approfondissement sur la notion de repos



Voyons d’abord les versets bibliques sur ce passage en français courant :

1 Ainsi furent achevés les cieux et la terre, et toute leur armée.
2 Dieu acheva au septième jour son œuvre, qu’il avait faite: et il se reposa au septième jour de toute son œuvre, qu’il avait faite.
3 Dieu bénit le septième jour, et il le sanctifia, parce qu’en ce jour il se reposa de toute son œuvre qu’il avait créée en la faisant.

Une traduction très littérale de l’hébreu donnerait :

1 Furent terminés les cieux et la terre et toute leur armée
2 Elohim termina jour le septième son travail qu’il fit. Il se reposa jour le septième de tout son travail qu’il fit.
3 Elohim bénit jour le septième, le sanctifia, car en lui il se reposa de tout son travail que créa Elohim pour faire.

Trois versets très différents des versets des six jours précédant. Dieu ne dit rien. Il n’y a pas de soir, pas de matin. On voit ici une rupture. C’est la rupture du péché qui a chronologiquement déjà eu lieu, mais que le texte n’a pas encore relaté. Néanmoins nous assistons à une bénédiction et à une sanctification.

Le premier verset de ce second chapitre semble nous renvoyer au premier verset du premier chapitre : il y est question de cieux et de terre. Mais cette fois, les cieux et la terre sont accompagnés par leur armée. Quelle est cette escorte ? La Bible précise en Dt 4:19 “Veille sur ton âme, de peur que, levant tes yeux vers le ciel, et voyant le soleil, la lune et les étoiles, toute l’armée des cieux, tu ne sois entraîné à te prosterner en leur présence et à leur rendre un culte: ce sont des choses que l’Éternel, ton Dieu, a données en partage à tous les peuples, sous le ciel tout entier.”. Ainsi il paraît plausible de considérer que cette armée est l’ensemble des étoiles qui ornent les cieux.

Le second verset est un peu énigmatique. Pourquoi cette répétition du septième jour ? Il y a une troisième mention du septième jour au verset 3. Dans l’hébreu littéral, il n’est pas dit Shabbat une seule fois, qui est le nom du septième jour. Il est donc important de noter que dans la grande justification du repos shabbatique, le nom shabbat n’est pas mentionné. En français nous disons samedi. Shabbat est le mot pour samedi en hébreu. Ce Shabbat deviendra un signe majeur de l’alliance de Dieu avec Israël, la troisième alliance, celle scellée avec Moïse. La première est passée avec Noé dans la Genèse. La seconde l’est avec Abraham, toujours dans la Genèse. La troisième avec Moïse dans le livre de l’Exode et enfin la dernière alliance avec le Christ, chose prophétisée par Jérémie et accomplie dans les Evangiles.

Les LXX et le cas du sixième jour

La traduction des LXX est ici intéressante à noter. Le texte hébreu précise que Dieu s’est retiré le septième jour et le texte grec précise qu’il s’agit du sixième jour. Cette différence est inexplicable si l’on reste sur le registre philologique. Cela reviendrait à avaliser une erreur de traduction. Sur un cas aussi simple, vu les conditions de la traduction et son caractère inspiré, c’est tout à fait inenvisageable. Certains orthodoxes penchent pour une corruption du texte hébreu. C’est également très improbable. Alors de quoi s’agit-il ? Le concept de traduction concernant la Bible est un peu pauvre. Les juifs ne traduisaient pas leurs textes, ils faisaient des targoums, c’est à dire des rendus dans d’autres langues avec déjà des interprétations. C’est pourquoi il y a tant de différences entre l’hébreu et le grec. La lecture en synagogue se faisait de la façon suivante : lecture de l’original hébreu que certains savants comprenaient, et ensuite lecture du targoum dans la langue vernaculaire du lieu, puis commentaire de l’officiant du jour dans la synagogue (on voit une fois où ce rôle est rempli par le Christ lorsqu’il commente la prophétie d’Isaïe). Mais comment expliquer cette différence entre 6 et 7 ? Si on a compris que le 6 est une interprétation du 7, on a compris le principe, mais pas la logique. Le respect du Shabbat implique de ne pas commencer Shabbat en retard. La jurisprudence rabbinique bien antérieure au Christ était de commencer Shabbat en avance, meilleure façon de ne jamais être en retard. C’est pourquoi le 7 est devenu un 6. Il est très probable que dans la lecture synagogale ceci était expliqué par l’officiant. Le 7 était donc aussi connu que le 6. L’intérêt pratique pour les juifs dans le monde hellénophone d’alors, était qu’on ne leur reprocherait pas de mal faire lorsqu’ils cesseraient le travail vendredi après-midi.

Passons à la sanctification. Nous avions vu au cinquième jour ce qu’était la bénédiction. La sanctification, c’est tout autre chose. Il s’agit de rendre saint ce jour. Le Christ, dans la prière du Notre Père, en tout premier, nous demande de sanctifier le nom de Dieu. C’est probablement la demande du Christ la moins comprise de cette prière. Être saint, c’est être radicalement différent de ce qui est non saint. C’est se démarquer, se différencier, être vraiment à part. Un saint est quelqu’un qui a témoigné d’une vie hors norme, dédiée à la spiritualité, dédiée à Dieu. Sanctifier le nom de Dieu, c’est considérer que le Nom de Dieu doit être traité comme aucun autre nom. Il ne doit pas être prononcé avec légèreté. Peut-être vaut-il mieux se discipliner à ne pas le prononcer. Il ne s’agit pas de ne pas utiliser le mot Dieu. Dieu n’est pas le nom de Dieu. Le nom de Dieu est ce qui est défini dans l’Ecriture : Elohim et bientôt Yod Hé Vav Hé, le tétragramme, dans les versets suivants. Ainsi, que demande Dieu ici : que ce jour soit considéré comme un jour tout à fait différent des autres.

La controverse du Shabbat

L’herméneutique particulière de ces versets fonde toutes les controverses sur le Shabbat que nous pouvons voir dans le NT, principalement entre Jésus et des pharisiens. Si on peut résumer la version que Jésus va souvent rencontrer, il s’agit de : puisque Dieu n’a plus rien fait le septième jour, par imitation, comme il nous le demande dans la loi de Moïse, nous ne faisons rien non plus. Nous sommes appelés à nous retirer, comme Dieu. Ainsi ce que fait Jésus est interdit pour le Shabbat. Citons le quatrième commandement du décalogue, qui fonde cette opposition au Christ : « 8 Souviens-toi du jour du repos, pour le sanctifier. 9 Tu travailleras six jours, et tu feras tout ton ouvrage. 10 Mais le septième jour est le jour du repos de l’Éternel, ton Dieu: tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bétail, ni l’étranger qui est dans tes portes. 11 Car en six jours l’Éternel a fait les cieux, la terre et la mer, et tout ce qui y est contenu, et il s’est reposé le septième jour: c’est pourquoi l’Éternel a béni le jour du repos et l’a sanctifié. » (Ex 20:8-11). Le commandement nous place donc dans une logique d’imitation vis à vis de Dieu. La question à se poser lorsque l’on imite Dieu, est : qu’allons-nous imiter qui est à ce point caractéristique de Dieu ? Lorsque des imitateurs réalisent des imitations d’une personnalité publique, ils se focalisent sur ce qui est véritablement typique de la personnalité. Ils ne s’embarrassent pas des détails. Ils miment l’essentiel. Dieu qui invite les juifs observants à l’imiter à l’occasion du Shabbat ne précise pas les contours de cette imitation. Il dit juste que l’activité profane, disons professionnelle pour utiliser une terminologie actuelle, doit s’arrêter. Il rappelle tout d’abord que ce jour est saint. Il le bénit également. Et il se retire. Se reposer est une traduction exacte mais qui masque la compréhension. On va voir que tous les commentaires patristiques nous disent de voir la profondeur de ce qui est dit ici. Pour mieux comprendre il faut mieux lire ainsi : Dieu s’est retiré, et il convient de se poser la question : quelle est la nature de ce retrait ? Dans ce retrait on peut voir plusieurs choses. Déjà Dieu laisse la place à l’homme. Tout est prêt pour lui. A lui de jouer sa partition. Cette création a toujours été vue par Dieu avec une centralité humaine. C’est une co-création si l’on peut dire. L’homme va devoir accomplir quelque chose. Revenons à l’imitation de Dieu qui est la clé de compréhension du Shabbat. Imiter Dieu revient à faire, ce qui est accessible pour un humain et qui est caractéristique de Dieu. C’est la clé du Shabbat. Comment connaissons nous le mieux Dieu ? Comme un Dieu qui se retire le septième jour ? C’est vrai qu’il s’est retiré le septième jour, mais est-ce cela qui Le caractérise avant toute chose ? Lorsque nous pensons au Dieu d’Abrahm, d’Isaac et de Jacob, pensons-nous avant toute chose que Dieu s’est retiré le septième jour ? Non, nous pensons avant toute chose à un Dieu qui aide et guide ceux qui ont foi en Lui. A ceux-là, il est prêt à tout pardonner, car il aime infiniment. Ceci le caractérise bien davantage. Ainsi, dans l’imitation de Dieu, et donc dans le cadre d’un Shabbat qui manifeste dans le temps les comportements divins, qu’est-ce qui sera le plus proche de Dieu ? Se retirer et s’interdire certaines actions ou bien guérir, pardonner, aimer ?

Je voudrais ici faire une digression sur la pratique juive du Shabbat et la façon dont Jésus viole le Shabbat. Souvent, des chrétiens ignorants considère que Jésus est venu libérer Israël d’une loi tyrannique, et qu’il incarne un souffle de liberté, liberté vis à vis du religieux, et qu’il nous emmène dans le post religieux. Cela entraîne bon nombre de chrétiens à relativiser les canons de l’Église, qu’ils voient comme une actualisation chrétienne excessive des commandements mosaïques. Et pour eux, violer ces canons revient à imiter le Christ dans son émancipation du religieux. On voit combien une bonne connaissance et une bonne herméneutique sont importants. C’est Dieu qui a donné la Loi à Moïse. Jésus étant Dieu, il faut comprendre qu’il serait absurde que Jésus s’incarne pour violer la Loi qu’il a lui-même donné à Moïse. Le problème avec la loi de Moïse, est que la plupart du temps on vous donne des commandements mais on ne vous dit pas concrètement comment les pratiquer. Deuxième difficulté, lorsque deux commandements sont contradictoires ou disons incompatibles, on ne vous dit pas non plus comment agir. C’est ainsi que sont nées les écoles rabbiniques. Les écoles apportaient chacune leurs réponses à ces questions. Elles se disputaient parfois durement sur ces problèmes. Ce qui les caractérisaient étaient donc la hiérarchisation des commandements et l’application pratique des commandements. Ces questions dans le vocabulaire théologique s’appellent des problématiques de halakha, ou questions halakhiques. Dans les évangiles, Jésus passe beaucoup de temps à trancher des questions de halakha. Quand il donne les premiers commandements, il tranche une question de halakha : quel commandement parmi les 613 recensés dans la Torah a toujours priorité sur les autres ? L’amour de Dieu et l’amour du prochain. Ainsi, Jésus ne viole pas le Shabbat. Il interrompt le Shabbat, ce qui est une question classique et triviale de halakha : quel commandement interrompt quel commandement ? Jésus en maître de Halakha indique que le Shabbat, manifestant une imitation de Dieu se réalise mieux dans le fait de guérir un fils ou une fille d’Abraham que dans le fait de s’abstenir de certaines choses, car même les écoles rabbiniques les plus éloignées de Jésus autorisent certaines choses. On peut se laver, s’habiller, boire, manger pendant le shabbat. On ne fait pas rien comme une statue, en attendant le dimanche.
J’aimerai pousser la digression un peu plus loin, car ces questions sur le Shabbat et la loi juive en général, se pose souvent à des chrétiens qui sont un peu en crise d’identité, par faute de formation théologique et biblique. Les deux questions pièges sont : les chrétiens ont-ils remplacés les juifs et la loi juive s’applique-t-elle aux chrétiens ? Si on lit Saint Paul, on a toutes les réponses à ces questions, mais voici les réponses en résumé.



Les chrétiens ont-ils remplacés les juifs ? Réponse courte : non. Réponse longue : L’Église, c’est la réunion des juifs et des non juifs. Paul dit gentils, car c’est le terme pour non juifs, ou goyims en hébreu. Avant, il n’y avait que les juifs. L’Église, par l’alliance en Christ, permet aux gentils de devenir également enfants de Dieu (c’est une expression de Saint Jean), comme les juifs l’étaient déjà depuis l’alliance conclue avec Moïse. Le problème avec les juifs est qu’ils ont refusé cette nouvelle alliance. Ils ont préféré rester dans l’alliance mosaïque, ce qui est une folie absolue, puisque cette alliance n’offre pas le salut. Ils sont proches de Dieu, aimés de Dieu, mais pas sauvés. Leur refus s’explique par le fait qu’ils restent prisonniers d’une fausse conception liée au mérite personnel. C’est cette fausse conception que les Père de l’Église appellent « charnelle ». On retrouve beaucoup cette expression chez eux : « juifs charnels ». Cela signifie qu’ils croient pouvoir se sauver eux-même, en respectant correctement la loi mosaïque. Cela entraîne certes des bénédictions durant la vie, mais pas le salut. Donc, et c’est là que c’est subtil : les chrétiens n’ont pas pris la place des juifs. Imaginez comme une grande salle, où au début il n’y a que des juifs. Puis les non juifs ont enfin le droit d’entrer dans cette salle. A ce moment, les juifs sortent de la salle, et les non juifs se retrouvent seuls. Les chrétiens n’ont pas pris la place des juifs, ils ne les ont pas remplacés de façon active et concurrentielle, ils ne les ont pas activement chassés, comme si le nombre de places au paradis était limité. Les juifs sont partis tout seuls. C’est pour cela que la notion de remplacement, ou de substitution est quelque peu maladroite et imprécise, et demande à être expliquée. Paul indique que ceci prendra fin dans les temps eschatologiques, et que les juifs entreront massivement dans l’Église, reconnaissant Jésus comme Messie et comme Dieu. Il suffit pour cela qu’ils sortent de l’emprise de rabbins qui n’ont pas su voir en Jésus le Messie promis et attendu. Ils vivent dans un grand mensonge et leur situation spirituelle est toute à fait unique et paradoxale.

Seconde question : la loi juive s’applique-t-elle aux chrétiens ? Réponse courte : non. Réponse longue : vous avez vu dans la première réponse longue que les juifs sont un peuple à part, situation très déroutante mais voulue par Dieu. Ce peuple a reçu l’obligation d’observer la loi juive. Il faut lire Paul avec beaucoup d’attention car sa relation à la loi est très subtile, et ce problème demande de la finesse. La loi est sainte mais elle est malédiction. Elle est sainte, car elle permet à Israël de se préserver des modes de vie idolâtres extérieurs. Elle est sainte parce qu’elle provient de Dieu et qu’en étudiant ses préceptes elle permet de mieux comprendre Dieu. Mais elle est malédiction. Elle n’est pas maudite mais malédiction. Pourquoi ? Parce qu’elle est très contraignante dans la vie de tous les jours et qu’elle ne vous sauve pas. C’est un esclavage qui ne vous rapporte rien. C’est une alliance très paradoxale qui a été demandée aux juifs, si l’on veut bien y songer un instant : ils doivent observer une loi très pénible, ce qui ne leur donne rien (à part quelques bénédictions) et ne leur donne aucune garantie de salut. Vivre en devant faire tout un tas de choses compliquées pour rien ou presque rien, c’est une bonne définition de la malédiction, de l’esclavage, vous ne trouvez pas ? Cette loi n’a été donnée qu’aux juifs, elle ne concerne qu’eux, et ne s’applique pas aux non juifs. Puisque l’Église est la réunion des juifs et des non juifs il est logique que la loi juive ne s’applique pas aux non juifs dans l’église, puisque ce qui différencie juifs et non juifs c’est justement l’obéissance à la loi. Les non juifs ne sont pas soumis le moins du monde à cette loi. Donc, est-ce qu’un non juif peut faire shabbat. Dans l’absolu oui mais ça ne sert à rien. Il va se compliquer la vie pour rien, ça ne lui amènera rien, et Dieu s’en moque, car il attend tout autre chose de lui. Question plus complexe : est-ce qu’un juif, aujourd’hui, après l’alliance en Christ, dans l’Église doit faire le Shabbat et les autres commandements ? Surtout que Jésus a dit qu’il n’était pas venu abolir la loi mais l’accomplir. On serait tenté de dire : oui ! Mais la réponse est non ! Il ne doit pas, enfin il ne devrait pas. Pour la même raison que pour le non juif : ce sont des restrictions maintenant inutiles et l’essentiel est ailleurs. C’est un peu compliqué, mais voici la réponse par rapport à cette parole du Christ sur abolition et accomplissement. Cela est lié à la notion chrétienne de symbole. Un symbole au sens chrétien et même plus largement antique, et pas uniquement chrétien, n’est pas ce que nous entendons aujourd’hui, où symbole est synonyme d’allégorie. Un symbole est une réalité physique concrète, permettant de relier deux choses à priori séparées. L’étymologie symballo du grec veut dire réunir, diabole veut dire diviser ; le contraire. Et quand on dit réunir, c’est aussi parfois la notion de remplacer. Un symbole permet de passer d’une première chose à une seconde chose. C’est comme une porte entre deux choses, si vous voulez. Le pain sur la patène du prêtre est un symbole du corps du Christ. Cela ne veut pas dire qu’il s’agisse d’une allégorie. C’est bel et bien le corps du Christ, mais auquel nous accédons par le véhicule symbolique. L’univers, le monde créé par Dieu contient cette notion de symbole. Ce n’est pas une fantaisie humaine, c’est une réalité cosmique. Vous vous demandez quel est le rapport avec la question. Le Christ, sur la croix a payé pour vos péchés. Ceci est une transaction symbolique. Si vous ne croyez pas au symbole, alors il n’y a aucun moyen que le Christ puisse payer pour vous. Sans le symbole, sa souffrance et sa mort n’ont aucun impact sur votre vie et sur votre salut. Aucun. Donc si vous êtes chrétien, vous adhérez au principe du symbole. Le Christ est le symbole de vous, de chacun d’entre nous. Le pain est symbole du corps et le vin est symbole du sang. Le symbole se doit de ressembler à ce qu’il permet d’accéder. Le vin est un magnifique symbole du sang. La couleur, la texture… Le Christ, sans péché, se doit de ressembler à un pécheur. Un pécheur est esclave du péché. Donc le Christ devait vivre sous un esclavage. C’est la raison d’être de la loi. Elle est symbole de l’esclavage de l’homme. Elle symbolise la tyrannie du mal après la chute. En vivant sous l’emprise de la loi, le Christ s’est fait symbole opérant du pécheur. En étant sans péché, il s’est fait offrande acceptable pour le Père. Ainsi, il ne pouvait pas abolir la loi. Cela aurait signifié qu’il renonçait à devenir un symbole du pécheur. Il devait accomplir la transaction symbolique dans sa totalité. Pour que la croix, puisse opérer son œuvre de rachat, pour ceux qui le souhaitent. La loi a donc été révoquée, puisque la transaction a été effectuée. L’abolition de la loi est donc une expression maladroite, mais elle est vraie une fois le Christ au tombeau. Comme il a dit qu’il n’avait pas pour but d’abolir, la loi garde-t-elle une réalité quelconque ? C’est un vestige de notre esclavage. Comme une photo de son incarcération qu’un prisonnier regarde pour se souvenir de sa captivité en savourant sa liberté retrouvée. Puisque le Seigneur nous a signifié que le terme abolir n’était pas approprié, disons, mené à terme, accompli, en comprenant surpassé, dépassé. Je reviens maintenant à la question initiale. Doit-on observer cette loi ? Non, c’était le rôle du Christ. Quand on comprend l’utilité et le pourquoi de la loi, on comprend bien que l’observer est un non-sens absolu. Elle ne peut avoir aucune dimension de salut d’aucune sorte. On peut, et je donne ici, une appréciation toute personnelle, observer tel ou tel commandement mosaïque, pour être agréable à Dieu, sans que cela remette en cause les choses centrales de pardon, d’amour, de fidélité. Il faut faire ça dans une démarche d’un enfant qui veut offrir un dessin à ses parents, de façon très humble, en un geste gratuit d’amour. Beaucoup de commandements coupent d’une pratique sociale, et c’est ce que Dieu avait voulu. Pratiquer le Shabbat ou la casheroute, c’est à coup sûr se couper des autres, et amener des divisions dans le corps du Christ n’a littéralement aucun sens. Faire Shabbat signifie se couper de ceux qui ne le font pas. Dans quel but ? J’espère que c’est plus clair, sur ces questions o combien complexes et épineuses.

Passons aux commentaires patristiques qui vont expliciter les notions développées plus haut.

Ephrem le syrien : de quelle fatigue Dieu s’est-il reposé ? Les créations du premier jour vinrent ainsi, à l’exception de la lumière qui vint par sa parole. Et toutes les œuvres suivantes ne vinrent ensuite que par Sa parole. Quelle fatigue y a t il à dire un mot par jour ? Moïse qui divisa la mer en deux avec son bâton ne s’est pas reposé. Josué, le fils de Nun qui a stoppé les luminaires par sa parole, ne s’est pas reposé. Ainsi, quelle est cette fatigue qu’a pu expérimenter Dieu en créant les luminaires ou la mer ? Ce n’est pas parce qu’il s’est reposé qu’il a béni et sanctifié le septième jour. Ce n’est pas non plus parce qu’il l’a donné à ce peuple qui ne l’a pas compris, qui libéré de la servitude devaient à son tour libérer serviteurs et servantes. Il le leur a donné pour que, en toute circonstances, ils puissent bénéficier d’un repos. Cela leur fut donné afin que par un repos temporel, donné à un peuple temporel, le mystère du vrai repos puisse être donné à un peuple éternel dans un monde éternel.

Alcuin de York (8ème siècle) : comment est il cohérent que nous lisions dans la Genèse « Dieu s’est reposé le septième jour de toute son œuvre» et dans l’Évangile « mon Père agit jusqu’à présent, et moi aussi j’agis » (Jn 5:17). Il s’est reposé de la création de nouvelles créatures, mais non de gouverner les créatures existantes. Dieu doit donc être considéré comme ayant été le créateur d’une création de 6 jours, et d’être maintenant le dirigeant d’une création entière. Pourquoi a-t-il béni et sanctifié le septième jour ? Pourquoi ne trouve-t-on pas l’équivalent pour les autres jours ? Pour montrer le repos aux saints : après les difficultés des six ages de ce monde, car ils resteront dans un repos de Shabbat béni et éternel, comme il est écrit « Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite: Venez, vous qui êtes bénis de mon Père; prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde. » Mt 25:34. C’est pourquoi il n’est fait aucune mention d’un soir pour ce jour. C’est parce que cet ultime repos des saints, sera éternel.

Saint Augustin développe les mêmes sujets ainsi que des choses plus originales. Commençons par le repos : « L’Écriture nous apprend que Dieu se reposa le septième jour de toutes ses œuvres, et qu’à ce titre il le bénit et le sanctifia. Si nous voulons comprendre ce mystérieux repos, selon la portée de notre intelligence soutenue par la grâce divine, commençons par bannir de notre esprit toute idée charnelle. Peut-on sans impiété se figurer et dire que la création a coûté quelque travail à Dieu, quand nous voyons les choses sortir du néant à sa parole ? Que l’exécution suive le commandement, ce n’est plus une fatigue, même pour l’homme. Sans doute, la parole exigeant qu’on frappe l’air, finit par devenir une fatigue : mais, quand il s’agit de prononcer quelques mots, comme ceux que Dieu fait entendre dans l’Écriture : fiat lux, fiat firmamentum, et ainsi de suite, jusqu’à l’achèvement de la création au septième jour, il y aurait une extravagance par trop ridicule à soutenir qu’elles lassent, je ne dis pas Dieu, mais un homme. Dirait-on que la fatigue consistât pour Dieu, non à donner des ordres immédiatement exécutés, mais à méditer profondément les moyens de réaliser ses plans; que délivré de cette préoccupation à la vue de la perfection de ses œuvres, il se reposa et voulut avec raison bénir, sanctifier le jour où, pour la première fois, il n’eut plus à déployer une si grande attention? Un pareil raisonnement serait le comble de la déraison. L’intelligence est en Dieu infinie, illimitée, comme la puissance elle-même. ».

On voit bien qu’Augustin, à l’égal de tous les Pères nous dit clairement que ce repos doit être compris dans un sens différent du repos humain. Augustin poursuit, en montrant que ce repos divin, bien que différent du nôtre, en est le principe. Il écrit :

« A quelle idée faut-il donc s’arrêter? Ne faudrait-il pas voir ici le repos que prennent en Dieu les créatures intelligentes dont l’homme fait partie, après avoir atteint leur développement, par le secours du Saint-Esprit qui répand la charité dans nos cœurs, et que nos désirs les plus ardents doivent nous porter au centre du repos heureux où nous n’aurons plus rien à désirer ? On dit avec raison que Dieu fait tout ce que nous faisons par son secours; de même, on se repose en lui, quand le repos est un de ses bienfaits. Cette idée est facile à concevoir. S’il est une vérité aisée à comprendre, c’est que Dieu se repose, lorsqu’il nous accorde le repos, au même titre qu’il connaît, lorsqu’il éclaire notre intelligence. En effet Dieu ne prend pas connaissance avec le temps de ce qu’il ignorait auparavant; et pourtant il dit à Abraham : « Je sais maintenant que tu crains Dieu. » Or, que peuvent signifier ces paroles, sinon, j’ai fait connaître à quel point tu crains Dieu? Ces sortes d’expressions, où nous attribuons à Dieu des actes qui ne s’accomplissent pas en lui, ont pour but de nous apprendre qu’il en est le principe : j’entends des actes conformes au bien, sans dépasser la portée des termes de l’Écriture. Car nous ne devons hasarder sur Dieu aucune proposition de ce genre, sans l’avoir lue dans l’Écriture. A ce genre d’expressions se rattache, selon moi, le passage où l’Apôtre nous dit : « Gardez-vous de contrister l’Esprit de Dieu, qui vous a marqué de son sceau, au jour de votre délivrance. » Assurément la tristesse ne peut atteindre la substance de l’Esprit-Saint ou l’Esprit-Saint lui-même, qui jouit d’un bonheur éternel, ou plutôt qui est la béatitude immuable et souveraine. Mais l’Esprit-Saint habite dans le cœur des justes, pour les remplir de la charité, qui seule ici-bas apprend aux hommes à voir avec joie les progrès des fidèles dans la vertu et leurs bonnes œuvres ; aussi sont-ils attristés par les fautes ou la chute même des chrétiens dont ils considéraient avec bonheur la foi et la piété, tristesse digne d’éloges, puisqu’elle a pour principe la charité que l’Esprit-Saint leur inspire. Si donc on dit que l’Esprit-Saint est contristé par les pécheurs, c’est uniquement en vue de faire entendre que les âmes saintes, ses hôtes, déplorent de pareils crimes, et qu’elles sont animées par une charité assez vive pour s’affliger sur le sort de ces malheureux, surtout si elles les avaient connus ou crus vertueux. Cette tristesse, loin d’être une faiblesse, est une vertu qu’on ne saurait trop louer. Le même Apôtre fait un admirable emploi de cette forme de langage, quand il s’écrie : « Maintenant que vous connaissez Dieu ou plutôt que vous en êtes connus» Ce n’est pas Dieu qui les avait connus alors, puisqu’il les connaissait avant la création même du monde; mais comme eux l’avaient connu à ce moment par un bienfait de la grâce, et non par leurs mérites ou leurs propres forces, l’Apôtre a eu recours à une figure de langage, pour leur apprendre qu’ils connaissaient Dieu, en tant qu’il s’était fait connaître à eux; il a mieux aimé corriger l’expression vraie qu’il avait employée au propre, que de leur laisser croire qu’ils tenaient d’eux-mêmes le privilège qu’ils avaient reçu de Dieu. »

Puis Augustin, comme Alcuin d’York, va développer cette même idée de l’action continue de Dieu à juxtaposer avec son repos, afin de percevoir différemment ce repos divin :



«On trouvera peut-être satisfaisante l’explication que nous venons de donner, et d’après laquelle Dieu s’est reposé de toutes les œuvres qu’il a faites avec tant de perfection, en tant qu’il nous fera goûter le repos à nous-mêmes, lorsque nous aurons fait nos bonnes œuvres. Mais, puisque nous avons entrepris de discuter ce passage de l’Écriture, nous sommes tenus d’examiner si Dieu a pu se reposer en lui-même, tout en admettant que le repos est le gage du repos même que nous goûterons un jour en lui. Or, Dieu a fait lui-même le ciel et la terre et tout ce qu’ils renferment, et il a achevé ses œuvres le sixième jour : loin de nous accorder le pouvoir de créer quoi que ce soit, c’est par nous qu’il a fini, puisqu’il acheva toutes ses œuvres, comme dit l’Écriture, le sixième jour. De même, il ne faut pas voir le repos que Dieu nous fera goûter dans ce passage de l’Écriture : « Dieu se reposa le septième jour de toutes ses œuvres, » mais le repos auquel il se livra lui-même, après avoir achevé ses créations. Cette méthode nous révélera que tout ce qui a été écrit s’est réalisé, et nous aidera ensuite à en saisir le sens métaphorique. Donc, la discussion qui a mis en pleine lumière que les œuvres de Dieu n’appartenaient qu’à lui, exige pour pendant la démonstration que son repos lui est pour ainsi dire personnel. Ainsi le motif le plus légitime nous engage à examiner, dans la mesure de nos forces, et à prouver que le passage où Dieu se reposa de ses œuvres, et ces paroles de l’Évangile prononcées par le Verbe créateur lui-même : « Mon Père ne cesse point d’agir, et j’agis aussi, » n’offrent aucune contradiction. Il fit cette réponse à ceux qui se plaignaient qu’il n’observât pas le sabbat, institué dès l’origine, selon l’Écriture, pour rappeler le repos de Dieu. II est vraisemblable que l’observation du sabbat fut prescrire aux Juifs comme un symbole du repos spirituel que Dieu promettait, sous la figure mystérieuse de son propre repos, aux fidèles qui accomplissaient leurs bonnes œuvres. Jésus-Christ lui-même, qui n’a souffert qu’au moment où il lui a plu, a confirmé par sa sépulture le sens caché de ce repos. Car il se reposa dans son tombeau le jour du sabbat et en fit une journée de sainte inactivité, après avoir accompli le sixième jour, c’est-à-dire le jour de la préparation et la veille du sabbat, toutes ses œuvres sur le gibet même de la croix. « Tout est consommé, s’écria-t-il, et baissant la tête il rendit l’esprit. » Est-il donc étrange que Dieu se soit reposé le jour même où le Christ devait se reposer, pour figurer cet évènement d’avance? Est-il étrange qu’il se soit reposé un seul jour avant de développer cette suite des siècles qui prouvent la vérité de cette parole : « Mon Père ne cesse point d’agir? ». On peut encore s’expliquer que Dieu se reposa d’avoir créé les espèces d’êtres qui remplissent l’univers, en ce sens qu’il ne créa désormais aucune espèce nouvelle, tout en continuant de gouverner celles qui furent alors établies. Il ne faudrait pas croire en effet que, même le septième jour, sa puissance abandonna le gouvernement du monde et des êtres qu’il y avait créés : cette inaction aurait entraîné un bouleversement universel. La puissance du Créateur, cette force infinie et qui embrasse tout, est la seule cause qui fait subsister les créatures : si cette force se retirait du monde et ne régissait plus les êtres, même un instant, le développement des espèces s’arrêterait et la nature entière s’affaisserait. Car il n’en est pas de l’univers comme d’un édifice, qui subsiste après que l’architecte l’a abandonné : il ne durerait pas un clin d’œil, si Dieu cessait de le gouverner. La parole du Seigneur : « Mon Père ne cesse pas d’agir, nous révèle donc cette création continue par laquelle Dieu maintient et régit ses œuvres. Le Seigneur ne se contente pas de dire que son Père agit maintenant, ce qui n’impliquerait pas une activité permanente; il dit qu’il agit encore aujourd’hui, depuis quand ? Évidemment depuis la création. L’Écriture dit de la Sagesse divine qu’elle étend sa puissance d’un bout du monde à l’autre, et dispose tout avec harmonie; et ailleurs, que son mouvement a une rapidité, une vitesse incomparable. Pour ceux qui ont l’esprit droit, il est clair que la Sagesse communique aux êtres qu’elle dispose avec tant d’harmonie son mouvement incomparable, au-dessus de toute expression, et si l’on peut ainsi parler, son immuable activité; et que, si ce mouvement cessait d’animer la nature, elle s’anéantirait aussitôt. La parole que l’Apôtre adresse aux Athéniens en leur prêchant le vrai Dieu : «C’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être, » cette parole d’une clarté que l’esprit humain ne saurait pousser plus loin, corrobore l’opinion qui nous fait croire et dire que Dieu ne cesse jamais d’agir dans ses créatures. En effet, nous ne faisons pas partie de la substance divine, et nous ne sommes pas en lui au même titre qu’il à la vie en lui-même : or, du moment que nous sommes distincts de Dieu, nous ne pouvons avoir l’être en lui qu’autant qu’il agit en nous. Cette activité consiste à tout gouverner, à étendre sa puissance d’un bout à l’autre du monde, à tout disposer avec harmonie, et c’est grâce à cet ordre sans cesse maintenu que nous avons en lui l’être, le mouvement et la vie. Par conséquent, si Dieu cessait d’animer la créature, nous n’aurions plus l’être, le mouvement et la vie. Il est donc évident que Dieu n’a jamais cessé, même un jour, de gouverner les êtres créés, pour les empêcher de perdre ces mouvements qui les animent et les conservent avec les propriétés et selon les lois de leurs espèces; et qu’ils seraient immédiatement anéantis, sans cette activité de la Sagesse divine qui répand partout l’ordre et l’harmonie. Convenons donc bien que Dieu s’est reposé de ses œuvres, en tant qu’il n’a créé aucun être d’une espèce nouvelle et non en vue d’abandonner le gouvernement et le maintien de la création. Ainsi se concilie cette double vérité, que Dieu s’est reposé le septième jour et qu’il ne cesse pas d’agir. »

Puis Augustin termine cette longue et méticuleuse analyse par cette notion de Shabbat chrétien. Nombreux sont les chrétiens qui pensent que le Dimanche est un Shabbat chrétien. Il n’en est rien. Le Shabbat Samedi reste le Shabbat, et le Dimanche c’est autre chose. Les deux jours sont des jours de repos pour la plupart d’entre nous, mais cela ne doit pas cacher la réalité de la différenciation des deux jours. Il écrit :

«Nous pouvons apprécier l’excellence des œuvres de Dieu : quant aux joies de son repos, nous en jugerons après avoir accompli nos bonnes œuvres. Le sabbat qu’il prescrivit aux Juifs d’observer était le symbole de ce repos : mais tel était leur esprit charnel, qu’en voyant le Seigneur travailler ce jour-là à notre salut, ils lui en faisaient un crime, et dénaturaient la réponse où il leur parle de l’activité de son Père, avec lequel il gouvernait l’univers et opérait notre salut. Mais du moment que la grâce a été révélée; cette observation du sabbat, représenté par un jour de repos, n’a plus été une loi pour les fidèles. Sous le règne de la grâce, le sabbat est perpétuel pour celui qui opère toutes ses bonnes œuvres en vue du repos à venir, et qui ne se glorifie pas de ses actions, comme s’il avait le don d’une vertu qu’il n’a peut-être pas reçu. Ne voyant dans le sabbat c’est-à-dire, le repos du Seigneur dans son tombeau, que le sacrement du Baptême, il se repose de sa vie passée : marchant dans les voies d’une vie toute nouvelle, il reconnaît l’action qu’exerce en lui Dieu, qui tout ensemble agit et se repose, gouvernant la créature au sein d’une éternelle tranquillité. Dieu a donc créé sans fatigue et n’a point trouvé dans le repos de nouvelles forces : ainsi a-t-il voulu nous inspirer le désir du repos, en nous révélant par son Écriture qu’il sanctifia le jour où il cessa de créer. On ne lit jamais, en effet, qu’il ait rien sanctifié, soit dans la période des six jours, soit au commencement, lorsqu’il fit le ciel et la terre. Mais il voulut sanctifier le jour où il se reposa de toutes ses œuvres, comme si le repos à ses yeux avait plus de prix que le travail, bien que son activité ne lui coûte aucune peine. C’est ce qui doit être pour l’homme aussi, et nous en trouvons la preuve dans l’Évangile où le Sauveur y déclare que Marie, se tenant assise à ses pieds pour écouter sa parole, a choisi une meilleure part que Marthe, malgré son empressement à le servir et le pieux embarras qu’elle se donnait. Mais il est bien difficile de concevoir ceci quand il s’agit de Dieu, lors même qu’on soupçonnerait à force de réfléchir pourquoi il a sanctifié le jour de son repos, lui qui n’a sanctifié aucun jour de la création, pas même celui où il fit l’homme et où il acheva toutes ses œuvres. Et d’abord quelle idée l’esprit humain avec toutes ses lumières peut-il se former du repos de Dieu? Cependant, si la chose n’existait pas, l’Écriture n’en prononcerait pas le mot. Je vais dire ce que je pense, en faisant une double réserve : d’abord que Dieu n’a point goûté un repos pareil à celui qui succède agréablement à la fatigue ou qu’un long travail fait souhaiter; ensuite que les saints livres, dont l’autorité s’impose à l’esprit, n’ont pu avancer sans raison ou à tort que Dieu se reposa le septième jour de toutes les œuvres qu’il avait faites et le sanctifia. Comme l’âme humaine a le défaut et la faiblesse de s’attacher si vivement à ses œuvres, qu’elle y cherche le repos plutôt qu’en elle-même, quoique la cause soit nécessairement supérieure aux effets, Dieu nous apprend, par ce passage de l’Écriture, qu’il n’a composé aucun de ses ouvrages avec un plaisir capable de faire supposer que la création était pour lui une nécessité, ou que sans elle il aurait eu moins de grandeur et de félicité. En effet, toute créature lui doit son être, mais il ne doit sa félicité à aucune; il a tout dirigé par un pur effet de sa bonté : aussi n’a-t-il sanctifié ni le jour où il commença ses ouvrages, ni celui où il les acheva, afin que sa félicité ne semblât pas s’accroître du plaisir de les former et de les voir dans leur perfection ; il n’a sanctifié que le jour où il s’est reposé de ses œuvres en lui-même. Il n’a jamais eu besoin du repos, mais il nous en a révélé le bienfait dans le mystère du septième jour; il nous a encore enseigné qu’il fallait être parfaits pour le goûter, par le choix même qu’il a fait du jour qui suivit l’achèvement de la création universelle. L’être qui jouit du repos absolu n’a pu se reposer que pour nous donner un enseignement.»

Que puis-je ajouter à tant de talent herméneutique ? Rien.