Patrologie grecque

 Saint Clément de Rome : première aux corinthiens - chapitre 1 point 1

Texte original (dans la patrologie de Migne) :

Χάρις ὑμῖν καὶ εἰρήνη ἀπὸ παντοκράτορος θεοῦ διὰ ἸησοῦΧριστοῦ πληθυνθείη. Διὰ τὰς αἰφνιδίους καὶ ἐπαλλήλους γενομένας ἡμῖν συμφορὰς καὶπεριπτώσεις, βράδιον νομίζομεν ἐπιστροφὴν πεποιῆσθαι περὶ τῶνἐπιζητουμένων παρ᾿ ὑμῖν πραγμάτων, ἀγαπητοί, τῆς τε ἀλλοτρίας καὶξένης τοῖς ἐκλεκτοῖς τοῦ θεοῦ, μιαρᾶς καὶ ἀνοσίου στάσεως ἣν ὀλίγαπρόσωπα προπετῆ καὶ αὐθάδη ὑπάρχοντα εἰς τοσοῦτον ἀπονοίαςἐξέκαυσαν, ὥστε τὸ σεμνὸν καὶ περιβόητον καὶ πᾶσιν ἀνθρώποιςἀξιαγάπητον ὄνομα ὑμῶν μεγάλως βλασφημηθῆναι.

Traduction littérale

Grâce à vous et paix du tout puissant Dieu par Jésus Christ vous soit donné en abondance. au travers des soudains et se suit rapidement les déroulées à nous du événement malheureux et calamités frères au tardif considèrons retour été fait à propos aux qui recherche à d'à côté de à vous (des) choses bien-aimés la aussi appartenant à un autre. à propos de ceux qui recherchent parmi vous des choses bonnes et d'autres et étrangers aux élus du dieu pollué et du impie construction étrangères aux élus de Dieu, construction de pollution et d'impiété la peu visages énervé et têtu circonstances vers si grand de la folie brûlèrent que peu de visages ont brûlé vers une grande folie dans des circonstances énervées et tétues en sorte que le saint et célèbre et tous aux hommes digne d'amour nom de vous grandement blasphémer de sorte que sont blasphémés vos noms pourtant saints et digne d'amour auprès de tous les hommes.

Traduction fluide

Que la grâce et la paix du Dieu tout puissant vous soient données en abondance par le Christ Jésus. Au travers des calamités soudaines et des événements malheureux qui se sont succédé rapidement, nous considérons que le retour aux frères fut trop tardif; (retour) à propos de ceux qui recherchent parmi vous des choses bonnes et d'autres étrangères aux élus de Dieu, construction de pollution et d'impiété venant de quelques uns dont les visages sont brûlés par une grande folie dans des circonstances de grande ampleur, de sorte que sont blasphémés vos noms pourtant saints et digne d'amour auprès de tous les hommes.




Commentaire/Analyse : la dialectique de la persécution

Tout d’abord, comme un réflexe : le contexte. Quand Clément écrit, et pourquoi ? Nous avons ici une indication que le contexte historique plus large permet d’éclairer avec intérêt : Clément, évêque à Rome, écrit à Corinthe, une assemblée messianique dont Paul avait déjà assumé la direction spirituelle (voir ses deux épîtres aux corinthiens dans le NT). Mais, malgré la grave crise qui agite la communauté de Corinthe, Clément déclare avoir été retardé par des événements malheureux. Il s’agit sans nul doute des persécutions de l’empereur Domitien.

Pour ceux qui voient les religions comme des sectes, la secte, dans sa compréhension actuelle, est un groupe où des gens naïfs sont tenus sous l’emprise mentale d’un personnage charismatique et sans scrupule appelé le guru. Calquer ceci sur l’Eglise est ardu : Jésus est mort, n’a demandé d’argent à personne, n’a pris la femme de personne, a annoncé des souffrances terribles, et a demandé de s’en réjouir : “μακαριοι εστε οταν ονειδισωσιν υμας και διωξωσιν και ειπωσιν παν πονηρον καθ υμων ψευδομενοι ενεκεν εμου” (Heureux serez-vous, lorsqu’on vous outragera, qu’on vous persécutera et qu’on dira faussement de vous toute sorte de mal, à cause de moi. Mt 5:11) Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, car on a du mal à évaluer le danger politique d’un groupe de gens qui se réunissent pour partager du pain et boire du vin, en adorant comme Dieu un Juif condamné à mort par les élites religieuses de son peuple et par le préfet romain sur place, l’empire romain va se mettre à persécuter avec une violence inouïe cette petite secte juive qui prone la pauvreté, l’ascèse et la non violence. Analyser ceci sur un plan politique est assez énigmatique. La persécution en question est celle de l’empereur Domitien, dont la source ecclésiastique est le travail d’Eusèbe dans sa fameuse histoire de l’Eglise.

Pourquoi donc persécuter les Chrétiens (et les Juifs) ? Parce que la république romaine a fait sa mutation impériale, et l’empereur est en train tout doucement de devenir une divinité. Mais il n’appelle pas à l’exclusive sur sa personne. Il veut être adoré comme Dieu parmi les autres dieux. Ceci est inacceptable pour les monothéistes strictes et scrupuleux que sont les Chrétiens et les Juifs. La sédition religieuse prend tout de suite une dimension politique, car ne pas adorer l’empereur comme Dieu, c’est, dans la logique romaine, ne pas reconnaître ce qui fait l’unité de l’empire. C’est reçu par les romains comme une sédition, une trahison. Il faut bien comprendre que l’empire romain avait la pratique du Panthéon : il s’agissait d’intégrer, au fur et à mesure des conquêtes, les dieux des peuples vaincus, dans cet édifice. Il s’agissait de manifester la supériorité de Rome et d’intégrer à l’empire les populations vaincues. Le Judaïsme et le Christianisme, par leur exclusivisme monothéiste ne pouvaient pas valider cette mascarade de liberté religieuse.

Les persécutions contre les chrétiens vont s’étendrent entre 64 et 313, par alternance entre les vagues de persécutions, et les périodes d’accalmie. Celle dont parle Clément, est celle voulue par l’empereur Domitien qui régna entre 89 et 96. Ce qui est intéressant c’est de constater deux choses : dans les cercles académiques qui s’intéressent à ces persécutions, on a tendance à les minimiser, les nier, les relativiser selon les tempéraments des historiens. L’approche de ces “spécialistes” est de considérer que l’Eglise se raconte elle-même souffrante pour ses propres besoins apologétiques. On imagine mal l’apologétique qu’on peut baser sur la persécution, mais la recherche officielle des cercles anti-chrétiens n’est pas morte d’un ridicule qui décidément ne tue pas. Ces gens ont des diplômes mais ne sont pas grand chose. Ces Robert Faurisson de la souffrance chrétienne des premiers temps, on peut en tracer un portrait robot : ils vont toujours avoir étudié les sectes gnostiques, les hérétiques des premiers siècles, et produire un travail académique pour dire combien l’Eglise été dure, aveugle, tranchante par rapport à une belle spiritualité. Ils vont aussi produire un travail pour montrer que le Christianisme véritable, n’est pas celui de l’Eglise “officielle”, mais que Jésus a été trahi, et le message originel perdu. Evidemment, pour cet agenda idéologique, être persécuté rend difficile l’exercice. On imagine mal les évêques tenir un concile pour rendre un anathème sur une secte gnostique avant d’aller joyeusement se faire dévorer dans une arêne pour la plus grande joie des spectateurs de l’empire romain. Par contre, et c’est la deuxième chose intéressante à constater, c’est que lorsque les persécuteurs sont de religions chrétiennes et qu’ils instrumentalisent la religion pour persécuter, les chiffres peuvent prendre des hauteurs géométriques sans que personne ne se pose de question sur la vraisemblance des choses. Ainsi cette légende tenace sur l’inquisition qui brûla un million de sorcières, que nous devons au pamphlétaire Michelet (qu’on ne peut pas sérieusement appeler historien, car il n’y a pas de recherche historiographique, de sources, de documents, d’archive dans son travail, c’est le néant intersidéral). On a brûlé des soricères en Europe. Pas au moyen-âge. A la renaissance. Pas l’inquisition. Les protestants. A méditer…

Passons à des choses plus intéressantes. Le Christ nous demande de nous réjouir de la persécution. Est-ce possible ? C’est compliqué mais il ne nous a pas appelé à l’impossible. Comme le Christianisme n’est pas un masochisme, il n’y a pas de plaisir à recevoir dans cette souffrance. Mais il y a quelque chose à méditer. Et il semble évident qu’il s’agisse de la liberté. Car après la persécution, qu’a utilisé l’empire romain contre l’Eglise : il l’a pris à ses côtés comme un instrument de pouvoir. Et cela est probablement une épreuve bien plus dure, par sa subtilité. Lorsque l’état vous persécute, les choses sont claires. L’état qui est votre ennemi naturel vous apparaît sous son vrai visage. Tout est plus simple. C’est là que réside la grâce : il y a un dévoilement, une progression de la vérité, même si son prix a la couleur rouge. Mais lorsque l’état devient un partenaire, les choses, en essence, se compliquent. Il se peut même qu’il vous finance un peu. Que vous deviez passer par lui pour avoir des locaux, des aides. Les relations deviennent alors ambigües. Et cela n’est pas la vérité nue. A méditer donc : l’Eglise n’est vraiment totalement libre que lorsqu’elle est persécutée. C’est ainsi qu’on voit qu’elle le Corps glorieux du Christ mort et ressuscité.