Passons aux trois versets suivants, consacrés à la création de la lumière :

3 Dieu dit: Que la lumière soit! Et la lumière fut.
4 Dieu vit que la lumière était bonne; et Dieu sépara la lumière d’avec les ténèbres.
5 Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le premier jour.

3 וַיֹּ֥אמֶר אֱלֹהִ֖ים יְהִ֣י א֑וֹר וַֽיְהִי־אֽוֹר׃
4 וַיַּ֧רְא אֱלֹהִ֛ים אֶת־הָא֖וֹר כִּי־ט֑וֹב וַיַּבְדֵּ֣ל אֱלֹהִ֔ים בֵּ֥ין הָא֖וֹר וּבֵ֥ין הַחֹֽשֶׁךְ׃
5 וַיִּקְרָ֨א אֱלֹהִ֤ים׀ לָאוֹר֙ י֔וֹם וְלַחֹ֖שֶׁךְ קָ֣רָא לָ֑יְלָה וַֽיְהִי־עֶ֥רֶב וַֽיְהִי־בֹ֖קֶר י֥וֹם אֶחָֽד

On voit ici que dans la conception biblique, le jour en tant que durée de temps, commence le soir et non pas le matin, et pas non plus à une heure fixe. Lorsque le soir tombe, bibliquement, c’est le début d’un nouveau jour. Lorsque le jour (en tant que lumière) se lève c’est la seconde moitié du jour (en tant que durée) qui démarre. Ici, c’est le terme YOM qui est utilisé pour rendre jour, c’est à dire le terme hébreu pour une journée, une journée classique de 24h. Ici nous sommes Dimanche, puisque la création va de dimanche à samedi, mais Dimanche se dit normalement Yom rishon « jour un » et ici, ce qui est traduit habituellement « jour un » enlève une petite précision de l’hébreu : yom e’had. On devrait davantage le traduire « jour unique ». Quand Dieu créé le mariage pour l’homme et la femme, ils deviennent e’had. Dieu pour témoigner de son unicité utilise ce terme qui sert donc à chaque fois à montrer une composition, une union. C’est ainsi un argument très faible pour le monothéisme que de dire Dieu est e’had. Un homme et une femme s’unissant sont e’had. Ainsi ce jour est unique, comme Dieu, nul n’est semblable à lui, rien ne l’approche, rien ne l’égale. Mais en lui est un erev, un soir, et un boquer, un matin. Pas d’unicité absolue ici. Mais plutôt une singularité sans égal.

Passons aux commentaires des Pères sur la création de la lumière et la fin de ce premier jour :

Chrysostome pose une question que tout le monde s’est posée (normalement) : « Mais je m’aperçois d’une omission et je la répare. Après donc que Dieu eut dit: que la lumière soit, et la lumière fut, Moïse ajoute : et Dieu vit que la lumière était bonne. Considérez ici, mon cher frère, avec quel art l’écrivain sacré tempère ses expressions. Quoi ! Dieu ignorait-il que la lumière fût bonne avant qu’il ne l’eût créée; et sa vue ne lui en a-t-elle découvert la beauté que du moment où il l’eut produite? Mais quel homme sensé admettrait un tel doute ! car nous voyons qu’aucun ouvrier n’entreprend un ouvrage , ne le travaille et ne le polit sans en connaître d’avance le prix et l’usage; et vous voudriez que l’Ouvrier suprême qui a tiré toutes les créatures du néant, ne sût pas avant de la produire que la lumière était bonne ! Pourquoi donc Moïse emploie-t-il cette façon de parler? c’est que ce saint prophète s’abaisse et s’accommode à l’usage ordinaire des hommes. Quand ils ont travaillé avec grand soin un ouvrage important, et qu’ils l’ont heureusement achevé, ils l’examinent de près et l’éprouvent afin de mieux en connaître tout,le mérite. Et de même la sainte Écriture se proportionne à la faiblesse de notre intelligence en disant que Dieu vit que la lumière était bonne. »

Saint Basile, sur le même verset n’y voit pas une problématique de condescendance divine, mais se projette dans le fait que cette lumière sera bonne pour nous, hommes : «Et Dieu vit que la lumière était belle. Quelles louanges dirons-nous être dignes de la lumière, lorsqu’elle a pour elle le témoignage du Créateur lui-même? Quant il est question de beauté, la parole cède le jugement aux yeux, L’huile que le plongeur souffle de sa bouche, éclaire vraiment l’endroit où il est placé. Quelques-uns prétendent qu’elle l’aide aussi à respirer. et qu’elle peut calmer les flots dans la place où il est, s’ils étaient agités, parce qu’elle ne peut rien dire qui surpasse le témoignage de la vue. Mais si dans un corps la beauté naît du rapport des parties entre elles et de la couleur qui les embellit, comment peut-elle exister dans la lumière qui est une matière fort subtile, et dont toutes les parties sont de même nature? C’est que dans la lumière le beau est annoncé, non par la régularité des parties, mais par cette douceur qui réjouit toujours l’œil et ne le blesse jamais. C’est ainsi que l’or est beau, non par le rapport des parties entre elles, mais par la couleur seule qui flatte la vue et qui la récrée. L’étoile du soir est le plus beau des astres, non par l’analogie des parties dont elle est composée, mais parce que son éclat frappe les yeux d’une manière satisfaisante. Ajoutons que le jugement de Dieu sur la beauté de la lumière , ne venait pas seulement de ce qu’il voyait qu’elle serait agréable à la vue ( car les yeux n’en étaient pas encore les juges); mais de ce qu’il prévoyait quelle serait à l’avenir son utilité. ».



Basile nous explique ici, de façon détournée que tout a été fait pour nous, et l’on notera que la lumière est la première chose qui été qualifiée de bonne par notre Créateur.

Saint Augustin de son côté va nous faire une leçon sur la littéralité intelligente. Car, si nous n’avons de cesse sur cette chaîne de vous appelez à considérer le sens premier des Écritures, il convient de le faire avec une intelligence patristique. Ce passage d’Augustin semble parfait pour entrer dans cette intelligence patristique : «« Dieu dit : Que la lumière soit et la lumière fut. » Ne pensons pas qu’en disant : « Que la lumière soit, » Dieu ait fait entendre un cri sorti des poumons et articulé par la langue et les dents. De telles pensées conviennent aux âmes charnelles, et l’Apôtre nous dit que juger selon la chair c’est la mort. Mais c’est d’une manière ineffable que Dieu a dit : « Que la lumière soit. » Maintenant cette parole a-t-elle été adressée au Fils unique de Dieu ou est-elle le Fils unique de Dieu lui-même, car le Fils est appelé le Verbe de Dieu, par qui toutes choses ont été faites ? C’est ce qu’on peut examiner, pourvu cependant qu’on évite l’impiété de croire que le Verbe, que le Fils unique de Dieu soit une parole semblable à celle que nous prononçons nous-mêmes. Mais ce Verbe de Dieu par qui toutes choses ont été faites, n’a pas eu de commencement et n’aura pas de fin; il est né sans commencement et co-éterneI à son Père. C’est pourquoi, si la parole : Fiat lux, a commencé et fini, elle a été plutôt adressée au Fils qu’elle n’est le Fils lui-même. Et néanmoins dans ce sens elle est encore un mystère ineffable : qu’aucune image sensible n’entre dans l’âme et n’y vienne troubler une pieuse contemplation purement spirituelle. Car si l’on entend d’une manière propre et absolue qu’il y a dans la nature de Dieu quelque chose qui commence et finit; c’est une opinion téméraire et périlleuse. On peut cependant par une charitable condescendance la permettre aux charnels et aux petits, non pour qu’ils y demeurent, mais pour que de là ils s’élèvent plus haut. Car toute chose en quoi l’on dit que Dieu commence et finit, ne doit d’aucune sorte s’entendre de la nature de Dieu, mais de la créature, admirablement docile à ses ordres. »

Augustin se pose ensuite la question de la nature de cette lumière : naturelle ou spirituelle ?

« « Et Dieu dit : Que la lumière soit; » s’agit-il de la lumière qui paraît aux yeux du corps ou d’une lumière secrète dont il n’a pas été donné à nos sens de jouir ici-bas? Et s’il s’agit d’une lumière secrète, est-ce une lumière corporelle qui soit répandue d’une façon locale dans les parties supérieures du monde, ou bien est-ce une lumière incorporelle telle qu’elle existe dans les êtres animés, même dans les bêtes, et qui, sur le rapport des sens, leur fait voir ce qu’il faut fuir, ce qu’il faut rechercher; ou bien enfin est-ce cette lumière d’un ordre bien supérieur que révèle le raisonnement et qui tient la première place entre tout ce qui a été créé? Car quelle que soit la lumière dont il s’agit ici, nous devons comprendre qu’elle a été formée et créée; tandis que, celle qui brille dans la sagesse même de Dieu n’a pas été créée mais engendrée ; en effet on ne doit point penser que Dieu ait été sans lumière avant de produire celle dont il est maintenant question. Les expressions mêmes indiquent suffisamment que cette lumière dont nous parlons a été faite, car il est écrit : « Et Dieu dit : Que la lumière soit faite et la lumière fut faite. » Autre est la lumière née de Dieu, autre la lumière faite par lui. La lumière née de Dieu est la sagesse même de Dieu, la lumière faite par Dieu est toute lumière muable soit corporelle soit incorporelle. On se demande ordinairement, comment la lumière corporelle a pu exister avant le ciel et les flambeaux du ciel dont il n’est parlé qu’ensuite. Mais il n’est pas facile, il est- même absolument impossible à l’homme de découvrir si au delà du ciel il y a une lumière spéciale qui soit répandue dans l’espace et qui enveloppe le monde. Néanmoins comme on peut encore comprendre ici la lumière incorporelle, en admettant qu’il est parlé dans ce livre non-seulement des créatures visibles, mais de tous les êtres de la création; qu’est-il besoin de nous arrêter plus longtemps sur ce sujet? Peut-être aussi que c’est ici une courte mais convenable et belle réponse à la question que l’on fait sur l’époque de la création des Anges.»

On remarquera l’humilité d’Augustin, qui n’a pas de certitude sur cette lumière. Comme je le disais dans un billet précédent, un bon cours de Bible donne plus de questions que de réponses. J’espère donc que cela vous aura apporté à la fois des questions et des réponses et vous donne rendez vous pour le prochain billet…