Strack & Billerbeck (second commentaire de la préface) : théologie de l'oecuménisme
Commentaire/Analyse : Schisme au sens de guerre ou de religion ?
Deuxième commentaire issu de la préface de Strack et Billerbeck : le schisme et la guerre. La préface, lors d’un passage montre que le travail s’est déroulé avant et pendant la première guerre mondiale, et que des relations probablement épistolaires avec des universitaires ou des hommes d’Eglise s’étaient établies avant la guerre, et ont perduré ensuite. Les folies meurtrières n’ont pas pris le pas sur les relations ecclésiales, et ceci est un exemple de ce qui doit animer tout orthodoxe si par malheur cela devait se produire entre deux pays orthodoxes : les relations ecclésiales sont plus fortes que tout. Ce qui est à relever est avant tout relatif à l’appel vibrant concernant la fin du schisme des Eglises. Puisque le mot christenheit est employé, j’en conclus que cet appel concerne les autres confessions protestantes que celles des deux auteurs, les catholiques romains, les orthodoxes, ainsi que probablement les autres confessions chrétiennes du type copte, nestorien, monophysites, etc.
Cet appel peut faire sourire et navrer, pour deux raisons. Premièrement, il est possible de débattre du fait de savoir si les protestants sont vraiment chrétiens, dans une optique pleinement orthodoxe (voir les écrits de Khomiakov par exemple). Dans les myriades de protestantismes disponibles depuis que cette fracture dans le corps romain est apparue, chacune s’est singularisée avec ses particularités propres : calvinisme, méthodisme, évangéliques, baptistes, mormons, témoins de jehova, etc. Si l’on peut débattre de savoir si le calvinisme est encore chrétien (ce qui est tout de même dommageable pour ce courant, et révélateur de quelque chose), cela n’est plus possible pour un témoin de jehovah ne reconnaissant pas la divinité du Christ. Suffira-t-il de témoigner d’une admiration pour le Christ pour se dire chrétien ? En ce cas Gandhi serait sans doute chrétien ! Le Père Cleopas, un grand spirituel roumain a même étudié de façon systématique chaque type majeur de protestantisme, qualifié à chaque fois d’hérésie, pour en donner les spécificités et les réfuter. Et dans les piliers de tous ces protestantismes, nous retrouvons systématiquement la même incompréhension vis-à-vis de l’oralité, vis-à-vis de la tradition orale de l’Eglise. C’est là où la démarche de Strack et Billerbeck est finalement déconcertante, et c’est mon deuxième point : ils ont une connaissance peu commune de la tradition orale d’Israël. Ils ont compris que sans cette tradition orale foisonnante, il n’est pas possible de comprendre pleinement les paroles et gestes de Jésus. Ils savent pertinemment, qu’au niveau de toute l’histoire juive, l’oralité couchée par écrit dans le Talmud et les midrashims est absolument centrale et pourvue d’une autorité impensable pour un protestant quelconque. Ainsi, apparaît comme une profonde contradiction, une énigme même, cette position de protestant, qui n’accorde au temple d’autorité qu’à l’écrit, et qui produit à la maison un travail théologique mettant en exergue la centralité de l’oral. Que reste-t-il de la cohérence interne de votre protestantisme, messieurs ?
L’œcuménisme est un mouvement initié par les protestants au début du vingtième siècle. Après un siècle d’existence, on peut acter de sa stérilité. Chacun, lors de ces réunions attend des deux autres confessions chrétiennes de reconnaître le bien-fondé de sa position. C’est là tout le ressort inconscient et véritable de l’œcuménisme. Le reste n’est que faribole. Car pour les chrétiens, redevenir unis, voudra dire que quelqu’un quittera sa position et ira vers la position de l’autre. Et ceci peut-il être le résultat d’un compromis ? L’orthodoxe cède la Virginité de Marie au protestant en échange de sa reconnaissance de la présence réelle dans les Saints Dons ? Le catholique romain renonce à l’infaillibilité du pape en échange de la reconnaissance par le protestant de l’autorité du pape ? Du point de vue orthodoxe, et j’imagine que cela est la même chose pour les autres, et je le respecte d’une certaine façon, on ne négocie pas la vérité. On ne négocie pas ce qui a été transmis. On ne cherche pas à faire du nombre. L’œcuménisme sera tout au plus le lieu de l’échange pour témoigner d’une vérité qui est notre depuis que le Christ a fondé son ekklesia et l’a transmise aux apôtres.
Pour conclure, l’appel à la réunion des chrétiens est donc bien étrange à une conscience orthodoxe : libres à vous, catholiques romains et protestants, de confesser la foi orthodoxe. Vous êtes accueillis à bras ouverts. Mais c’est à vous de venir. L’Eglise orthodoxe ne bougera pas d’un iota. C’est son devoir et sa beauté. Tout le paradoxe de cet appel est qu’il est formulé par deux érudits qui ont en main toutes les clés pour immédiatement cesser d’être protestants.
A noter, la différence notable entre catholiques romains et protestants. Si les protestants sont à la frontière de l’hérésie, les catholiques romains ne sont en rien des hérétiques. Ce sont des schismatiques. A titre personnel, j’attends avec ardeur le retour des romains dans le giron de l’Eglise orthodoxe, mais en ce qui concerne les protestants, je suis déjà épuisé nerveusement à l’idée d’avoir dans ma paroisse des gens qui mettraient en doute la Virginité de la Mère de Dieu. Même les musulmans sont plus proches que les protestants sur ce point, ce qui devrait tout de même déclencher quelques alarmes de bon sens…