Le sacrement de l’entrée

Maître et Seigneur notre Dieu, qui as établi au ciel les ordres et les armées des anges et des archanges pour servir Ta gloire, fais qu’avec notre entrée ait lieu celle des saints anges, concélébrant et glorifiant avec nous Ta bonté (Prière de l’entrée).
Tout cela ne présenterait qu’un intérêt historique ou archéologique si cela ne faisait pas ressortir non seulement que l’entrée constitue effectivement le commencement de la liturgie eucharistique, mais encore que celle-ci est toute entière dynamique, qu’elle est mouvement. Nous ne vivons plus dans un monde chrétien, ou plus exactement, « christianisé » qui, par des symboles liturgiques, tels que les processions, pourrait manifester qu’il est tendu vers l’Église, la voie vers le Royaume, et qu’il vise ainsi lui-même le Royaume. Nos églises sont entourées d’un monde sinon délibérément hostile, du moins « religieusement neutre », sécularisé et indifférent. Il importe d’autant plus de bien saisir la relation initiale et intangible entre l’Église et le monde qui, jadis, dans des circonstances tout à fait différentes, avait trouvé son expression liturgique dans des marches du peuple vers le temple. Si « l’assemblée en Église » suppose une séparation (le Christ apparaît « les portes étant fermées »), cette sortie hors du monde est accomplie en son nom et pour son salut. Car nous sommes la chair de sa chair et le sang de son sang, nous en faisons partie ; et c’est seulement en nous et par nous qu’il s’élève vers son Créateur, son Sauveur et son Seigneur, qu’il monte vers sa fin et son accomplissement. Nous nous séparons du monde pour l’apporter, pour l’introduire dans le Royaume, pour en faire de nouveau le chemin vers Dieu et une partie inaliénable du Royaume éternel. Telle est la vocation de l’Église, c’est pour cela qu’elle est laissée dans le monde comme symbole de son salut. Et c’est ce symbole que nous réalisons par l’Eucharistie.

A mesure que nous suivons l’ordre de l’Eucharistie, cette fonction de l’Église nous apparaîtra de plus en plus clairement. Mais dès le début, dès ces « prières communes et unanimes », ces antiennes joyeuses et triomphales, nous marquons que « l’assemblée en Église » est avant tout la joie de la créature régénérée et rénovée, que c’est le rassemblement du monde, au contraire de sa désintégration dans le péché et la mort. L’Eucharistie, Sacrement du Royaume, est par là aussi le Sacrement du monde, que « Dieu a tant aimé qu’Il a donné Son Fils… » (Jn 3 :16)



Commentaire/Analyse





Le Père Alexandre touche du doigt une chose fondamentale : la séparation du monde est pour le monde. Nombre sont ceux qui veulent se séparer du monde parce qu’ils le trouvent trop ceci, ou pas assez cela. Ils veulent quitter le monde parce que le monde ne leur convient pas. Mais en cela, ils ne font rien pour le monde. La séparation dont fait état la liturgie, et c’est tout l’objet de cette partie de chapitre, est d’une nature tout autre. On ne se sépare pas du monde pour s’en protéger, ou pour toute autre raison qui serait liée à nous-mêmes et à notre propre bien-être. Nous nous séparons liturgiquement du monde pour le salut du monde. Tout est fait pour le monde, par amour pour lui, quel que soit son état de chute.

D’abord, il y a le mouvement. Le mouvement liturgique est rendu par la structure même de l’office et par certaines habitudes bien précises telles que les processions. Mais les processions étant des évolutions de choses festives passées (voir posts précédents), elles ne sont pas systématiques. Elles marquent simplement le fait d’un plus grand « mouvement ». Mais la liturgie en soi, donne déjà plusieurs occasions de mouvement, assumées par le clergé : les entrées sont les principales. Le diacre réalise également beaucoup de mouvements. Le Père Alexandre fait ensuite état de la tension : nous sommes tendus vers le Royaume. Le monde est en mouvement vers le Royaume. Il fait enfin état de la relation du monde au Royaume. Relation coupée à la chute, restaurée dans le Royaume promis par le Christ, anticipée de façon liturgique. Le passage le plus important du texte ici est sans nul doute : « cette sortie hors du monde est accomplie en son nom et pour son salut ». La séparation évoquée, le mouvement, la tension, résultent de cet objectif qui nous a été assigné.

Lorsque nous célébrons la liturgie eucharistique, nous sortons du monde. Nous verrons plus tard dans l’ouvrage du Père Schmemann des éléments pour étayer cette thèse. Prenons la pour acquise. Nous quittons le monde, mais pour le monde.

Ce qui est magnifique dans la liturgie, et que nous explique Schmemann, est que nous nous séparons du monde pour l’apporter comme offrande dans la liturgie. Pour offrir le monde, nous devons le rassembler dans ce qu’il a d’essentiel. Sera sauvé ce qui est essentiel au monde ; est essentiel ce qui sera sauvé. Ce rassemblement et cette offrande du monde sont accomplis au travers de l’acte liturgique. Comment considérer que cela est effectif ? Pourquoi considérer que cela est véritable ? Pourquoi ne pas acter que ce sont des mots vide de sens ? Parce que le monde est fait pour être offrande. Il faut bien comprendre que nous ne cherchons pas à réaliser quelque chose d’étonnant, d’impossible. Nous faisons exactement ce pour quoi le monde et nous avons été fait. Nous reprenons ce qui a été prévu et rompu au tout début de la création de l’homme et du monde. Dieu voulait que l’homme termine l’acte de création dans un acte liturgique, mais il a choisi de devenir autoréférentiel. Dieu a sauvé sa créature sur la Croix, mais néanmoins, l’intention initiale demeure. La liturgie restaure l’homme dans sa mission essentielle. Il n’est pas étonnant de nous voir considérer par Pierre comme une lignée sacerdotale, royale (Vous, au contraire, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis, afin que vous annonciez les vertus de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière, vous qui autrefois n’étiez pas un peuple, et qui maintenant êtes le peuple de Dieu, vous qui n’aviez pas obtenu miséricorde, et qui maintenant avez obtenu miséricorde. 1 Pi 2:9-10 ). L’homme est prêtre pour le monde.