas le moins du monde. Par contre, il est oecuméniste. C’est-à-dire qu’il s’inscrit dans ce sillage hérétique de l’ « unité des chrétiens », à savoir le fait de considérer catholiques, protestants et orthodoxes comme étant trois branches séparées à réunir pour établir la véritable unité du monde chrétien. Mais ceci, sous des apparences évangéliques de bonté, est tout simplement hérétique. Les gens qui ne sont pas dans l’Église du Christ, à savoir l’Orthodoxie, ne sont pas chrétiens du tout. J’ai développé amplement cette problématique dans d’autres textes, je n’y reviens pas. Cela n’enlève rien à leur dignité de personnes, à leur sainteté même parfois. Mais ils ne sont pas dans l’Église. Alors, qu’est-ce qui donne à ce brigandage une dimension hérétique supplémentaire avec l’œcuménisme ? La volonté affichée de renforcer le travail de rapprochement, et l’évaluation positive apportée à des commissions théologiques « mixtes » ne doit laisser aucun doute. On pourra me répondre qu’il faut parler aux autres « chrétiens », témoigner. Bien évidemment. Moi-même, dans mes relations personnelles, je fréquente des catholiques, des protestants, des juifs et des musulmans. Mais cela ne change rien à la vérité des textes, de l’histoire, du salut. Lorsqu’une question est épineuse, il faut revenir au Christ et aux Pères. Souvenons-nous de ce que le Christ a fait avec les pharisiens : il a parlé, et il a dit à chacun ses quatre vérités. Qu’ont fait les Pères ? Ils ont parlé, débattu. Le modèle qui doit être repris est celui des grandes joutes, telles que celle qui opposa Pélage et Augustin. Nous vivons une époque où les théologiens proviennent de milieux académiques, et tout est terne et châtré. Aucune commission orthodoxe sérieuse ne peut aboutir à reconnaître une quelconque ecclésialité des autres confessions chrétiennes. Le faire revient à acter un sentimentalisme et un relativisme. Quelle est la première trace historique d’un changement d’attitude vis-à-vis des autres « confessions chrétiennes » ? Il s’agit de 1920, dans une encyclique du patriarcat de Constantinople (décidément), adressée « aux Églises du Christ dans le monde », qui marque une rupture certaines avec le passé. Jamais auparavant, les autres « chrétiens » n’avaient été traités et reçus comme tels. Accepter que les catholiques et les protestants soient aussi dans l’Église, de façon ineffable, de façon cachée, cela revient à valider les conceptions théologiques liées au concept « d’Église invisible ». Les orthodoxes seraient l’Église visible, et les autres, l’invisible. C’est une caricature de la problématique de divino-humanité du Corps mystique du Christ. Car ces catégories bien réelles, sont inapplicables dans ce cas là.



Pourtant, le patriarche de Constantinople, Bartholomée déclarait en 2014 « L’Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique, fondée par le « Verbe au commencement, » par Celui « vraiment avec Dieu » et Verbe « Dieu véritable», selon l’Évangéliste de l’amour, malheureusement, elle a été divisée dans le temps au cours de son engagement sur la terre, en raison de la prédominance de la faiblesse humaine et de l’impermanence de la volonté de l’intellect humain. Celle-ci amena diverses conditions et groupes, dont chacun a réclamé pour lui-même « authenticité » et « vérité ». La Vérité, cependant, est Une, le Christ et l’Église Une fondée par Lui. Avant et après le grand Schisme de 1054 entre Orient et Occident, notre Sainte Église orthodoxe fit des tentatives pour surmonter les divergences, qui dès le début et pour la plupart proviennent de facteurs extérieurs à l’Église. Malheureusement, l’élément humain prévalut, et à cause de l’accumulation d’ajouts « théologiques », « pratiques » et « sociaux », les Églises locales ont été conduites dans la division de l’unité de la foi, dans l’isolement, qui s’est développé parfois en polémiques hostiles. ». On voit ici se déployer assez clairement cette hérésie ecclésiologique de l’œcuménisme. Ainsi donc, ce concile est une tâche pour ceux qui l’ont voulu, ceux qui l’ont fait, ceux qui l’ont accepté. Un orthodoxe sérieux ne peut pas souscrire à cette pantalonnade, à ce brigandage. Ceci était une problématique de 2016. Depuis, le patriarche de Constantinople a fait beaucoup plus de mal à l’Église que de placer sa théologie crypto-papiste au sein d’un concile anti-canonique : il a provoqué la rupture de communion avec Moscou en accordant de façon irrégulière l’autocéphalie à une structure fantoche composée d’aventuriers schismatiques, au sein du territoire canonique de l’Église Orthodoxe en Russie. Et quelque part, cette crise, au-delà du mal terrible qu’elle engendre, a une vertu. Elle va permettre de clarifier les choses, sur le seul critère qui vaille quelque chose devant le trône divin : la vérité. Nous allons contempler en toute lumière, qui est du côté de la vérité, qui est du côté de l’hérésie. Tout est affreusement simplement binaire ici. Il ne s’agit pas de chercher une complexité byzantine là où il n’y en a pas. Il ne s’agit pas de chercher les torts et les mérites de chacun. Il ne s’agit pas de savoir si l’on préfère les russes ou les grecs dans tel ou tel domaine. Il s’agit de savoir ce que disent les saints canons. C’est finalement la grandeur de l’Église que d’avoir ce droit canon. Pourquoi ? Car nous savons que notre entendement, notre volonté et notre raison sont obscurcis et blessés par le péché. Ainsi, dans les moments de doute, il est vital de se référer à ce que l’Esprit-Saint a commandé comme comportement pour nous. C’est quelque chose qui nous dépassé, qui nous transcende, et qui nous réunit. Et le droit canon ici est clair. Simplissime. Moscou a le droit pour lui, et Constantinople a réalisé quelque chose d’anti-canonique. Et pourtant les réactions sont timorées. A part les serbes, les bulgares et quelques métropolites courageux. Le silence assourdissant de certains patriarches, de certains patriarcats permettra au troupeau orthodoxe d’identifier les apparatchiks d’avec les autres. De trier le bon grain d’avec l’ivraie. Il fut une époque, pendant la crise arienne où les évêques vraiment orthodoxes étaient très peu nombreux. L’Église ne se juge pas par sa taille, mais par la vérité de sa doctrine. C’est une communion de foi. Constantinople en est elle encore membre ? Peut-on considérer comme orthodoxe un patriarcat marionnette du département d’état américain et qui penche de plus en plus vers une ecclésiologie romaine ? Peut-on considérer orthodoxes les gens qui trouvent le concile de Crète de 2016 orthodoxe ?

Ainsi se clôt cette étude du concile de Crète, que je ne voulais pas faire sans être passé par les textes. Les posts du droit canon vont maintenant pouvoir se consacrer à de véritables conciles. Les conciles de l’histoire de l’Église.