Les usages de convocation des Conciles de l’Église

On constate plusieurs motifs historiques dans la convocation des conciles. Le premier et le plus important est le cas de l’apparition d’une hérésie grave ou d’un schisme. Dans le cas particulier du patriarche de Rome, que ce soit avant ou après le schisme, un concile fut convoqué pour départager plusieurs prétendants simultanés au trône romain. La réunion de conciles de moindre importance rejoint toujours le même cadre : une convocation de certains évêques pour trancher un motif entre certains évêques. Si l’on examine la problématique de la convocation, lorsque le concile est de moindre importance et de portée locale, on constate une logique pyramidale. C’est le personnage le plus important d’un diocèse qui convoque les membres du diocèse. Le métropolite le synode provincial, et le patriarche le synode national (dans le cas de patriarcats nationaux bien sûr).

Comme je l’exposais dans le post précédent sur le sujet, la vision romaine est de voir le pape comme étant celui qui convoque le concile œcuménique. Historiquement les huit conciles qui peuvent être considérés « œcuméniques » sont convoqués par l’empereur. Il n’y a pas de mandat ici. Les documents de convocation sont disponibles dans six des huit cas, et aucun ne peut laisser supposer (ce que même les catholiques romains spécialisés en droit canons reconnaissent) une relation de délégation où l’empereur aurait été mandaté par le Pape pour réaliser la convocation. Nous disposons également des documents impériaux lus lors des ouvertures de conciles, et ils sont également sans ambiguïté. L’empereur ne se sent pas secrétaire de direction du patriarche de Rome, mais plutôt, dans le succession traditionnelle politique laissée par Constantin lors de la convocation par ses soins du premier concile œcuménique à Nicée en 325. Dans le monde romain, à l’issue du schisme, c’est le pape qui convoquera tous les conciles ayant autorité dans le monde romain. Est-il besoin de préciser que tous ces conciles romains n’ont aucune valeur canonique pour l’Église orthodoxe ? Néanmoins, cette façon de procéder exposer une ecclésiologie particulière, pyramidale, dont on voit qu’elle n’est pas traditionnelle. Pendant un millénaire, l’Église orthodoxe a convoqué des conciles locaux de sa propre initiative via son représentant le plus éminent, et des conciles œcuméniques via son empereur. Ainsi, lorsqu’un primat d’une église convoque un concile, cela revient à considérer, dans la trajectoire historique, que nous avons un concile local.

Il est à noter que la convocation est parfois du domaine « politique » même pour les conciles locaux : Childebret, roi des Francs convoque le concile national d’Orléans en 549, ou Charlemagne en 794 le concile de Francfort, en donne deux exemples éloquents. Je reproduis ici le texte de convocation que l’empereur envoya au Pape Célestin Ier concernant le troisième concile œcuménique d’Éphèse, car il est intéressant également dans la dynamique impériale et de l’équilibre entre l’église et le pouvoir :

« Le bien de notre empire dépend de la religion ; une étroite connexion rapproche ces deux choses. Elles se compénètrent et chacune d’elles tire avantage des accroissements de l’autre. Ainsi, la vraie religion est redevable à la justice, et l’état est tout à la fois redevable à la religion et à la justice. Établi par Dieu pour régner, étant le lien naturel entre la religion de nos peuples et leur bonheur temporel, nous gardons et maintenons inviolable l’harmonie des deux ordres, exerçant entre Dieu et les hommes l’office de médiateur. Nous servons la divine Providence en veillant aux interdits de l’État, et toujours, prenant souci et peine pour que nos peuples vivent dans la piété, ainsi qu’il sied à des chrétiens, nous étendons notre sollicitude sur un double domaine, ne pouvant songer à l’un sans songer en même temps à l’autre. Par-dessus tout nous recherchons le respect des choses ecclésiastiques autant que Dieu l’exige, souhaitant que la Concorde et la paix y règnent sans nul trouble, que la religion soit sans tache, que la conduite et les œuvres soient irréprochables dans tous les rangs du clergé. Aussi, persuadé que ces biens sont réalisés et affermis par l’amour divin et la charité mutuelle, nous nous sommes dit à maintes reprises que les conjonctures présentes exigeraient une réunion du corps épiscopal. Nous avions recule devant l’exécution de cette idée, à raison des difficultés qu’elle entraînerait pour les évêques. Mais la considération des graves intérêts ecclésiastiques et civils dont la discussion s’impose avec urgence à cette heure, nous persuade que cette réunion est désormais grandement souhaitable, et même indispensable. En conséquence et dans la crainte que la négligence apportée dans l’étude de ces questions n’aggrave la situation de l’empire., Votre Sainteté prendra soin, à l’issue des solennités pascales, de se rendre à Éphèse afin de s’y trouver pour la Pentecôte, accompagnée de quelques-uns des pieux évêques de sa province, en sorte que ni les diocèses ne manquent de prêtres, ni le concile de membres capables. Nous écrivons de même à tous les métropolitains. Ainsi, le trouble résultant des controverses récentes pourra être apaisé conformément aux saints canons, les irrégularités et les écarts seront redressés, la religion et la paix de l’état seront raffermies. Nous avons l’espoir que les prélats se hâteront de venir à un concile réuni en vertu du présent décret pour le bien de l’Église et l’avantage de tous ; ils contribueront aussi de tout leur pouvoir à des délibérations si importantes et si agréables à Dieu. La chose nous tenant fort à cœur nous ne tolérerons pas que personne s’abstienne sans autorisation. Ni devant Dieu, ni devant nous-même, les absents ne trouveront d’excuse. ». L’empereur qui écrit cela est Théodose 2, en harmonie avec Valentinien III, empereur d’occident. Nous possédons également la réponse du Pape Célestin, indiquant qu’il ne pourra se rendre au concile mais enverra des représentants. Le pape prépara une lettre pour le concile, exhortant les autres évêques à conserver l’orthodoxie et à condamner Nestorius. On voit donc que le Pape n’a pas l’initiative de la convocation, mais qu’il réagit à une convocation impériale.