Patrologie grecque

Saint Clément de Rome : première aux corinthiens - chapitre 6

Texte original (dans la patrologie de Migne) :

Τούτοις τοῖς ἀνδράσιν ὁσίως πολιτευσαμένοις συνηθροίσθη πολὺ πλῆθος ἐκλεκτῶν, οἵτινες πολλαῖς αἰκίαις καὶ βασάνοις διὰ ζῆλος παθόντες ὑπόδειγμα κάλλιστον ἐγένοντο ἐν ἡμῖν. διὰ ζῆλος διωχθεῖσαι γυναῖκες Δαναΐδες καὶ Δίρκαι, αἰκίσματα δεινὰ καὶ ἀνόσια παθοῦσαι, ἐπὶ τὸν τῆς πίστεως βέβαιον δρόμον κατήντησαν καὶ ἔλαβον γέρας γενναῖον αἱ ἀσθενεῖς τῷ σώματι. ζῆλος ἀπηλλοτρίωσεν γαμετὰς ἀνδρῶν καὶ ἠλλοίωσεν τὸ ῥηθὲν ὑπὸ τοῦ πατρὸς ἡμῶν Ἀδάμ· Τοῦτο νῦν ὀστοῦν ἐκ τῶν ὀστέων μου καὶ σὰρξ ἐκ τῆς σαρκός μου. ζῆλος· καὶ ἔρις πόλεις μεγάλας κατέστρεψεν καὶ ἔθνη μεγάλα ἐξερίζωσεν.

Traduction fluide

A ces hommes qui ont mené pieusement leur vie, s’est ajouté le nombre des élus, qui par la jalousie, ont fait l’expérience des outrages et des tortures, et nous sont maintenant les plus parfaits exemples. C’est la jalousie qui a provoqué les persécutions des femmes, telles des Danaïdes et Dircées, victimes de tourments horribles et impies, arrivant avec une ferme résolution au terme du chemin de la confiance, remportant le prix glorieux malgré la faiblesse de leur nature. La jalousie a causé la séparation entre épouses et maris, modifiant cette déclaration de notre père Adam : « voici l’os de mes os et la chair de ma chair ». La jalousie et la discorde ont causé la destruction de grandes cités et la ruine de grands peuples.




Commentaire/Analyse : La nature de la persécution des femmes





Si l’on prête attention à ce texte, Saint Clément fait une mention particulière sur la persécution que les chrétiennes ont eu à subir dans l’époque terrible et glorieuse de l’Église primitive. Si les hommes et les femmes avaient été soumis aux mêmes tourments, il semble alors inutile de marquer une forme de différence. Par exemple, l’on sait que plusieurs fois, les chrétiens ont eu à subir le fait d’être lâchés au milieu de bêtes fauves dans une arène romaine. Jamais – à ma connaissance - il n’a été fait mention de ce genre de terrible événement en faisant une mention particulière pour les femmes.
Ici, si l’on considère que ce chapitre est structuré en quatre partie, on peut en dégager ce plan :

1) la jalousie provoque la persécution
2) mention particulière sur les femmes avec les précisions mythologiques de Danaïdes et de Dircées
3) les séparations dans les couples
4) les répercutions politiques et géopolitiques d’une passion qu’on classifie plus généralement de l’ordre du « privé » ou du matrimonial.

Le point 2 semble tout à fait étonnant. Y a t il mention ici du fait que les femmes ont peut-être eu a subir davantage de tourments que les hommes ? Voyons les indications laissées par Clément relativement aux Danaïdes et aux Dircées pour voir de quoi il s’agit. N’oublions jamais que l’évidence pour l’auteur et le lecteur il y a 20 siècles, devient parfois énigme pour le lecteur actuel. Déjà, pourquoi Clément utilise-t-il des images de la mythologie gréco-romaine ? Pourquoi ne pas prendre dans le biblique ? On a vu et on verra qu’il connaît parfaitement l’Écriture Sainte. La Bible a quelques récits de violence faîtes à des femmes (comme le viol de Dina dans le chapitre 34 de la Genèse par exemple). Mais Clément a choisi les Danaïdes et les Dircées comme explication. C’est donc qu’il s’agit d’autre chose.

Que sont les Danaïdes ? C’est un épisode assez connu de la mythologie : 50 femmes homicides sont condamnées par les dieux aux enfers, et y passent l’éternité à remplir d’eau un tonneau percé. Cela a donné l’expression « le tonneau des danaïdes », qui désigne une tâche absurde. Que signifie Saint Clément ici ? Probablement que les chrétiennes ont vécu dans leur tourment, un enfer.

Que sont les Dircées ? C’est, il me semble, le récit mythologique qui permet de mieux comprendre ce à quoi Clément fait allusion ici. Dircé était la femme de Lycos, régent de Thèbes. Après un certain nombre d’événements sans intérêts pour nous ici, Dircé est attachée aux cornes d’un taureau (ou à sa queue selon certaines variantes) et déchiquetée par les mouvements de l’animal. Un peintre polonais a particulièrement saisi l’enjeu ici : Henryk Siemiradzki. Il a montré (vous avez l’illustration ici au dessus) que l’empereur Néron s’amusait ainsi à reconstituer de façon théâtrale et morbide des scènes mythologiques pendant lesquelles les chrétiennes incarnaient le rôle des victimes et revivaient le supposé supplice exposé dans la légende mythologique. Il est fort à parier, que les chrétiennes n’ont pas eu l’affreuse exclusivité du fait, mais que les chrétiens au sens large n’ont pas « simplement » été mis à mort. Il ne faut pas oublier la dimension satanique et démoniaque de la mythologie antique et de la hiérarchie impériale romaine. Ainsi, Clément nous expose cette terrible vérité : la mort des chrétiens servait aussi bien de sanglant spectacle à une populace avide de ce genre de choses, mais aussi – et surtout - de réalisation cérémonielle dans un cadre mythologique. On peut donc raisonnablement penser que les chrétiens étaient mis à mort publiquement dans de grands rituels sataniques. On perd souvent de vue la dimension démoniaque des religions non chrétiennes, mais remettre Satan au centre de l’équation permet d’éclairer un peu les choses…

Mais Clément semble nous dire que cette mise en scène démoniaque était réservée aux femmes. Difficile de savoir. Peut-être les hommes, par instinct de survie, combattaient-ils un peu, offrant ainsi un « spectacle » jugé satisfaisant. Mais les femmes étaient probablement dans l’immense majorité des cas incapables de se battre. Pour que leur mise à mort soit véritablement ludique pour ces esprits malades et possédés, y ajoutait-on une dimension de mise en scène.