Théologie et histoire : Le Zoroastrisme est-il l'ancêtre du Christianisme ?
Réfutation de Henri de Lesquen
L’article réfuté se trouve à cette adresse : https://lesquen.fr/2021/07/04/zoroastre-et-nous-les-origines-zoroastriennes-de-loccident-chretien/
Tentons d’abord de résumer la thèse de monsieur de Lesquen : Zoroastre, antérieur à la Bible serait le prophète primordial du Christianisme. Le zoroastrisme offre en effet, en plus de son antériorité chronologique sur le judaïsme une concordance des dogmes tout à fait singulière. Les dernières découvertes académiques permettent de comprendre que le judaïsme a en fait été influencé par les perses, et que le zoroastrisme est passé dans le judaïsme au moment de la libération de l’exil babylonien en -539. Esdras a de fait inventé le judaïsme, pour y enfouir une théologie zoroastrienne acceptable pour les hébreux, faisant passer la révélation d’un Dieu universel à un Dieu ethnique. Cette transposition fut maladroite et ce n’est qu’avec le Christianisme que l’on renoue avec l’universel premier, en ajoutant ce qui fait le Christianisme et qui manquait au zoroastrisme.
Le Christianisme était déjà la religion primordiale
Le Christianisme nous invite effectivement à une plongée dans le temps. Le chrétien dans sa prière personnelle ou dans sa pratique liturgique va chanter des hymnes monastiques immémoriaux dont la plupart sont anonymes. Ces hymnes sont le témoin du travail de l’Esprit dans l’Eglise. Il va prier des psaumes d’un roi d’Israël mort depuis des siècles. Toute cette richesse liturgique va le faire voyager dans le temps, que ce soit à la création du monde, à l’évocation du couple primordial au jardin d’Eden, à Noé et au déluge, aux patriarches, à l’histoire sainte du peuple élu. Bien évidemment, la plus grande partie de l’acte liturgique va se concentrer sur la personne et le ministère de notre Seigneur, Jésus de Nazareth, le Messie d’Israël. Sa prière va aussi évoquer tous ceux qui au cours de l’histoire qui s’ouvre après la résurrection du Christ ont reçu de la part de l’Eglise le qualificatif de « Saint ». Le synaxaire se veut le recueil exemplaire de leurs actes et de leurs mérites. Dans l’Eglise, il n’y a rien de nouveau, sinon deux choses : de nouveaux saints qui s’agrègent aux précédents, où l’Eglise dans sa sagesse et sa longue mémoire reconnait les caractéristiques de ceux qui, inflexiblement ont lutté le bon combat. Seconde nouveauté possible : des formulations théologiques et dogmatiques nouvelles, en réponse à des tentatives de modification de doctrine. J’insiste sur ce point : des formulations nouvelles, mais la même doctrine. L’Eglise a toujours été très soucieuse de préserver sa doctrine, puisqu’elle l’a reçue du Christ en personne. Préserver la doctrine, c’est rester dans une fidélité à l’enseignement reçu. Modifier, altérer la doctrine, c’est considérer que le Christ n’a pas enseigné la vérité. Ici, monsieur de Lesquen vient rejoindre, à son corps défendant, certes, le long cortège de ceux qui considèrent que le Christ n’a pas tout enseigné, ou bien que l’Eglise n’a pas su conserver une partie de son enseignement.
Ici, l’idée serait que Zoroastre, un prophète oriental, serait le prophète primordial de notre religion chrétienne. L’étape juive serait une parenthèse, plutôt malheureuse et maladroite, qui nous aurait fait perdre cette vérité cachée : le Christianisme a pour origine le Zoroastrisme. Cette concurrence entre zoroastrisme ou judaïsme montre déjà une mauvaise articulation de la relation au passé. Saint Augustin enseignait : « La même religion, que nous appelons maintenant religion chrétienne, était déjà celle des siècles anciens. Déjà son règne durait depuis les jours de nos premiers parents, lorsque le Verbe se fit chair et se manifesta au monde. Cet événement ne lui apporta au fond d’autre changement qu’une dénomination nouvelle. La vraie foi donc, qui existait depuis les premiers temps, commença à s’appeler religion chrétienne afin d’annoncer à toute la terre que le Christ, pour nous ouvrir le Royaume du ciel, est venu accomplir la loi et les prophètes, bien loin de les abolir » (Retract I, XIII, 3).
Monsieur de Lesquen articule donc de façon impropre la relation du christianisme et de la tradition primordiale. Car il y a une chaine de transmission non interrompue de la croyance véritable, liée aux différentes étapes de la révélation. Il est plus que probable que Adam ne connaissait pas les mêmes choses que Moïse, Abraham ou Noé. Chacun a eu la révélation qui lui était propre. Noé a reçu une partie de cette vérité, Abraham une autre partie, Adam une autre partie, etc. La plénitude n’est venue que dans l’Eglise avec le ministère du Christ. Ainsi, que la religion prêchée par Zoroastre contienne une partie de cette vérité primordiale est tout à fait possible. Mais si l’enseignement de l’Eglise ne rapporte pas de filiation, alors c’est qu’elle n’existe pas. Il n’y a pas à découvrir de choses que le Christ nous aurait caché.
L’autorité de Georges Dumezil
J’ai consulté les listes, et jusqu’à plus ample informé, Georges Dumezil ne fait pas partie des Pères de l’Eglise. C’est-à-dire que dans le domaine spirituel et dans l’énonciation de la vérité, ce que dit Georges Dumezil n’a aucune autorité. L’autorité, la seule autorité dans l’Eglise, c’est l’Eglise elle-même. Le sommet de l’énonciation de la vérité, le sommet de la manifestation de l’autorité, c’est l’Eglise qui se réunit en concile et qui édicte des canons. Il faut que les protestants comprennent que la Bible n’a pas l’autorité suprême. Elle est produite par l’Eglise, et c’est l’Eglise qui lui confère une autorité. Les premières communautés chrétiennes sont nées sans NT, en ayant uniquement l’AT comme Ecriture. Dans l’absolu on avait pas besoin de NT pour faire des chrétiens. On avait besoin de l’Eglise. Il faut que les catholiques romains comprennent que le Pape, patriarche de Rome n’a pas d’autorité comme successeur de Pierre, mais n’aurait une autorité dans l’Eglise que s’il partageait la foi de l’Eglise. N’importe quel évêque, s’il ne professe pas la plénitude de la foi orthodoxe telle qu’énoncée dans les conciles, perd de facto cette autorité, puisque son autorité, en tant qu’épiscope, c’est justement de veiller à ce que cette foi soit conservée inaltérée et transmise telle que reçue. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause les connaissances académiques de Georges Dumezil, qui était très probablement très fort en langues orientales et en histoire orientale, mais si sa thèse est contraire à l’enseignement de l’Eglise, alors sa thèse est contraire à la vérité. Car Georges Dumezil enseigne quelque chose que le Christ n’a pas enseigné.
Les anges sont la première preuve de la filiation
Henri de Lesquen aborde ensuite le problème des anges. J’avoue ne pas saisir le côté logique de sa démonstration : les anges nécessaires dans le zoroastrisme et facultatifs dans le judaïsme, cela montrerait la filiation dans le sens zoroastrisme vers judaïsme. Pourquoi ? Mais comme le dira ensuite de Lesquen, le judaïsme a réadapté les choses à sa sauce. Pourquoi donc ont-ils laissé les anges puisqu’ils seraient facultatifs ?
Les anges sont une réalité aussi bien dans la période vétéro-testamentaire que néo-testamentaire. Je cite Macaire Boulgakov : « l’Ecriture appelle Anges des êtres d’une espèce particulière, différents de la Divinité et de l’homme, des êtres spirituels, réels et non imaginaires, et cela dans nombres passages de l’AT et du NT, qu’on ne pourrait interpréter figurément sans forcer les textes. » (Tome 1 p 460). Qu’on pense au songe de Jacob voyant les anges monter et descendre sur l’échelle, le prologue du livre de Job, le psaume 8, l’Ange qui apparait à Elie, celui qui apparaît à Daniel ou Zacharie. Nous ne sommes pas dans quelque chose de facultatif ici. Que l’on songe également au conseil divin où Dieu juge entouré de ses anges : « un million d’anges le servaient et mille millions assistaient devant Lui » (Dn 7 :10). L’Eglise orthodoxe a solennellement condamné Origène au cinquième concile œcuménique pour avoir professé que les anges avaient été créés tous égaux entre eux. Irénée de Lyon, Clément d’Alexandrie, Cyrille de Jérusalem, Saint Basile de Césarée et Saint Jean Chrysostome évoque une hiérarchie angélique. Saint Denys l’Aréopagite, disciple de St Paul a enseigné que l’on avait neuf ordres d’Anges : les Anges, les Archanges, les Principautés, les Puissances, les Dominations, les Vertus, les Trônes, les Chérubins et enfin les Séraphins. Les connaisseurs de l’Ecriture remarqueront que les plus hautes hiérarchies angéliques que sont Chérubins et Séraphins apparaissent dans l’AT : les Chérubins qui ferment le jardin d’Eden, les Séraphins que voit Isaïe célébrant la liturgie céleste. Nous ne sommes pas dans le détail ou dans l’accessoire, mais dans une part essentielle de la vision orthodoxe du monde spirituel, connue déjà de façon très profonde et précise dans la révélation mosaïque. Si vraiment les anges sont accessoires, pourquoi mettre une prophétie d’Isaie qui montrent les Anges se tenant devant la Face de Dieu, l’adorant et Le glorifiant. Pourquoi montrer les Séraphins entourant le trône divin et criant l’un à l’autre « Saint Saint Saint est le Seigneur, le Dieu des armées. La terre est toute remplie de sa gloire » (Is 6:3).
Mais Delesquen aborde quelque chose qui pourrait en troubler certains : il existe des anges dans le zoroastrisme et dans la Bible. Donc la filiation est démontrée rien qu’ici. Comme je l’ai dit, les anges sont des êtres spirituels qui ne sont donc pas humains, mais qui sont également distinct de Dieu. Ainsi les anges apparaissent dès que vous avez un monde spirituel assez riche et une distinction opérante dans ce monde entre ce qui est divin et ce qui ne l’est pas. Le zoroastrisme et le judaïsme partagent donc une certaine richesse dans la vision du monde spirituel mais cela ne signifie pas qu’ils partagent une filiation d’aucune sorte. Et encore une fois, la tradition primordiale peut très bien être la meilleure réponse à la question : non pas filiation mais origine commune.
Concordance des dogmes
Il est inutile de le nier, et partons du principe bienveillant que tout ce que dit Henri de Lesquen est vrai ici : la concordance des dogmes est assez importante. Mais elle l’est tout autant, et bien plus encore même, avec le judaïsme actuel dans sa version pharisienne de rejet du Christ. L’Islam d’une certaine façon a des aspects très proches du judaïsme et du Christianisme. Le zoroastrisme est une sorte d’islam mais inversé dans le temps. Là où l’islam s’imagine un prophète non juif venu universaliser la révélation à la fin, Henri de Lesquen imagine un prophète non juif qui avait déjà professé quelque chose d’universel au tout début, ayant ensuite perdu son caractère universel dans une parenthèse juive vue comme malheureuse.
Les problématiques de jugement particulier et de jugement dernier sont importantes à préciser, car il se dit beaucoup de contrevérités présentées à tort comme orthodoxes. Voyons d’abord le jugement particulier. « Le jugement particulier, comme l’enseigne l’Eglise orthodoxe, a lieu pour l’homme immédiatement après sa mort, qui parait être ainsi la circonstance essentielle dont il est précédé. … La mort de l’homme, c’est la séparation de son âme avec son corps … à cette séparation des deux parties constituantes de l’homme, la poussière rentre dans la terre d’où elle avait été tirée, mais l’esprit retourne à Dieu qui l’avait donné, et demeure toujours en possession de la vie et de l’immortalité. La cause de la mort est dans sa chute … La mort, conséquence et salaire du péché de nos premiers parents, qui se communiqua à toute leur postérité, est devenue nécessairement le lot de tout le genre humain … La mort est pour l’homme, le terme de la lutte et des œuvres et le commencement de la rétribution, en sorte que, après la mort, ni la pénitence, ni l’amendement de la vie ne sont plus possibles. » (Dogmatique Macaire Boulgakov tome 2 p 623-626).
A ce jugement particulier qui survient après la mort s’ajoute le jugement dernier qui lui aura lieu à la fin du monde. Saint Dimitri de Rostov enseignait « Pour nous, chrétiens orthodoxes, il nous suffit d’attendre, chaque jour et chaque nuit, l’heure inconnue de la fin de notre vie et d’être prêts pour le départ. Là est, pour chacun en particulier, le redoutable jugement avant le jugement universel ». Saint Augustin précise « les âmes sont jugées dès qu’elles sortent des corps, avant de comparaître devant cet autre tribunal où elles seront jugées dans les corps ressuscités » (De l’âme et de son origine). Un sermon de Saint Cyrille d’Alexandrie précise les modalités de ce jugements par ce que la tradition rapporte sous le nom de « télonies ». Les télonies sont des sortes de péages spirituels. Macaire Boulgakov explique : « les télonies représentent la voie que doivent suivre nécessairement toutes les âmes humaines, bonnes ou méchantes, pour passer de la vie temporelle à leur éternelle destinée. En passant par ces diverses barrières, en présence des Anges et des démons, sans doute aussi sous l’œil du juge à qui rien n’est caché, chaque âme est examinée graduellement et minutieusement en toutes ses œuvres, bonnes et mauvaises. A la suite de ces examens successifs et détaillés de toute âme d’homme dans sa vie passée, les bonnes âmes qui ont été justifiées à toutes les télonies, sont élevées par les Anges de Dieu dans les demeures du paradis, ou bien que, les âmes pécheresses, retenues ici ou là pour quelque péché, les démons les entrainent, par sentence du juge invisible, dans les habitations ténébreuses ». On voit ici comme il est absurde de voir les anges comme des êtres facultatifs de la théologie du judaïsme d’avant Jésus.
Voyons maintenant ce que dit l’Eglise de la rétribution suite à ce jugement particulier : « Nous croyons que les âmes des morts sont dans la félicité ou dans la souffrance, selon leurs œuvres. Ces âmes, une fois séparées du corps, passent aussitôt à la joie ou à la tristesse et à la douleur. Ce n’est cependant là pour elles ni une félicité complète ni un tourment complet ; car il ne peut en être ainsi qu’après la résurrection universelle, quand l’âme sera réunie avec le corps dans lequel elle a vertueusement ou vicieusement vécu. » (Lettre des patriarches art 18). Les justes jouissent d’une double rétribution : la glorification au ciel et leur glorification sur la terre. Cette dernière se manifeste par l’honneur que l’Eglise sur terre donne à certains : vénération, invocation lors de prières, honneur par la vénération de reliques, représentation iconographiques. Les pécheurs quant à eux finissent dans la géhenne. A noter que les pécheurs peuvent voir leurs tourments soulagés ou carrément affranchis par les prières des gens encore vivants, réunis en Eglise ayant pour but justement de réduire les souffrances des âmes condamnées aux tourments. A noter une différence fondamentale avec la doctrine romaine du purgatoire : ce n’est pas la souffrance de l’âme qui lui permet de gagner la faveur divine, mais bien les prières salvifiques de l’Eglise. Il n’y a pas de purgatoire en théologie orthodoxe. Ce que les latins appellent purgatoire doit être vu de façon correcte comme l’enfer, mais non éternel, puisque précédant le jugement universel.
Ce jugement universel viendra en ce dernier jour, dont seul le Père connaît la date. Nous savons néanmoins que ce jour ne viendra pas avant que l’Evangile de Jésus Christ ait été prêché sur toute la terre, et que n’apparaisse l’Antéchrist, qui suscitera une terrible persécution contre les chrétiens. Puis après un règne de l’Antechrist de trois ans et demi, le Christ reviendra en gloire juger les vivants et les morts. Il y aura la résurrection générale des corps et le jugement dernier prélude à la béatitude éternelle ou à l’enfer éternel. Ce jugement universel concernera même les anges déchus.
Il y a ici une confusion assez importante faite sur le judaïsme d’avant Jésus et partiellement sur le judaïsme actuel. Il ne s’agit pas d’une religion de salut. On a souvent pris pour une polémique de Saint Paul à l’encontre de la Loi de Moïse son attitude consistant à dire qu’elle ne sauve pas. Mais c’est une vérité théologique et pas une polémique théologique. La Loi de Moïse ne sauve pas et même certains passages du Talmud aujourd’hui confirment cette vision, notamment un passage frappant ayant trait aux conversions, et qui rappelle au candidat à la conversion que l’observance de la loi ne sauve pas, mais que son non-respect est puni de mort. On veut donc bien vérifier que la personne a compris qu’elle rentre dans quel chose de très particulier et qui ne sauve pas. Ainsi, cette idée sous-jacente à tout le propos de monsieur delesquen s’effondre : Dieu n’est pas passé d’un salut offert à tous à un salut offert seulement à un peuple. Dieu a enfermé un seul peuple dans l’obéissance à une loi qui ne sauve pas. Ce n’est pas forcément un statut enviable que de devoir suivre plein de prescriptions, pour rien du point de vue du salut. C’est comme travailler pour rien. C’est pour cela que la loi est appelé esclavage ou malédiction. A la limite on peut concéder une diminution de la connaissance de la vérité de l’universel au particularisme ethnique, mais selon le narratif biblique, il s’agit de quelque chose qui avait été perdu et conservé uniquement au niveau des patriarches, Abraham représentant une sorte de nouveau départ.
Antériorité de l’Avesta sur la Bible
C’est un des passages les plus compliqués à comprendre dans l’argumentaire de deLesquen. Il avance la date de -800 à -1200 pour l’Avesta qui est une sorte de Bible pour le zoroastrisme. Mais de quelle antériorité parle-t-on ici puisque Moïse est antérieur de plusieurs siècles à cela si l’Avesta date de -800, et Bible et Avesta sont d’une antiquité équivalente pour -1200. et donc les premiers livres de la Bible sont bien antérieurs ou tout aussi anciens que l’Avesta. Alors comment un livre commencé au mieux en même temps et au pire 4 siècles plus tard peut-il déboucher sur une influence et une filiation théologique ? Imaginons qu’il y ait une influence. Elle ne pourrait être que sur les livres postérieurs à l’exil, qui existent mais qui sont peu nombreux dans l’AT.
Effectivement l’Ecriture traite des perses dans ces trois livres là (Esther, Néhémie et Esdras), puisque le contexte historique l’impose. Difficile de parler de l’Exode sans parler de l’Egypte, ou d’imaginer le NT sans les romains. La figure de l’empereur perse Cyrus est montrée de façon positive puisqu’il rend aux juifs leur liberté, et l’écriture le qualifie même de oint de Dieu, de Messie, sans que cela ait bien sûr la signification que ce qui est en jeu avec Jésus de Nazareth. La tradition orale d’Israël (antérieure au Christ) qui est ensuite passée dans certains synaxaires orthodoxes témoigne de la domination de 4 empires sur le monde, chacun étant le lieu d’une façon de voiler Dieu et la révélation faite aux hommes. Ces quatre empires sont Babylone, la Perse, la Grèce et Rome. Ainsi la Perse de l’époque antérieure au Christianisme, à part l’épisode heureux d’avec Cyrus n’est pas vue de façon positive. Il s’agit d’un empire puissant, qui impose sa force et dont il n’est jamais précisé une proximité théologique. Ces liens supposés dont monsieur deLesquen se veut l’avocat n’existent pas dans la Tradition de l’Eglise d’avant le Christ ou dans celle de l’Eglise d’après le Christ.
Comment la Bible a été constituée ?
On en arrive ici à l’argument classique de ceux qui veulent défendre une autre réalité : la falsification du texte. Car, bien évidemment, le texte ne dit pas ce que dit monsieur deLesquen. Donc le texte a tort. Connaissant le parcours de monsieur de Lesquen, on pourra s’amuser de le voir utiliser les arguments classiques des musulmans, qui nous accusent d’avoir falsifié les textes, afin de ne pas coller à la vision musulmane. Ici, toute une partie de la Bible a été falsifiée, dans le corpus vétérotestamentaire pour ne pas coller avec la théorie zoroastrienne.
Profitons des remarques de notre conférencier pour préciser deux choses. Répondons d’abord à la question : comment la Bible a-t-elle été constituée ? la chose trompeuse sur laquelle il joue est que la Bible est une collection de livres dont la rédaction s’étale sur des siècles. Donc, évidemment, dans sa version finalisée inchangée actuelle, elle est bien plus récente que le zoroastrisme. Mais si l’on comprend qu’il s’agit de livres qui se rédigent, puis qui par autorité rentrent dans la composition du corpus, on comprend aisément que la théorie de deLesquen est plus qu’improbable. Ainsi les 5 premiers livres, la Torah en hébreu ou Pentateuque dans le monde juif hellénistique puis plus tard chrétien, sont rédigés par Moïse, probablement bien avant que Zoroastre ne soit né, ou au mieux en même temps. Nous sommes vers -1250 avant le Christ, environ. Puis se rédigent les livres de Josué, des Juges, etc. Et ainsi de suite, au fur et à mesure que l’histoire s’écrit, s’écrit également la Bible, où les auteurs, inspirés par l’Esprit Saint vont rétrospectivement expliquer l’action de Dieu dans l’histoire de ce peuple qu’il a choisi. C’est ainsi que la Bible a été formée. Passons maintenant à la théorie de la falsification pour voir si elle résiste à la logique élémentaire. On nous dit, si j’ai bien compris, que les hébreux étaient donc en fait un peuple polythéiste, qui devait donc adorer toute une multitude de dieux pour la pluie, les récoltes, la mer, le ciel et ainsi de suite. Et Esdras, pour une raison assez étonnante, que j’ai du mal à saisir, ne leur parle pas du zoroastrisme, mais invente une religion de toute pièce, le judaïsme, qui est une adaptation du zoroastrisme pour les hébreux. On ne nous précise pas jusqu’où va la falsification, mais puisque Moïse est le prophète initial du monothéisme, on imagine que Moïse, en tout cas le Moïse de la Bible, est avant tout une fiction historique. Et c’est là que cela n’est plus jouable. Autant vous pouvez mentir à des enfants et leur raconter un tout autre passé, cela est plus compliqué avec des adultes qui connaissent la version alternative, qu’on appellera vérité. Pourquoi ces juifs polythéistes accepteraient tout d’un coup, de changer leur passé ? Comment Esdras a réussi à les convaincre de modifier leur passé ? Ces polythéistes n’ont-ils pas été effrayés de renoncer ainsi à leurs dieux anciens pour ce nouveau Dieu unique ? Tous les juifs n’étaient pas forcément en exil à Babylone. Comment ont-ils pu accepter ce nouveau passé lors de futures rencontres avec des juifs babyloniens ? La falsification du passé lointain peut à la rigueur être possible mais le passé immédiat devient compliqué. On voit que, comme pour la falsification musulmane, cela est intenable du point de vue de la relation des gens à leur passé. Un point aggravant : la Loi de Moïse. Comment convaincre des gens de devoir obéir à une Loi qui devient alors complètement fictive et inventée ? Comment dire aux gens : vous faites cela depuis des siècles si la veille ils ne le faisaient pas ? Comment dire à des gens que leurs prières sont ces prières particulières ? Comment changer leurs habitudes alimentaires, vestimentaires ? On sait à quel point la loi de Moïse est contraignante, et ceci dans tous les aspects de l’existence. Il semble donc hautement improbable, voire impossible de faire croire à des gens qu’ils ont reçu il y a des siècles en arrière cette loi qui scelle une alliance avec un unique Dieu, si cet événement est totalement fictif et absent de leur passé et de leur histoire collective en tant que peuple. Expliquer aux juifs qu’ils sont en exil à Babylone parce qu’ils n’ont pas respecté les termes d’une alliance fictive semble tout à fait improbable à réaliser. Le plus simple est que les juifs ont bien scellé une alliance avec le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, et que dans ce cadre ils ont déplu à Dieu.
Transposition du Dieu unique en Dieu ethnique
Affirmer qu’il n’y a pas de judaïsme avant le zoroastrisme n’est pas la même chose que de le démontrer. C’est une théorie assez récente, due aux approches universitaires et philologiques. Je le répète, même si cela n’a pas valeur de preuve en soi pour des personnes lambda en dehors de l’Eglise : les milieux universitaires n’ont pas autorité dans l’Eglise. Un titulaire d’un doctorat sur cette thèse-là n’est jamais qu’un hérétique diplômé. Cela peut impressionner le chrétien fragile dans sa foi, mais cela ne doit pas impressionner outre mesure : la tradition est ce que nous avons reçu du Christ. Ceci n’est pas ce que nous avons reçu. Pour le Christ, la Loi est celle de Moïse. Le Christ fait toujours référence à cette loi précise, et jamais ne fait référence à des éléments de doctrine extérieurs. Soutenir que le Christ, dans son omniscience divine, n’avait pas perçu que la loi de Moïse était une forgerie historique pour adapter le zoroastrisme aux hébreux me semble tout à fait problématique. DeLesquen réalise ici une inversion historique complète. Il constate ce particularisme juif très puissant et il en déduit que l’adaptation du zoroastrisme imposait de passer du dieu unique au dieu ethnique. Mais c’est l’inverse. C’est parce que les juifs ont passé alliance avec le Dieu unique, qu’ils sont devenus exclusivistes du point de vue ethnique. Cela se comprend mieux de ce point de vue-là. Un peuple très conservateur sur le plan ethnique pourrait très bien être polythéiste. Mais c’est parce qu’ils étaient monothéistes, entourés de polythéistes, qu’ils avaient souci de ne pas se mélanger avec d’autres polythéistes, vus, à juste titre comme idolâtres.
Ensuite il y a un jugement de valeur : la transposition est « maladroite ». La maladresse ici est plutôt chez Monsieur de Lesquen. En effet, si on parcourt la littérature zoroastrienne et l’Avesta en règle générale, cela est peut-être dû aux traductions, mais ce n’est pas forcément l’extase spirituelle ou littéraire. Les prières sont simplistes. Rien à voir avec le feu prophétique, avec la détresse du psalmiste. Donc en terme de maladresse, je ne sais pas trop ce que l’on peut reprocher au judaïsme d’avant le Christ quand on voit le zoroastrisme. L’hésitation sur le nom est plutôt une méconnaissance de monsieur de Lesquen. On se demande bien pourquoi Jésus nous enjoint à sanctifier le Nom de Dieu si ce nom n’a pas quelque chose de particulier. Rappelons-nous que dans la prière centrale de la vie chrétienne, le nôtre Père, Jésus nous appelle à sanctifier le Nom, pas à sanctifier Dieu, mais bien son Nom. Je vous renvoie ici aux billets de cours de Bible où nous avons abordé les notions de sanctification (pour le septième jour de la création) et de bénédiction (pour le cinquième jour de la création). Disons rapidement pour les impatients ou ceux qui voudraient en rester à cette unique réfutation, que dans la langue sainte qu’est l’hébreu, le nom des choses détermine leur essence profonde. Savoir le nom de quelque chose ou de quelqu’un c’est déjà un peu savoir ce qu’il est. Or Dieu est le tout autre, le tout mystère, le tout inconnaissable. Ainsi son nom, ou plutôt ses noms – puisque Dieu a plusieurs noms dans la Bible – relèvent de cette difficulté à connaître l’essence profonde de Dieu. Cette hésitation que croit discerner monsieur de Lesquen, n’est jamais qu’un enseignement profond sur notre impossibilité de réellement connaître Dieu. On voit ici que le zoroastrisme nous apparaît finalement simpliste et bien en deçà.
Les anthropomorphismes de la Genèse comme preuves de la maladresse
Pour ce qui est de l’anthropomorphisme du repos, monsieur de Lesquen semble pourtant connaître la patristique, puisqu’il cite Tertullien. Mais a-t-il lu les nombreux commentaires patristiques qui justement expliquent qu’il ne faut pas tomber dans l’écueil d’une lecture qui laisserait croire à ce genre d’anthropomorphisme ? La tradition de l’Eglise est très claire à ce sujet. Le problème n’est donc pas celui du livre mais bien celui du lecteur. Je renvoie également à notre cours biblique sur le septième jour où ceci est expliqué plus en détail.
Monsieur deLesquen croit ensuite bon de devoir distinguer les alliances de l’AT et du NT. Certes elles sont bien différentes, mais il convient de considérer que la notion d’alliance traverse tout le biblique. Que l’alliance mosaïque et celle avec le Christ soit bien différentes dans leurs termes n’y change rien : les deux sont bel et bien des alliances. Et justement, ce que nous explique Saint Paul, est que les alliances du passé sont une préparation, une annonce à la dernière alliance en Christ. Alliance parfaite, qui rend absurde le fait de rester bloqué dans une précédente alliance, et qui rend grotesque de vouloir adhérer à une autre prétendue alliance ultérieure.
Monsieur de Lesquen introduit le concept d’Hénothéisme et tout son propos est de dire que zoroastrisme ou judaïsme, nous avons à faire en fait à deux hénothéismes. Définissons d’abord le concept. L’hénothéisme est le fait, dans un contexte polythéiste, de rendre un culte particulièrement appuyé, voire exclusif à un des dieux du panthéon au détriment des autres. L’accusation d’Hénothéisme à l’encontre du judaïsme d’avant le Christ est une accusation finalement assez récente, formulée par Thomas Röhmer, un bibliste d’académie. Je ne vais pas revenir sur les problèmes d’autorité en Eglise. Thomas Röhmer, avec 30 siècles d’écart a découvert quelque chose qui avait échappé à tous. Ne nous laissons pas impressionner par ces petites plaisanteries académiques sans intérêt. Cela signifie-t-il que nous ne consultons jamais le monde académique ? Bien sûr que non. Le monde académique est intéressant quand nous voulons une précision historique, linguistique. Mais tout ceci doit toujours être soumis à un examen au travers de la tradition de l’Eglise. Et c’est cela qui a très clairement manqué à monsieur de Lesquen.
Regression de l’universel à l’unique et problème de la violence
La régression de l’universel à l’unique ne peut pas être logiquement imputée aux juifs. Ce n’est pas leur faute, si dans le monde antique, personne d’autres qu’eux n’étaient dans la vérité. Saint Paul rappelle ceci dans son épitre aux éphésiens, s’adressant à des non juifs : « souvenez-vous que vous étiez en ce temps-là sans Christ, privés du droit de cité en Israël, étrangers aux alliances de la promesse, sans espérance et sans Dieu dans le monde. » (Eph 2:12). Doit-on donc le reprocher à Dieu ? Doit-on reprocher à Dieu de ne s’être adressé qu’à un peuple ? Je ne m’aventurerai pas sur ce terrain plutôt glissant. Doit-on considérer que les lettres de Saint Paul aux gentils ne concernaient pas les zoroastriens, déjà dans une forme d’alliance parallèle ? Il y a ici deux attitudes à avoir : soit on considère que zoroastre est un authentique prophète et qu’il a véritablement reçu une révélation à caractère universel, et en ce cas je conçois que l’alliance avec Abraham puis avec Moïse ait un caractère moins universel. Mais comme disait quelqu’un, on juge un arbre à ses fruits. Le zoroastrisme n’a jamais conservé son monothéisme de façon stricte, contrairement au judaïsme. Le zoroastrisme nous est présenté monothéiste, via une réforme religieuse hénothéiste au sein d’un polythéisme. Tout ceci est compliqué et est un échec historique. Si cela n’a pas tenu, c’est que cela n’était pas de Dieu. Dans le judaïsme, cela a tenu. Ainsi un échec dans l’universel et une réussite dans l’unique devrait inviter monsieur deLesquen à un peu de pragmatisme. Ce qui n’a pas marché était humain et ce qui a fonctionné était divin.
Répondons brièvement à cette accusation grotesque de crimes contre l’humanité. Lorsque Dieu prend la vie de quelqu’un via un guerrier hébreu c’est inacceptable, mais lorsque la mort survient naturellement, ou par la maladie, ou par un accident, cela devient alors acceptable ? La peste noire oui, Moïse non !! Quelle est donc cette souveraineté à géométrie variable ? Au moins les athées nietzschéens ont la superbe d’accuser Dieu globalement. Cette révolte de monsieur delesquen manque de hauteur, et de recul.
Toute la séquence sur la violence est très intéressante. Si vous y prêtez bien attention, Henri deLesquen juge Dieu. C’est une position arrogante assez classique chez les athées, mais plus curieuse chez les croyants, chrétiens de surcroît. Normalement, on ne se permet pas de juger Dieu. C’est le minimum de l’intelligence et de la sagesse. L’intelligence commande de ne pas juger Dieu parce que l’on a pas les mêmes capacités, ni la même compréhension. Il est absurde du point de vue de l’intelligence d’exprimer une opinion sur ce que fait Dieu. On peut déclarer ne pas comprendre, mais condamner ? Et sur quelle morale se base Henri de Lesquen pour juger Dieu ? Sur une morale chrétienne ? En ce cas il emprunte à Dieu pour condamner le même Dieu. C’est absurde. Et puis il y a un problème de sagesse. La sagesse issue de l’AT nous apprend que la crainte de Dieu n’est pas un vain mot. Je ne ressens pas beaucoup de crainte dans ce commentaire de l’AT par Monsieur de Lesquen.
Reste le problème de la violence, qui semble en effet introduire une bizarrerie dans le fait de considérer qu’un Dieu d’amour puisse ordonner de pareilles choses. Mais il y a deux attitudes à partir de cela. Soit on conclue que cela ne peut pas être le même Dieu, et en ce cas on tombe cliniquement dans l’hérésie. Ou bien on conclue que c’est le même Dieu et qu’on ne comprend pas. C’est normal de ne pas comprendre. C’est humain de ne pas comprendre. Mais conclure que cela est faux. Que cela ne peut pas être le même Dieu est une conclusion non recevable. Nous ferons des billets proposant une explication de la violence de l’AT. Reprendre tous les éléments serait beaucoup trop long ici. Mais sachez qu’il existe des explications, même dans le sens littéral. Je ferai des billets spécifiquement sur ce sujet.
Qualifier le décalogue de régression morale est presque une provocation. Les historiens s’accordent à dire, et monsieur deLesquen lui-même témoigne que le zoroastrisme n’est pas une religion de compassion, mais une religion de justice. La justice implique le châtiment. Dans l’AT se côtoient des choses violentes, nous ne le nions pas, mais également des passages de miséricorde et de compassion. Donc il est plus que bizarre de parler de régression par rapport à une supposée filiation zoroastrienne. La régression dont parle Mr de Lesquen, c’est l’exclusivisme de la relation entre Dieu et son peuple. Ce que Monsieur de Lesquen ne supporte pas, est que Dieu s’adresse aux juifs et exclusivement aux juifs. En fait on voit qu’il y a ici une profonde incompréhension du plan de salut de Dieu et du rôle de l’épisode « Israël » dans ce plan de salut. Monsieur de Lesquen ne voit pas pourquoi Dieu passe une alliance avec les juifs. Cet exclusivisme est un problème pour sa soif d’universalisme. Peut-être que Monsieur de Lesquen sait mieux que Dieu, comment Dieu doit sauver l’homme ? Pourtant, le plan de Dieu relativement aux juifs se comprend à la lumière de ce que nous enseigne spécifiquement le NT et plus précisément Saint Paul. Les juifs ont été le symbole de l’humanité toute entière. Depuis la faute originelle, toute l’humanité était sous le règne du péché et de la mort. Il faut bien saisir la dimension symbolique du fonctionnement du monde. Cette compréhension profonde de ce qu’est un symbole permet de comprendre en essence la liturgie, et surtout la liturgie eucharistique. Un symbole, et c’est ainsi que Dieu a créé son monde, permet soit de relier deux réalités soit de substituer une réalité à une autre. Si vous êtes chrétien, vous adhérez au principe du symbole. En effet, le Christ prend vos péchés sur la Croix. Si vous croyez cela, et c’est une partie non négociable de la doctrine chrétienne, vous considérez que le Christ est un symbole de chaque chrétien. Le Christ se substitue symboliquement à chaque chrétien et encoure à notre place la sanction que la justice demande. Ici, le terme symboliquement ne doit pas s’entendre comme synonyme d’allégoriquement mais bien au sens antique, chrétien, liturgique. Le peuple juif était symbole de l’humanité toute entière. La loi de Moïse était symbole de l’esclavage du péché. Il était donc normal que le Christ vienne dans ce peuple et se soumette intégralement à cette loi, pour être un symbole de tout homme intégralement esclave du péché. Donc, en ne s’adressant qu’aux juifs, Dieu se prépare à s’adresser à tous les hommes. Dieu en libérant les hébreux d’Egypte se prépare à libérer tous les hommes de l’esclavage. Donc Henri de Lesquen a visiblement perdu cette vision d’ensemble. Il imagine que le christianisme renoue avec le zoroastrisme. Mais le Christianisme a ceci d’unique dans toutes les religions : la grâce. Nous sommes une religion de la grâce. C’est malgré nos péchés, malgré nos limitations, que Dieu nous sauve. Nous ne méritons pas d’être sauvé. Mais pourtant Dieu nous offre le salut. Et nous sommes libres de l’accepter. En cela, le christianisme ne renoue avec rien. Il est absolument unique. Le zoroastrisme a quelques points communs, certes mais ici nous ne renouons avec rien. Le christianisme ne renoue pas avec le zoroastrisme. Il accomplit tout ce qu’a annoncé le judaïsme.
Ce qui manque au Zoroastrisme et qui ne se trouverait que dans le Christianisme
La posture de monsieur de Lesquen est de dire que ce qui manque au zoroastrisme est dans le christianisme et pas dans le judaïsme. Ici le mot judaïsme est piégé. On peut y mettre deux significations : soit ce qui sort de la révélation du Sinaï et qui fonde tout l’AT, soit la partie issue de cette révélation mais qui s’est enfermée dans l’erreur et l’aveuglement en rejetant le Christ. Si le second rejette la croix et la trinité, la partie sur le péché originel demande à être détaillée, et les choses sont un peu plus compliquées si l’on considère le judaïsme dans le premier sens du terme. Pour la clarté de l’exposé nous appellerons judaïsme mosaïque le premier et judaïsme rabbinique pharisien le second. L’articulation du péché originel dans le judaïsme mosaïque est difficile à estimer. Mais si l’on connait la position du judaïsme rabbinique pharisien sur le péché originel, alors tout devient, à mon sens relativement clair. Les rabbins actuels considèrent que la faute d’Adam et Eve au jardin d’Eden a eu une importance absolument colossale, avec des répercussions cosmiques. Là où aujourd’hui juifs et chrétiens se séparent est sur deux plans : que devient l’homme et comment réparer ? Pour les rabbins pharisiens actuels, l’homme, par ses propres mérites, sa foi et sa propre observance des commandements de la Loi, peut se justifier devant Dieu. Pour les chrétiens, cette démarche est parfaitement illusoire, et seul le sang du Christ peut amener la kappara, la purification nécessaire pour arriver sans tâche devant le trône divin. Ainsi, il me semble tout à fait correct de dire, que le péché originel, totalement absent du zoroastrisme était déjà présent dans le judaïsme mosaïque sans que l’on puisse vraiment savoir si il était plus proche de la version rabbinique actuelle ou de la version chrétienne. Le caractère de continuité et de transmission traditionnelle nous amène à considérer que la doctrine du péché originel était la version chrétienne et que c’était cette approche qui a fondé cette attente du Messie. Le problème de la Croix n’est pas une bonne formulation. Disons qu’il n’y a pas, dans le zoroastrisme, de sacrifice du juste en place du pécheur. Je ne citerai qu’Isaïe 53 pour montrer que déjà par la bouche des prophètes d’Israël il était très clair que la mort du juste pouvait avoir un effet positif sur la destinée des pécheurs. Deuxième point absolument fondamental, où le zoroastrisme se trouve court tandis que le judaïsme mosaïque montre bien cette continuité et cet accomplissement.
Pour la Sainte Trinité, le zoroastrisme n’a rien, nous dit monsieur de Lesquen, dont acte. Le judaïsme mosaïque n’a pas la plénitude de la doctrine trinitaire bien entendu, mais le livre de Daniel a fondé ce que les spécialistes du judaïsme intertestamentaire appellent le binitarisme. En effet dans Daniel 7 on voit clairement deux figures divines et distinctes. Vous pouvez vous référer aux travaux académiques de Daniel Boyarin, un juif orthodoxe qui est le plus avancé et honnête sur le sujet. Donc on retrouve bien ici l’AT en préparation de l’apothéose du NT.
Enfin, l’approche de la justice et de la miséricorde. Le zoroastrisme n’est pas une religion du pardon et de la miséricorde. Mais encore une fois, comment monsieur de Lesquen lit-il l’AT ? Se souvient-il des passages dans les psaumes, dans la Torah, chez les prophètes, dans les livres sapientiaux, ces constants appels à la miséricorde et au pardon entre les hommes, et les supplications envoyées à Dieu. Dieu détruit Sodome, mais Abraham nous apprend à ce moment-là que s’il avait existé dans cette ville de scélérats ne serait-ce que 10 personnes justes, tous les autres auraient survécus. La justice divine est intimement liée à la miséricorde divine. Et encore une fois la continuité entre AT et NT est parfaitement harmonieuse. Nous n’avons aucun besoin du zoroastrisme pour faire naître le Christianisme.
Bien sûr que l’on doit se choquer de cette filiation. Elle est totalement fausse et c’est une sorte de crypto marcionisme. Monsieur delesquen devrait trouver étonnant de se retrouver aux côtés de Voltaire ou Nietzsche, qui ne sont pas vraiment de grands amis de l’Eglise, pour chanter les louanges de ce « prophète ». Ne répondons même pas sur le cardinal catholique romain conciliaire. Rappelons simplement qu’il fut au cœur du concile Vatican 2, et qu’il abandonna l’alliance traditionnelle avec les conservateurs autrichiens pour y préférer les protestants, les juifs, les libéraux et les intellectuels de gauche. On a tout de suite envie d’écouter ce genre de cardinal, si engagé dans le dialogue œcuménique.
On nous dit que Justin Martyr reconnaissait que l’Esprit Saint avait pu parler à des non-juifs. Même la Bible le dit. Il est donc normal que Justin le confesse ainsi. La question est : Zoroastre peut-il être qualifié de prophète ? Et cela nous renvoie à la notion de prophète. Qu’est-ce qu’un prophète ? Souvent, le monde profane confond le prophète avec le voyant, avec celui qui peut prédire l’avenir. Mais ceci est au final une toute petite part de la tâche du prophète biblique. Et certains n’ont pas prédit l’avenir du tout si on en reste au texte biblique. Un prophète est celui qui sert de bouche à Dieu. Il dit ce que Dieu a à dire. Et cela ne concerne pas forcément le futur. Cela concerne surtout le présent du moment de l’acte prophétique. La plupart du temps les prophètes ont eu pour tâche de rappeler à Israël qu’ils avaient scellé une alliance avec Dieu, et qu’ils étaient en train de trahir cette alliance. Donc le prophète dit ce que Dieu veut qu’il dise. Le Credo nous le dit bien : « l’Esprit Saint a parlé par les prophètes ». Il ne s’agit pas tant de prédiction du futur que de discours au sens large. La Bible nous montre deux choses : il n’y a pas de souci à ce qu’un prophète s’adresse à des non juifs (exemple de Jonas avec Ninive) et il n’y a pas non plus de souci à ce que Dieu parle avec des non juifs, bien évidemment. Ex de la Genèse où Dieu parle avec Abimelek pour le menacer par rapport à Sarah. Mais est-ce qu’il existe des prophètes non juifs ? Balaam me semble un bon exemple de cela. C’est un personnage important du livre des Nombres qui va parler pour Dieu : « Balaam vit que l’Éternel trouvait bon de bénir Israël, et il n’alla point comme les autres fois, à la rencontre des enchantements; mais il tourna son visage du côté du désert. Balaam leva les yeux, et vit Israël campé selon ses tribus. Alors l’esprit de Dieu fut sur lui. Balaam prononça son oracle, et dit: Parole de Balaam, fils de Beor, Parole de l’homme qui a l’oeil ouvert, Parole de celui qui entend les paroles de Dieu, De celui qui voit la vision du Tout Puissant, De celui qui se prosterne et dont les yeux s’ouvrent. Qu’elles sont belles, tes tentes, ô Jacob! Tes demeures, ô Israël! Elles s’étendent comme des vallées, Comme des jardins près d’un fleuve, Comme des aloès que l’Éternel a plantés, Comme des cèdres le long des eaux. L’eau coule de ses seaux, Et sa semence est fécondée par d’abondantes eaux. Son roi s’élève au-dessus d’Agag, Et son royaume devient puissant. Dieu l’a fait sortir d’Égypte, Il est pour lui comme la vigueur du buffle. Il dévore les nations qui s’élèvent contre lui, Il brise leurs os, et les abat de ses flèches. Il ploie les genoux, il se couche comme un lion, comme une lionne: Qui le fera lever? Béni soit quiconque te bénira, Et maudit soit quiconque te maudira! » (Nb 24 :1-9)
Donc on peut avoir des prophètes non juifs, cela ne pose pas de problème. Mais cela ne permet bien sûr pas de dire que Zoroastre est un authentique prophète de Dieu, quelqu’un qui a dit ce que Dieu voulait dire.
Je pose une question à monsieur deLesquen : pourquoi Luc écrit-il « Alors Jésus leur dit: O hommes sans intelligence, et dont le cœur est lent à croire tout ce qu’ont dit les prophètes! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses, et qu’il entrât dans sa gloire? Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait. » (Luc 24 :25-27). Pourquoi le Christ considère-t-il que le début est Moïse si il y a eu quelque chose avant ? Notez bien le texte « commençant par Moïse ». Pas « commençant par Zoroastre ». Le Christ considère que Moïse est le début. CQFD.
Le plus probable est que Zoroastre avait des résidus de tradition primordiale, de ce christianisme des origines dont a parlé Augustin. Il ne faut pas confondre celui qui connait et celui qui reçoit la révélation. On peut à la rigueur suivre monsieur de Lesquen en disant aux adeptes actuels de zoroastre, de ne pas faire la même erreur que les juifs aujourd’hui : ne restez pas dans une phase historique totalement décalée avec le plan de Dieu. Le Christ est venu, est mort et est ressuscité. Il est LE chemin, LA vérité, LA vie.
Les mages de l’Evangile de Matthieu étaient-ils prêtres de Zoroastre ?
Il y a ici une malheureuse confusion sur les termes. Monsieur de Lesquen part du principe que le terme « mage » a gardé la même signification au cours des âges. Il est vrai que les prêtres de Zoroastre étaient appelés des mages. Mais de là à dire que les mages que nous voyons dans le NT chez Matthieu, apporter l’or l’encens et la myrrhe à Jésus nouveau-né à Bethléem sont des disciples de Zoroastre… c’est plus qu’audacieux. Non pas que cela nous gène théologiquement d’avoir des prêtres d’une fausse religion venir à la vraie religion. C’est plutôt une source de joie de voir quelqu’un quitter l’erreur pour rejoindre la vérité. Mais si Hérodote appelle ainsi les prêtres de Zoroastre, les références académiques dont se nourrit monsieur de Lesquen nous précisent que les mages sont un terme de fait plus large, et qui désigne comment étaient appelés les sages, les enseignants, les prêtres, les physiciens, les astrologues, les voyants, les devins et les sorciers par les chaldéens, les mèdes ou les perses. Ainsi réduire ces visiteurs à des prêtres de Zoroastre est très orienté. D’ailleurs monsieur delesquen oublie de préciser que le livre des actes, utilise le même mot grec « magos » pour le passage suivant : « Ayant ensuite traversé toute l’île jusqu’à Paphos, ils trouvèrent un certain magicien, faux prophète juif, nommé Bar Jésus, qui était avec le proconsul Sergius Paulus, homme intelligent. Ce dernier fit appeler Barnabas et Saul, et manifesta le désir d’entendre la parole de Dieu. Mais Élymas, le magicien, -car c’est ce que signifie son nom, -leur faisait opposition, cherchant à détourner de la foi le proconsul. Alors Saul, appelé aussi Paul, rempli du Saint Esprit, fixa les regards sur lui, et dit: Homme plein de toute espèce de ruse et de fraude, fils du diable, ennemi de toute justice, ne cesseras-tu point de pervertir les voies droites du Seigneur? Maintenant voici, la main du Seigneur est sur toi, tu seras aveugle, et pour un temps tu ne verras pas le soleil. Aussitôt l’obscurité et les ténèbres tombèrent sur lui, et il cherchait, en tâtonnant, des personnes pour le guider. Alors le proconsul, voyant ce qui était arrivé, crut, étant frappé de la doctrine du Seigneur. » (Act 13 :6-12). Ici un magicien est un faux prophète juif, donc exactement un élément intenable pour toute la théorie de deLesquen sur les mages.
Enfin si l’on consulte les commentaires patristiques, la notion de roi-mage n’est pas majoritaire contrairement à ce que dit Henri de Lesquen. Regardez par exemple ce commentaire de Saint Jean Chrysostome sur ce passage de l’Evangile de Matthieu parlant des mages : « Et pourquoi, pourrait-on dire, les a-t-il attirés par une telle vision ? Pourquoi, comment aurait-il dû faire ? Envoyer des prophètes ? Mais les mages ne se seraient pas soumis aux prophètes. A prononcer une voix d’en haut? Non, ils n’auraient pas assisté. Envoyer un ange ? Mais même lui, ils ne se seraient précipités. Et donc pour cette cause rejetant tous ces moyens, Dieu les appelle par les choses qui sont familières, dans une condescendance excessive ; et Il montre une grande et extraordinaire étoile, de manière à les étonner, à la fois par la grandeur et la beauté de son apparence, et la manière de son cours. ». Pour le divin commentateur de Constantinople dont Thomas d’Aquin disait que son commentaire de Matthieu valait mieux que tous les savoirs des académies de son époque, les mages ne sont pas dans une démarche liée à de l’activité prophétique. Ils ne sont donc clairement pas des prêtres de zoroastre, que Monsieur de Lesquen voit comme prophète primordial
Soyons clairs. Nous n’avons que faire des raisons scientifiques, que ce soit pour reconnaître ou ne pas reconnaître la filiation entre zoroastrisme et christianisme. Les exégètes chrétiens et même juifs ne sont pas mal à l’aise. Il n’en parlent pas parce que cette théorie est absurde. Zoroastre n’était pas un prophète de Dieu. Il ne s’inscrit pas harmonieusement dans le plan divin décrit par la Bible. Jésus parlait de Moïse. Jésus citait l’AT. Jésus n’a jamais parlé de Zoroastre. Jésus n’a jamais rien envisagé en dehors de la lignée de l’AT. C’est ça l’esprit des textes. St Paul ne polémique pas avec l’AT pour laisser la place au zoroastrisme. Saint Paul polémique avec ceux qui n’ont pas compris la loi, son objet, son étendue, son utilité. Comme monsieur de Lesquen est très mal à l’aise avec l’AT, il cherche à le remplacer avec autre chose qu’il comprend mieux. Mais ne pas comprendre Dieu dans l’AT, et dans le NT d’ailleurs, est plutôt rassurant. Dieu ne s’enferme pas dans une boîte qui correspond à nos schémas mentaux. Il y a toujours quelque chose qui ne marche pas complètement. Pourquoi ? Parce que si nous disons que nous comprenons Dieu, son plan, son action, sa pensée, alors ce n’est plus Dieu.