Le sacrement de l’Assemblée

« lorsque vous vous réunissez en Eglise » (I Cor 11:18)
La liturgie eucharistique est « le sacrement de l’assemblée ». Le Christ est venu « pour rassembler en unité les enfants dispersés de Dieu » (Jn XI :52). Depuis les origines, l’Eucharistie a été la manifestation et la réalisation de l’unité du peuple nouveau de Dieu, rassemblé par et dans le Christ. Il faut bien savoir que nous nous rendons au temple non pas pour y prier individuellement, mais pour nous réunir en Eglise. Le temple visible n’est que la figure de l’invisible qu’il revêt et qui « n’est pas fait de main d’homme ». Aussi l’assemblée est-elle effectivement l’acte liturgique premier qui fonde toute la célébration. Faute de la saisir, on ne saurait comprendre le déroulement de la liturgie. Quand je dis que je me rends à l’église, cela signifie que je vais à l’assemblée des fidèles pour, avec eux, constituer l’Eglise, pour être celui que je suis devenu le jour de mon baptême : un membre du corps du Christ, au sens plein du terme. « Vous êtes le Corps du Christ et, chacun pour sa part, (ses) membres » (I Co XII :27). Je me rends à l’église pour manifester ma qualité de membre, pour attester devant Dieu et le monde le mystère du Royaume, déjà « venu en puissance ».

Il est venu et il vient en puissance, dans l’Eglise. Tel est le mystère de l’Eglise, celui du Corps du Christ : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt XVIII :20). Le miracle de l’assemblée ecclésiale consiste en ce qu’elle n’est pas la « somme » des personnes pécheresses et indignes qui la composent, mais qu’elle est le Corps du Christ. Nous disons souvent que nous allons à l’église pour en recevoir secours, grâce, consolation, et nous oublions que nous sommes l’Eglise, que le Christ demeure dans ses membres et que l’Eglise n’est pas en dehors ni au dessus de nous : nous sommes en Christ et le Christ est en nous. Le christianisme ne consiste pas à offrir à chacun la possibilité de « devenir personnellement meilleur » ; il consiste avant tout en ce qu’il est donné et enjoint aux chrétiens d’être l’Eglise, une « race élue, un sacerdoce royal, un peuple saint » (1 Pi II :9), de manifester et de confesser la présence du Christ et de son Royaume dans le monde.



Commentaire/Analyse

Résumons le propos ici avant de le décortiquer : « nous allons à l’église » : le propos est celui d’une personne qui ne comprend pas ce qu’il se passe, faiblement ou maladroitement catéchisée, et qui n’a pas conscience de ce qu’est l’Eucharistie, et de ce qui est accompli à ce moment. « Nous sommes l’Eglise ». Voilà ce que le Père Alexandre aimerait entendre de la part de ceux qui réalise l’antique fraction du pain.

La citation choisir par l’auteur est intéressante, car généralement les notions ecclésiologiques sont toujours ramenées à Saint Paul, comme issue de sa pensée, de sa théologie. En fait, nous avons principalement une formulation paulinienne de cette réalité ecclésiologique voulue par le Christ Lui-même. Ce passage dans Matthieu, repris à bon escient dans la liturgie, le montre bien. Le Christ ne fait pas de sentimentalisme de bas étage lié à une notion de mémoire, de souvenir, mais il parle au contraire de présence réelle. Là où deux personnes se réunissent en Eglise, le Christ est évidemment là, puisque cette réunion constitue Son Corps.



La mention suivante du Père Alexandre est très intéressante car elle permet aussi de cerner un problème classique de compréhension dans le peuple et même dans le clergé : le christianisme comme école d’amélioration personnelle. Il ne faudrait pas se méprendre sur ce qui est dit là. Bien évidemment que le christianisme rend les gens meilleurs (pour ceux qui réalisent le travail que cela implique). Mais il le fait grâce à ce collectif ecclésial. Ce n’est pas une méthode qu’on peut faire seul. L’érémitisme est un cas très particulier qui pourrait être trompeur au final. Car on pourrait le voir comme le sommet de ce que propose cette « méthode » chrétienne : je me retire du monde, et je vais méditer et prier sans cesse dans un désert ou dans une grotte. Mais cette vision doit être corrigée et amendée par la lecture de la vie de ces ermites. Cette période de retraite est dans leur parcours comparable à ce que réalise le Christ au désert en tout début de son ministère. Mais cette période n’est pas le but, mais bien le moyen ascétique de parvenir au but véritable. Pour les ermites il s’agissait de réaliser la guidance spirituelle de ceux qui venaient ensuite les voir en quête de conseils divers sur les écueils de leur vie. Le laboratoire initial n’a pour autre objet que d’apporter au sein de l’Eglise des messages d’une haute portée. Le but de l’ermite n’est pas la retraite mais la paternité spirituelle. La retraite est un moyen particulier, non unique, de parvenir à un haut niveau, pour certaines personnes, dans la paternité spirituelle. Prenons l’exemple de deux immenses saints russes de l’époque récente : Saint Jean de Cronstadt et Saint Théophane le reclus. Le premier a vécu immergé dans la ville, au secours des pauvres réalisant un travail social d’une ampleur inouïe. Son laboratoire ascétique : une vie liturgique intense (les détails que vous pourrez chercher vous-même sont éloquents). Quand à Saint Théophane, son patronyme ecclésial indique qu’il était retiré, mais il était connecté au monde par le moyen des dizaines de lettres que lui envoyaient les gens en quête de conseils. C’était une sorte de Père spirituel par voie postale. Il y a cette anecdote connue d’une femme, qui au terme de la correspondance avec Théophane est elle-même rentrée au monastère.



Revenons au Père Alexandre pour conclure : la réalisation sur chacun ne se conçoit que dans l’ensemble des relations ecclésiales. Il est illusoire de croire que l’on va chercher un salut individuel dans l’Eglise. Nous serons sauvés tous ensemble. C’est une notion qu’ont déjà compris à un certain niveau les sportifs dans les disciplines collectives comme le football ou le rugby, ou au niveau des nations. S’il peut y avoir de grands joueurs aux qualités individuelles notables, ils sont toujours insérés dans des collectifs performants, sinon leurs qualités propres ne pourraient pas se manifester. Dans un pays, c’est la même chose. Nous sommes dépendants des autres. L’Eglise, c’est ça, à l’infini.