La violence dans l’Ancien Testament


Ce billet va tenter d’aborder l’épineux problème de la violence dans l’AT. Si on devait poser la question crûment, ce serait : Dieu est-il un monstre moral ? Richard Dawkins, le célèbre biologiste évolutionniste, dans le fameux livre « the God delusion, l’illusion de Dieu », dont l’athéisme n’a rien à envier au traité d’athéologie de Michel Onfray, écrit sur le Dieu de l’AT la phrase suivante : « « Le Dieu de l’Ancien Testament est sans doute le plus déplaisant personnage de fiction : jaloux et fier de lui ; un maniaque du contrôle mesquin, injuste et impitoyable ; un nettoyeur ethnique vindicatif et sanguinaire ; un tyran misogyne, homophobe, raciste, infanticide, génocidaire, filicide, pestilentiel, mégalomane, sadomasochiste, capricieusement malveillant. ». Nous autres chrétiens avons tout de même du mal à bien appliquer à notre lecture les dogmes le plus fondamentaux du Christianisme. Si je dis à un auditoire chrétien : c’est le Christ, Dieu incarné, qui a sauvé la femme adultère de la lapidation, je ne pose de problème à personne. Si je dis, c’est aussi le Christ, vu comme Dieu mais avant son incarnation, qui a donné la loi à Moïse sur le mont Sinaï, loi qui commandait justement la lapidation d’une personne adultère, par expérience je sais que je pose quelques problèmes à quelques personnes, chrétiens sincères, qui sont venus au Christ justement pour sa bonté manifeste vis-à-vis de la femme adultère, et pas du tout pour la loi. Souvent la pirouette est de dire : oui c’est vrai, mais la Loi, tout ça maintenant, c’est terminé. Certes. Mais il n’en reste pas moins que c’est lui qui a donné cette loi. Et si je dis, c’est le Christ, encore une fois Dieu avant son incarnation, mais rigoureusement et exactement le même Dieu, qui a commandé aux hébreux de tuer des populations entières, alors là, la plupart des chrétiens vont vouloir se distancier de ces textes. Pourtant, comme Saint Pierre nous le demande dans sa lettre, nous devons tous être prêt à fournir une apologie face à n’importe quelle question, pour défendre la foi. 1 Pi 3 :15 « Mais sanctifiez dans vos cœurs Christ le Seigneur, étant toujours prêts à vous défendre, avec douceur et respect, devant quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous, » Pierre ne demande pas la distanciation. Pierre demande une réponse. Les athées par milliers (millions ?) demandent une réponse.

Il y avait pourtant plusieurs réponses que nous pouvions faire. Tout en restant sur le plan littéral.

Dieu coupable d’être auto-centré et orgueilleux


Commençons en douceur avec l’accusation de manque d’humilité de Dieu. Les accusateurs reprochent à Dieu un exclusivisme auto-centré, en voulant systématiquement détruire et surpasser les autres dieux, voulant à tout prix être le seul, détruisant le consensus polythéiste garant de la paix et de l’équilibre dans le monde antique. On a envie ici d’invectiver le psalmiste disant « Nos pères en Égypte ne furent pas attentifs à tes miracles, Ils ne se rappelèrent pas la multitude de tes grâces, Ils furent rebelles près de la mer, près de la mer Rouge. Mais il les sauva à cause de son nom, Pour manifester sa puissance. » (ps 106 :7-8) : ne pouvais-tu pas Dieu les sauver par amour des hommes ? Fallait-il que tu les sauvas pour montrer ta puissance, ta gloire ? C’est ce que nous sommes pour toi ?

La définition de l’orgueil est d’avoir sur soi une opinion exagérée de sa valeur personnelle aux dépends d’autrui. S’il y a bien quelqu’un qui peut avoir légitimement une bonne opinion de lui-même, c’est bien Dieu pourtant. En 2 Co 7 :14, Paul se glorifie d’ailleurs de ce qui est vrai : « Et si devant lui je me suis un peu glorifié à votre sujet, je n’en ai point eu de confusion; mais, comme nous vous avons toujours parlé selon la vérité, ce dont nous nous sommes glorifiés auprès de Tite s’est trouvé être aussi la vérité. ». Dans le Christianisme, l’humilité s’accompagne toujours de la vérité. Dire des choses fausses par humilité ce n’est pas juste. Paul disait qu’il était le meilleur dans la connaissance des choses religieuses, non par égocentrisme orgueil ou vacuité. C’était simplement la vérité. Paul était le meilleur de sa génération. Dieu s’est choisi le meilleur des docteurs de la loi pour aller porter aux nations la nouvelle de son abolition par la résurrection du Christ. Ainsi Dieu n’est pas fier. Il a simplement la plus correcte image de lui-même, en connaissance absolue de lui-même. Etant le plus grand être possible il est normal qu’il soit digne d’adoration. Il est normal pour ce qu’il est et pour ce que nous sommes qu’il attende de nous l’adoration religieuse. L’orgueilleux c’est l’athée. Le réaliste c’est le croyant. Dieu est digne d’adoration. Sa souveraineté est manifeste et totale. Paul déclare « Par la grâce qui m’a été donnée, je dis à chacun de vous de n’avoir pas de lui-même une trop haute opinion, mais de revêtir des sentiments modestes, selon la mesure de foi que Dieu a départie à chacun. » (Rm 12 :3). Le croyant, devant l’abîme qui le sépare de Dieu est appelé à la modestie. On n’appelle pas Dieu à la modestie. C’est hors de propos. Nous ne pouvons pas prétendre à cette liberté dit Paul. Nous sommes esclaves où de l’obéissance ou de la désobéissance. « vous êtes esclaves de celui à qui vous obéissez, soit du péché qui conduit à la mort, soit de l’obéissance qui conduit à la justice? » (Rm 16 :4).

Et pourtant quand on y réfléchit, Dieu est vraiment humble et patient. Il ne foudroie pas Richard Dawkins écrivant et publiant son livre. Il prête vie à des milliards de gens qui le nient et lui désobéissent tous les jours. Il endure patiemment nos péchés, nos limites. Son être trinitaire n’est que communion. Loin de l’égo solitaire et de l’unicité isolée que perçoivent faussement juifs et musulmans, Dieu est suprêmement relationnel. Il se donne à lui-même, entièrement dans cette communion d’amour absolue qu’est la Trinité. Dieu s’incarne et déclare vouloir servir : « Car quel est le plus grand, celui qui est à table, ou celui qui sert? N’est-ce pas celui qui est à table? Et moi, cependant, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. » (Lc 22 :27) et il s’offre en rançon pour nous qui ne le méritons pas « Car le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme la rançon de plusieurs. » (Mc 10 :45)

Dieu coupable de jalousie


Dieu est jaloux et il le proclame. Paul range la jalousie dans une liste de péchés : « l’idolâtrie, la magie, les inimitiés, les querelles, les jalousies, les animosités, les disputes, les divisions, les sectes, » (Gal 5 :20). Donc oui la jalousie peut être un péché. Mais qu’est-ce que la jalousie de Dieu ? Dieu lorsqu’il a parlé au prophète Osée a évoqué la relation avec Israël, relation donc matricielle de celle qu’il a avec l’Eglise maintenant, comme ayant un caractère amoureux, matrimonial compréhensible pour les hommes. Dieu se positionne comme un homme dont la femme ne cesse de le tromper. Il endure la même chose dans sa relation avec nous. « Mon cœur s’agite au dedans de moi, Toutes mes compassions sont émues. » (Os 11 :8). Tous ceux qui sont mariés ne peuvent pas sérieusement accepter que quelqu’un d’autre vienne fleurter avec leur conjoint ou leur conjointe. La jalousie est la conséquence normale de l’exclusivité de la relation. C’est une réaction absolument normale et puisque nous adorons un Dieu relationnel, nous devrions nous réjouir qu’il soit jaloux. Les athées voudraient un dieu voltairien, qui soit lointain et nous laisse faire ce que nous voulons librement, pas un dieu qui organise toutes les choses. Les athées ont une relation adolescente de rébellion à Dieu, là où le croyant s’inscrit davantage dans une relation amoureuse à Dieu. En amour, on veut être le seul. On ne partage pas. Si l’amour fonctionne ainsi, c’est bien que Dieu est seul. La métaphore matrimoniale perdure même dans le NT où l’on parle de chambre nuptiale, de banquet de noces. Dieu nous aime et veut nouer une relation d’amour avec nous. Pas seulement le dimanche matin. Tout le temps. Il est jaloux et ceci montre qu’il tient à nous. Le polythéisme ici, par comparaison, ne peut que nous renvoyer à des notions de libertinage, d’orgie, de dépravation sexuelles. Beaucoup de versets de colère, mais dont les effets ne suivent jamais les paroles se lisent à l’aune de cette jalousie : « Maintenant laisse-moi; ma colère va s’enflammer contre eux, et je les consumerai; mais je ferai de toi une grande nation. » (Ex 32 :10) dit Dieu à Moïse lorsque celui-ci redescend du Mont Sinaï. Mettez-vous un peu à la place de Dieu, un instant, en gardant en tête cette métaphore matrimoniale. Ne seriez-vous pas un peu en colère si vous découvriez que votre épouse ou votre époux se serait absenté(e) un instant pendant la nuit de vos noces pour aller vous tromper avec un ou une autre ? il n’y a pas de quoi devenir juste fou de colère, anéanti par la déception ? combien de mariages résisteraient à ce genre d’évènements ? Jacques, le frère du Seigneur signe dans son épitre « Adultères que vous êtes! ne savez-vous pas que l’amour du monde est inimitié contre Dieu? Celui donc qui veut être ami du monde se rend ennemi de Dieu. » (Ja 4 :4) pour nous expliquer que si nous répondons à cet amour de Dieu, alors nous ne pouvons pas aimer le monde. Nous sommes ici dans le NT. Il y a totale continuité de cette jalousie et de cette exigence. Ceux qui reprochent à Dieu sa jalousie doivent comprendre ce qu’était l’idolâtrie à l’époque de l’AT. Certains partisans d’un consensus polythéiste vu comme tolérant et pacifique du point de vue religieux reprochent au récit deutéronomiste des versets du genre « Vous détruirez tous les lieux où les nations que vous allez chasser servent leurs dieux, sur les hautes montagnes, sur les collines, et sous tout arbre vert. Vous renverserez leurs autels, vous briserez leurs statues, vous brûlerez au feu leurs idoles, vous abattrez les images taillées de leurs dieux, et vous ferez disparaître leurs noms de ces lieux-là. » (Dt 12 :2-3). Pour eux c’est une attitude systématique et hostile envers les autres dieux et donc envers les autres peuples et donc envers une sorte de status quo social des peuples entre eux. Le polythéisme serait un gage de coexistence pacifique des peuples. Le monothéisme serait vindicatif et guerrier. C’est faire abstraction de ce qu’étaient les cultes idolâtres à l’époque. On parle ici de prostitution sacrée, de sacrifices d’enfants, etc. La vision chrétienne orthodoxe est que tous les autres dieux sont des démons. Tout culte envers un autre dieu (donc en fait un démon qui ose prendre le titre) est un culte démoniaque. Cette vision est basée sur le psautier du roi David qui proclame en 95:5 « car tous les dieux des nations sont des démons » dans la version des LXX. Dans toute cette dimension amoureuse et matrimoniale de l’AT dans sa relation à Israël, il y a une première forme d’abaissement de Dieu, de kénose divine comme on dit en théologie. Dieu se rabaissant de la sorte nous montre la cohérence de son amour en montant sur la Croix pour nous. Parfaite cohérence des deux testaments ici.



Dieu coupable de demander des sacrifices d’enfant : la ligature d’Isaac


J’ai attaqué les cultes idolâtres en arguant du fait que les démons qui les inspirent demandaient (et demandent toujours) des sacrifices d’enfants. Mais on sera tout à fait en droit de me répondre : et la ligature d’Isaac alors ? C’est ce passage où Dieu demande à Abraham de sacrifier son enfant, Isaac, qu’il a pourtant attendu 100 ans. Un passage donc, particulièrement cruel. Voici les versets en question : « Après ces choses, Dieu mit Abraham à l’épreuve, et lui dit: Abraham! Et il répondit: Me voici! Dieu dit: Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac; va-t’en au pays de Moria, et là offre-le en holocauste sur l’une des montagnes que je te dirai. Abraham se leva de bon matin, sella son âne, et prit avec lui deux serviteurs et son fils Isaac. Il fendit du bois pour l’holocauste, et partit pour aller au lieu que Dieu lui avait dit. Le troisième jour, Abraham, levant les yeux, vit le lieu de loin. Et Abraham dit à ses serviteurs: Restez ici avec l’âne; moi et le jeune homme, nous irons jusque-là pour adorer, et nous reviendrons auprès de vous. Abraham prit le bois pour l’holocauste, le chargea sur son fils Isaac, et porta dans sa main le feu et le couteau. Et il marchèrent tous deux ensemble. Alors Isaac, parlant à Abraham, son père, dit: Mon père! Et il répondit: Me voici, mon fils! Isaac reprit: Voici le feu et le bois; mais où est l’agneau pour l’holocauste? Abraham répondit: Mon fils, Dieu se pourvoira lui-même de l’agneau pour l’holocauste. Et ils marchèrent tous deux ensemble. Lorsqu’ils furent arrivés au lieu que Dieu lui avait dit, Abraham y éleva un autel, et rangea le bois. Il lia son fils Isaac, et le mit sur l’autel, par-dessus le bois. Puis Abraham étendit la main, et prit le couteau, pour égorger son fils. Alors l’ange de l’Éternel l’appela des cieux, et dit: Abraham! Abraham! Et il répondit: Me voici! L’ange dit: N’avance pas ta main sur l’enfant, et ne lui fais rien; car je sais maintenant que tu crains Dieu, et que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique. Abraham leva les yeux, et vit derrière lui un bélier retenu dans un buisson par les cornes; et Abraham alla prendre le bélier, et l’offrit en holocauste à la place de son fils. Abraham donna à ce lieu le nom de Jehova Jiré. C’est pourquoi l’on dit aujourd’hui: A la montagne de l’Éternel il sera pourvu. » (Gn 22 :1-14)

Quelle différence pour Abraham avec les cinglés qui font des choses atroces puis déclarent « Dieu m’a dit de le faire » ? Tout d’abord la Bible met en avant Abraham comme quelqu’un qui a véritablement une communication avec Dieu. Pour comprendre ce passage de façon adéquate, il faut reprendre tout ce qui concerne Abraham. Il est appelé à tout quitter pour se rendre dans une terre que Dieu va lui indiquer. Et pendant tout le périple qui va suivre, Dieu va sans cesse lui promettre qu’il aura une descendance très nombreuse. « Et après l’avoir conduit dehors, il dit: Regarde vers le ciel, et compte les étoiles, si tu peux les compter. Et il lui dit: Telle sera ta postérité. Abram eut confiance en l’Éternel, qui le lui imputa à justice. » (Gn 15:5-6). On voit qu’Abraham le croit et Dieu le remarque. Mais on voit aussi qu’Abraham ne comprend pas comment va se passer la matérialisation de cette promesse. Ceci explique l’épisode avec Agar. Abraham aussi bien que Sarah n’ont aucune idée de comment Dieu va agir avec eux. Ils essaient donc de faire advenir la promesse divine, par leur propres moyens. Mais les anges viennent leur dire au chapitre 18 que cette descendance passera bien par Sarah. Et ils ont beau être saisis d’incrédulité, à cause de leur âge avancé, la volonté divine s’accomplit par la naissance d’Isaac. Les versets problématiques du chapitre 22 doivent se lire en ayant en tête que Dieu a promis à Abraham une descendance nombreuse, qui passerait par Isaac. Et en même temps il lui demande de le lui sacrifier. Cette équation semble insoluble. Et plutôt que de réagir émotionnellement et considérer que Dieu ici n’est pas meilleur que le Baal qui demandait aussi des sacrifices d’enfants, il faut essayer de résoudre cette équation en apparence insoluble. Saint Paul donne la réponse dans l’épître au Hébreux : « C’est par la foi qu’Abraham offrit Isaac, lorsqu’il fut mis à l’épreuve, et qu’il offrit son fils unique, lui qui avait reçu les promesses, et à qui il avait été dit: En Isaac sera nommée pour toi une postérité. Il pensait que Dieu est puissant, même pour ressusciter les morts; aussi le recouvra-t-il par une sorte de résurrection. » (Heb 11 :17-19). Abraham a conclu de cette énigme le concept de résurrection des morts. Il était prêt à tuer son fils, car il avait la certitude que Dieu le ressusciterait derrière pour tenir sa promesse. Souvent, les catéchismes font état d’un Dieu qui teste la croyance de façon cruelle si on rentre dans cette logique de test d’obéissance. Certes il y a un test ici, mais il ne s’agit pas tant d’obéissance que de foi en Dieu, foi dans les promesses de Dieu.

Les Pères ne sont pas à l’origine de ces catéchèses simplistes et éloignées du sens profond du texte. Augustin rappelle que Dieu ne teste pas les gens. Il cite l’épître de Jacques 1:13 « Que personne, lorsqu’il est tenté, ne dise: C’est Dieu qui me tente. Car Dieu ne peut être tenté par le mal, et il ne tente lui-même personne. ». Comme l’explique le saint docteur latin, Dieu révèle, Dieu manifeste, Dieu fait advenir. Aucun commentaire patristique ne parle de simple test de foi ou de test d’obéissance. Ils parlent tous de manifester la foi et l’obéissance du patriarche au monde. Il faut lire la Bible avec attention. Au verset 22:5 on lit « Et Abraham dit à ses serviteurs: Restez ici avec l’âne; moi et le jeune homme, nous irons jusque-là pour adorer, et nous reviendrons auprès de vous. ». Donc Abraham était sûr de revenir avec son fils. Ce verset se trouve après l’ordre de Dieu de réaliser le sacrifice. Abraham croit en Dieu d’une façon où il sait qu’il est absolument impossible pour Dieu de mentir, de ne pas tenir ses promesses. Ainsi, plutôt que de ranger Dieu au nombre des divinités qui exigent des sacrifices d’enfants, ce passage est un formidable enseignement sur la résurrection des morts, et une magnifique préfiguration de la Passion du Christ, où Dieu comme promis, va pourvoir à l’animal du sacrifice. Il ne demande pas ceci à un autre.



Dieu coupable d’endurcir Pharaon pour mieux le punir


Un athée pourrait présenter la chose de la sorte : est-il moral de boucher les oreilles de quelqu’un, de lui poser une question, et de le punir par l’absence de réponse en tuant son enfant ? C’est probablement dans ce genre de registre et d’équilibre que beaucoup reçoivent le texte la première fois. Mais ce n’est pas du tout cela que raconte le texte. Si vous vous souvenez bien, il y a une progression de malheurs qui accablent l’Egypte, jusqu’au point culminant de la mort des premiers-nés. Tout commence ainsi : « Moïse et Aaron se rendirent ensuite auprès de Pharaon, et lui dirent: Ainsi parle l’Éternel, le Dieu d’Israël: Laisse aller mon peuple, pour qu’il célèbre au désert une fête en mon honneur. Pharaon répondit: Qui est l’Éternel, pour que j’obéisse à sa voix, en laissant aller Israël? Je ne connais point l’Éternel, et je ne laisserai point aller Israël. Ils dirent: Le Dieu des Hébreux nous est apparu. Permets-nous de faire trois journées de marche dans le désert, pour offrir des sacrifices à l’Éternel, afin qu’il ne nous frappe pas de la peste ou de l’épée. Et le roi d’Égypte leur dit: Moïse et Aaron, pourquoi détournez-vous le peuple de son ouvrage? Allez à vos travaux. » (Ex 5 :1-4). Ainsi, le créateur du monde a des exigences somme toute raisonnable lorsque l’on y pense. Il veut que son peuple puisse avoir un petit congé de trois jours, pour aller l’adorer dans le désert. On est loin d’une sortie complète de tout le peuple du pays. Du point de vue de Pharaon le constructeur, le marché est plutôt avantageux si on considère les proportions. 362 jours pour Pharaon, 3 jours pour Dieu. Mais Pharaon, veut tout. Rien pour Dieu. Pharaon réplique même en modifiant les conditions de travail pour les rendre plus pénibles. Je rappelle qu’avant, nous étions au niveau du récit, déjà dans des conditions d’esclavage ; donc sans que cela soit documenté, on imagine bien que cela était une existence des plus ingrates et des plus dures qui soit. Avant de prendre Pharaon en pitié, souvenons qu’il s’agit du dirigeant au sommet de ce genre d’organisation. Il s’agit du genre de personne, qui en clin d’œil peut faire de la vie de milliers de personne un véritable enfer, sans que cela l’empêche de trouver le sommeil.

Alors, pour raisonner Pharaon, puisqu’il s’agit de genre d’homme qui ne comprend que la force, Dieu va le frapper avec la première plaie. L’eau du Nil va se transformer en sang. Quelle est la réaction de Pharaon ? « Mais les magiciens d’Égypte en firent autant par leurs enchantements. Le cœur de Pharaon s’endurcit, et il n’écouta point Moïse et Aaron, selon ce que l’Éternel avait dit. » (Ex 7 :22). C’est lui, probablement guidé par le fait que ses magiciens parviennent aussi à réaliser cette transformation, qui endurcit son cœur. Dieu passe à la deuxième plaie : les grenouilles. Pharaon réagit d’abord de façon espérée : « Pharaon appela Moïse et Aaron, et dit: Priez l’Éternel, afin qu’il éloigne les grenouilles de moi et de mon peuple; et je laisserai aller le peuple, pour qu’il offre des sacrifices à l’Éternel. » (Ex 8 :8). Il demande une sorte de trêve. Moïse et Aaron acceptent. Ils prient Dieu qui accepte. Et que dit le texte ? « Pharaon, voyant qu’il y avait du relâche, endurcit son cœur, et il n’écouta point Moïse et Aaron, selon ce que l’Éternel avait dit. » (Ex 8 :15). C’est-à-dire qu’après avoir obtenu satisfaction, il fait volte-face et ne tient pas sa parole. Alors Dieu va frapper avec la troisième plaie : les poux. Les magiciens déclarent au Pharaon que ceci dépasse leur pouvoir, qu’il s’agit de Dieu. Mais pourtant Pharaon s’endurcit tout seul. Librement, il choisit l’iniquité plutôt que la justice. Il choisit l’orgueil face au bon sens. Puis à la quatrième plaie, Dieu envoie des mouches venimeuses. Tout ceci devient dangereux pour son peuple. Pharaon réédite la même attitude fourbe qu’à la deuxième plaie. Il demande à Moise et Aaron de supplier Dieu d’arrêter ici, et consent même à laisser partir les hébreux dans le désert trois jours. Il y a juste une discussion sur le lieu de célébration, car Pharaon ne veut pas perdre la face. Et Pharaon à nouveau, ayant obtenu satisfaction s’endurcit et refuse d’honorer sa parole. Alors Dieu frappe plus fort : cinquième plaie qui touche le bétail cette fois. Ce qui à cette époque est une très grande calamité pour ce genre de société principalement agraire. Pharaon s’endurcit. Tout seul. Dieu va alors commencer à frapper le peuple égyptien avec des ulcères, et pour la première fois Dieu endurcit Pharaon. Dieu passe donc à la septième plaie. Il envoie une grêle très particulière puisqu’elle s’accompagne de tonnerre et de feu. Pharaon reconnait temporairement son erreur. Dieu arrête donc la calamité, et immédiatement Pharaon endurcit son cœur tout seul. Puis pour les calamités suivante : les sauterelles, la ténèbres et la mort des premiers-nés c’est Dieu qui endurcit le cœur de Pharaon, alors que Pharaon demande à plusieurs reprises que tout ceci cesse. Voici donc en détail le déroulement des plaies. Ainsi, considérer que Dieu a endurci le cœur du pauvre Pharaon, et qu’il est sans pitié, c’est faire fi de toute la première partie du récit. Comment faire confiance à Pharaon qui à deux reprises ayant obtenu ce qu’il voulait n’a pas tenu sa parole ? Cet homme n’a aucune parole. Dieu le savait déjà, mais il fallait que Moïse et Aaron voient de façon manifeste de quelle ordure il s’agissait. Que nous enseigne ce texte ? Il nous enseigne plusieurs choses. On ne joue pas impunément avec Dieu. On ne peut pas se moquer de lui, le prier et faire objectivement le contraire de ce que l’on a prié. Car le texte ne nous place pas dans un contexte d’athéisme puni pour cette position, mais bien de quelqu’un qui est dans une relation tout à fait particulière à Dieu : je sais que tu existes, je te méprise, je te combats peu m’importe les conséquences. Pharaon va découvrir que Dieu n’est pas un paillasson sur lequel on s’essuie les pieds. Il y a dans l’attitude de Pharaon quelque chose de purement diabolique, ce que commentent certains Pères, car son défi à Dieu est tout à fait absurde, suicidaire et déraisonnable. Pharaon n’a aucun droit moral, logique ou religieux de se plaindre du déroulement final des plaies, sachant comment il a géré le début de celles-ci. Laissez-moi tenter une analogie. Imaginons l’état africain le plus faible militairement possible qui déclare la guerre à la Russie. Disons pour l’exemple qu’il s’agit du Libéria, ce que semblent confirmer les chiffres. Le Liberia donc, fait enlever et tuer des ressortissants russes en Afrique. La Russie proteste officiellement. Le Libéria continue. La Russie fait alors un bombardement stratégique hors de toute population civile. Le gouvernement libérien demande un cessez-le-feu ce que la Russie accepte immédiatement. Mais le Libéria continue d’enlever et de tuer des russes. La Russie réagit un peu plus fort. Le Libéria demande un nouveau cessez le feu. La Russie accepte. Mais le Libéria recommence encore une fois. Si la Russie se mettait alors en tête de renverser le gouvernement libérien, ne répondait pas aux demandes désespérées de cessez-le-feu de ce dernier, et faisait quelques morts civils au passage, je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de monde pour trouver l’action russe disproportionnée, immorale ou injustifiée. Je reviens à Dieu et à Pharaon. Par principe, la réaction de Dieu peut être considérée comme disproportionnée. Mais à la lumière de tout le passage, elle se comprend. Il reste à considérer la dixième plaie qui peut paraître affreuse. La mort des premiers-nés. Quel est le crime du fils de Pharaon ? Il faut revenir au chapitre 4 de l’Exode pour bien comprendre la responsabilité de Pharaon dans tout cela. Dieu y disait à Moïse « 22 Tu diras à Pharaon: Ainsi parle l’Éternel: Israël est mon fils, mon premier-né. Je te dis: Laisse aller mon fils, pour qu’il me serve; si tu refuses de le laisser aller, voici, je ferai périr ton fils, ton premier-né. » (Ex 4 :22-23). Dieu considère Israël comme son premier-né. Il considère, à juste titre que Pharaon retient son fils premier né en captivité, en esclavage. Et il prévient Pharaon : si tu ne libères pas mon fils, si tu continues à faire du mal à mon fils, je tuerai ton fils. Pharaon n’a pas voulu lâcher prise après la première plaie. Il n’a pas voulu écouter après la seconde plaie. Après la troisième. Après la quatrième. Etc. Ainsi il connaissait le risque qu’il prenait. C’est dur, mais c’est juste. Parfaitement et implacablement juste. Mais alors pourquoi les premiers-nés des autres égyptiens ? Si Pharaon ne s’était pas entêté, il ne se serait rien passé. C’est le premier grand paramètre. Mais surtout ils ont tous collectivement profité, abondamment utilisé les esclaves hébreux. Ainsi, que nul ne vienne dire que les égyptiens ne méritaient pas cette sentence. Puisque Dieu les a frappé de la sorte, sur le premier-né, c’est que le crime concernait le premier né, Israël. Revenons ainsi à la dernière chose qui peut cette fois interroger, même le croyant sincère : mais pourquoi Dieu a-t-il endurci Pharaon ? J’appelle cela la prière du méchant. Il n’y a pas que les bons qui font des prières. Ainsi, il n’est pas insensé de penser qu’un cambrioleur prie Dieu, afin de pouvoir cambrioler un pavillon de retraités en vacances sans se faire attraper par la police. De la même façon, Pharaon a tout fait pour s’endurcir. Il veut s’endurcir. Mais pourtant ce n’est pas facile. Comment s’endurcir lorsque l’on a objectivement le créateur du ciel et de la terre qui a des volontés orthogonales aux nôtres ? Pharaon avait besoin d’aide. Dieu respecte notre liberté plus que tout. L’amour qu’il recherche est inconditionnel. Il ne doit pas être forcé. L’amour qu’il attend doit être libre. Totalement libre. Pharaon devant un tel déluge de puissance divine devait pouvoir rester libre de se reconnaître pêcheur, et ne pas être contraint par la puissance divine. Ainsi, l’endurcissement correspond à la fois au désir profond de Pharaon, et au respect absolu de sa liberté. Pharaon voulait être endurci, il voulait tenir tête à Dieu quel que soit le prix. Et bien Dieu l’a endurci. Pharaon n’a eu que ce qu’il méritait mais aussi ce qu’il voulait. Il voulait être endurci. Il a été maintes fois prévenu. Il a eu nombre de chances de s’en sortir autrement. L’homme est radicalement libre, même de se damner. Dieu ne nous force pas à l’aimer.

Dieu coupable d’avoir édicté une loi violente et tribale


Montons encore d’un degré dans la violence. On dira : ok pour Pharaon et les égyptiens, peut-être l’avaient-ils mérité au final. Mais il faut tout de même dire quelque chose sur la violence à l’encontre de ceux qui ne respectent pas la Loi de Moïse. Car être dans le peuple hébreu ne permet pas de se soustraire à ce Dieu vengeur que de nombreuses personnes croient discerner en lisant l’AT. Exode 21:7 propose d’encadrer le cas où un père voudrait vendre sa fille en esclavage. Exode 35:2 instaure que toute violation du Shabbat doit être punie de mort. Et puis les catégories de Dieu sont étranges. Ainsi la pratique de la sodomie entre deux hommes est une abomination aux yeux de Dieu, mais un poisson mort sans nageoires et sans écailles est également une abomination qu’on ne doit pas manger. Ne nous sommes-nous pas trompés, nous autres religieux, en nous focalisant sur la condamnation de l’homosexualité, alors que nous n’observons plus aucune règle alimentaire ? les exemples sont nombreux dans les commandements de la Torah qui semblent tout à fait désuets, et qui semblent nous dire que la violence de Dieu était tout à fait incompréhensible. Dieu, par sa Loi, nous semble bizarre, arbitraire, sévère. CS Lewis appelle ceci du snobisme chronologique. Cette expression me semble tout à fait délicieuse et appropriée. C’est oublier que la Loi de Moïse est donnée pour un peuple particulier, en un temps particulier et dans une région particulière. Ceux qui ont la charge d’enfants savent que plus l’enfant est indiscipliné, plus il lui faudra une discipline adaptée. Mais une fois la période problématique passée, cette discipline n’a plus de raison d’être. C’est ce qu’explique Paul dans l’épître aux Hébreux. Dieu l’avait annoncé par les Prophètes Ezéchiel et Jérémie : une nouvelle alliance devait venir. Jer 31 :31-32 : « Voici, les jours viennent, dit l’Éternel, où je ferai avec la maison d’Israël et la maison de Juda Une alliance nouvelle, non comme l’alliance que je traitai avec leurs pères, le jour où je les saisis par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte, Alliance qu’ils ont violée, Quoique je fusse leur maître, dit l’Éternel. ». Ainsi, la Loi n’a jamais été présentée comme quelque chose d’éternel, absolu, le but en soi, indépassable. Elle devait être remplacée par une autre Loi, ce qu’a fait le Christ. Alors, suffit-il de dire que la Loi était temporaire, destinée à l’antiquité pour se dédouaner de la violence qu’elle contient ? Pour apprécier ce que fait la Loi, il faut la comprendre comme le point de départ d’un parcours dont le chemin culmine jusqu’au Christ.



Dieu coupable d’encadrer et de permettre l’esclavage.


On entend souvent aussi cette accusation concernant le Dieu de l’AT. Il autorise l’esclavage. Les chrétiens non formés en théologie sont souvent choqués lorsqu’ils lisent que la Loi permet l’esclavage. Nous sommes ici toujours dans ce snobisme chronologique car le monde entier pratiquait l’esclavage. Ensuite, puisqu’il s’agit ici précisément de répondre à quelqu’un d’Egalité et Réconciliation, il me semble honnête de dire qu’ER en général établit une distinction radicale entre un AT talmudo-sioniste mauvais et dangereux, et un NT helléno-chrétien, fondamentalement bon. Difficile pourtant, à première vue, sur l’esclavage de condamner l’AT pour ce que le NT lui-même n’a pas fait : abolir l’esclavage. Mais sortons des fantasmes et des catégories non maîtrisées, et passons au texte.

Tout d’abord l’esclavage, tel que nous le connaissons principalement avec la traite négrière, les champs de coton aux états-unis, ceci est strictement interdit par la Bible. C’est même puni de mort. Ex 21 :16 « Celui qui dérobera un homme, et qui l’aura vendu ou retenu entre ses mains, sera puni de mort. ». Paul reconfirme cette sentence dans sa première épître à Timothée. Ce que la Bible permet comme esclavage, est le fait de se vendre pendant un nombre d’années limité pour palier à une sorte de cas qu’on pourrait nommer aujourd’hui faillite personnelle. On se retrouve dans quelque chose beaucoup plus proche du serviteur. Les traductions anglaises ont bien saisi cette nuance et rendent ceci avec le terme « servant », c’est-à-dire serviteur. Le terme hébreu pour esclave est ebed. Il partage la racine du verbe abad qui signifie travailler. C’est donc du point de vue de la philologie, un travailleur, ce qui n’est pas ontologiquement négatif. Il y a même des formulations à connotation positive, comme en Jos 1 :1 « Après la mort de Moïse, eved de l’Éternel, l’Éternel dit à Josué, fils de Nun, serviteur de Moïse: ». On élève Moïse en disant qu’il fut eved de Dieu. Alors évidemment on trouve les termes négatifs, comme lorsque les hébreux étaient esclaves en égypte : Ex 5 :15-16 « Les commissaires des enfants d’Israël allèrent se plaindre à Pharaon, et lui dirent: Pourquoi traites-tu ainsi tes serviteurs? On ne donne point de paille à tes serviteurs, et l’on nous dit: Faites des briques! Et voici, tes serviteurs sont battus, comme si ton peuple était coupable. ». Mais les égyptiens eux-mêmes sont qualifiés du même terme en Ex 5 :21 « Ils leur dirent: Que l’Éternel vous regarde, et qu’il juge! Vous nous avez rendus odieux à Pharaon et à ses serviteurs, vous avez mis une épée dans leurs mains pour nous faire périr. ». Donc eved semble plutôt marquer une relation de dépendance dans le cadre du travail, sans que cela caractérise son degré de brutalité. Lorsque Dieu demande à Pharaon de laisser les hébreux partir dans le désert quelques jours c’est le même terme qui est employé. Donc, dans le texte biblique, les hébreux passent de l’esclavage de Pharaon à celui de Dieu. Philologiquement nous sommes dans une équivalence pour la Bible. Si on enlève la connotation négative de l’esclavage et que l’on reformule, on a : Dieu demande à Pharaon que les hébreux cessent d’être eved pour l’Egypte, pour devenir pendant 3 petits jours, eved de l’Eternel. Il ne s’agissait pas du tout philologiquement de passer de l’esclavage à la liberté ici mais d’une relation d’eved d’un maître à un autre. Evidemment, tout le monde comprendra qu’il est bien plus intéressant de devenir eved de Dieu que eved de Pharaon.

Les détracteurs qui souvent nous disent tant de bien des autres cultes antiques oublie de préciser que dans toutes les religions antiques, seuls les rois sont porteurs d’une image divine. Le poème Atrahasis de la mythologie mésopotamienne, montre comment l’homme est créé à partir de l’argile mais dans le but de faire le travail attendu par les dieux. Cette différence fondamentale n’est jamais rappelée par ceux qui répètent ad nauseam combien la Genèse ressemble à bien des textes antiques. Seule la Genèse montre un homme créé de l’argile immédiatement et gratuitement porteur de l’image divine ayant pour but la communion avec le divin. Ceux qui imaginent un helléno-christianisme, qui est tout autant un fantasme que le judéo-christianisme, devraient se souvenir qu’Aristote pensait que les hommes n’étaient pas créés égaux. Sa définition de l’esclave dans l’éthique à Nicomaque est plus que problématique : « l’esclave est un outil animé, et l’outil un esclave inanimé ». Dieu a placé la Torah dans un monde dur et brutal. La Torah c’est un ensemble de concessions qui travaille par paliers successifs jusqu’à l’idéal que représente l’Evangile. Voyons maintenant quels sont les obligations de celui qui est dans la position du maître, dans cette relation avec son eved : « Tu te réjouiras devant l’Éternel, ton Dieu, dans le lieu que l’Éternel, ton Dieu, choisira pour y faire résider son nom, toi, ton fils et ta fille, ton serviteur et ta servante, le Lévite qui sera dans tes portes, et l’étranger, l’orphelin et la veuve qui seront au milieu de toi. » Dt 16 :11 indique que l’on devait s’occuper de la résidence du eved. La violence pouvait amener à perdre son eved « Si un homme frappe l’œil de son esclave, homme ou femme, et qu’il lui fasse perdre l’œil, il le mettra en liberté, pour prix de son œil. Et s’il fait tomber une dent à son esclave, homme ou femme, il le mettra en liberté, pour prix de sa dent. » et le maître pouvait aussi perdre la vie en représailles d’une violence mortelle « Si un homme frappe du bâton son esclave, homme ou femme, et que l’esclave meure sous sa main, le maître sera puni. » Ex 21 :20, ce qui signifie la mort vu le contexte du talion explicité juste derrière « Mais s’il y a un accident, tu donneras vie pour vie, » Ex 21 :23. Je pense que l’on peut dire que nous sommes ici, très loin de la case de l’oncle Tom. Le code d’Hammurabi demande qu’un esclave ayant fui son maître lui soit restitué mais le Deutéronome, au contraire, cet odieux manuel de domination mondiale, commande « Tu ne livreras point à son maître un esclave qui se réfugiera chez toi, après l’avoir quitté. Il demeurera chez toi, au milieu de toi, dans le lieu qu’il choisira, dans l’une de tes villes, où bon lui semblera: tu ne l’opprimeras point. » Dt 23 :15-16. La notion d’eved dans la Bible se comprend le mieux dans le chapitre 21 de l’Exode. Il s’agit de passer sous la dépendance d’une personne, et d’accomplir un travail pour lui en échange d’abri, de nourriture, de vêtement, etc. Ce n’est bien évidemment pas un statut idéal relativement à nos aspirations humaines de libertés, mais cela n’a rien à voir avec l’esclavage que les africains ont pu subir dans les champs de coton. Lorsque l’on lit la Torah, on tombe parfois sur des passages qui peuvent sembler choquants concernant l’esclavage. Mais l’on se doit, à défaut d’une lecture bienveillante, d’avoir une lecture systématique. C’est-à-dire que l’on ne peut pas prendre un verset pour en tirer une conclusion. Il faut prendre tous les versets qui traitent de ce sujet et les tenir tous ensemble, pour se permettre une conclusion. Dieu commande aux hébreux de se rappeler de la période de servitude en Egypte. Lorsque l’on a un eved, on doit se souvenir que l’on a soi-même été eved en Egypte. On reproche souvent aux juifs de n’appliquer les commandements miséricordieux que pour les autres juifs. Certains le font, mais il n’est pas juste d’incriminer Dieu ou la Torah pour cela. Car il est dit dans Lv 19 :33-34 « Si un étranger vient séjourner avec vous dans votre pays, vous ne l’opprimerez point. Vous traiterez l’étranger en séjour parmi vous comme un indigène du milieu de vous; vous l’aimerez comme vous-mêmes, car vous avez été étrangers dans le pays d’Égypte. Je suis l’Éternel, votre Dieu. ». Ainsi, tous les exégètes en culotte courte qui pensent que les commandements ne s’appliquent qu’aux juifs entre eux se trompent. Telle n’est pas la volonté divine. Donc un eved étranger sera traité comme un eved hébreu. Cette lecture systématique est aussi nécessaire pour les termes eux-mêmes. La Torah parle d’acquérir un esclave, un eved. Donc immédiatement, on est tenté de conclure que la Torah voit les esclaves comme des biens meubles, comme des propriétés. Le verbe utilisé est qanah. Eve a acquis un enfant en 4 :1 pour la naissance de Caïn. Boaz acquiert Ruth comme femme, en Ruth 4 :10. Donc on voit bien que le terme ne signifie pas cela. Quand un grand club de foot acquiert une star du ballon rond, est-ce que l’on est tenté de voir une situation similaire à l’esclavage ? Dieu lui-même dit qu’il a acquis Israël en le délivrant d’Egypte : « La crainte et la frayeur les surprendront; Par la grandeur de ton bras Ils deviendront muets comme une pierre, Jusqu’à ce que ton peuple soit passé, ô Éternel! Jusqu’à ce qu’il soit passé, Le peuple que tu as acquis. » Ex 15 :16. Si vous n’aimez pas cette idée d’acquisition, sachez que c’est aussi ce qu’a fait le Christ. Il a payé ce prix sur la Croix, pour nous racheter chacun, pour acquérir chacun, en faisant de tous ceux qui le veulent, des eved. Nous sommes les esclaves rachetés par le Christ. Le rachat d’Israël était préfiguration. Le rachat du Christ est accomplissement. L’AT était préparation. Le NT est la manifestation du résultat de cette préparation. Nous étions eved du péché, un maître cruel, et nous sommes maintenant eved du Christ, un maître bon. Ce concept d’esclavage, s’il avait été absent de l’AT, ne nous aurait pas permis de comprendre que la liberté est une illusion. Nous serons toujours des eved. Soit du Diable soit du Christ. Il n’y a pas d’alternative. Croire être libre sans le Christ, c’est être eved du Diable.

Dieu coupable de guider un peuple avec des châtiments corporels


Comme nous connaissons peu les cultures environnantes de l’Israël biblique, nous ne regardons la Loi qu’avec nos yeux de modernes, pour lesquels les châtiments corporels sont barbares et nous renvoient à de pratiques tribales. Et pourtant lorsque l’on regarde la loi mosaïque en rapport avec les systèmes de justice environnants, on ne peut que constater un caractère très miséricordieux. Le Dt 25 :1-3 légifère sur le cas qui peut amener un hébreu à recevoir 40 coups de bâton. Le code d’Hammurabi préconisait de couper poitrine, oreille, langue ou main selon les crimes. Il préconisait la mort du voleur, là où l’AT demande un dédommagement. Dieu demande de punir les criminels avec un maximum de 40 coups, tandis que les criminels égyptiens ne pouvaient pas recevoir moins de 100 coups, le décision la plus clémente possible. La loi hittite ou babylonienne s’adaptait en fonction du statut social de la personne. En Israël tout le monde est logé à la même enseigne.

La loi du talion peut également sembler très barbare. Œil pour œil, dent pour dent semble vouloir dire que si quelqu’un a fait perdre un œil à une victime, alors il doit à son tour perdre un œil. Or, il s’agit de compensation financière, comme l’exprime bien Ex 21 :26-27 qui suit précisément l’énoncé de la loi du talion. Toute la jurisprudence rabbinique ne concerne jamais que la complexité de la détermination de la compensation financière. Ainsi loin de représenter un usage barbare, la loi du talion a le double avantage de fixer la proportionnalité de la peine et de sortir d’un registre violent pour aller sur un registre financier plus civilisé. La Loi du talion est considéré par les historiens spécialistes de l’antiquité comme un véritable progrès, et non pas comme le marqueur d’un système judiciaire brutal et rétrograde. C’est le code Hammurabi, donc Babylone, qui coupe les mains, les poitrines, pas l’Israël biblique. Dans le code d’Hammurabi, si un constructeur avait mal fait son ouvrage et que sa construction tuait un enfant, on devait tuer son enfant en représailles. Au contraire Dt 24 :16 interdit de tuer les enfants pour les fautes des parents. La Torah est le premier code de loi à différencier meurtre accidentel et meurtre intentionnel, en offrant des villes refuges aux meurtriers involontaires.



Dieu coupable de populicide lors de la conquête de la terre de Canaan


Il s’agit du chapitre 20 du Deutéronome. Voici le passage, qui va graduellement dans des choses de plus en plus violentes et dérangeantes : « Quand tu t’approcheras d’une ville pour l’attaquer, tu lui offriras la paix. Si elle accepte la paix et t’ouvre ses portes, tout le peuple qui s’y trouvera te sera tributaire et asservi. Si elle n’accepte pas la paix avec toi et qu’elle veuille te faire la guerre, alors tu l’assiégeras. Et après que l’Éternel, ton Dieu, l’aura livrée entre tes mains, tu en feras passer tous les mâles au fil de l’épée. Mais tu prendras pour toi les femmes, les enfants, le bétail, tout ce qui sera dans la ville, tout son butin, et tu mangeras les dépouilles de tes ennemis que l’Éternel, ton Dieu, t’aura livrés. C’est ainsi que tu agiras à l’égard de toutes les villes qui sont très éloignées de toi, et qui ne font point partie des villes de ces nations-ci. Mais dans les villes de ces peuples dont l’Éternel, ton Dieu, te donne le pays pour héritage, tu ne laisseras la vie à rien de ce qui respire. Car tu dévoueras ces peuples par interdit, les Héthiens, les Amoréens, les Cananéens, les Phéréziens, les Héviens, et les Jébusiens, comme l’Éternel, ton Dieu, te l’a ordonné, afin qu’ils ne vous apprennent pas à imiter toutes les abominations qu’ils font pour leurs dieux, et que vous ne péchiez point contre l’Éternel, votre Dieu. » Dt 20 :10-18.

Il y a quelque chose que les cananéens ont fait, qui n’est pas explicitement relaté, mais qui déplait fortement à Dieu. Ce que l’on sait, est que cela est quelque chose qui va croissant. En décrivant la servitude en Egypte à Abraham, Dieu dit ceci : « A la quatrième génération, ils reviendront ici; car l’iniquité des Amoréens n’est pas encore à son comble. » (Gn 15 :16). Dieu prépare donc Israël en Egypte, car le péché des amoréens ne mérite pas encore la sanction qui surviendra lors de la conquête de la terre promise. Israël sera le bras armé de Dieu vis-à-vis de quelque chose qui le répugne particulièrement. Nous avons une autre précision en Lv 18 :25 « Le pays en a été souillé; je punirai son iniquité, et le pays vomira ses habitants. ». Dt 9 :4-5 : « Lorsque l’Éternel, ton Dieu, les chassera devant toi, ne dis pas en ton cœur : C’est à cause de ma justice que l’Éternel me fait entrer en possession de ce pays. Car c’est à cause de la méchanceté de ces nations que l’Éternel les chasse devant toi. Non, ce n’est point à cause de ta justice et de la droiture de ton cœur que tu entres en possession de leur pays; mais c’est à cause de la méchanceté de ces nations que l’Éternel, ton Dieu, les chasse devant toi, et c’est pour confirmer la parole que l’Éternel a jurée à tes pères, à Abraham, à Isaac et à Jacob. ». La génération du déluge avait été châtiée, ainsi que Sodome et Gomorrhe. De quelle impiété est-il question ici en Canaan ? Le chapitre 18 du lévitique, qui caractérise les cananéens comme abominables est aussi le chapitre des interdits sexuels et de l’interdit du sacrifice d’enfant. Le texte établit le lien : « Tu ne livreras aucun de tes enfants pour le faire passer à Moloc, et tu ne profaneras point le nom de ton Dieu. Je suis l’Éternel. Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination. Tu ne coucheras point avec une bête, pour te souiller avec elle. La femme ne s’approchera point d’une bête, pour se prostituer à elle. C’est une confusion. Ne vous souillez par aucune de ces choses, car c’est par toutes ces choses que se sont souillées les nations que je vais chasser devant vous. » Lv 18 :21-24. Le panthéon cananéen est également un bon indice, avec par exemple la déesse Anat, dont les fragments à notre disposition rapportent : « Anat apparaît comme une guerrière féroce, sauvage et furieuse dans une bataille, pataugeant jusqu’aux genoux dans le sang, frappant des têtes, coupant des mains, attachant les têtes à son torse et les mains dans sa ceinture, chassant les vieillards et les citadins avec ses flèches, son cœur rempli de joie ». Il semblerait donc, que pour la génération du déluge, Sodome et Gomorrhe et les cananéens, il y ait au niveau de la patience divine, une limite. Il y a un point de non-retour qui déclenche la colère divine. Nous ne connaissons pas ce qui détermine ce basculement de la patience à la colère. On peut émette l’hypothèse que ce qui concerne les sacrifices d’enfants est déterminant. Plutarque, philosophe et historien grec, prêtre dans un temple d’Appolon, et donc difficilement suspect d’apologie chrétienne rend ce témoignage historique : « en pleine connaissance et compréhension, ils offraient eux-mêmes leurs propres enfants, et ceux qui n’avaient pas d’enfants achetaient des petits aux pauvres et leur coupaient la gorge comme s’ils étaient autant d’agneaux ou de jeunes oiseaux ; pendant ce temps, la mère se tenait là sans une larme ni un gémissement ; mais si elle poussait un seul gémissement ou laissait couler une seule larme, elle devait renoncer à l’argent, et son enfant était néanmoins sacrifié ; et toute la zone avant que la statue ne soit remplie d’un grand bruit de flûtes et de tambours couvrant les cris de lamentations afin qu’ils n’atteignent pas les oreilles du peuple ». On entend souvent les athées se lamenter : pourquoi Dieu n’intervient pas pour empêcher le mal dans le monde. Ici, Dieu intervient. Il dit aux hébreux : arrêtez moi ça ! Alors, l’athée va classiquement contre-argumenter : ok pour la justice divine, mais Dieu a été trop loin en demandant de tuer tout le monde. Comment Dieu peut-il stopper les sacrifices d’enfants en demandant à tuer tout le monde, y compris les enfants ? A partir d’ici il y a trois réponses possibles. La réponse d’autorité anti-marcioniste, la réponse de rédaction hyperbolique et la réponse liée à la démonologie. Ces réponses ne s’excluent d’ailleurs pas mutuellement.

Première réponse : la réponse d’autorité anti-marcioniste.

Je ne reviens pas sur Marcion, cet hérétique qui voyait dans le Dieu du NT un être trop bon, et dans le Dieu de l’AT un être trop cruel pour que cela puisse être le même. Le Christ en Croix demandant au Père de pardonner ceux qui l’ont placé sur cette Croix est un exemple de ce paroxysme de bonté. Mais c’est oublier le Jésus qui chasse les marchands du Temple. Il use de coercition, de violence, contre les hommes et les animaux pour imposer ses vues religieuses. Dans l’apocalypse de Saint Jean, il reproche à une église des choses sur une certaine Jézabel « Mais ce que j’ai contre toi, c’est que tu laisses la femme Jézabel, qui se dit prophétesse, enseigner et séduire mes serviteurs, pour qu’ils se livrent à l’impudicité et qu’ils mangent des viandes sacrifiées aux idoles. Je lui ai donné du temps, afin qu’elle se repentît, et elle ne veut pas se repentir de son impudicité. Voici, je vais la jeter sur un lit, et envoyer une grande tribulation à ceux qui commettent adultère avec elle, à moins qu’ils ne se repentent de leurs œuvres. Je ferai mourir de mort ses enfants; et toutes les Églises connaîtront que je suis celui qui sonde les reins et les cœurs, et je vous rendrai à chacun selon vos œuvres. » Apo 2 :20-23. C’est Jésus qui parle. C’est Jésus qui annonce vouloir tuer ses enfants (dans le sens de disciples ici probablement) et la rendre malade. Le problème du marcionisme est qu’il ne voit pas la violence du NT. Le NT et particulièrement l’apocalypse est terriblement violent. Des millions, voire des milliards de morts. On nous y demande de nous réjouir de la justice divine, du feu divin qui châtie les impies, par divers fléaux. Le prisme qui voit un Dieu de l’AT uniquement cruel est tout aussi faux que celui qui voit un Dieu du NT uniquement miséricordieux. Dans les deux testaments, nous y voyons Dieu alterner entre justice et miséricorde. Voilà pour la partie anti-marcioniste. Qu’est-ce que l’on entend par autorité ? Et bien, il faut se souvenir qu’il s’agit d’une décision divine : donc omnisciente et parfois incompréhensible. Dieu, qui sait tout, qui voit tout, s’il juge que cela est bien mieux si tel peuple est intégralement éradiqué, qui sommes-nous pour questionner cette décision ? Mais je sais que cet argument n’a pas de poids, car est ainsi fait l’homme : il accepte Dieu si la décision divine lui convient. Sinon, il considère que cela ne peut pas être Dieu. C’est ridicule, mais soit.

Passons à la deuxième réponse, la rédaction hyperbolique.

Les fans de sport pourront plus aisément saisir ce que je vais expliquer. Prenons deux clubs de foot, avec une rivalité importante. Il n’est pas rare de lire ou d’entendre des expressions du genre : ils leur ont mis le feu, une défense en acier, ils les ont anéanti, etc. Lorsque l’on sait que l’on est dans un registre hyperbolique, on comprend qu’il y a une distanciation à prendre avec la réalité. Il est bien évident que celui qui, étudiant le football sur un plan historique, avec seulement les textes journalistiques pourrait conclure à des aberrations du type : lors de match de foot ils utilisaient des armures en acier, ils pratiquaient des immolations et parfois se massacraient. Certains éléments dans la Bible laissent à penser qu’il s’agissait d’une rédaction hyperbolique, propre aux peuples de cette époque et de cette région. Par exemple, nous avons un manuscrit d’un roi de Moab qui ayant vaincu militairement Israël lors d’une bataille, consigna pour l’histoire : « Israël n’est plus ». Or, Israël n’a pas été totalement détruite par Moab. Elle a simplement été lourdement vaincue. De même, dans les textes bibliques, lorsque Dieu demande un massacre total, il n’est pas impossible de croire qu’il s’agisse de la même chose. Il n’est pas impossible de croire que Dieu demande une grande victoire militaire, une victoire décisive. Mais rien de génocidaire. Comment en être sûr ? Déjà le NT n’a pas les pudeurs humanistes des détracteurs de l’AT. Paul dans son épître aux hébreux loue le courage et la foi des hébreux lors de ces guerres de conquête. Le texte biblique lui-même montre cette impossibilité si on le regarde avec attention. On se souvient que les Jébusiens par exemple font partie de ce grand commandement génocidaire. Ainsi, pour ces jébusiens, on s’attend logiquement à ce qu’ils soient tous intégralement tués. Et pourtant, la Bible dit également « Les fils de Juda ne purent pas chasser les Jébusiens qui habitaient à Jérusalem, et les Jébusiens ont habité avec les fils de Juda à Jérusalem jusqu’à ce jour. » (Jos 15 :63) et « Les fils de Benjamin ne chassèrent point les Jébusiens qui habitaient à Jérusalem; et les Jébusiens ont habité jusqu’à ce jour dans Jérusalem avec les fils de Benjamin. » (Ju 1 :21). Donc les Jébusiens n’ont pas tous été tués. Dieu n’a pas fait un reproche de désobéissance génocidaire à son peuple. Dans la plupart des cas, dans la Bible, on peut retrouver les populations dont on pensait qu’elles avaient été toutes anéanties. Ceci est une preuve majeure du langage hyperbolique. Cela ne veut pas dire qu’une lecture littérale est impossible, cela veut dire que la littéralité demande obligatoirement une contextualisation. Mais il n’y a pas d’allégorie ici : il y a bien eu une guerre, avec des morts. Le passage le plus révélateur de cette rédaction hyperbolique est Dt 7 :1-5 : « Lorsque l’Éternel, ton Dieu, t’aura fait entrer dans le pays dont tu vas prendre possession, et qu’il chassera devant toi beaucoup de nations, les Héthiens, les Guirgasiens, les Amoréens, les Cananéens, les Phéréziens, les Héviens et les Jébusiens, sept nations plus nombreuses et plus puissantes que toi; lorsque l’Éternel, ton Dieu, te les aura livrées et que tu les auras battues, tu les dévoueras par interdit, tu ne traiteras point d’alliance avec elles, et tu ne leur feras point grâce. Tu ne contracteras point de mariage avec ces peuples, tu ne donneras point tes filles à leurs fils, et tu ne prendras point leurs filles pour tes fils; car ils détournaient de moi tes fils, qui serviraient d’autres dieux, et la colère de l’Éternel s’enflammerait contre vous: il te détruirait promptement. Voici, au contraire, comment vous agirez à leur égard: vous renverserez leurs autels, vous briserez leurs statues, vous abattrez leurs idoles, et vous brûlerez au feu leurs images taillées. ». Ici, le verset 2 est particulièrement mal traduit et attenue le sens de l’hébreu : תַּחֲרִים֙ הַחֲרֵ֤ם cela signifie les détruire totalement. Le verset 2 pourrait donc se traduire littéralement comme ceci : « Lorsque YHWH ton El te les auras livrés, tu devras les conquérir, les détruire totalement, et tu ne feras avec eux aucune alliance et ne leur montrera aucune miséricorde ». Ok, donc si on suit le sens littéral qu’on croit discerner, ici les cananéens sont tous morts à l’issue de la conquête. Et le verset 3 nous dit que les fils des hébreux ne peuvent pas épouser leurs filles, et vice-versa. Mais de quelles unions parle-t-on ici ? Ils sont déjà tous morts. C’est absurde de préciser cela. Mais si Dieu fait cette précision, cela veut dire que ce génocide n’est pas un génocide au sens où nous l’entendons. Prohiber des unions signifie qu’il y a encore des gens avec qui faire des unions.


Troisième réponse : la démonologie et la lutte contre les démons

Il me semble nécessaire ici de faire une courte introduction théologique pour aborder cette troisième possibilité. Tout d’abord, depuis le péché originel, tout homme est coupable et tout homme mérite la mort. Avant la Passion du Christ, la destination de tout homme, même les plus éminents, était l’enfer. Donc les cananéens n’ont que ce qu’ils méritent. Certes, on pourra constater que Dieu exerce sa justice uniquement sur eux, mais il n’y a pas d’injustice ici. Chaque être humain, en l’absence du travail de l’Esprit Saint sur les hommes, est un être coupable, immoral. Accuser Dieu, infinité moralité, d’immoralité c’est une pure inversion accusatoire. Cette inversion accusatoire, même Israël l’a pratiquée, ce qui agace particulièrement l’éternel : « Vous dites: La voie du Seigneur n’est pas droite. Écoutez donc, maison d’Israël! Est-ce ma voie qui n’est pas droite? Ne sont-ce pas plutôt vos voies qui ne sont pas droites? » Ez 18 :25. Et en fait, à partir de là, ne serait-ce pas tout le prisme de réflexion qu’il conviendrait de changer ? Il faut bien comprendre que les catégories du genre « le gentil bouddhiste qui ne connaît pas Jésus mais qui a fait le bien toute sa vie », « l’athée qui n’a pas trouvé Dieu mais qui ne fut que don de lui-même toute son existence » sont des pures créations de l’esprit humain. Ces gens n’existent pas. Tout le monde est pêcheur. Il n’en est pas un sur terre qui ne mérite pas la peine capitale immédiatement. Plutôt que d’être choqué que Dieu exerce finalement un jugement amplement mérité sur certains, ne devrions-nous pas être surpris concernant le fait qu’il met si longtemps à exercer sa justice ? Nous devrions tous remercier Dieu pour additionner les jours à notre vie, alors que nous ne faisons qu’additionner les péchés. Pourquoi cette addition de jours ? Dieu attend une repentance. Le livre de Jonas nous montre comment les ninivites se sont repentis de leurs péchés. Dieu n’a rien fait contre la ville. Abraham nous a appris que certains justes, conscients et luttant contre leur péchés, pouvaient via un tout petit nombre sauver une ville comme Sodome et Gomorrhe. Rahab, dans le livre de Josué montre que tous les cananéens connaissaient les prodiges du Dieu d’Israël en Egypte, qu’ils en avaient peur. Et pourtant c’est la seule qui sera sauvée. Tous les autres n’ont pas montré le début d’un repentir. Rien. Ils sont restés dans leurs péchés. Dieu les a alors enlevé de la surface de la terre, comme il le fait depuis le début du monde, avec chaque mort. Et je rappelle les péchés des cananéens : bestialité ou zoophilie si vous préférez, inceste, idolâtrie, sacrifices d’enfants. Est-ce que les cananéens nous manquent ? pas vraiment… Ce qui gêne à la lecture du massacre demandé par Dieu à l’encontre des cananéens, c’est la perspective de notre propre jugement. Une fois qu’on a dit que les hommes, les guerriers, les prêtres sataniques, et les adultes au sens large méritaient la mort, on reste sur le problème des enfants. Tuer les enfants des criminels et tuer les criminels ce n’est pas exactement la même chose. Alors dans ce cas, il est bien évidemment difficile de répondre avec certitude. Mais une chose est sûre : si on avait la possibilité, via une certitude absolue de l’origine divine et donc morale du commandement, de devoir et pouvoir tuer Lénine, Staline et Trotsky avant qu’ils ne commettent tous ces crimes innombrables, ne serait-ce pas finalement une bonne chose ? Si on tue Lénine lorsqu’il a 5 ans, on fait deux choses : on sauve – peut-être - la vie de millions de russes, et en plus le jeune Lénine arriverait dans un état de péché qui pourrait – peut-être – lui assurer le salut et la vie éternelle. Nous ne savons pas ce qu’auraient fait ceux qui sont morts, s’ils n’avaient pas été tués par les guerriers hébreux. N’oublions pas que Dieu, éternel, hors du temps, a une vision totale de ce qu’il se passe. Il sait qu’il faut que ces peuples meurent. Si ces peuples ne meurent pas, alors Israël sera amené dans l’idolâtrie. Et on voit que cette volonté divine, qui reste difficile à comprendre, n’a pas été observée. Salomon, le grand roi, a épousé des femmes de ces peuples, et il s’est passé exactement ce que Dieu avait annoncé. Et j’en arrive à la troisième réponse : la démonologie. On comprendra que cette réponse est par exemple utilisable lorsque les considérations d’hyperbole ne peuvent plus convenir (lorsque Dieu reproche à Saül une désobéissance par exemple, et que la demande d’extermination semblait donc cette fois bien réelle) et que tout ce que je viens d’exposer ne semble pas répondre complètement au problème de la violence. La troisième possibilité est que ces gens n’étaient pas humains. Il est plus simple de comprendre cette dichotomie entre un Christ bon et doux et un Dieu vétéro-testamentaire guerrier et brutal lorsque l’on prend en compte cette possibilité d’une humanité corrompu génétiquement par le démon, et qu’il s’agit d’éradiquer des hybrides hommes-démons. J’imagine votre surprise en entendant cette théorie, qui pour de nombreux chrétiens tiendra davantage de la science-fiction que de la théologie orthodoxe. Et pourtant il s’agit de l’explication la plus plausible des trois, celle qui fait le plus de sens au global. Si vous revenez au chapitre 6 de la Genèse, les biblistes laissent souvent de côté les quatre premiers versets, alors qu’il s’agit d’une véritable pierre de rosette de toute la Bible. On voit que des fils d’Elohim ont des enfants avec des filles d’Adam. Cette expression doit se comprendre, selon cette théorie, de la façon suivante : des anges rebelles et déchus, ont créé une descendance charnelle auprès des hommes, descendance qui lorsqu’elle est apparue a corrompu physiquement et spirituellement toute l’humanité sauf la famille de Noé. C’est pour cela que Dieu a ordonné le déluge. Dieu ne voulait pas voir sa création, l’homme, souillée par le démon. C’est ce qui est précisé, relativement à ce récit du déluge dans le chapitre 6 de la Genèse, avec beaucoup plus de détails, par le livre d’Enoch. Ce livre est ce qu’on appelle un livre intertestamentaire. Il a été rédigé, après les livres de l’AT et avant ceux du NT. J’entends d’ici l’objection : Enoch n’est pas dans le canon biblique, donc on ne peut pas le prendre comme référence. Alors ce n’est pas si simple. Tout d’abord il est dans le canon éthiopien depuis le tout début de l’Eglise. L’Eglise éthiopienne n’avait jamais été condamnée pour cela par les autres églises apostoliques. Ensuite, le livre d’Enoch est cité deux fois dans le NT. Donc il était lu, connu, et respecté, au point d’être cité. Il est cité via une citation dans l’épitre de Jude, qu’on trouve juste avant l’Apocalypse de Jean, et Pierre y fait une très forte allusion dans son épitre parlant des anges rebelles. Ainsi, si deux apôtres trouvent que ce livre a une valeur en théologie, je ne vais pas m’aventurer à dire qu’ils se trompent. Seconde objection : les Pères de l’Eglise ne reprennent pas cette théorie dans leurs commentaires bibliques sur le chapitre 6. Ce n’est pas entièrement vrai. C’est-à-dire qu’il n’y a pas consensus. Dans le camp opposé on trouve tout de même des gens prestigieux comme Saint Jean Chrysostome, et Saint Ambroise de Milan, excusez du peu. Mais des Pères plus proches des apôtres et pas forcément moins prestigieux, puisqu’on trouve Sait Irénée de Lyon parmi eux, s’alignent sur le livre d’Enoch ou le tiennent en grande estime, ce qui est, semble-t-il, une façon de promouvoir ce que ce livre avance. Alors, bien évidemment l’idée que des démons et des femmes puissent s’unir et donner naissance à des hybrides est étonnante au premier abord, mais une fois ce postulat accepté, alors le déluge devient tout à fait compréhensible. La continuité des lignées démoniaques après le déluge est un sujet en soi que je ne développerai pas ici, mais admettons qu’une lignée démoniaque persiste via Canaan, le fils de Cham, un des trois fils de Noé. Je ne parle pas de la terre de Canaan, mais bien de la personne Canaan. Il est maudit nous dit le texte, sans que l’on comprenne trop pourquoi, et la fureur exterminatrice divine se concentre exactement et exclusivement sur sa progéniture. C’est par cette théorie qu’on explique de façon littérale la présence de géants (tel que Goliath pour le plus célèbre) et que nombre de textes étonnants de l’AT prennent un autre sens. Ce souci de la disparition de tout ce qui peut être souillé par le démon, explique ce caractère excessif où Dieu demande même de tuer du bétail, ou de s’en prendre à des éléments naturels environnants. Il s’agit ici de voir les guerriers hébreux, non pas comme les adeptes aveugles d’un Dieu cruel, mais bien les acteurs, probablement conscients, d’un combat dont la dimension spirituelle était évidente.

Conclusion


Voilà pour la violence de l’AT. Très souvent l’hérésie provient d’une lecture partielle et incomplète de la Bible. Cette problématique de la violence de l’AT est également souvent basée sur ce genre de chose. Lecture inattentive, non systématique, et qui finalement ne rentre pas dans l’intelligence des textes. Une fois que nous voyons que cette violence se contextualise dans la langue, dans l’action et dans le plan divin, tout devient, nous semble-t-il, très compréhensible.