Patrologie grecque

 Saint Clément de Rome : première aux corinthiens - chapitre 1 point 2

Texte original (dans la patrologie de Migne) :

τίς γὰρ παρεπιδημήσας πρὸς ὑμᾶς τὴν πανάρετον καὶ βεβαίαν ὑμῶν πίστιν οὐκ ἐδοκίμασεν; τήν τε σώφρονα καὶ ἐπιεικῆ ἐν Χριστῷ εὐσέβειαν οὐκ ἐθαύμασεν; καὶ τὸ μεγαλοπρεπὲς τῆς φιλοξενίας ὑμῶν ἦθος οὐκ ἐκήρυξεν; καὶ τὴν τελείαν καὶ ἀσφαλῆ γνῶσιν οὐκ ἐμακάρισεν;

Traduction littérale

quelqu'un car restas vers vous la très vertueux et solide de vous confiance ne vérifia ? la aussi modérée et raisonnable dans Christ piété ne admire ? et le splendide la de hospitalité de vous charactère ne proclama ? et la terminée et sûre connaissance ne bénit ?

Traduction fluide

Qui n'a pas constaté en séjournant chez vous la vertu et la solidité de votre confiance ? Qui n'a pas admiré la mesure et la modération de votre piété ? Qui n'a pas proclamé votre splendide hospitalité ? Qui n'a pas béni la perfection et la sûreté de votre savoir ?




Commentaire/Analyse : la foi et la piété



On pourra être étonné sur la différence que fait Saint Clément concernant la piété et la foi. Dans sa première phrase d’éloge à l’Église de Corinthe il exalte l’importance et la hauteur de leur foi, tandis que, dans sa seconde phrase d’éloge, il fait l’éloge de la modération de leur piété. Et c’est un peu paradoxal au premier abord. On s’attendrait à ce que la foi et la piété, soient toutes deux appelées à être les plus élevées possibles. Or, Saint Clément, se réjouit que la foi soit haute, et que la piété soit moyenne. On se retrouve donc devant une sorte de bizzarerie, assez typique de l’exercice théologique. L’étonnement vient du fait que l’on ne sache pas ce qu’est la foi ni la piété, et pourquoi la première doit être si haute, tandis que la seconde doive être médiane.

La foi est est la confiance (j’ai laissé confiance dans la traduction littérale à dessein). La confiance en Dieu doit être la plus grande possible. Ceci est un exercice dont les illustrations bibliques sont fameuses. Pensons un moment à Abraham, à qui Dieu a promis une descendance immense au travers de son fils si longtemps désiré Isaac, et qui lui demande de le sacrifier. Il est évident qu’Abraham a dû se dire : comment donc aurai-je une descendance si je dois tuer mon fils ? La confiance d’Abraham en Dieu s’est manifesté également au travers de cette acceptation difficilement compréhensible (surtout pour qui est père) de considérer que la promesse n’était pas abolie, et qu’elle tenait, au-delà de tout ce qu’il pouvait se passer. Saint Paul nous explique dans son épître aux Hébreux qu’il a compris le concept de la résurrection des morts à ce moment précis. Le patriarche a conclu : Dieu me rendra mon fils car Sa promesse tient toujours. Ainsi, Isaac peut mourir de ma main si telle est la volonté divine, mais il le fera revenir d’entre les morts pour accomplir sa promesse. L’évocation christique est puissante, et je n’ai pas besoin de la décrire plus avant, tellement elle est évidente. Ceci illustre la foi. C’est la confiance en Dieu, quels que soient les événements.



Mais qu’est-ce que la piété ? En quoi est-ce bien qu’elle soit modérée ? La piété est le respect des règles de l’observance et la mystique personnelle. Ceci ne peut évidemment être nul, mais se doit d’être domestiqué. Pourquoi ? Parce que la piété est une dynamique individuelle et elle est par essence en opposition avec la dynamique collective. De plus elle est très liée à la morale en terme de règle, de pratique et d’observance. C’est à dire que la piété est la dimension visible de la pratique religieuse chez les non religieux. Elle est la partie d’orthopraxie du fidèle. Quel est le cas donc qui permet de définir une nécessaire modération ? Prenons un exemple fictif mais qui a un caractère concret : un fidèle a commis une méprise et amené un plat à partager qui ne respecte pas les règles alimentaires du carême. Celui qui met la piété en avant, qui voit dans le carême un absolu, refusera ce plat amené avec coeur. Celui qui privilégie la relation entre les membres du corps du Christ acceptera d’enfreindre le carême, qui peut souffrir une économie (synonyme d’exception dans le vocabulaire théologique), car seul l’amour ne connaît pas d’économie. On prendra donc le plat non carémique, que l’on partagera, sans manquer de rappeler la règle de carême auquel s’astreint la communauté sous la guidance de son évêque ou de son père spirituel, à ce frère un peu distrait. Le piétiste est celui qui ne sait pas placer l’économie où elle doit être. Le piétiste se caractérise par un zèle important, et il a tendance, s’il n’y prend garde à vite ressembler au pharisien de la péricope du pharisien et du publicain.



Que décrit Clément dans cette éloge à la rhétorique flamboyante ? Une confiance en Dieu des plus solide. Une piété modérée et mesurée, c’est à dire une pratique balancée avec discernement, privilégiant l’amour à la l’exercice ascétique. Une hospitalité qui rappelle les modèles orientaux. Une connaissance ferme (probablement dans les choses théologiques). Nous sommes donc face à une communauté des plus solides et des plus intelligentes. Et pourtant, nous le verrons dans la suite de la lettre, la communauté traverse une tribulation…