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Spinoza démontre l'existence de Dieu à priori et à posteriori. En dehors du contenu de ces deux démonstrations, l'intérêt, ici, en est le nombre. Il n'y a pas plusieurs démonstrations à priori, ou plusieurs démonstrations à posteriori, mais bien une démonstration à priori et à posteriori, c'est à dire Dieu pensé comme une foncière antinomie. C'est ce qui est précieux ici. La pensée antinomique est un des socles de la théologie, et ce que Spinoza nous offre dans son approche, quelle qu'en soit le contenu, est le fait d'approcher Dieu de façon antinomique, dans une approche finalement à la fois apophatique et cataphatique.

La démonstration à priori sera l'approche apophatique, où l'apophase est la nullité du discours. On ne peut rien dire de Dieu. Même pas qu'il est l'être, l'absolu, ou l'amour. Tout ce que l'homme peut penser s'épuise au moment même où il pense. C'est pourquoi, l'assertion de Spinoza «l'existence appartient à la nature de Dieu » peut paraître un peu facile. C'est une approche ici totalement apophatique. On pourrait aller plus avant dans ce qui peut sembler être un truisme : « l'être est constitutif de Dieu » ou encore « Dieu est ». Il s'agit ici de Dieu en soi, en dehors de toute création, de tout acte.

La démonstration à posteriori est beaucoup plus longue et argumentée, car en tant qu'approche cataphatique, elle met en jeu Dieu dans sa relation avec la création. Elle est très proche de la démonstration d'Anselme de Canterbury, connue sous le nom d'argument ontologique. Reprise par René Descartes, le philosophe français ayant influencé la formation de Spinoza, c'est une filiation possible expliquant la présence de cet argument dans ce chapitre. Cet argument a aussi été repris par Leibniz et Hegel. Kant en a proposé une réfutation dans la critique de la raison pure. L'argument ontologique tel qu'avancé par Spinoza est problématique pour des créatures imaginaires telles que les licornes, mais Spinoza précise bien que ce sont les attributs infinis de Dieu (voir chapitre 2) qui permettent de valider la démonstration à postériori. La grande force de sa démonstration vient au point 6 : « Si l'imagination de l'homme était la seule cause de son idée, il ne pourrait comprendre quoi que ce soit. Or il peut comprendre quelque chose ». Ainsi Spinoza montre que le souci ne vient pas du fait d'invalider la démonstration, comme l'a voulu Gilles Dowek, dans un court texte où il conclut : «Définir Dieu comme existant ne suffit donc pas à démontrer qu’Il existe. En revanche, définir les licornes comme imaginaires suffit à démontrer qu’elles n’existent pas. ». Ce que semble nous pousser à conclure Spinoza c'est que Dieu existe parce que l'homme en a conscience. C'est à dire que la preuve que Dieu existe, c'est l'homme, dans le sens où l'homme arrive à « penser » Dieu. C'est peut-être une façon spinozienne de mettre en lumière ce que c'est pour l'homme que d'être image de Dieu. Dieu se pense, et étant à son image, nous le pensons également.

On notera à la fin de ce chapitre la réfutation par Spinoza d'une affirmation de Thomas d'Aquin : «C'est pourquoi le mot de Thomas d'Aquin n'a pas grande valeur : à savoir que Dieu ne peut pas être prouvé a priori, parce qu'il n'a pas de cause. ». Plus intéressant que cette pique gratuite, ce qui précède cette critique de la pensée de Thomas d'Aquin, où Spinoza cherche à valider la possibilité de penser Dieu à priori : «Dieu cependant, la première cause de toute choses, et même la cause de lui-même, Dieu doit se faire connaître lui-même par lui-même. ». On voit que pour Spinoza l'unité de Dieu est une unité complexe. Il serait malhonnête de prêter à Spinoza des approches trinitaires ou des allusions aux énergies divines incréées, mais simplement le fait que la relation de Dieu à la problématique de la source dévoile inévitablement une unité complexe.