ésotérisme chrétien : préambule

3 -Préalable historique

Présence des religions exotiques en Syrie, au temps de Jésus

Les intellectuels de l’Empire romain étaient en réalité de culture grecque. Malgré un certain intérêt pour la philosophie et la spiritualité orientale, la Baghavad Gîta, ou les Yogas soutras de Patanjali, pourtant diffusés depuis deux siècles avant notre ère, leur étaient étrangers, et leurs adeptes considérés comme païens.
Cela semble être encore le cas de la plupart de nos commentateurs autorisés, pourtant érudits et respectables, des Évangiles. Ainsi en est-il notamment d’un ouvrage très documenté, paru en avril 1998, qui se propose de faire le point sur les différentes hypothèses contemporaines concertant Jésus. (Daniel Marguerat, Enrico Morelli, Jean-Michel Poffet, Jésus de Nazareth, nouvelles approches d’une énigme, Editeur Labor et Fidès). Les différentes exégèses qui y sont étudiées n’appuient leur théorie que sur les seules analyses du judaïsme et de l’hellénisme contemporain de Jésus, mais ne tiennent aucun compte d’un apport probable d’une culture extérieure.
Pourtant la Syrie, depuis deux siècles avant la naissance de Jésus, connaît une pénétration des religions extrêmes-orientales.
« Ashoka, le plus grand empereur Maurya, répand le bouddhisme en Inde et envoie des missionnaires en Syrie, à Ceylan et au Tibet. Régime de paix et de réformes ; extension de l’enseignement ; construction de routes et d’hôpitaux. » (grand atlas mondial, sélection du reader digest. Rubrique croissance des civilisations, page 153).
« Ashoka, empereur de l’Inde (v-279 – v-230 av JC) porte l’empire à l’apogée de sa grandeur… puis, pris de remords à la vue des horreurs de la guerre, il devient un fervent adepte de la doctrine bouddhique de non violence et consacre le reste de sa vie à propager l’enseignement de Bouddha » (encyclopédie alpha, la grange batelière, au mot : ashoka).
La Galilée, dont les historiens s’accordent à dire qu’elle était très cosmopolite, est la voisine la plus immédiate de la Syrie.
Nous tenons d’un certain Bardesane, écrivain chrétien considéré comme hérétique, vers la fin du IIème siècle, une description des mœurs de différents peuples de la région où l’on distingue deux catégories de brahmanes et une autre secte indienne. (Jean Danielou, l’Église des premiers temps, éditions du Seuil).
L’existence de populations de culture indienne, en Syrie, n’est pas seulement due à l’envoi, aux environs de l’année 250 avant JC, des missionnaires de l’empereur Ashoka.
La présence dans l’armée syrienne, des éléphants indiens est bien connue. On la trouve notamment mentionnée lors de la bataille des Thermopyles (celle de 192 av JC), puis entre décembre 190 et janvier 189 (avant JC), où il est rapporté que 54 éléphants indiens d’Antiochus étaient plus redoutables que les quinze éléphants d’Afrique des Romains.
En 167 av JC, à Daphnay près d’Antioche, Antiochus IV, successeur du précédent organise une parade triomphale où sont mentionnés 40000 fantassins, 9000 cavaliers et 36 éléphants.
Au cours de la seconde guerre punique, le général carthaginois Hannibal utilise aussi des éléphants indiens. L’origine en est certaine puisque les Puniques continuaient à appeler indiens les cornacs de leurs bêtes (Ettore Pais et Jean Bayet, Histoire romaine, tome 1).
La Syrie, depuis plusieurs siècles avant JC, était un passage de convois commerciaux en provenance des Indes et de Chine. Ces éléphants d’Hannibal, pour venir de l’Inde, transitaient normalement par la Syrie.
Le facteur, peut-être le plus déterminant, de cette présence indienne en Syrie est consécutif à la chute de la dynastie des Maurya.
En 185 av JC, la dynastie indienne des Maurya, dont le point culminant fut atteint par l’empereur Ashoka cité plus haut, fut renversée. Le bouddhisme avait alors atteint son plein essor.
La chute de la dynastie des Maurya entraîna en Inde une période de confusion, à l’exception toutefois du Nord-Ouest où les Séleucides avaient installé un avant-poste grec, le royaume de Bactriane, qui s’étendait pratiquement jusqu’en Iran et au nord de l’Irak actuels.
Ce royaume atteint son apogée vers l’en 150 av JC. Les cultures grecques et bouddhique y faisaient bon ménage, à tel point que s’y développa une école artistique gréco-bouddhique.
Les historiens relatent que grâce à la supériorité de la spéculation astrale des mages, la spéculation religieuse grecque fut contaminée par les influences orientales (Encyclopédie Alpha, la Grande Batelière, aux mots : Perse et Inde).
Nous sommes ainsi amenés à constater que les bouddhistes son nombreux qui côtoient les Grecs en cette partie du monde.
Les Séleucides furent progressivement chassés d’Iran par une réaction nationale qui profitaient aux Parthes. La dynastie parthe des Arsacides, mit plus d’un siècle pour repousser les Séleucides jusqu’en Syrie. (Encyclopédie Alpha, la Grande Batelière, aux mots : Perse et Inde).
A l’instar des Juifs qui, chassés d’Espagne au XIème siècle lors de la Reconquista, s’installèrent en Languedoc, notamment à Montpellier, les bouddhistes de Bactriane se sont implantés en Syrie quelques années avant la naissance de Jésus.
En outre, « nous savons par l’épigraphie que Vishnouisme, peut-être sous sa forme plus précise de Krishnaïsme, s’était installé fermement à partir du IIème siècle avant notre ère » (Louis Renou, l’Hindouïsme, collection que sais-je ? page 105).
Dans les écrits des premiers siècles de notre ère, la présence indienne n’est pas seulement mentionnée en tant que brahmanes et bouddhistes, il y a aussi les gymnosophistes.
Clément d’Alexandrie (entre 180 et 202 après JC) écrit que la philosophie ne vient pas des Grecs, qu’elle s’est manifestée selon les races et que les initiateurs en sont « les prophètes d’Égypte, les Chaldéens d’Assyrie, les druides de Gaule, les mages de Perse, les gymnosophistes d’Inde ».
Ces gymnosophistes, philosophes d’une ancienne secte hindoue, dont les membres ne portaient pas de vêtements et menaient une vie d’ascètes contemplatifs (petit robert), étaient assez nombreux et connus pour que Tertullien, écrivain latin chrétien, dans son Apologeticum (197 ap JC) tienne à s’en distinguer : « nous vivons avec vous, nous avons la même nourriture, mêmes vêtements, même genre de vie. Nous ne sommes pas des brahmanes ni des gymnosophistes de l’Inde ».
Sans doute avait-il raison en tant que latin chrétien. Cependant, c’est en Syrie que le premier monachisme chrétien s’épanouit. Des ascètes que l’on appelait stylites « se retiraient sur le large chapiteau d’une haute colonne dressée dans la campagne, souvent sur une colline. Les pèlerins, petites gens et grands de ce monde, accouraient pour recevoir conseils, bénédictions et faveurs célestes ; un monastère se fondait autour de la colonne du saint ascète. Le plus célèbre de ces stylites fut Saint Syméon » (Missi n 407, nov 1977, p 274).
Cette forme de monachisme, considérée comme étonnante et originale, nous rappelle cependant ce qui se pratique, de nos jours encore, en Inde.
« le paysage religieux de l’Inde, ce sont les ashrams : communautés de fidèles réunies autour d’un sage, vivant de son rayonnement ou, après sa mort, de son souvenir. Combien de milliers y en a-t-il en Inde ? … les plus fameux ne sont pas toujours les plus fervents … l’âme de l’ashram est le swami, le maître, le sage … le moment le plus privilégié est celui où, habituellement en fin d’après-midi, les dévots viennent recevoir la bénédiction du sage … poser une question, demander un conseil et, surtout, bénéficier de sa présence rayonnante. » (René Girault, les religions orientales, plon, p 78).


Commentaire/Analyse





Un long excursus historique, qui demande, et je m’en excuse une aussi longue réfutation. Le but de tout ce chapitre est d’inséminer dans l’esprit du lecteur la possibilité historique de la folle thèse de l’auteur : un Jésus professant des vérités spirituelles extrêmes orientales et non plus mosaïques.

C’est sur la Syrie que l’auteur jette donc son dévolu et va rechercher cette improbable jonction entre le yoga et l’empire romain. C’est à peu près aussi crédible que d’imaginer des chants baroques chez les comanches, du rugby chez les pygmées, ou du death-métal chez des bénédictins, mais ne présageons de rien, et regardons comment s’établit cette connexion. L’auteur reconnaît lui-même en préambule que les textes majeurs de la spiritualité extrême orientale sont inconnus dans le monde gréco-romain. Si connexion il y a eu, les émissaires ont oublié d’amener les textes fondamentaux. Ce qui ressemble à une grosse étourderie, tout de même. Imagine-ton un apôtre oublier de mentionner la Bible dans sa prédication apostolique ?

L’auteur va d’abord lancer une petite pique aux « commentateurs autorisés ». Il s’agit d’érudits travaillant dans les milieux académiques, et abordant les textes sous un angle non ecclésial, mais historique, et historico-critique. Est cité entre autres Daniel Marguerat, grand spécialiste contemporain du NT. Marguerat et ses collègues ne sont pas des Pères de l’Église. Leur enseignement ne fait pas autorité dans l’Église. Souvent, ce qui émane des travaux de ce genre de chercheurs, est que le Christ n’est pas vraiment Dieu, que Marie n’est pas vraiment vierge, que ce que dit l’Église n’est pas totalement vrai, et plutôt même, assez faux. Il est donc assez comique de voir l’auteur se distancier de ses compétiteurs en exégèse, en leur reprochant de ne pas avoir retenu sa fumeuse théorie. Car il faut bien reconnaître que le Jésus yogi n’a pas beaucoup d’adeptes. C’est tellement improbable, contradictoire, intenable et farfelu, que les savants actuels se cantonnent à des hérésies davantage accessibles au commun des mortels : pas de divinité, pas de virginité, mais le tout en contexte juif. Des valeurs sures, somme toute. Chez les francs maçons, le ridicule ne tue pas. Pas de divinité, pas de virginité, mais pas de Torah non plus, pas de Dieu, pas de Trinité, pas de résurrection. Juste du yoga. On se demande ce qui a bien pu effrayer Caïphe de la sorte…

Ashoka est le grand sauveur de la théorie du Jésus yogi. Ashoka est un empereur dont la foi était liée à la doctrine bouddhique et qui a envoyé des missionnaires en Syrie. Donc il y avait des yogis en Syrie. Donc Jésus a été en contact avec eux. CQFD. Vous admirerez la puissance foudroyante du raccourci ici à l’œuvre. Il n’est fait nulle part mention d’un ouvrage retraçant l’histoire de la Syrie sur la période concernée et qui fasse état du succès plus ou moins grand de cette mission. Car il ne s’agit pas de nier ici l’existence de cette mission. Si des ouvrages en font mention, acceptons alors sa réalité historique. Ce qui manque ici, c’est quelque chose faisant état de son succès. Envoyer une mission ne signifie pas que la mission soit couronnée de succès. L’apôtre Thomas est connu dans les récits chrétiens comme étant l’évangélisateur de l’Inde et de la Chine. Si on peut acter d’un certain succès de cette prédication en Inde (avec les communautés actuelles Malankari qui se réclament de sa prédication), la Chine n’offre aucun témoignage d’aucune sorte concernant le succès de cette mission. Et il est tout aussi improbable alors d’imputer la naissance des arts martiaux à cette prédication de Thomas, que de supposer réaliste des contacts entre des yogis implantés en Syrie et Jésus de Nazareth. Pour que cela soit envisagé, il faut que cette mission des envoyés d’Ashoka suscite un intérêt auprès d’une communauté suffisamment large et pérenne dans le temps pour durer jusqu’à la naissance du Christ. Il faut ensuite que cette communauté rayonne assez pour influencer jusque dans la Galilée d’alors, et qu’ensuite Jésus jeune aille en Syrie ou que des yogis syriens aillent jusque Jésus en Galilée. Très très hautement improbable. Surtout que nous n’avons pas de trace historique d’aucune sorte. Chez aucun historien antique. Cela eut été suffisamment incongru pour éveiller l’attention de quelques chroniqueurs antiques, tels que Flavius Josèphe. Et surtout, le NT est irréductiblement juif, centré sur une certaine approche de l’observance mosaïque, sur les notions de confiance en Dieu, de lutte contre le péché, de repentir, et un certain nombre d’autres thèmes plutôt étrangers à l’univers bouddhique. Ce qui explique pourquoi Marguerat et consort ne perdent pas de temps avec ce genre d’inepties typiquement maçonniques. Les temples maçonniques sont des lieux de compétition des théories les plus vaseuses.

Vous me direz, lisant l’inoubliable prose maçonnique : quid de Bardesane et des éléphants ? Pour ce qui est de Bardesane, c’est un hérétique. A priori on peut tout de même garder les travaux d’un hérétique lorsqu’ils concernent l’histoire, et je n’aurai pas la malhonnêteté maçonnico-athée qui disqualifie tous les auteurs chrétiens lorsqu’il s’agit de trancher un point de l’histoire chrétienne. Vous imaginez un tribunal charger de trancher une question et qui ne garde que les avis d’un camp ? Bardesane nous dit donc qu’il y a des brahmanes en Syrie. On voit ici l’immense frivolité de l’auteur. Des émissaires bouddhiques, nous sommes passés à des brahmanes. Il faut bien comprendre qu’il s’agit ici de deux doctrines très différentes. Elles sont même opposées, lorsque l’on s’intéresse aux croyances de l’extrême orient. Bouddha a fondé sa doctrine en se séparant de l’hindouisme. Ainsi, la frauduleuse exposition de l’auteur, malhonnête ou très incompétent en matière religieuse, revient à dire : tel souverain juif à envoyé des émissaires juifs à une époque, et d’ailleurs un auteur a constaté la présence d’imams musulmans dans la région. Cela a la même consistance historique, religieuse et intellectuelle. Un brahmane est un officier du culte hindouiste, pas bouddhique (ils sont même opposés, d’après les spécialistes de ces courants religieux). C’est à ce genre de détail que l’on voit que l’auteur a tout mélangé dans un grand gloubiboulga : les religions extrêmes orientales. Pour lui, tout se vaut. L’important, c’est la méditation. Que l’on médite sur Vishnou ou sur Bouddha, ce n’est pas important à ses yeux.

Passons aux éléphants. Il y a des spécimens africains, mais admettons que tous les éléphants ici nommés soient véritablement indiens. Nous sommes ici dans le domaine purement militaire. Pour que l’improbable scénario de l’auteur soit admissible, cela devient encore plus ubuesque. Il faut admettre qu’aucun soldat dans l’armée recevant les éléphants n’a été formé au dressage et à l’utilisation de ces animaux, que ceci a toujours été laissé aux indiens les vendant, qu’il n’y avait aucun dresseur venant du monde gréco-romain, et que ces indiens étaient des gens très pieux, qui lorsque leurs opérations de mercenaires et de dressage terminées répandaient la foi « extrême-orientale » avec un grand zèle missionnaire. Je vous laisse quelques minutes pour rire et reprendre votre souffle. Si cela n’était pas écrit, j’aurais du mal à vous convaincre que la maçonnerie est une école de comiques. L’auteur poursuit ensuite ses juxtapositions allusives, cherchant à convaincre le lecteur de cet improbable rapprochement entre Jésus et l’extrême orient. Car pour l’auteur, une chose est sûre, il s’agit d’Inde. Peu importe que ce soit du bouddhisme ou de l’hindouisme, des brahmanes, des yogis ou des moines tibétains. Tout ceci se retrouve mélangé sans autre forme de procès dans ce grand ensemble terriblement occidentalo-centré : l’Inde. Il y ajoute même les gymnosophistes, pour augmenter la probabilité de ce Jésus « indien ». Raisonnons par l’absurde. Imaginons que l’Église mente sur le Jésus véritable et que Jésus soit un hindouiste caché, en quoi les émissaires bouddhistes de l’empereur Ashoka viennent-ils étayer la thèse ? Si Jésus est en fait bouddhiste, adepte du yoga tantrique et de la méditation la plus pure qui soit, en quoi le fait qu’Hannibal ait utilisé des éléphants dans ses campagnes militaires vient-il aider quoi que ce soit ? Les conseillers militaires, n’ont jamais été (ou alors qu’on me montre un contre-exemple) un foyer d’expansion religieux. Ces conseillers militaires sont cantonnés au domaine militaire et n’ont absolument pas l’occasion de pouvoir s’ouvrir à une mission religieuse, qui demande du temps, des moyens financiers et une forte itinérance.

L’auteur conclut son chapitre avec une juxtaposition effroyable de malhonnêteté intellectuelle. Il montre un exemple de monachisme chrétien en Syrie, avec l’exemple de Saint Syméon le Stylite, et montre un phénomène quelque peu comparable en Inde, à savoir que les adeptes se réunissent autour de leur maître. C’est un peu léger comme rapprochement tout de même, car il s’agit d’un phénomène religieux au sens large, sans que cela induise une relation de dépendance aucune entre les différents mouvements religieux. Le seul lien est que Saint Syméon était un habitant de Syrie. Mais le monachisme n’est pas un phénomène syrien. Le monachisme, pour le consensus historique (chrétien ou pas) est un phénomène syrien et égyptien, et beaucoup plus tardif que l’époque du Christ. Pour l’histoire de l’Église, le monachisme est consubstantiel du ministère apostolique, mais les auteurs ne convergent pas sur les lieux et les dates. Concluons. Ce chapitre est intéressant, car au final, l’auteur nous démontre bien involontairement, que Jésus ne peut pas être extérieur à sa matrice juive. C’est un fils d’Israël. Il est dans la Tradition d’Israël. Il est ce Messie annoncé. Il n’appartient à aucun courant extérieur. L’affirmation contraire est impossible à démontrer sérieusement. Mais le sérieux et la pensée maçonnique sont deux abstractions mutuellement exclusives. C’est-à-dire qu’elles s’opposent absolument. Vous avez ici une autre démonstration de la radicale impossibilité d’être à la fois maçon et chrétien. Il faut choisir votre lumière. Celle de la loge ou celle du Christ. Il faut choisir. Comme toujours.