Patrologie grecque

traduction de l’introduction patristique : quatrième chapitre du volume de la Patrologie de Migne consacrée à Saint Clément de Rome
Texte original latin

De haeresi Menandri

Menander Samaritanus genere e vico Caparateia, καπαρατειας seu χαβραι oriundus, Simonis discipulus, majorem se antecessore ac praeceptore suo jactabat (27). Quapropter nonnullis quibusdam erroribus impiae magistri sui doctrinae additis vel immutatis, novam condidit sectam, et haeresiarchae titulum ac nomen promeruit. Is itaque cum Simon dixisset summum se esse Dei virtutem docuit (28) : Primam quidem virtutem incognitam omnibus, se autem eum esse, qui missus sit ab invisibilibus, salvatorem pro salute omnium. His adjecit : Resurrectionem per id quod est in eum baptisma, accipere ejus discipulos, et ultra non posse mori, sed perseverare non senescentes et immortales. Caetera, eosdem ac praeceptor suus errores et magicas artes consectabatur.

Nonnullis autem explicatu difficile videtur, quo sensu Irenaeus primum Menandri errorem esse dixerit, quod se praeceptore suo Simone majorem jactaret, cum Simon summa Dei vis ab aliis voluerit audire, nequaquam vero Menander. Attamen si Irenaei verba attente perpendatur, haud aegre solvetur difficultatis illius nodus. Non alia quippe viri sancti mens esse videtur, nisi Menandrum se magistro suo, non virtute quidem et potentia, sed scientia et missione praedicasse majorem.

Quos Menandriana haeresis adversarios habuerit, accipies a Theodoreto (29), qui eam a Justino martyre, Irenaeo, ac Origene scriptis expugnatam esse testatur. Neque ullus certe ibit unquam inficias nonnihil adversus illam a Justino et Irenaeo memoriae fuisse proditum. Verumtamen quem Theodoretus scribit in modum, ipsemet procul dubio quaedam alia eorum scripta, quibus haeresim illam planius fusiusque confutabant, ibi indicasse videtur. Porro autem quae Menander de baptismo suo, quo homines immortales fieri garriebat, adeo temere venditavit, ea Tertullianus egregie refellit, et ridicula esse demonstrat (30). Neque tamen illud censemus adjiciendum, quod nonnulli Tertullianum rursus de eadem haeresi aliquid in Libro de praescriptionibus litteris mandasse opinantur. Nihil enim ibi de ea reperias, nisi in libri illius capite 45, quod ab imposturibus ibi assutum esse critici peritiores observant.

Non diu stetit illa Menandri haeresis. Justinus siquidem quamvis plures initio a Menandro deceptos esse agnoscat : paucos tamen suo tempore superstites extitisse non obscure declarat (31) : Menandrum Antiochia multos arte magica decepisse scimus… suntque adeo nunc quoque ab eo reliqui nonnulli, qui hoc sic profitentur. Inde ergo Menandrianam haeresim ante Simonianam excidisse non absurde colliges ; nisi eam in Saturnili et Basilidis sectas influxisse dixeris.

28 : Ire. Adv. Haere. Cap 21.
29 : Lib 1 Haeret. Fabul. Cap 2
30 : Lib. De Anima cap. 50
31 : Apolog. 2

Traduction proposée :

De l’hérésie de Ménandre

Ménandre le Samaritain est du village de caparateia (καπαρατειας ou χαβραι), disciple de Simon (27), son plus grand prédécesseur et précepteur. Aux quelques erreurs impies de ses professeurs il a ajouté et transformé sa propre doctrine, en y ajoutant une nouvelle partie, et mérita ainsi le titre et dénomination d’hérésiarque. C’est pourquoi il instruisit avec Simon sur le summum, à savoir la suprême puissance (28) : Certes la première vertu inconnue de tous, par elle ou par l’être, fut envoyée en provenance de l’invisible, pour le salut de tous. Il ajoute : Ses disciples recevaient la résurrection en étant baptisés en lui, et par la suite ils ne pourraient mourir, mais demeureraient protégés, non âgés et immortels. Le reste, est exactement semblable à son précepteur dont il recherchait les erreurs et l’art magique.

On voit difficilement par ces quelques explications, en quel sens Irénée dira que les erreurs de Ménandre sont premières, que ses erreurs surpassent celles de son précepteur Simon, qu’avec Simon il n’est pas de sommet du Dieu de la force il aura voulu entendre, sinon Ménandre. Néanmoins, si les paroles d’Irénée doivent être examinées avec attention, on ne peut facilement sortir de cette épineuse difficulté. Certainement aucun autre saint n’aura vu chez l’homme, Ménandre, à l’exception de son professeur, non pas sa vertu ni sa puissance, mais plus grand savoir et plus grande prédication.

Que les hérésies de Ménandre aient eu des adversaires, on l’acceptera de Théodoret (29), de Justin Martyr, d’Irénée et d’Origène dont les écrits regorgent de témoignages. Et il est certain que des adversaires tels que Justin et Irénée ont produit des mémoires acerbes. Théodoret à écrit indépendamment, loin de ses douteux écrits, supprimant ses hérésies classiques, que ceci soit noté. A partir de cela, Ménandre qui jacassait sur son avenir d’immortalité par son baptême, révéla par chance son approche, et Tertulien l’a réfuté excellement, et en a montré tout le ridicule (30). Même si dans cet ouvrage, Tertullien se livre lui-même à quelques hérésies, son livre de préceptes est fiable sur ce point. Il n’expose rien dessus, à l’exception du chapitre 45 de ce livre, où nous observons une critique supplémentaire sur les ajouts de l’imposteur, où il aborde un peu l’hérésie de Ménandre. Justin reconnaît en Ménandre l’origine des tromperies. Il déclare : peu nombreux sont à son époque les témoins vivants (31) de Ménandre d’Antioche, dont nous savons les nombreux savoirs dans l’art magique… Et nombreux maintenant sont ceux qui professent encore cela aujourd’hui. Et même si les hérésies des simoniens et des ménandriens ont logiquement disparu, on dira que les sectes des saturnins et des basilides demeurent.

28 : Ire. Adv. Haere. Cap 21.
29 : Lib 1 Haeret. Fabul. Cap 2
30 : Lib. De Anima cap. 50
31 : Apolog. 2





Commentaire/Analyse : Simon le magicien, père de l’hérésie


Nous avançons dans les hérésies. Après Simon le magicien, Père des hérésies, on voit venir Ménandre (à ne surtout pas confondre avec l’auteur comique grec), qui vécut à Rome, pendant le règne de l’empereur Claude. Au-delà des spécificités des hérésies de Simon (antérieur à lui), des saturnins et des basilides (postérieurs à lui), et au-delà des particularités de l’analyse d’Irénée de Lyon, on constate que dans la longue durée, les hérésies ont leur propre développement.

De quoi est fait ce développement ? Il est à la conjonction de deux choses : les idées et les personnes. Ménandre fut le disciple de Simon. Il a gardé une partie de l’enseignement de Simon, et a développé sa propre spécificité. Cette remarque est également valable pour Simon, car celui-ci n’a pas inventé l’hérésie. C’est une création du Diable, qui a inspiré ensuite, génération après génération, des idées en contradiction avec la théologie. Le but de l’hérésie est toujours et avant toute chose de changer la perception que l’homme se fait de Dieu, et qu’il se fait de l’action de Dieu dans le monde.

On constatera avec intérêt que Ménandre est samaritain, comme Simon, son maître. Il est évident que des samaritains ont rejoint sincèrement l’Eglise dans les premiers siècles, mais il ne faut pas oublier qu’ils formaient un peuple aux influences religieuses mélées : vérité et mensonge s’entremélaient dans les cultes samaritains, et ceux-ci avaient une certaine science pour travestir le vrai, et toute une histoire pour ne plus savoir la reconnaître. Ménandre va modifier la doctrine de Simon pour s’attaquer au Baptême. La patrologie nous enseigne via les textes des Pères (et c’est ici Irénée qui le rapporte en l’occurrence) que la vision de Ménandre était que son baptême donnait une préservation vis-à-vis de l’âge et l’immortalité. La première notion importante ici est « son » baptême. Ménandre produit un baptême alternatif à celui des apôtres et des évêques qui apparaissent. Comme un produit présent sur un marché, il doit le différencier et le rendre plus attractif. L’anti-âge et l’immortalité sont effectivement très attractifs. Mais ils sont tout de même révélateurs de qui inspire Ménandre. Car Dieu chasse les hommes du jardin d’Eden pour éviter que la terrible coupure initiée par la chûte ne devienne permanente. Il ne veut pas qu’ils puissent s’inscrire dans une immortalité qui serait alors maléfique. Ainsi, Ménandre fait une promesse qui touche l’homme effrayé par la mort, mais sa promesse rendre frontalement en contradition avec la volonté divine. Les hérésies ne sont jamais totalement fortuites ou farfelues. Commes des maladies, elles disent des choses.