Texte original de Montaigne

De la force de l’imagination.

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Des effets de l'imagination.—«Une imagination fortement préoccupée d'un événement, peut l'amener (Sénèque)», disent les gens d'expérience.

Je suis de ceux sur lesquels l'imagination a beaucoup d'empire; chacun l'éprouve plus ou moins, mais il en est chez lesquels son action est prépondérante; je suis de ceux-là, elle s'impose à moi; aussi je m'efforce de lui échapper, faute de pouvoir lui résister. Je passerais volontiers ma vie en compagnie de personnes bien portantes et d'humeur gaie; la vue des angoisses des autres agit matériellement sur moi d'une façon pénible, et souvent j'ai souffert de sentir qu'un autre souffrait. Quelqu'un qui tousse continuellement, amène cette même irritation dans mes poumons et dans mes bronches. Je suis moins porté à visiter les malades auxquels, par devoir, je porte intérêt, que ceux près desquels je suis appelé sans m'y attendre et pour lesquels je n'ai pas grande considération. Je me pénètre d'une maladie sur laquelle je porte particulièrement mon attention, et en prends le germe. Je ne trouve pas étonnant qu'à ceux qui laissent faire leur imagination, elle puisse, s'ils n'y prennent garde, communiquer la fièvre et même amener la mort.—Simon Thomas était un grand médecin en son temps. Il me souvient que me rencontrant un jour avec lui, à Toulouse, chez un vieillard qui avait de la fortune et était malade de la poitrine, Simon Thomas, dans sa consultation, lui dit qu'entre autres moyens de guérison, il lui conseillait de chercher à faire que je me plaise en sa compagnie, et qu'en s'appliquant à contempler la fraîcheur de mon visage, en concentrant sa pensée sur l'allégresse et la vigueur qui rayonnaient de tout mon être alors en pleine adolescence, qu'en imprégnant tous ses sens de cette exubérance de santé qui était en moi, il pourrait en améliorer son état habituel; il omettait de dire que, par contre, le mien pourrait bien aussi s'en fâcheusement ressentir.—Gallus Vibius s'appliqua si fort à étudier les causes et les effets de la folie, qu'il en perdit la raison et ne put la recouvrer; en voici un qui pouvait se vanter d'être devenu fou par excès de sagesse.—Chez quelques condamnés, la frayeur devance l'action du bourreau, témoin celui auquel, sur l'échafaud, on débanda les yeux pour lui donner lecture de sa grâce et qui était déjà mort foudroyé, par le seul effet de son imagination. Son action suffit pour nous mettre en nage, nous donner le frisson, nous faire pâlir, rougir; sur notre lit de plume, notre corps s'agite sous ses excitations, au point de parfois nous faire rendre l'âme; et la bouillante jeunesse s'en échauffe à tel point qu'il lui arrive, pendant le sommeil, d'aller, sous l'influence d'un rêve, jusqu'à assouvir ses amoureux désirs.

Des émotions violentes peuvent occasionner des modifications radicales dans notre organisme.—Bien qu'il ne soit pas rare de voir, pendant la nuit, les cornes pousser à tel qui n'en avait pas en se couchant, le cas de Cippus, roi d'Italie, est particulièrement remarquable. Il avait assisté dans la journée à un combat de taureaux et s'y était si vivement intéressé que, toute la nuit, il avait rêvé qu'il lui venait des cornes sur la tête, ce qui, par la force de l'imagination, se produisit effectivement.—L'amour filial donna au fils de Crésus la voix que la nature lui avait refusée.—Antiochus contracta la fièvre, par suite de l'impression excessive que lui avait fait éprouver la beauté de Stratonice.—Pline dit avoir vu Lucius Cossitius de femme changé en homme, le jour de ses noces.—Pontanus et d'autres rapportent de pareilles métamorphoses advenues en Italie, dans les siècles passés; et, par suite d'un violent désir, conçu par lui et par sa mère, «Iphis paya garçon, les vœux qu'il avait faits étant fille (Ovide)».

Étant de passage à Vitry le Français, il me fut donné de voir un homme qui, en raison du fait, avait reçu de l'évêque de Soissons le nom de Germain, et que tous les gens de la localité avaient connu et vu fille, jusqu'à l'âge de vingt-deux ans, sous le nom de Marie. A l'époque où je le vis, il était déjà âgé, portait une forte barbe et n'était pas marié; il expliquait son cas, par un effort qu'il s'était donné en sautant, qui avait déterminé dans ses organes génitaux une transformation qui avait changé son sexe. On chante encore dans ce pays une chanson où les filles s'avertissent de ne pas faire de trop grandes enjambées, de peur de devenir garçon, comme Marie Germain.—Ce n'est pas là du reste un fait extraordinaire; ce genre d'accident se rencontre assez fréquemment. On peut pourtant observer que si, en pareil cas, l'imagination y est pour quelque chose, c'est un point sur lequel elle est surexcitée avec une telle continuité et une telle violence, que pour ne pas avoir à retomber si souvent dans cette pensée obsédante, dans ce désir effréné, la nature aurait meilleur compte de doter, une fois pour toutes, les filles d'un organe masculin.

L'imagination peut produire des extases, des visions, des défaillances considérées jadis comme le fait d'enchantements.—Il en est qui attribuent à un effet de l'imagination les stigmates du roi Dagobert et de saint François.—On dit que sous cette même influence, le corps humain peut se soulever de la place qu'il occupe.—Celsus raconte qu'un prêtre parvenait à produire en lui-même une telle extase que, durant un assez long temps, le cours de sa respiration en était arrêté et son corps insensible.—Saint Augustin en cite un autre, auquel il suffisait de faire entendre des cris lamentables et plaintifs, pour le voir tout à coup tomber en faiblesse et perdre le sentiment, au point qu'on avait beau le secouer, hurler, le pincer, le brûler, il ne ressentait rien, tant qu'il n'avait pas repris connaissance. Revenu à lui, il disait avoir entendu des voix semblant venir de loin, et s'apercevait alors seulement de ses brûlures et de ses meurtrissures; comme pendant tout ce temps il était demeuré sans pouls ni haleine, cela indiquait bien que cette insensibilité n'était pas, de sa part, le fait d'une volonté arrêtée.—Il est vraisemblable que c'est surtout par un effet de l'imagination, agissant principalement sur les âmes des gens du peuple plus enclins à la crédulité, que les visions, les miracles, les enchantements et tous les faits surnaturels de même ordre, trouvent créance; on les a si bien endoctrinés, qu'ils en arrivent à croire qu'ils voient des choses qu'ils ne voient réellement pas.

Je crois aussi que ces défaillances singulières dans la consommation du mariage, qui réduisent tant de personnes à une impuissance momentanée, qu'on ne s'entretient que de cela, sont tout simplement un effet de l'appréhension et de la crainte. Je sais de source certaine qu'une personne dont je puis répondre comme de moi-même, qu'on ne peut soupçonner ni de faiblesse, ni de croyance aux enchantements, ayant entendu un de ses compagnons raconter la défaillance extraordinaire qui lui était survenue au moment même où elle était le plus hors de saison, ce récit lui revenant à la mémoire, il en éprouva, en pareille circonstance, une telle appréhension et son imagination en fut tellement frappée que même infortune lui arriva cette fois et d'autres encore, ce désagréable souvenir de sa mésaventure le poursuivant et l'obsédant sans cesse. Pour remédier à cette singulière situation, il imagina un moyen non moins singulier. Prenant les devants, avant toute chose, il avouait de lui-même ce à quoi il était sujet; il trouvait un soulagement à la contention d'esprit à laquelle il était en proie, par l'annonce de ce qui pouvait arriver; il lui semblait être tenu à moins et en était moins préoccupé. Quand alors sa compagne, dûment avertie, en vint à se livrer complaisamment à lui, lui concédant toute latitude d'essayer, de s'y reprendre en usant d'elle à son gré, son esprit se trouvant de la sorte dégagé de l'obsession qui l'étreignait, il fut radicalement guéri. Du reste avec qui on a fait une fois acte de virilité, l'impuissance n'est plus à redouter, sauf dans les cas où elle s'explique par notre épuisement. Pareil accident n'est d'ordinaire à craindre que dans les circonstances où on est surexcité par un désir immodéré contenu par le respect, particulièrement lorsque les rencontres sont imprévues et que l'on est pressé par le temps; notre trouble alors nous empêche de nous ressaisir. Je connais une personne, à demi blasée il est vrai sur les plaisirs de ce genre, à laquelle le contact de la femme suffit pour calmer l'ardeur qui le possède, et qui doit à cette impuissance d'avoir, malgré son âge, conservé ses facultés à cet égard; j'en sais une autre, à laquelle il a suffi qu'un ami l'ait assuré posséder un préservatif certain contre ces enchantements, pour le garantir de ces faiblesses; la chose vaut la peine d'être contée.

Un comte, de très bonne famille, avec lequel j'étais fort lié, se mariant avec une très belle personne, qui avait été l'objet des assiduités de quelqu'un qui assistait au mariage, inquiétait fort ses amis, et en particulier une vieille dame sa parente, qui présidait à ses noces qui avaient lieu chez elle; elle croyait à ces sorcelleries et me fit part qu'on redoutait fort que le quidam n'en usât contre lui. Je lui répondis que j'étais à même de prévenir ces maléfices et la priai de s'en reposer sur moi. J'avais par hasard, dans un coffre, une petite pièce d'or de peu d'épaisseur, dont m'avait fait présent Jacques Pelletier, lorsqu'il demeurait chez moi; sur cette pièce étaient gravés quelques signes du zodiaque, dans le but de constituer un préservatif contre les coups de soleil et guérir les maux de tête. On la plaçait, à cet effet, exactement sur la suture du crâne, l'y maintenant à l'aide d'un ruban auquel elle était fixée et qui s'attachait sous le menton, bizarrerie cousine germaine de celle dont nous parlons. L'idée me vint d'en tirer parti, et je dis au comte que, bien que menacé de la même infortune que les autres, ayant des ennemis qui s'employaient à la lui faire arriver, il pouvait néanmoins s'aller coucher sans crainte, que j'étais à même de lui rendre un vrai service d'ami et, au besoin, de faire un miracle en sa faveur, pourvu que, sur son honneur, il s'engageât à en garder très fidèlement le secret. Il devait simplement, pendant la nuit, lorsqu'on irait lui porter le réveillon, si les choses allaient mal pour lui, me faire à ce moment un signe dont nous convînmes. Il avait eu l'esprit et les oreilles si rabattus de tout ce qui s'était dit à ce propos que, son imagination aidant, ce qu'il redoutait arriva; et, à l'heure dite, il me fit le signe convenu. Je lui glissai alors à l'oreille de se lever comme pour nous mettre dehors, de s'emparer en manière de plaisanterie de la robe de nuit que je portais, de la mettre (nous étions à peu près de la même taille), et de la conserver jusqu'à ce qu'il eût exécuté le reste de mon ordonnance, qui fut que, lorsque nous serions sortis, il se retirât comme pour tomber de l'eau, prononçât trois fois telles paroles et fît tels mouvements que je lui indiquai. A chaque fois, il devait ceindre le ruban que je lui remis, en appliquant soigneusement sur les reins la médaille qui y était attachée, ayant bien soin finalement de l'assujettir, de telle sorte qu'il ne puisse ni se dénouer, ni se déranger; et retourner alors en toute assurance à sa besogne, sans omettre d'étendre ma robe sur le lit, de façon qu'elle les couvrît tous deux, elle et lui. Ces singeries constituaient la chose capitale de l'affaire; de si étranges moyens nous semblent en effet ne pouvoir procéder que d'une science difficile à pénétrer, et par leur insanité même, ils acquièrent importance et considération. En somme il est certain qu'en la circonstance, mon talisman agit plus en secondant l'œuvre de Vénus qu'en combattant celle du soleil, poussant plus à l'action que remplissant un rôle de protection. En cette occasion, je cédai à un mouvement de jovialité et de curiosité qui n'est pas dans ma nature; je suis au contraire ennemi de ces simagrées qui n'ont pas le sens commun; c'est un genre que je n'aime pas, bien que cette fois j'en aie usé d'une façon récréative et profitable; mais si le fait n'est pas par lui-même à réprouver, il rentre dans un ordre d'idées qu'on ne peut approuver.

Amasis, roi d'Égypte, avait épousé Laodice, une très belle fille grecque; et lui qui, en pareil cas, était toujours un aimable compagnon, se trouva à court quand il voulut jouir d'elle. Attribuant le fait à ce qu'elle lui avait jeté un sort, il menaça de la tuer. Comme il arrive à propos de tout ce qui est du ressort de l'imagination, elle le pressa, pour faire cesser cet état de choses, de recourir à la dévotion. Il fit à Vénus force vœux et promesses; et, dès la première nuit qui suivit ses offrandes et ses sacrifices, il recouvrit, comme par l'intervention de la divinité, la plénitude de ses moyens; cela montre combien les femmes ont tort, lorsqu'elles nous accueillent en prenant vis-à-vis de nous des attitudes compassées, querelleuses, faisant mine de nous repousser; en en agissant ainsi, elles éteignent nos ardeurs, tout en les excitant. La bru de Pythagore disait que la femme qui couche avec un homme, doit, en même temps qu'elle ôte sa jupe, se départir de toute pudeur, et n'y revenir qu'en la revêtant.—L'homme qui, dans ses rapports avec les femmes, a eu à souffrir plusieurs mésaventures semblables, perd aisément confiance. Celui qui, victime une première fois de son imagination, subit cette honte (et elle ne se produit * guère qu'aux débuts d'une liaison, alors que les désirs sont le plus vifs et le plus ardents et qu'en cette première rencontre, tenant à donner bonne opinion de soi, on redoute d'autant plus de faillir), ayant mal commencé, éprouve de cet accident un dépit qui le met dans un état d'agitation tel, qu'il court grand risque de ne pas mieux se montrer dans les rencontres qui suivent.

Comment les mariés doivent se comporter dans la couche nuptiale.—Les gens mariés se trouvant avoir tout leur temps, ne doivent ni se presser, ni même tenter d'entrer en rapport, s'ils ne sont entièrement prêts; il est préférable, dans l'état d'agitation et de fièvre où l'on est en pareil moment, de différer d'étrenner la couche nuptiale, si déplaisant que ce soit, et d'attendre patiemment un moment où l'on soit plus dispos et plus calme, que de s'exposer à de continuels mécomptes, pour s'être laissé surprendre et se désespérer d'un premier échec. Avant d'entrer en possession l'un de l'autre, celui qui a sujet de douter de lui-même, doit inopinément, à des moments divers, essayer en se jouant, provoquant sa belle sans s'opiniâtrer, de manière à arriver à connaître si, oui ou non, il peut ou ne peut pas. Que ceux, au contraire, qui savent qu'en eux les moyens sont toujours à hauteur de leurs désirs, se gardent pourtant d'en arriver à l'impuissance, en cédant par trop à leur fantaisie.

Nos organes sont sujets à aller à l'encontre de notre volonté, qui elle-même échappe parfois à toute direction.—C'est avec raison qu'on remarque combien cet organe est indépendant de nous-mêmes; nous sollicitant souvent fort importunément quand nous n'en avons que faire; nous faisant défaut parfois tout aussi mal à propos, alors qu'il nous serait de toute nécessité; se mettant en opposition directe avec notre volonté, se refusant nettement et obstinément à toutes les sollicitations, soit de notre imagination, soit par attouchements. Si cependant on arguait de cette indépendance de sa part, pour demander sa condamnation, et que j'ai charge de défendre sa cause, je hasarderais que cette querelle doit venir du fait de nos autres organes, ses compagnons, qui, jaloux de son importance et de la douceur de son usage, ont dû comploter et soulever le monde contre lui, imputant méchamment à lui seul une faute qu'eux-mêmes commettent tout comme lui. Car enfin, réfléchissez: est-il une seule partie de notre corps qui ne se refuse souvent à ce qui lui incombe et qui, souvent aussi, n'agisse contre notre volonté? Chacune d'elles obéit à des impulsions qui lui sont propres, qui l'éveillent et l'endorment en dehors de notre consentement. Que de fois les mouvements involontaires de notre visage révèlent des pensées que nous voudrions tenir secrètes et les livrent à ceux qui nous approchent. La cause qui fait que cet organe a des mouvements indépendants de nous, exerce une action semblable sur le cœur, les poumons et le pouls; l'émotion fiévreuse que produit en nous la vue d'un objet agréable, nous pénètre tout entier de ses feux, sans même que nous nous en apercevions. N'y a-t-il que ces muscles et ces veines qui se tendent et se distendent, non seulement sans que nous le voulions, mais même sans que ce soit un effet de notre pensée. Nous ne commandons pas à nos cheveux de se hérisser, à notre peau de tressaillir de désir ou de crainte; la main fait souvent des mouvements inconscients; la langue se paralyse, la voix se fige à certains moments. Alors même que nous n'avons rien à manger et à boire, et que par suite nous nous passerions bien d'y être incités, l'appétit ne sollicite-t-il pas en nous l'envie de boire et de manger et les organes qui s'y emploient, ni plus ni moins que fait cet autre appétit qui sollicite cette partie de nous-mêmes qui se trouve incriminée et qui, comme le premier, s'éteint aussi sans raison, quand bon lui semble?

Les organes par lesquels se décharge le ventre, n'ont-ils pas des mouvements de rétraction et de dilatation qui se produisent spontanément et malgré nous, tout comme ceux qui concourent au fonctionnement des organes génitaux? Pour démontrer la puissance de notre volonté, saint Augustin cite avoir vu quelqu'un qui avait possibilité de produire, quand il le voulait, une évacuation sonore de gaz intestinaux; Vivès, glossateur de saint Augustin, renchérit sur cette citation par l'exemple d'un individu de son temps qui, à cette possibilité, joignait celle de donner à ces bruits une sonorité proportionnée au ton de voix plus ou moins élevé sur lequel on le lui demandait; ce ne sont pas là cependant des preuves irréfutables d'une obéissance absolue de cette partie de notre corps qui, d'ordinaire, est plus indiscrète et moins ordonnée dans ses manifestations parfois indisciplinées. Je connais une personne chez qui cette partie d'elle-même est si turbulente et si peu traitable que, depuis quarante ans, elle est tourmentée par cette infirmité de ne pouvoir se contenir; cette évacuation est chez elle, pour ainsi dire, continue, sans accalmie, et paraît devoir demeurer telle jusqu'à sa mort. Combien de fois l'impossibilité de se soulager de la sorte, n'a-t-elle pas été cause de souffrances qui nous torturent comme les approches d'une mort des plus douloureuses; en ce qui me touche, que n'a-t-il plu à Dieu que je ne le sache que par ouï dire; et pourquoi l'empereur Claude, en octroyant à chacun la liberté de donner, sur ce point, libre cours à la nature, en quelque endroit que nous nous trouvions, n'a-t-il pu aussi nous en donner la possibilité!

Mais notre volonté elle-même, dont nous revendiquons ici l'autorité méconnue, combien n'avons-nous pas, à bon droit, encore plus sujet de lui reprocher de son esprit d'opposition et de rébellion, en raison de ses déréglements et de ses désobéissances! Veut-elle toujours ce que nous voudrions qu'elle voulût? Ne veut-elle pas souvent, alors qu'il est évident que nous en serons lésés, ce que nous lui défendons de vouloir? Se laisse-t-elle toujours conduire par les conseils judicieux de notre raison?

Enfin, pour la défense de cet organe dont je suis l'avocat, je demande que l'on considère qu'en ce qui touche ce qui lui est reproché, sa cause est inséparablement liée à celle d'un autre, son associé; les deux causes se confondent et pourtant mon client est le seul qu'on incrimine, parce qu'il est contre lui des arguments et des méfaits dont on ne saurait faire reproche à son complice, auquel on peut bien imputer ses provocations parfois inopportunes, mais jamais de se refuser; encore ses provocations sont-elles discrètes et d'allure tranquille. On peut juger par là de l'animosité et du mal-fondé manifestes de l'accusation.—Quoi qu'il en soit, avocats et juges auront beau discuter et rendre des sentences, la nature n'en continuera pas moins son train; si elle a doté cet organe de quelque privilège particulier, c'est avec juste raison, attendu que seul il perpétue l'immortalité chez les mortels, œuvre divine au dire de Socrates, et que lui-même est amour, désir d'immortalité, démon immortel.

Du seul fait de l'imagination, les maladies peuvent se guérir ou s'aggraver.—De deux compagnons affligés d'écrouelles, venus ensemble d'Espagne pour en obtenir la guérison, l'un croit aux pratiques qui doivent la produire et laisse son mal en France, l'autre le remporte avec lui; l'imagination, en pareille matière, joue un tel rôle, que c'est pour cela qu'on n'opère que sur des sujets qui témoignent de dispositions à cet effet. Pourquoi les médecins, avant d'agir, s'appliquent-ils à mettre leurs malades en confiance, en leur donnant des assurances auxquelles eux-mêmes ne croient pas, si ce n'est pour que leur imagination supplée à l'inefficacité prévue de leurs remèdes? ils n'ont garde d'oublier ce qu'a écrit un des maîtres dans leur art, que certains malades se sont trouvés délivrés de leur mal, par la seule vue des apprêts de l'opération.—Je trouve confirmation de cet effet de l'imagination, dans ce fait que m'a conté un garçon apothicaire qu'employait feu mon père. Ce garçon, à l'esprit simple, était de nationalité suisse, nation où les gens sont sérieux et peu enclins au mensonge. Il avait, pendant de longues années, eu affaire avec un marchand de Toulouse qui était maladif, atteint de la pierre et avait fréquemment besoin de lavements, pour lesquels il se faisait délivrer par les médecins des ordonnances appropriées à son mal du moment. On les lui apportait avec le cérémonial d'habitude; souvent il s'assurait au préalable qu'ils n'étaient pas trop chauds, puis il se couchait, se mettait sur le côté et on opérait comme il est de règle, sauf que l'injection du liquide n'était pas faite. L'apothicaire se retirait alors et le patient, accommodé comme si le lavement avait été effectivement administré, en ressentait le même effet qu'on éprouve en pareil cas; si le médecin ne trouvait pas cet effet suffisant, on en administrait deux ou trois autres, toujours de la même façon. Mon témoin m'affirmait sur serment que, pour réduire la dépense, car le malade payait ces clystères comme s'il les avait reçus, la femme de ce client avait quelquefois essayé d'y faire mettre simplement de l'eau tiède; mais chaque fois le résultat avait révélé la supercherie, l'effet n'avait pas été tel qu'il était attendu et il avait fallu en revenir à la première manière.

Une femme, croyant, en mangeant du pain, avoir avalé une épingle, criait et se démenait, disant éprouver une douleur insupportable dans le gosier où elle s'imaginait sentir l'épingle arrêtée. Comme il n'y avait ni enflure, ni quoi que ce soit de manifeste au dehors, une personne avisée jugea que c'était un effet d'imagination provenant de ce qu'elle avait dû avoir la gorge éraflée au passage par un morceau de son pain. Elle la fit vomir, et dans ce qu'elle rendit, jeta à la dérobée une épingle tordue. La femme se figurant que c'était son épingle qu'elle avait rendue, la douleur qu'elle ressentait disparut subitement.—Je sais un gentilhomme qui, trois ou quatre jours après avoir traité chez lui bonne compagnie, se vanta, en manière de plaisanterie, de lui avoir fait manger un chat en pâté, ce qui n'était pas. Une demoiselle, qui était du nombre des convives, en conçut une telle horreur, qu'elle en eut la fièvre et un si grand dérangement d'estomac, qu'on ne put la sauver.

Les bêtes elles-mêmes peuvent en ressentir les effets.—Les bêtes elles-mêmes sont, comme nous, sujettes aux effets de l'imagination, témoin les chiens qui se laissent mourir de chagrin, lorsqu'ils perdent leur maître. C'est un effet analogue qui les fait japper et se trémousser sous l'influence d'un songe, pendant leur sommeil; et aussi que, tout en dormant, les chevaux hennissent et se débattent.

Notre imagination est susceptible d'agir même sur d'autres que sur nous.—Tout ce qui précède, peut être attribué à la liaison intime qui règne entre le corps et l'âme et amène entre eux un échange d'impressions. Il n'en est plus ainsi quand notre imagination agit, non plus seulement sur nous-mêmes, mais sur autrui. De même que la maladie d'un corps se transmet à un autre corps, ainsi qu'il arrive dans le cas de la peste, de la vérole, de maux d'yeux où le mal va de l'un à l'autre: «En regardant des yeux malades, les yeux le deviennent eux-mêmes; beaucoup de maux se communiquent ainsi, souvent d'un corps à un autre (Ovide)»; de même l'imagination, vivement excitée, peut produire des émanations ayant action sur un autre être.—L'antiquité nous a transmis le souvenir de femmes de la Scythie qui, animées et courroucées contre quelqu'un, le tuaient par la seule force de leur regard.—Les tortues et les autruches couvent leurs œufs simplement en les regardant, ce qui suppose que leurs yeux possèdent à un certain degré la faculté d'émettre et de propulser un fluide quelconque.—Les sorciers passent pour avoir le mauvais œil: «Je ne sais quel œil fascine mes tendres agneaux (Virgile)»; pour moi, je n'ai aucune croyance dans le pouvoir de ceux qui se disent magiciens.—Quoi qu'il en soit, nous voyons ce fait de femmes enceintes imprimant aux enfants qu'elles portent dans leur sein des marques des écarts de leur imagination ou des fantaisies qu'elles peuvent avoir; témoin celle qui engendra Ludovic le More. Il a été présenté au roi Charles, roi de Bohême et empereur, une fille des environs de Pise, toute velue, aux poils hérissés, ce que sa mère attribuait à ce qu'elle l'avait conçue, ayant sous les yeux, appendue près de son lit, une image de saint Jean-Baptiste.

Il en est de même des animaux, comme nous le voyons par les brebis de Jacob, par les perdrix et les lièvres que, dans les montagnes, la neige fait tourner à la couleur blanche.—On a vu dernièrement chez moi, un chat guettant un oiseau perché au haut d'un arbre; ils se regardèrent fixement avec intensité pendant quelques moments, puis l'oiseau se laissa tomber comme mort, entre les pattes du chat, soit qu'il ait été fasciné par un effet de son imagination, soit qu'il ait cédé à quelque force attractive émanant du chat.

Montaigne cite les faits qui arrivent à sa connaissance, sans se préoccuper de leur exactitude; il se borne à en prendre texte pour ses réflexions.—Ceux qui s'occupent de chasse au faucon, connaissent ce conte d'un fauconnier qui pariait qu'en fixant avec persistance les yeux sur un milan planant dans l'air, il l'amènerait, par la seule puissance de son regard, à abaisser son vol au ras de terre et qui y parvenait, dit-on; car je ne le garantis pas, laissant à ceux auxquels je les emprunte, la responsabilité des histoires que je rapporte. Les réflexions que j'émets sont de moi; elles s'appuient sur la raison, non sur les faits; chacun peut y joindre les exemples qu'il juge à propos; quant à celui qui n'en a pas à ajouter, qu'il se garde de croire que ceux-ci soient les seuls, tant ce qui arrive est en toutes choses nombreux et varié; du reste si je n'appareille pas suffisamment mes exemples, qu'un autre leur en substitue d'autres qui conviennent mieux; quant à moi, * j'estime qu'en procédant comme je le fais, je réponds bien au but que je me propose. C'est ce qui fait que dans l'étude à laquelle je me livre, de nos mœurs et de nos passions, les témoignages les plus extraordinaires, pourvu qu'ils soient possibles, me servent comme s'ils étaient vrais; que ce soit arrivé à Rome ou à Paris, à Jean ou à Pierre, ils nous montrent toujours une façon de ce que peut la nature humaine et cela suffit pour attirer utilement mon attention. J'en ai connaissance, et en fais mon profit, que ce soit fiction ou réalité; et, parmi les divers enseignements que souvent l'on peut tirer d'une même histoire, je retiens, pour m'en servir, celui qui se présente comme le plus rare et le plus remarquable. Il y a des auteurs qui s'appliquent surtout à faire connaître les événements; pour moi, si je pouvais, je viserais plutôt à chercher à en déduire les conséquences qui peuvent en advenir. Il est, avec juste raison, permis dans les écoles; d'admettre la similitude des faits là même où il n'y en a pas; ce n'est pourtant pas ainsi que j'en agis, et plus scrupuleux encore à cet égard que je ne le serais si c'était de l'histoire que j'écrivais, je me suis interdit d'altérer dans les exemples que je donne ici, tirés de ce que j'ai lu, entendu, fait ou dit, jusqu'aux plus petites et plus insignifiantes circonstances; je me suis fait un cas de conscience de ne pas y changer un iota; cela peut arriver du fait de mon ignorance, c'est alors à mon insu.

Le rôle de chroniqueur ne convient guère à un philosophe ni à un théologien; pourquoi lui-même s'est refusé à écrire la chronique de son temps.—A cet égard, je me prends parfois à penser comment un théologien, un philosophe et autres, joignant une conscience scrupuleuse à une grande prudence, peuvent se résoudre au rôle de chroniqueur. Comment peuvent-ils certifier des faits qui ne reposent que sur des rumeurs publiques, répondre des pensées de personnages qui leur sont inconnus et donner leurs conjectures pour argent comptant, alors qu'ils hésiteraient à affirmer sur la foi du serment, devant la justice, des actes auxquels seraient mêlés divers individus, lors même que ces actes se seraient passés en leur présence, et qu'il n'est personne avec qui ils seraient intimement liés, dont ils accepteraient de se porter garants d'une façon absolue. Je considère du reste comme moins hasardeux d'écrire sur le passé que sur le présent, parce que dans le premier cas l'écrivain ne fait que relater des événements de l'authenticité desquels d'autres sont responsables.

Quelques personnes me pressent d'écrire sur les affaires de mon temps, estimant que plus qu'un autre je puis le faire sans passion et que je les connais pour les avoir vues de plus près, ayant approché les chefs des divers partis. Mais elles ignorent que je ne saurais m'en donner la peine, alors que je devrais en retirer autant de gloire que Salluste, étant ennemi juré de tout ce qui est obligation et demande assiduité et constance. Rien n'est si contraire à mon style, qu'une narration suivie et étendue; j'ai l'haleine courte et, pour tout ce que je fais, il faut m'y reprendre à plusieurs fois. Je ne sais ni dresser le plan d'un ouvrage, ni le développer; je suis plus ignorant qu'un enfant des locutions et des expressions afférentes aux choses les plus ordinaires; et cependant je me suis mis à écrire ce que je suis en mesure de dire, mais je le fais à ma manière; si je prenais modèle sur un auteur quelconque, il pourrait arriver que je ne sois pas de taille à l'imiter; et puis, libre comme je le suis par nature, j'eusse certainement porté sur les choses et les personnes des jugements que, moi-même et selon toute raison, j'aurais estimé dépasser les bornes et être punissables.

Plutarque pourrait dire que si les faits qu'il rapporte dans ses ouvrages sont tous et en tous points conformes à la vérité, le mérite en revient à ceux qui les lui ont fournis; mais que s'ils sont utiles à la postérité et présentés de manière à mettre la vertu en relief, c'est à lui-même qu'il le doit. Peu importe qu'un fait remontant à une époque éloignée, soit raconté d'une façon ou d'une autre; c'est moins dangereux qu'une erreur dans une ordonnance médicale.


Commentaire/Analyse





Avant de passer à l’analyse proprement dite, on notera tout d’abord l’évolution du langage et des significations aposées sur les mots : ce que Montaigne appelle imagination n’est pas exactement ce que nous appellons aujourd’hui imagination. C’est proche, mais pas exactement semblable. Ceci constitue un des écueils majeurs dans l’herméneutique : que veut dire un auteur lorsqu’il utilise un mot ? Veut-il dire ce que je comprends aujourd’hui ? La notion d’hypostase entre Aristote et saint Grégoire Palamas n’est pas du tout la même. L’erreur classique revient à christianiser Aristote à tort, ou à donner aux Pères de l’Eglise une dimension philosophique différente de la réalité. L’imagination aujourd’hui est pour nous, associée à la rêverie, la curiosité, à l’intelligence, à la capacité à penser en dehors du cadre. Montaigne semble associer l’imagination à une forme de superstition et d’autopersuasion. Il a d’ailleurs une formidable intuition, liée au mimétisme, même s’il n’en touche mot. Le mimétisme, s’il faut le résumer est la capacité consciente et inconsciente de l’homme (et de certaines espèces animales également) à imiter son semblable dans l’apprentissage mais aussi dans la naissance du désir et dans la conflictualité. Les implications de cette notion anthropologique sont immenses sur le plan théologique, même s’il n’en paraît rien à première vue. Je renvois vers René Girard et tous ses travaux sur le mimétisme (que je couvrirai probablement un jour dans ce blog devant leur importance). Montaigne postule qu’on peut d’une certaine façon imiter quelqu’un qui va bien pour aller bien, mais lui-même a peur d’imiter celui qui va mal pour aller mal. Il appelle cela imagination. C’est à dire qu’il sort de la pensée magique des fausses religions ou du mauvais rapport à Dieu, mais en même temps ne tombe pas dans un cartésianisme béat, matérialiste et stupide. Il donne au psychisme un pouvoir immense, et à juste titre.





Le passage où Montaigne fait croire à cette homme et sa famille qu’il peut contrer un sortilège ou une malédiction et créé de toute pièce un contre sort de protection est très intéressant du point de vue de la psychologie et de l’étude psychologique. On a vu par l’étude parallèle sur l’ouvrage du Père Schmemann comment la scolastique, malgré toute son approche rationnelle, avait transformé l’épiclèse de la liturgie en formule magique. La magie et la superstition sont des approches imparfaites de la relation cause-effet. Le Christianisme bien compris (c’est à dire avec l’herméneutique des Pères de l’Eglise) est le meilleur remède contre cette superstition stupide. Ce n’est pas pour rien si l’on constate que les parties du globe les plus rationnelles et les plus avancées sur le plan scientifique sont celles qui ont une domination judéo-chrétienne. Le rationalisme excessif est simplement un effet de balancier trop accentué vers la sortie du merveilleux. L’athéisme morbide qui en résulte ne voit plus le monde que comme une giganesque suite de réactions physico-chimiques, et a oublié le pourquoi des choses. L’Orthodoxie voit l’univers comme quelque chose régi par des lois naturelles, et peut donc permettre l’exercice scientifique, mais il y a aussi un plan divin, un grand pourquoi. Tout ceci a un sens. Il a beau nous échapper dans sa globalité, il existe. L’amour est la quintessence de ce pourquoi.





La superstition a tout de même des résurgeances modernes. Elle mute et se réadapte. L’astrologie en est un bon exemple. L’attitude des Pères de l’Eglise est intéressante du point de vue historique. La majorité, notamment chez les Pères apologètes, ont attaqué durement l’astrologie, l’amalgamant à une idolatrie, un culte des étoiles. Certains ont concédé l’efficacité de l’influence des astres sur la destinée humaine, mais ont appelé les chrétiens à se libérer de ces déterminismes astraux et à se libérer de toute influence non divine. Augustin, que cite Montaigne intensément dans ce chapitre, a lui réfuté l’astrologie de façon assez comique : Jacob et Esau ayant eu des vies très très divergentes, comme ils sont nés à quelques secondes d’écart, leurs ciels astraux sont identiques. Ainsi, on ne peut pas corréler ciel astral et destin. L’astrologie fait une part belle à l’amour. Montaigne cite énormément le pouvoir de l’imagination sur la composante physique de l’amour : la sexualité. Plein de bon sens, Montaigne sait et explique que finalement, tout est dans la tête. Sauf souci physique avéré, c’est le psychisme qui va causer les moments d’impuissance masculine évoqués par le moraliste. On pourrait trouver son lien entre imagination et sexualité un peu abstrait ou forcé, mais en fait le lien est judicieux. Que nous dit la Genese ? Que l’homme, en se détournant de Dieu, a choisi de vivre dans un monde déchu qu’il doit restaurer. Il est donc normal que cette forme de relation soit particulièrement abîmée, soit par des fantasmes d’objectivation de l’autre, soit par des dysfonctionnements liés à une fragilité psychologique. La sexualité est un des domaines les moins bien catéchisés par l’Eglise. La pastorale qui condamne toute sexualité est en fait une pastorale gnostique. Ce n’est pas Dieu qui ne veut pas l’union des corps. C’est l’adversaire, et sa religion unique aux multiples visages : la gnose. Et lorsqu’il (l’Adversaire) permet la sexualisation des rapports, alors c’est pour l’objectivation de l’autre (objectiver signifiant ici transformer l’autre en objet). Ainsi la sexualité ne devient plus un lieu de don et de partage, mais un lieu de plaisir égoiste. Ici, ce n’est pas le corps qui pèche véritablement. C’est l’esprit qui fait pécher le corps. Mais le problème est avant tout spirituel. Ainsi, d’un point de vue orthodoxe, une sexualité de don et de partage (dans le cadre du mariage s’entend) est une forme de restauration de ce qui a été perdu dans le jardin d’Eden. Ainsi, j’oserai dire, que la sexualité réparée est une part essentielle de la restauration du monde dans son état premier.





Montaigne décrit ensuite plusieurs cas liés à la médecine, et l’un se rapporte de façon assez frappante à ce qu’on appele l’effet placebo. Il s’agit de faire croire à quelqu’un qu’il a ingéré une substance médicamenteuse, alors qu’en fait il n’en est rien. La personne se trouve guérie comme si elle avait pris le médicament. C’est à juste titre que la médecine et Montaigne attribuent cet effet au psychisme de la personne. Une personne atteinte d’un mal terrible mais ayant la certitude absolue qu’il va s’en sortir guérira très probablement. A l’inverse, celui atteint d’un mal bégnin, mais persuadé d’avoir un mal terrible, va probablement détruire sa santé. Ceci peut nous renvoyer à cette parole du Christ, qui nous enseigne dans l’Evangile : si nous avions la foi, nous pourrions déplacer des montagnes. Nous voici fasse à un problème d’herméneutique classique : Jésus parle-t-il ici au sens littéral, ou au sens figuré ? Et bien, dans la foulée de ce que montre Montaigne de la puissance insoupçonnée de l’esprit humain, je me demande s’il n’y a pas aussi de la littéralité ici. Mais comme ceux qui ont une foi colossale ne vont jamais déplacer des montagnes, mais vont dépenser leur énergie d’une façon moins puérile, on en voit jamais les effets en question. Il sera bon de se souvenir, que lorsque Jésus donne cet enseignement, il est dans un moment de lutte contre le mal. On en revient au problème du sens. Tout ceci a un sens. Ainsi, l’Orthodoxie invite chacun a prendre conscience de ses incroyables capacités, et à ne pas perdre de vue le but : restaurer le monde et faire que la volonté de Dieu s’exerce aussi bien sur terre que dans le ciel. Nous sommes les acteurs de ceci. Et notre “imagination” est un formidable atout.