ésotérisme chrétien : préambule

De cette période, j’ai le souvenir ému de contacts très enrichissants avec des bénédictins, avec des carmes. Ces prêtres vivent une spiritualité profonde et ce sont les frères de tous les croyants de quelque conviction qu’ils fussent. Leurs conseils de spiritualité sont emprunts d’un profond vécu.

Il n’est pas courant pour un chrétien paroissial ordinaire de pouvoir converser avec des ecclésiastiques qui sont des érudits. J’ai cependant eu la chance de pouvoir rencontrer, en milieu privé, quelques jésuites, authentiques cherchants de vérité. Les dominicains sont tout aussi érudits. Cependant je suis tenté de croire que leur érudition est destinée à argumenter désespérément contre les vérités qui dérangent et que leur mission les destine à désavouer avec vigueur ceux qui tentent de s’intéresser à ce qu’ils considèrent comme le domaine réservé de l’Eglise.

Parfois une étincelle jaillit au cours d’un sermon dominical auquel j’assistais au hasard de mes pérégrinations. Souvent, je suis allé trouver le prêtre, après l’office, pour prolonger l’idée qu’il avait développée. Je compris alors que je mettais ces prêtres en grand désarroi. L’action catholique leur est plus familière que la théologie.

Vers la cinquantaine, dans la région de Montpellier, je fis la connaissance d’un autre vietnamien. Celui-ci faisait partie d’un groupe de bénévoles assurant dans les hôpitaux l’accompagnement des mourants. Ce groupe suivait l’enseignement du maître tibétain Sogyal Rinpotché, et se réunissait chaque semaine chez l’un des participants, à tour de rôle, pour pratiquer la méditation et l’étude de textes. Nous sommes devenus amis. Il m’invita à l’accompagner à ces rencontres hebdomadaires.

Chacun savait que j’étais disciple de Jésus. Jamais je ne me suis senti un convive. Dès le premier jour, j’étais l’un des leurs. J’étais le chrétien de leur groupe. Jamais ils n’essayèrent de me convertir. Leur délicatesse allait jusqu’à choisir parfois pour lecture un texte de François d’Assise ou de maître Eckart. Grâce à eux, je m’initiais enfin aux prémices de cette méditation dont j’avais tellement entendu parler. Grâce à eux je redécouvrais la spiritualité de mon enfance, au temps où, chaque soir, dans la chapelle du pensionnat, prêtres et élèves partagions, après la lecture de textes choisis, de longs moments de prière silencieuse, face au Saint Sacrement.

A Montpellier, lors de ces soirées, nous commencions par une méditation purificatrice. Après quoi nous étions invités à une méditation d’immersion dans la présence réelle. Enfin nous terminions par une méditation de compassion que nous élargissions progressivement : pensée d’amour pour les siens, puis pour les amis, pour les gens du quartier, de la ville, et enfin pour l’humanité entière. De tels moments ne sont nulle part mieux décrits que dans les actes des apôtres : « l’assemblée des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme, et personne ne disait sien ce qui lui appartenait, mais tout était commun entre eux » (Act 4,32). Ces premiers chrétiens, je venais de les rencontrer.

A regret, il me fallait à nouveau quitter cette région.


Commentaire/Analyse





Avant l’analyse proprement dite, il faut savoir que le fameux Sogyal Rinpoche, que l’auteur orthographie de façon impropre Rinpotche, en plus de son côté maître bouddhiste, est un homme d’affaire extrêmement riche, et qu’il a été plusieurs fois accusé d’abus sexuel. C’est un escroc de la spiritualité et un homme astucieux qui a fait fortune sur le besoin spirituel des occidentaux déchristianisés, entreprise multiséulaire à laquelle participe activement l’auteur… Mais cela ne change rien au propos, et l’on pourrait tout autant lire la suite de l’analyse avec la certitude que Rinpoché soit un authentique maître spirituel. Il sera finalement plus tragique de se dire que l’on a troqué le Christ de l’Eglise pour un bouddhisme frelaté.

Revenons au livre et au texte extrait de son avant-propos. Beaucoup de choses très révélatrices dans ces propos. Déjà la vision extérieure à l’Eglise, qui en soi dit tout : « domaine réservé de l’Eglise ». Pour écrire ces mots il faut se sentir extérieur à l’Eglise et à sa logique de témoignage, de tradition, de transmission. La rédaction d’un chrétien authentique serait plutôt « notre domaine réservé ». Mais ici, on voit bien que l’auteur raisonne de l’extérieur. Ainsi, ce qu’il conçoit comme une « argumentation désespérée contre les vérités qui dérangent », n’est finalement, pour quelqu’un qui connait bien l’histoire de l’Eglise, que la lutte sans concession contre une lecture hérétique des textes. L’hérétique qu’il est conçoit sa thèse comme une vérité qui dérange. Pour le chrétien, nous sommes dans le domaine très classique de la lutte contre l’hérésie.



La suite est encore plus intéressante et révélatrice : la petite musique susurrée à l’oreille du lecteur, est qu’il faut côtoyer les spiritualités d’extrême orient pour méditer, pour prier. Le propos subliminal de l’auteur, est que le christianisme des origines était un christianisme méditatif, et que sa dogmatique lui a fait perdre cette composante essentielle. Le salut viendrait donc d’Extrême-Orient, d’une certaine façon. Cette partie du monde n’a d’ailleurs pas le monopole de la méditation et de la prière, et le christianisme offre des équivalents solides et conséquents. Rien n’empêche un chrétien, de se mettre devant une icône et de prier les psaumes. Et c’est là qu’il faut tout de même considérer la différence entre la méditation et la prière. La méditation a pour objet de réaliser le vide au niveau des pensées. Tout le flot insignifiant de l’existence est bloqué pour laisser la place à un vide apaisant. La prière a une autre portée, une autre ambition. Il s’agit de produire un dialogue (mental ou verbal selon les préférences) entre la personne et la divinité. Ainsi, la théologie de la méditation est que la divinité est un grand tout impersonnel, tandis que la théologie de la prière est que nous avons affaire à un Dieu personnel et relationnel. Ce n’est donc absolument pas la même chose. Le vide ou la relation à Dieu ? Lorsque l’on considère les deux, on voit la dimension imparfaite et fermée de la méditation par rapport à la dimension complète et absolue de la prière. Il est d’usage de dire en orthodoxie que celui qui prie est théologien. Pourquoi ? Parce que considérer que Dieu est personnel, qu’on peut lui parler et qu’on peut entrer en relation avec lui, c’est déjà être porteur d’une théologie solide. Méditer, c’est dire à Dieu : tu ne m’intéresse pas. C’est un suicide existentiel. Souvent, ceux qui débutent dans le domaine de la prière (ou de la méditation d’ailleurs) ne savent pas trop comment faire. Deux approches possibles, qu’on peut illustrer par une métaphore musicale : vous pouvez improviser une prière, qui aura la valeur d’une improvisation musicale, c’est-à-dire souvent niaise et médiocre et rarement géniale, ou bien adresser une prière en utilisant le véhicule d’un texte préexistant, comme un chef d’œuvre de la musique classique, dont on sait que bien exécuté, il touche, quasi mécaniquement au sublime. Ainsi, vous pouvez mettre dans votre bouche et dans votre cœur, des psaumes du roi David ou des prières mièvres, comme on peut en entendre dans des assemblées protestantes, adeptes de cette pratique… L’important, sera d’être totalement dédié à sa prière (aucune pensée autre ne doit venir perturber le flot de la prière, et en cela, la discipline méditative incombe aussi à celui qui prie), et d’y mettre l’intensité la plus forte possible. De tout ceci, l’auteur ne dit mot…



Pour résumer, qu’a-t-il choisi ? De ne pas entrer en relation avec le divin, mais de seulement chasser ses pensées profanes. Il a également essayé quelque prières aux intentions louables, mais dont le formalisme ne devait pas s’approcher d’un savoir faire multi séculaire comme celui des grands monastères orthodoxes : Athos, Optina, Valaam, Sihastria, etc. Ces monastères se posent en continuateurs de ces premiers chrétiens décrit dans les actes, qui ont tous en commun la chose suivante : ils confessent un Christ ressuscité. Les disciples du Christ ne sont pas des experts en méditation. Ce sont des gens qui donnent leur vie dans l’espérance de la résurrection.