Exégèse rabbinique : Les pratiques, les limites, les erreurs.
MISHNA
réflexions sur l’exégèse rabbinique
Les tout premiers chrétiens n’ont pas été convaincus par le Nouveau Testament : en cours de composition, avec une diffusion davantage restreinte qu’aujourd’hui, il est fort à parier que le seul corpus disponible, et le plus répandu de tous était l’Ancien Testament, dans sa version de référence pour le monde hellénistique (LXX), ou bien dans les langues sémitiques (original hébreu, targums araméens antiques).
Ainsi l’identification de Jésus de Nazareth comme Messie et comme Dieu fut au tout départ davantage quelque chose de relié à la littérature vétéro-testamentaire. Les écrits qui allaient constituer le corpus spécifiquement chrétien viendraient davantage en confirmation, en contenu catéchétique, mais certainement pas en nécessité absolue. On peut être chrétien avec uniquement la Bible des juifs, et un enseignement oral sur les actes et enseignements du Christ.
Les pratiques d’exégèse rabbiniques, qu’on accepte ou que l’on rejette Jésus sont au final les même. Les chrétiens ont souvent la vision d’une exégèse propre au monde juif qui serait la base argumentative du rejet du Christ. C’est logiquement impossible. Ou alors, cela signifierait que les tout premiers chrétiens originaires de la matrice juive avaient une exégèse concurrente, une technique de lecture parallèle. Aucun élément historique n’est jamais venu appuyer cette thèse pour le moins étrange. Le plus logique, est qu’avec les mêmes techniques, certains voient le Christ dans les textes, et d’autres non. Il existe des livres entiers sur l’ensemble de ces techniques, qui sont parfois très complexes, et il ne s’agit pas ici de les lister, sinon ce billet deviendrait interminable et indigeste. Disons néanmoins que le Nouveau Testament témoigne lourdement de la judéité du contexte, au point qu’on peut parfois se demander si l’on doit être instruit en judaïsme pour espérer le comprendre…
Par contre, une chose est sûre, les rabbins qui n’ont pas reconnu Jésus, ont finalement ajouté des postulats à la base de leur exégèse. Ce qui fait qu’avec le temps, on peut considérer que partant des mêmes techniques exégétiques, juifs et chrétiens divergent sur deux points majeurs. Les voici ici listés :
1) les juifs considèrent que les péchés du peuple peuvent conditionner, voire abolir une prophétie inscrite dans l’Ancien Testament. De leur côté les chrétiens considèrent que la prophétie s’accomplira, sans que puisse interférer le degré de sainteté du peuple.
2) les juifs considèrent qu’une prophétie énoncée est une singularité temporelle et qu’elle doit s’accomplir intégralement en un acte historiquement identifié. De leur côté, les chrétiens considèrent qu’une prophétie est quelque chose qui peut être partiellement réalisé et qui contient parfois une dimension eschatologique.
Il me semble qu’avec ces deux différences, nous sommes à la racine de ce qui sépare herméneutiquement juifs et chrétiens. Et plutôt que de répéter chacun de son côté, de façon un peu mécanique, les mêmes arguments, il faudrait savoir considérer seule chaque racine, pour en percevoir sa légitimité.
Les péchés du peuple peuvent-ils conditionner une prophétie ? Il existe un cas qui est reconnu par les chrétiens, enseigné par le livre de Jonas : si la prophétie est négative (on parle de la destruction d’une ville) et qu’il y a un repentir, alors la miséricorde divine peut supplanter sa justice, et la prophétie se voit annulée. Donc oui, et c’est normal avec un Dieu relationnel, la relation établie avec Dieu a une action sur Lui. Mais la vision rabbinique qui fait débat est la suivante : deux prophètes différents prophétisent de façon radicalement différente la venue du Messie ; En gloire sur les nuées divines (Daniel) ou bien humble sur le petit d’une ânesse (Zacharie). Les rabbins résolvent ainsi cette contradiction : si le peuple est vertueux ce sera la version de Daniel, et s’il est pêcheur ce sera la version de Zacharie. On voit au passage, qu’un Messie divin n’est pas si étranger au judaïsme, mais ce n’est pas le sujet… Est-il vraiment sérieux de conditionner ainsi la venue du Messie à la sainteté du peuple ? Le seul cas permettant d’annuler une prophétie est un repentir dans le cas d’une prophétie négative. Nous sommes à l’opposé de cela. Il s’agit de la venue du Messie. C’est un cas absolument et totalement positif. La posture rabbinique revient à dire que Dieu n’accomplit pas ses promesses. C’est une folie. Et cette folie n’a qu’un but : repousser la possibilité d’un Messie venant deux fois. Une fois dans l’humilité, et une fois dans la gloire.
Et ceci nous renvoie à cette cécité juive par rapport à la prophétie et son articulation au temps. A partir du moment où il est acté que le Messie vient deux fois, le rapport du temps à la prophétie est totalement modifié. Une prophétie n’a pas à s’accomplir en une fois. Elle peut être en cours, avec des phases. Les juifs recalent Jésus entre autre parce qu’il y a des prophéties messianiques qui font état d’un règne de paix et de félicité venant s’instaurer dans la foulée de sa venue. Et regardant l’histoire humaine, ils nous disent : où est cette paix promise ? Où est cette félicité paradisiaque prophétisée ? Nous pourrions répondre malicieusement : peut-être cela a-t-il été aboli par les péchés du peuple, qui ne l’ont pas méritée ? Mais nous répondront plus sereinement que certaines prophéties messianiques concernent la venue dans l’humilité, et celles-ci sont accomplies. D’autres, non encore accomplies, concernent sa venue dans la gloire. Ceci est du domaine eschatologique. Plus compliqué, le cas d’une prophétie qui est partiellement réalisée, et qui attend sa conclusion eschatologique.
Ainsi tout réside sur la problématique du nombre de venues du Messie : une ou deux ? Ça n’a pas valeur de preuve, bien évidemment, mais la toute première lettre de la Bible est un Beth (la lettre B en quelque sorte), la deuxième lettre de l’alphabet hébreu. Sa valeur mathématique est de 2. Ainsi, la toute première chose que Dieu a inspiré à Moïse dans sa Torah est : 2. 2 quoi ? Si toute la Torah est un gigantesque moyen d’annoncer et de reconnaître le Messie…
Mais surtout, nous avons vu avec Daniel et Zacharie que le Messie va venir de deux façons totalement différentes. La question est de savoir si Dieu nous a dit que Messie pourrait venir de deux façons différentes ou bien s’il viendra de deux façons différentes. Ainsi la question se résume à : quel est le Dieu d’Abraham, Isaac et Jacob ? Un Dieu qui annonce ce qu’il pourrait faire mais qui ne le fait pas vraiment ? Ou bien un Dieu qui annonce les choses, énonçant ainsi des certitudes ? Le Dieu des rabbins est un Dieu qui empêche la foi. En effet, sa parole n’est pas certaine. Le Dieu des chrétiens est un Dieu qui permet la foi. Sa parole est certaine. Mais Jonas ne donne-t-il pas finalement raison aux rabbins ? Dieu avait très précisément prophétisé à Jonas que Ninive bénéficiait d’un délai de 40 jours pour la repentance. C’est justement parce que Dieu est ce Dieu qui tient ses promesses que la repentance des ninivites a pu avoir lieu. Ainsi, Jonas montre davantage l’erreur tragique des rabbins. Ce sont finalement des gens qui doutent de Dieu. Parce que pour les rabbins, Dieu dépend de nous. Rien n’est moins fiable que cela. Pour les chrétiens, Dieu ne dépend que de Dieu. Il n’intègre pas l’homme dans son action. Il y a bien évidemment synergie (l’homme n’est pas passif dans cette relation), mais Dieu est toujours à l’initiative. Le judaïsme est donc la synergie avec l’initiative humaine, tandis que le christianisme est la synergie avec l’initiative divine. Croyez vous qu’un Dieu d’amour va attendre que sa créature se manifeste ou bien va-t-il prendre les devants ?