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(2) Pour bien faire comprendre notre pensée, nous poserons les quatre propositions suivantes :
1° Il n'y a pas de substance finie, mais toute substance doit être infiniment parfaite en son essence ; c'est-à-dire qu'il ne peut y avoir dans l'entendement infini de Dieu, aucune substance plus parfaite que celle qui existe déjà dans la nature.
2° Il n'existe pas deux substances égales.
3° Une substance ne peut en produire une autre.
4° L'intellect divin ne contient aucune substance qui n'existe formellement dans la nature[2].

[2] Nous pouvons maintenant prouver qu’il ne peut pas y avoir de substance finie : toute substance doit donc appartenir infiniment à l’Être divin. Voici la preuve. En effet, ou bien : 1° elle se serait limitée elle-même ; – ou bien, 2° elle aurait été limitée par une autre substance. – Or, elle ne peut s'être limitée elle-même, car, étant infinie, elle eût dû changer toute son essence. D'un autre côté, elle ne peut être limitée par une autre substance, car celle-ci devrait être finie ou infinie ; le premier terme est impossible (car le raisonnement recommencerait ; c'est donc le second qui est vrai ; cette substance (infinie) serait donc Dieu. Mais celle-ci aurait limité l'autre ou par défaut de puissance, ou par défaut de volonté : le premier est contre sa toute-puissance ; le second est contre la bonté. Il n'y a donc pas d'autre substance que la substance infinie. Il suit de là qu'il ne peut y avoir deux substances infinies égales : car cela seul serait une limitation ; et encore, qu'une substance ne peut pas en créer une autre. En effet, la cause qui devrait créer cette substance aurait les mêmes propriétés que celle qu’elle aurait créée, et par conséquent autant, ou plus, ou moins de perfection ; or, elle ne peut en avoir autant, car il y aurait deux substances égales ; ni plus, parce que l’une des deux serait finie ; ni moins, parce que de rien ne peut sortir quelque chose ; en outre, si de la substance infinie pouvait sortir une substance finie, l'infini serait fini, etc., et par conséquent une substance ne peut pas en produire une autre. D’où il suit que toute substance doit exister formellement, c'est-à-dire réellement ; car si elle n’existait pas en acte, elle ne parviendrait jamais à naître.



Commentaire/Analyse

je ne reviens pas sur le panthéisme de Spinoza qui a une intuition sur les énergies divines (comme tous les panthéismes d’ailleurs), je l’ai traité dans un post précédent. Voyons ici le fond de l’erreur de Spinoza pour la théologie chrétienne orthodoxe. L’orthodoxie affirme que l’infini est l’apanage de Dieu, et que tout ce qui est du domaine crée est fini. Spinoza affirme ici, que ce qui est divin ne tient pas uniquement sur la notion d’infini, puisque toute substance du monde est infinie. C’est pour cela que souvent, on dira du panthéisme, qu’il identifie Dieu au monde : il attribue au monde, ce qui est divin.

C’est la note 2 où réside le problème. Spinoza indique qu’une substance finie revient à dire qu’elle est limitée. Elle est donc limitée soit par elle-même soit par une autre substance. Il invalide le premier cas de figure en disant qu’elle ne peut s’auto limiter et il ne reste plus que le second. Annulons sa démonstration à ce point. D’un point de vue logique, Spinoza est en train de nous dire que l’infini ne peut devenir fini. Il a raison du point de vue logique pur mais laisse de côté la problématique de l’origine dans son raisonnement, en l’abordant ensuite, alors que c’est le point central. Dans mon autre post, j’ai parlé du dai et je n’y reviens pas. Une substance est finie si la substance infinie a cru bon de la créer finie. Rien ne s’y oppose, à part la vision de Spinoza sur la bonté, plus discutable. En effet, à partir du moment où Dieu crée un monde en lui laissant une autonomie, Dieu rentre dans une démarche de ce que la théologie orthodoxe nomme Kénose. Cela vient du verbe grec κενόω qui signifie vider. En terme de substantif on peut dire que cela se rattache au phénomène où Dieu se vide de sa propre puissance. C’est utilisé par Paul dans Philippiens 2:7 (αλλα εαυτον εκενωσεν μορφην δουλου λαβων εν ομοιωματι ανθρωπων γενομενος και σχηματι ευρεθεις ως ανθρωπος ) ce qui se traduit par « mais il s’est dépouillé lui-même, en prenant une forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes; et ayant paru comme un simple homme ». Dieu, par son acte créateur renonce à une toute puissance jupitérienne, qui démontre une compréhension un peu enfantine du divin. Si la création de Dieu est véritablement autonome, alors cette création peut se détacher de Dieu. Elle peut l’oublier. Elle peut même se rebeller contre Lui. C’est ainsi qu’est vu le mode d’être du monde actuel : une rébellion contre Dieu. Le récit de la chute originelle doit être vu comme le moment où l’homme cherche en dehors de Dieu une source de vie alternative. Il y trouve la mort. Tout le problème ici vient du fait que le terme de nature par Spinoza est terriblement vague. Qu’appelle-t-il nature ? Parlons-nous au même niveau ? En tous les cas on voit ici tout le problème de son raisonnement, et il a bâti toute sa compréhension sur les conséquences de ses réflexions premières. Pour la théologie orthodoxe, je pense qu’on peut pratiquement postuler une égalité entre la nature et la volonté. L’hérésie monothélite nous fait comprendre ceci : la volonté est « consubstantielle » de la nature. Le Christ, ayant deux natures, a deux volontés. L’expression de la nature divine et de la nature humaine, ce sont leurs volontés, malheureusement antagonistes, sauf pour le Christ, qui dans sa kenose montre l’obéissance magnifiée par l’amour. Cette icône célèbre témoigne de cette double volonté dans Sa personne.