Je vous propose dans ce post de poursuivre l’étude biblique et patristique consacrée au premier jour de la création. Nous avions vu dans les premiers posts, les choses importantes du premier verset ainsi que les commentaires patristiques de Basile, Chrysostome et Augustin. Je vous suggère grandement de lire également tous les billets consacré à la remise en question des sciences et des hérésies qu’elles entraînent, pour que vous puissiez aborder une lecture littérale sans à priori ni hésitation (section réfutations). Nous pouvons donc reprendre à partir du verset 2, maintenant que le terrain est aplani, si j’ose dire.

וְהָאָ֗רֶץ הָיְתָ֥ה תֹ֙הוּ֙ וָבֹ֔הוּ וְחֹ֖שֶׁךְ עַל־פְּנֵ֣י תְה֑וֹם וְר֣וּחַ אֱלֹהִ֔ים מְרַחֶ֖פֶת עַל־פְּנֵ֥י הַמָּֽיִם

Un verset très riche traduit généralement : 2 La terre était informe et vide: il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.

Les mots informes et vides viennent du grec ἀόρατος καὶ ἀκατασκεύαστος tirés de la LXX. Car l’hébreu tohu et bohu sont en fait des termes très mystérieux. Pour garder ce caractère étrange des mots on pourrait ainsi rendre le verset en français : La terre était tohu et bohu, il y avait des ténèbres… etc. A noter ici que la terre est le terme eretz, et donc il ne s’agit pas encore de ce dont nous humains sommes faits, car Dieu va utiliser du adamah pour nous former, et pas du eretz. Nous verrons cela lors de la création de l’homme. Alors, que signifient tohu et bohu ? Chez les rabbins, Rachi, dans son commentaire de la Genèse précise que Tohu signifie étonnement, stupéfaction, et bohu signifie vide et solitude. Ce qui est intéressant en terme d’étude est de voir où se retrouve un terme, ou mieux encore une expression. Les outils nous montrent que Tohu est présent en tout vingt fois dans la Bible, mais dans une de ces occurrences, en Jérémie 4:23 on constate quelque chose de tout à fait intéressant :

23 Je regarde la terre, et voici, elle est informe et vide; Les cieux, et leur lumière a disparu.
24 Je regarde les montagnes, et voici, elles sont ébranlées; Et toutes les collines chancellent.
25 Je regarde, et voici, il n’y a point d’homme; Et tous les oiseaux des cieux ont pris la fuite.
26 Je regarde, et voici, le Carmel est un désert; Et toutes ses villes sont détruites, devant l’Éternel, Devant son ardente colère.
27 Car ainsi parle l’Éternel: Tout le pays sera dévasté; Mais je ne ferai pas une entière destruction. (Jr 4:23-27)

Donc, en un endroit Dieu nous dit que la terre est tohu et bohu, totalement détruite, lorsque s’exprime sa colère. Sachant que l’homme n’était pas encore créé, contre qui donc a pu s’exercer sa colère ? Je vous laisse réfléchir. On va voir si la suite du verset nous donne un indice. Lorsque l’on traduit « il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme » il faut se souvenir que le terme ténèbres en hébreu (hosekh) est singulier, comme skotos en grec. A la surface est la traduction d’une expression difficile à traduire en hébreu : al-pnei « sur les visages, sur les faces » et l’abîme est la traduction du tehom. Nous avons donc du hosekh, de l’obscurité au dessus, en vis-à-vis de l’abîme, du tehom. Si on va vers le grec de la LXX Gn 1:2 ἡ δὲ γῆ ἦν ἀόρατος καὶ ἀκατασκεύαστος, καὶ σκότος ἐπάνω τῆς ἀβύσσου, καὶ πνεῦμα Θεοῦ ἐπεφέρετο ἐπάνω τοῦ ὕδατος.

on voit que ce tehom hébreu est rendu par le terme ἀβύσσου qui si on recherche dans le NT donne des indications très intéressantes, par exemple dans l’Apocalypse de Jean :

Au chapitre 9 de l’apocalypse on peut lire :
1 Le cinquième ange sonna de la trompette. Et je vis une étoile qui était tombée du ciel sur la terre. La clef du puits de l’abîme lui fut donnée,
2 et elle ouvrit le puits de l’abîme. Et il monta du puits une fumée, comme la fumée d’une grande fournaise; et le soleil et l’air furent obscurcis par la fumée du puits.
11 Elles avaient sur elles comme roi l’ange de l’abîme, nommé en hébreu Abaddon, et en grec Apollyon.


On voit donc, que dans cet abîme, logent les calamités et les démons. La nature de cette colère divine du premier jour se précise donc… La fin de ce second verset met ensuite le focus sur l’Esprit. Il s’agit de l’Esprit de Dieu, le Ruah Elohim, et il plane au dessus des eaux. Un bon réflexe sur les textes bibliques : mettre en évidence les bizarreries apparentes : on nous parle d’eau. D’où vient cette eau, sachant qu’avant on nous a relaté la création du ciel et de la terre.



Que disent les Pères sur ce verset ? Saint Jean Chrysostome nous parle justement d’eau pour introduire son commentaire sur le premier jour de la création. Il écrit : «  La lecture des divines Écritures se compare à un riche trésor. Et en effet, celui qui a un trésor à sa disposition, peut facilement s’enrichir. Et de même, une seule ligne des saintes Écritures, nous offre une rare fécondité de pensées et d’immenses richesses. Mais la parole du Seigneur ne ressemble pas seulement à un trésor; elle est encore une fontaine qui s’épanche toujours abondante et inépuisable. Hier, nous avons pu nous en convaincre, puisque l’explication de ces premières paroles de la Genèse : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, a pris tout le temps de l’instruction, sans que nous l’ayons achevée. C’est que ce trésor est riche, et cette fontaine intarissable. Au reste, ne vous étonnez point, mes frères, de notre impuissance , car ceux qui nous ont précédé sont venus, eux aussi, boire à cette source, et ne l’ont point épuisée; ceux qui nous suivront y viendront également , et ne la tariront point. Tout au contraire, elle croît et grossit à mesure qu’on y puise. Telle est, en effet, la nature des eaux spirituelles de la grâce, qu’elles coulent d’autant plus abondantes qu’on y puise plus fréquemment. Aussi le Sauveur disait-il : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive. Qui croit en moi, suivant ce que dit l’Écriture, des fleuves d’eau vive couleront de son sein. (Jean, VII, 37, 38.) Ces paroles nous montrent quelle est l’abondance des eaux de la grâce, et puisque ces eaux ne sont pas moins salutaires qu’inépuisables, préparons le vase de notre âme pour les recueillir, et le reporter plein à la maison. Mais comme l’Esprit-Saint épanche plus libéralement les richesses de ses grâces, lorsqu’il trouve un cour fervent et un esprit attentif, délivrons-nous des inquiétudes de la vie présente, et arrachons les épines qui étoufferaient en nous les germes des bonnes pensées. Notre âme pourra alors se livrer tout entière aux saintes affections de la piété, en sorte que nous ne quitterons point ce temple sans y avoir recueilli d’utiles leçons et de salutaires instructions. ». Ceci est un classique biblique et patristique : la Bible est comparée à de l’eau, cette eau sans qui la vie n’est pas possible. La Bible est pour l’âme ce que l’eau est pour le corps. Une nécessité vitale. Sans elle, notre âme ne saurait vivre. Et on voit que l’Esprit qui justement plane sur les eaux n’est pas extérieur à cette problématique de la vie de notre âme.

Sur la dimension chronologique des choses, maintenant, Chrysostome précise ceci : « Après avoir dit que la terre était invisible et informe, il nous en donne la raison, en ajoutant que les ténèbres couvraient la face de l’abîme, et que l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux. Mais observez avec quel soin le saint Prophète retranche ici tout détail inutile. Il ne nous raconte point toutes les diverses particularités de la création; mais parce que le ciel et la terre contiennent tous les éléments, il se contente de les mentionner, et passe les autres sous silence. C’est ainsi que sans décrire la formation des eaux, il dit simplement que les ténèbres couvraient la face de l’abîme , et que l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux. Ainsi les ténèbres et l’abîme couvraient la terre; et il était nécessaire qu’un sage ouvrier, corrigeant toute cette difformité, pût donner à celle-ci quelque beauté. Or, les ténèbres, dit Moïse, couvraient la face de l’abîme, et l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux; mais que signifie cette parole l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux? Il me semble qu’elle nous révèle que les eaux possédaient une vertu efficace et vitale. Elles n’étaient donc point stagnantes et immobiles, mais elles se mouvaient avec une certaine activité. Car tout corps qui repose dans une entière immobilité est complètement inutile, tandis que le mouvement le rend propre à mille usages. C’est pourquoi le saint Prophète dit que l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux, afin de nous apprendre qu’elles possédaient une force énergique et secrète, et ce n’est point sans raison que l’Ecriture s’exprime ainsi; car elle veut nous disposer à croire ce qu’elle nous dira plus tard que les animaux ont été produits de ces eaux par le commandement de Dieu, créateur de l’univers. Aussi Moïse ne se contenta-t-il pas de dire que Dieu créa les eaux, mais il ajoute qu’elles se mouvaient, se répandaient et couvraient l’espace. Lors donc que la terre était encore informe et submergée sous l’abîme, le divin Ouvrier corrigea d’une seule parole cette difformité. Il produisit la lumière, dont l’éclatante beauté dissipa soudain les ténèbres extérieures et illumina l’univers. » ensuite Chrysostome arrive sur la création de la lumière, ce que je garde pour après.



Voyons ce que dit Basile ici : « La terre , dit Moïse, était invisible et informe. Pourquoi le ciel et la terre ayant été créés également l’un et l’autre , le ciel était-il dans sa perfection , tandis que la terre était brute et imparfaite ? Que veut dire l’écrivain sacré quand il dit qu’elle était informe ? et pour quelle raison était-elle invisible ? La forme et la perfection de la terre est sa fécondité, la génération des plantes diverses , la naissance des plus hauts arbres , de ceux qui portent des fruits comme de ceux qui n’en portent pas , la beauté et l’odeur suave des fleurs , enfin toutes ces productions différentes , qui vont bientôt, par l’ordre de Dieu, sortir du sein de la terre pour orner sa surface. Comme rien de tout cela n’existait encore, Moïse l’a appelée avec raison informe. Nous pourrions dire, du ciel lui-même qu’il n’était pas achevé, qu’il n’avait pas la décoration qui lui est propre, puisqu’il ne brillait pas encore par le soleil et par la lune, et qu’il n’était pas couronné par les chœurs des astres. Ces corps lumineux n’avaient pas encore été créés, et l’on pourrait dire avec vérité que le ciel lui-même était informe.

La terre est appelée invisible pour deux raisons, ou parce que l’homme n’existait pas encore pour la contempler, ou parce qu’étant inondée par les eaux dont toute sa surface était couverte, elle ne pouvait être aperçue. Car Dieu n’avait pas encore rassemblé les eaux dans les demeures qui leur étaient destinées, comme il fit ensuite en leur donnant le nom de mer. On appelle invisible , ou ce qui ne peut être aperçu des yeux de la chair, comme notre âme ; ou ce qui étant visible de sa nature, est caché par l’interjection d’un corps qui le couvre, comme le fer au fond de l’eau. C’est dans ce dernier sens, à notre avis, que la terre a été nommée invisible , parce quelle était cachée sous les eaux. D’ailleurs , comme la lumière n’était pas encore créée, il n’est pas étonnant que la terre étant plongée dans les ténèbres, parce que l’air qui l’enveloppait n’était pas éclairé, ait encore pour cette raison été appelée invisible par l’Écriture. »

On voit ici que pour Basile, il s’agit de préciser des choses sur cette terre créée au premier verset, terre au sens générique. On commence ici à nous dévoiler quelques détails. C’est comme si le premier verset était une sorte de titre. Dans la suite de son homélie que je vous invite à lire (la seconde de l’hexameron), Basile explique que cette façon d’agencer le texte permet de ne pas croire en une matière incréée, co éternelle à Dieu, laissant simplement à Dieu le soin de l’organiser, de l’architecturer. Il s’agit ici de montrer que Dieu créé, par étape, pas en un seul instant, mais créé tout pour nous emmener vers le but de la création. Il écrit ces lignes fameuses, à ce sujet « La laine existait avant l’art du tisserand , qui est venu fournir ce qui manquait à la nature. Le bois existait avant l’art du charpentier, qui s’en est servi, et qui, lui donnant diverses formes selon les besoins, nous a montré l’usage qu’on pouvait en tirer. Il en a fait une rame pour le matelot, un ventilabre pour le laboureur , une pique pour le guerrier. Il n’en est pas de même de Dieu. Avant que rien de ce que nous voyons existât , ayant décidé en lui-même et résolu de donner l’être à ce qui n’existait pas, il imagina le plan du monde en même temps qu’il créa une matière analogue à sa forme. Il assigna au ciel une nature qui convenait au ciel ; et d’après la figure qu’il voulait donner à la terre, il produisit une substance qui lui était propre. Il forma le feu , l’eau et l’air comme il voulut, et leur attribua la substance que demandait la destination de chacun de ces éléments. Les parties différentes dont il composait le monde, il les unit entre elles par un lien indissoluble, il en fit un tout régulier et harmonique ; de sorte que les êtres qui sont les plus opposés , paraissent liés entre eux par une sympathie naturelle. Qu’ils renoncent donc à leurs fictions fabuleuses, ces hommes qui mesurent par la faiblesse de leurs propres raisonnements une puissance à laquelle ni les idées d’un mortel ni ses paroles ne sauraient atteindre. Dieu créa le ciel et la terre ; il ne créa pas l’un et l’autre à moitié, mais le ciel tout entier et la terre toute entière , la substance remise à la forme. Car Dieu n’est pas seulement l’artisan des formes , mais le créateur de la nature même des êtres. Ou bien qu’on nous explique comment la puissance effective de Dieu et la nature passive de la matière se sont rencontrées, l’une fournissant le sujet sans forme , et l’autre ayant l’art des figures sans matière, afin que l’un reçût de l’autre ce qui lui manquait , que l’Ouvrier suprême pût faire valoir son art , et la matière prendre les figures et les formes dont elle était privée. »

Il réfute, de la même façon, l’hérésie manichéenne, qui voyait une égale puissance et dignité à deux dieux, celui du bien, maître du règne spirituel et celui du mal, maître du règne matériel. Basile rappelle très justement que les ténèbres arrivent ici, et sont créées, comme tout le reste, et qu’il est impossible de lire les écritures de façon manichéenne. Il le fait avec une exégèse littérale des écritures : l’abîme est due à la masse des eaux sur la terre, et dans cette vaste étendue d’eau, on ne voit pas le fond : « Les ténèbres, dit l’Écriture , couvraient la face de l’abîme. Certains hommes tournant ces paroles à leur propre sens, ont encore pris de-là occasion de débiter des fables et des fictions encore plus impies que celles que nous venons de réfuter. Ils n’expliquent pas naturellement les ténèbres, un certain air non éclairé , ou un lieu ombragé par l’interjection d’un corps , ou en général un lieu privé de lumière par quelque cause que ce soit ; mais ils entendent par ténèbres une puissance mauvaise, ou plutôt le mal lui-même, qui tient l’être de soi , qui est opposé et contraire à la bonté de Dieu. Si Dieu est la lumière , les ténèbres disent-ils conséquemment à leurs principes, doivent être la puissance qui le combat : les ténèbres n’ont pas reçu l’être d’un autre , mais elles sont le mal qui s’est donné l’être à lui-même: les ténèbres sont les ennemies des âmes, les auteurs de la mort et le fléau de la vertu. Ils prétendent faussement que les paroles mêmes du Prophète annoncent que les ténèbres existaient sans avoir été créées par Dieu. De-là , quels dogmes pervers et impies n’ont pas été forgés ? quels loups cruels ne déchirent pas le troupeau de Dieu, s’autorisant d’une simple parole pour s’emparer des âmes ? n’est-ce pas de-là que viennent les Marcions , les Valentins , et l’hérésie abominable des Manichéens, qu’on peut appeler avec raison la honte et l’opprobre de l’Église ? ô homme, pourquoi vous éloignez-vous si fort de la vérité ? pourquoi cherchez-vous des sujets pour vous perdre ? Les paroles de l’Écriture sont simples et faciles à comprendre: La terre était invisible, dit-elle. Quelle en était la raison ? c’est que l’abîme couvrait sa surface. Et que doit-on entendre par abîme ? Une grande quantité d’eau dont le fond n’est pas facile à trouver. Mais nous savons, dira-t-on peut-être , que plusieurs corps paraissent souvent à travers une eau légère et transparente. Comment donc aucune partie de la terre ne se montrait-elle à travers les eaux ? c’est qu’elle était enveloppée d’un air obscur et ténébreux. Les rayons du soleil qui pénètrent à travers les eaux, montrent souvent les cailloux qui sont au fond ; mais dans une nuit profonde il est impossible de voir sous l’eau. Ainsi ce qui rendait la terre invisible, c’est que l’abîme dont elle était chargée était obscurci par les ténèbres. L’abîme n’était donc pas une multitude de puissances contraires, comme quelques-uns l’ont imaginé. Les ténèbres n’étaient pas non plus une puissance principale et mauvaise, opposée à l’être bon. Deux êtres également puissants , opposés l’un à l’autre, se détruiront entièrement l’un l’autre. Ils se causeront réciproquement des peines, et se feront une guerre sans fin. Celui des deux qui aura l’avantage, détruira absolument celui qu’il aura vaincu. Si donc on dit que le mal s’oppose au bien avec une égale puissance, on introduit une guerre continuelle, des défaites perpétuelles, parce que tous deux sont tour-a-tour vaincus et vainqueurs. Si le bien a l’avantage, qu’est-ce qui empêche que le mal ne soit absolument détruit. Mais si…. Il n’est pas permis de finir. Je suis étonné que des hommes qui se portent des blasphèmes aussi horribles ne se détestent pas eux-mêmes. On ne peut dire sans choquer la piété, que le mal tire son origine de Dieu, parce que les contraires ne naissent pas des contraires. La vie n’engendre pas la mort, les ténèbres ne sont pas le principe de la lumière, la maladie n’est pas la cause de la santé: mais dans les changements d’états , on passe d’un contraire à un contraire; dans les générations, un être ne naît pas d’un être contraire, mais d’un être de même espèce. Mais si l’on ne peut dire que le mal tire son origine de lui-même, ni de Dieu, oû prend-il donc naissance ? »

Est-ce que Basile ne vient pas ici d’invalider tout ce que j’ai essayé de sous entendre dans mon analyse philologique en introduction ? Basile ici, invalide une vision manichéenne des choses : le fait que nous voyions deux forces antagonistes et équilibrées qui vont être la clé de tout l’univers. Ce que j’ai montré, est que les Ecritures, pointent vers une possible guerre, et vers une habitation déjà démoniaque. Car il faut bien de toute façon, que le serpent qui viendra au chapitre 3 vienne de quelque part. Cette guerre angélique qu’on peut deviner n’a rien à voir avec le manichéisme : des anges se sont rebellés contre Dieu, et ont été chassés, ceci est une évidence. Ceci s’est passé dans les six premiers jours. Un des meilleurs « moments candidats » si je peux m’exprimer ainsi, est ce verset 2. De plus, dans la version des LXX qui est celle de Basile, le texte grec de Jérémie est très différent de celui de l’hébreu. Ainsi, Basile n’avait pas à sa disposition une équivalence d’expression entre le tohu bohu de la création et le tohu bohu de la colère divine après une guerre.

Sur l’Esprit Saint, Basile apporte ces paroles décisives : « L’esprit de Dieu était porté sur les eaux. Si par esprit l’Écriture entend l’air répandu sur la terre, croyez que l’écrivain sacré vous expose les parties principales du monde; qu’il vous avertit que Dieu a créé le ciel, la terre, l’eau, et l’air qui était déjà répandu et avait déjà son cours ? Mais si par esprit de Dieu on doit entendre l’Esprit-Saint, ce qui est plus vraisemblable et plus conforme aux sentiments des anciens , parce que c’est ordinairement le sens particulier dans lequel l’Écriture prend cette parole, et que par Esprit de Dieu elle n’entend autre chose que l’Esprit-Saint qui est le complément de la divine et bienheureuse Trinité; si vous admettez ce sens , vous y trouverez un plus grand fruit. Comment donc l’Esprit-Saint était-il porté sur les eaux? je vais vous donner , non mon explication, mais celle d’un Syrien, qui était aussi vide de la sagesse du monde, que rempli de la science des choses véritables. Il disait donc que la langue syrienne avait plus de force, et que par son rapport avec la langue hébraïque, elle approchait plus du sens des Écritures; or , que d’après la version syrienne, le passage que nous rendons par : était porté sur les eaux, avait ce sens énergique, échauffait et fécondait la nature des eaux, et après la comparaison d’une volaille qui couve ses œufs, et qui, en les échauffant, leur donne une puissance vitale; que la parole de l’Écriture devait être entendue d’après cette idée: l’esprit était porté sur les eaux, c’est-à-dire, préparait la nature des eaux à produire des animaux vivants. Et c’est ce qui prouve ce que plusieurs mettent en question, savoir que l’Esprit-Saint possédait aussi la puissance créatrice. »

Vous voyez que pour les Pères, il s’agit d’une évidence : l’hébreu, et l’araméen, ici appelé syrien, est porteur de plus de richesse, de davantage de sens. C’est pourquoi, je me base davantage sur l’hébreu pour expliquer les versets. Il est difficile de savoir à quel texte araméen Basile fait allusion. Les textes de la tradition orale d’Israël, disponibles à son époque me semblent en premier lieu être le midrash rabba, une collection de commentaires rabbiniques. Voici ce qui est rapporté par Rachi, extrait de Midrash Rabba sur la Genèse, également appelé Bereshit Rabba : « Le trône de la majesté divine se tenait dans les airs et planait à la surface des eaux grâce au souffle de la bouche du Saint Béni Soit-il et par Sa parole, comme une colombe qui plane sur son nid ». Ceci nous rappelle que ce qui est rendu par Esprit de Dieu, est plutôt Souffle de Dieu, et là on voit un texte juif qui montre une action conjointe du souffle et du verbe. Comme le dit Basile, c’est éminemment trinitaire. De plus, tout ceci nous renvoie beaucoup, via la colombe à la Théophanie du Christ, car l’Esprit est comme une colombe.



Passons à Augustin. Son explication sur l’eau est un chef d’œuvre : « « Et l’Esprit de Dieu était porté sur l’eau. » Jusque-là il n’a pas été dit que Dieu eût fait l’eau. Et cependant nous ne devons pas croire que Dieu ne l’ait pas créée et qu’elle ait existé avant qu’il eût encore rien fait, car il est celui de qui, par qui et en qui toutes choses ont l’être, comme le déclare l’Apôtre. Dieu donc est aussi le créateur de l’eau et ce serait une grande erreur de croire autrement. Mais pourquoi n’a-t-il pas été dit que Dieu ait créée l’eau ? L’écrivain sacré a-t-il voulu encore appeler eau cette même matière déjà désignée sous les noms de ciel et de terre, de terre invisible, sans ordre ni arrangement et d’abîme ténébreux? Et pourquoi ne serait-elle pas appelée eau, quand elle a pu être appelée terre, quoique rien jusque-là, ni eau, ni terre, ni aucun objet n’eût encore de forme distincte? Mais il peut paraître convenable qu’elle ait d’abord été appelée ciel et terre; en second lieu terre invisible, sans ordre ni arrangement, abîme sans lumière ; et eau en troisième lieu. Tirée du néant pour la formation de tous les êtres de l’univers, elle aurait été appelée d’abord ciel et terre, parce que le ciel et la terre, dont se compose le monde en devaient être formés. Elle aurait été nommée en second lieu terre informe, en désordre et abîme, parce que de tous les éléments, la terre est le moins beau et a moins d’éclat que le reste. Enfin elle aurait été désignée sous le nom d’eau, pour exprimer sa souplesse entre les mains du Souverain architecte ; car l’eau est plus mobile que la terre, et comme elle se laisse travailler et mouvoir plus facilement qu’elle, cette matière première a dû s’appeler eau plutôt que terre. Il est vrai que l’air est lui-même plus mobile que l’eau; et l’on croit ou l’on éprouve avec raison que l’éther est plus encore mobile que l’air. Mais ces noms d’air ou d’éther étaient moins convenables pour désigner cette matière première. Car on croit que la propriété de ces éléments est plus active que passive, tandis que c’est le contraire pour la terre et l’eau. Si ce que je dis paraît obscur, il est très clair cependant, selon moi, que le vent agite l’eau et bien des parties terrestres: or, le vent est l’air mis en mouvement et flottant en quelque sorte. Comme donc il est manifeste que l’air agite l’eau et que nous ne savons ce qui l’ébranle lui-même et en forme le veut; qui ne voit que la matière qui se laisse mouvoir doit pointer le nom d’eau plutôt que celui d’air, puisque c’est l’air qui imprime le mouvement? Or, être mu c’est recevoir l’action , mouvoir c’est agir. Ajoutons que les productions de la terre, pour naître et se développer, sont imbibées d’eau et que l’eau semble se transformer en elles. Le nom d’eau convenait donc bien mieux à la matière pour exprimer sa souplesse entre les mains de l’ouvrier et sa transformation aux êtres formés par lui, que ne lui convenait le nom d’air, puisque ce dernier nom exprimerait sans doute sa mobilité, mais non les autres propriétés qui la distinguent. En sorte que voici tout le sens : « Dans le principe Dieu fit le ciel et la terre, » c’est-à-dire une matière qui pût devenir le ciel et la terre; cette matière « était invisible et sans ordre, » c’est-à-dire une masse informe, un abîme sans lumière ; cette matière cependant se montrant docile au mouvement que lui imprime l’ouvrier souverain reçoit encore le nom d’eau. »

Ainsi, Augustin nous explique, que l’eau dont on parle, n’est pas l’eau dont nous nous désaltérons lorsque nous avons soif. C’est ainsi qu’était la matière, dans sa toute première forme, dans son tout premier état. Extrêmement malléable. Il poursuit pour préciser

« Ainsi dans le premier de ces noms qui désignent la matière est indiquée la fin pour laquelle elle était créée ; dans le second, son défaut de forme, et dans le troisième sa souplesse et sa docilité sous la main du grand architecte. D’abord donc elle est appelée ciel et terre parce qu’elle était faite pour devenir le ciel et la terre; en second lieu, terre invisible et en désordre, ténèbres sur l’abîme, c’est-à-dire, matière sans forme et sans lumière; de ce défaut de lumière son nom de terre invisible; en troisième lieu eau, soumise à l’esprit pour prendre un état et revêtir des formes. Aussi bien l’Esprit de Dieu était-il porté sur l’eau et par l’Esprit nous devons entendre celui qui opérait; par l’eau, la chose sur laquelle il opérait, c’est-à-dire la matière à travailler. Quand donc nous donnons à une seule et même chose ces trois noms de matière du monde, de matière informe, de matière à façonner; au premier correspond bien la dénomination de ciel et de terre, au second celle d’obscurité ou de confusion, de profondeur ou de ténèbres, et au troisième la souplesse que considère l’Esprit de l’ouvrier souverain avant de travailler. »