Le sacrement de l’Assemblée

« lorsque vous vous réunissez en Eglise » (I Cor 11:18)
Nous aurons à reparler de cette rupture entre la théologie et l’Eucharistie, et ses conséquences tragiques pour la conscience ecclésiale. Notons pour l’instant que la connaissance de l’Eucharistie comme « sacrement de l’Assemblée » a été peu à peu perdue par la piété. Il est vrai que les manuels rapportent le sacrement à la « prière publique » et que la Liturgie est célébrée surtout quand « se rassemblent ceux qui prient ». Toutefois l’on ne perçoit plus cette « assemblée » comme la forme initiale de l’Eucharistie et l’on a cessé de voir et de sentir dans celle-ci la forme fondamentale de l’Eglise. La piété liturgique est devenue individualiste à l’extrême, comme le montre avec évidence la pratique actuelle de la communion, entièrement fonction des « besoins spirituels » des fidèles pris à part, et que personne, parmi le clergé ou les laïcs, ne conçoit plus selon l’esprit de la prière eucharistique elle-même : « nous tous, qui communions du Pain et du Calice uniques, réunis-nous les uns les autres dans la communion de l’unique Esprit… ». Il s’est produit ainsi, dans la piété, dans l’ « ecclésialité » même, deux « réductions » de l’Eucharistie, quant à son sens primordial et à sa place dans la vie de l’Eglise. En théologie liturgique, il convient donc de commencer par les dépasser pour retrouver la signification première de l’Eucharistie en tant que « le sacrement de l’assemblée » et par conséquent, que « le mystère de l’Eglise ».


Commentaire/Analyse

Il ne faudrait pas croire que le Père Alexandre attaque la piété. Il montre ici la formidable incompréhension qui consiste à penser que la liturgie se résume à une prière communautaire. Si l’on voit la liturgie comme la prière la plus haute, ou la plus remarquable du cycle journalier, alors quelque chose est perdu, que cette piété ne comprend plus. Ce que dit le Père Alexandre, et cela doit être perçu dans toute la plénitude de l’expression, est la chose suivante : la liturgie a pour objet l’Eucharistie. Les prières de la liturgie n’ont pour objet que la préparation à la communion eucharistique. L’expression liturgie eucharistique devrait provoquer en nous la même chose qu’une expression du type « monter en haut ». Une liturgie n’est qu’eucharistique. Venir à une liturgie pour ne pas participer à la communion eucharistique est en soi un non-sens.

Et c’est en soi depuis plusieurs siècles un double problème qui vient accompagner cette cécité eucharistique de la pratique liturgique : le lien confession < = > communion et la fréquence de la communion eucharistique. Dans l’esprit de nombre de fidèles, il faut être confessé pour pouvoir communier. C’est faire de la confession une sorte de sésame eucharistique. J’y reviendrai plus longuement dans un autre post, mais disons pour résumer que cette vision n’est ni patristique ni traditionnelle. Second problème : la fréquence de communion est un élément d’une grande gravité car elle induit une théologie du mérite basée sur une ascèse qui ayant pour apogée la confession, ouvre les portes de la communion eucharistique. Ainsi, certains fidèles, ne communient que quatre fois par an, à l’issue de chaque carême de durée continue : Pâques, Noël, les Saints Apôtres Pierre et Paul, la Dormition de la Theotokos. Aussi étonnant que cela puisse paraître à ces fidèles, ils ne respectent en rien le mode de vie ecclésial de nos pères dans la foi, et ils trahissent bien involontairement le mode de vie ecclésial que le collège apostolique a institué sous la guidance de l’Esprit-Saint. La pratique chrétienne nominale se veut être celui de la communion fréquente, avec une fréquence non reliée à la communion. Ceci signifie d’un point de vue pratique, que la confession est une guidance spirituelle, et que dans cette guidance, le père spirituel indique à la personne si elle peut s’inscrire dans un rythme de communion plus ou moins fréquent. Pour couper la pratique eucharistique, il faudra que le fidèle et le père spirituel se voient confrontés à un évènement grave qui entraîne ce changement temporaire de relation au Corps et au Sang du Seigneur. Un canon de l’Eglise nous indique qu’une personne ne venant plus communier pendant trois semaines consécutives était de facto excommuniée. Ceci devrait interpeller les tenants de la théologie du mérite, qui pensent devoir jeûner des semaines durant pour oser s’approcher du Calice. Ceci témoigne d’une pratique traditionnelle liée à une communion fréquente. Un autre canon témoigne de la confession publique semestrielle. On voit bien ici une relation que l’Eglise antique ne faisait pas, et qui n’avait pas lieu d’être : le lien communion <=> confession. Le drame des piétistes qui viennent prier à la liturgie sans communier (le summum de cela étant celui qui vient avec son psautier, pour lire tout seul ses psaumes sur son banc) ? ce sont des tenants d’une théologie scolastique non orthodoxe, totalement coupée de la racine patristique qui doit donner la norme de la Tradition.