Exégèse biblique : livre de la Genèse chapitre 2 : les chiasmes et les Noms de Dieu
Bonjour et bienvenue dans le second enseignement consacré au second chapitre de la Genèse. Nous aborderons les chiasmes et la théologie des noms de Dieu, deux sujets très différents. Les chiasmes mettent en évidence la construction littéraire de la Bible et l’intérêt de cette construction est qu’elle met en évidence des centralités théologiques.
Le chiasme qui est présent dans ce chapitre 2, permet de mettre en exergue la théologie liée aux noms de Dieu.
Versets qui vont être étudiés dans ce billet :
5 : Lorsque l'Éternel Dieu fit une terre et des cieux, aucun arbuste des champs n'était encore sur la terre, et aucune herbe des champs ne germait encore: car l'Éternel Dieu n'avait pas fait pleuvoir sur la terre, et il n'y avait point d'homme pour cultiver le sol.
Vous voyez que j’ai choisi de ne traiter que très peu de versets, et que ceux-ci sont en apparence peu importants. Il sont en fait très riches.
Traduction la plus littérale possible de l’hébreu :
Et aucun produit du champ n’était encore dans la terre, et aucune herbe ne poussait encore. Car YHWH-Elohim n’avait pas fait pleuvoir sur la terre, et d’homme pas pour travailler la terre.
Les chiasmes.
La définition « académique » explique qu’il s’agit d’une figure de style qui consiste à croiser des éléments d’une phrase ou d’un groupe de phrases, de façon à les disposer en croix. Ceci met en évidence deux réalités ou une antithèse dans une phrase. Le mot chiasme vient du grec χιασμός qui signifie disposition en croix, croisement. Je vous laisse méditer un instant sur le fait que la figure de style majoritaire de la Bible est la mise en croix et l’union de deux réalités dans un même ensemble. Même le texte biblique dans sa structuration parle du Christ, vrai homme et vrai Dieu, et du Christ crucifié.
La définition académique, comme tout définition académique ne rend pas les choses très claires. Prenons des exemples dans le monde profane avant de retourner à la Bible.
« Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger » fait dire Molière à l’avare. On voit ici une construction en miroir avec les verbes manger vivre dans la première moitié, puis vivre manger dans la seconde moitié. C’est la construction classique ABBA.
« La guerre, c’est un massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent, mais ne se massacrent pas. ». Ce chiasme tellement vrai est attribué à Paul Valéry. Ici il est plus compliqué : on a guerre qui est en dehors du chiasme, puis la structure massacre connaître et connaître massacre. C’est la même structure ABBA. On a le même genre de chiasme simple dans la Bible. « Le shabbat est fait pour l’homme, et non l’homme pour le Shabbat ». C’est exactement la même construction.
Mais la Bible met en exergue des constructions chiasmatiques bien plus élaborées. Imaginons non pas une construction ABBA mais ABCDEEDCBA. Nous aurions un chiasme avec une plus grande profondeur. Imaginons maintenant les choses selon le paradigme suivant : les pelures d’un oignon. Ma première pelure est le A. A l’intérieur de mon A ouvrant et de mon A fermant, je m’approche de l’intérieur. J’ai un chiasme BCDEEDCB. Je peux ensuite considérer la pelure B, puis la pelure C, puis la pelure D, puis la pelure E. Tout à l’heure, j’avais montré avec l’exemple de Paul Valéry une construction de type XABBA. Mais ce qu’on trouve dans la Bible c’est en fait des choses du genre ABCDEXEDCBA. C’est comme un ensemble de poupées russes si l’image de l’oignon ne vous plaît pas. A l’intérieur de l’intérieur de l’intérieur j’ai X. Aujourd’hui dans les traitements de textes modernes de notre civilisation occidentale, nous avons des moyens typographiques : nous mettons en gras, en italique, nous centrons. A l’oral nous faisons des pauses, nous jouons sur le volume. Dans le texte biblique, ce qui est essentiel est au centre du chiasme.
Peut-être de nombreuses fois avez-vous remarqué des répétitions, des retours sur des choses déjà dites qui alourdissent le tout, et le rendent peu agréable au niveau littéraire. C’est la répétition chiasmatique. Sachez qu’au niveau neurologique des chercheurs ont mis en évidence que les textes à constructions chiasmatiques sont ceux qui se mémorisent le mieux, et il semblerait que le fonctionnement neuronal soit optimisé pour ce genre de présentation d’information. La Bible présente le texte pour aider à la mémorisation, mais aussi il met en évidence un centre. Il nous dit : la chose centrale (c’est le cas de le dire), c’est cela.
Prenons deux exemples de chiasme avant de voir le chiasme présenté ici dans ce deuxième chapitre.
Le prologue de l’Evangile de Saint Jean est un chiasme. Partons à la recherche du centre. Voyons quel est le message central de ce prologue, et le message principal de toute la théologie johannique. Pour trouver les ouvertures et fermetures de chaque pelure, il faut bien comprendre qu’il s’agit d’élément de signification, et pas de problématique de taille ou de durée. Je m’explique. L’ouverture d’une pelure peut faire 10 lignes et la fermeture 10 mots. Il ne s’agit donc pas de chercher obligatoirement des versets qui vont ouvrir et fermer, même si le plus souvent ce seront des versets. Vous pourrez avoir ici un verset d’ouverture et là deux versets de fermeture.
Le prologue de Jean s’étend du verset 1 au verset 18.
Mon niveau A s’ouvre en 1:1-2 et se ferme en 1:18. Le sujet est Le Verbe auprès du Père.
Ouverture :
1 Au commencement était le Logos, et le Logos était avec Dieu, et le Logos était Dieu.
2 Il était au commencement avec Dieu.
Fermeture :
18 Personne n'a jamais vu Dieu; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, est celui qui l'a fait connaître.
Mon niveau B s’ouvre en 1:3 et se ferme en 1:17. Le sujet est le rôle du Verbe dans la création et la re-création
Ouverture :
3 Toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui.
Fermeture :
17 car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
Mon niveau C s’ouvre en 1:4-5 et se ferme en 1:16. Le sujet est la vie donnée par Dieu aux hommes
Ouverture :
4 En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes.
5 La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point reçue.
Fermeture :
16 Et nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce pour grâce;
Mon niveau D s’ouvre en 1:6-8 et se ferme en 1:15 et a pour sujet Jean le Baptiste.
Ouverture :
6 Il y eut un homme envoyé de Dieu: son nom était Jean.
7 Il vint pour servir de témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui.
8 Il n'était pas la lumière, mais il parut pour rendre témoignage à la lumière.
Fermeture :
15 Jean lui a rendu témoignage, et s'est écrié: C'est celui dont j'ai dit: Celui qui vient après moi m'a précédé, car il était avant moi.
Vous avez probablement trouvé étrange cette irruption de Jean le Baptiste, le changement de sujet, puis à nouveau le retour à Jean, puis à nouveau le changement de sujet. C’est la construction chiasmatique qui veut cela.
Mon niveau E s’ouvre en 1:9-10 et se ferme en 14 et a pour sujet l’incarnation de Dieu
Ouverture :
9 Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme.
10 Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l'a point connue.
Fermeture :
14 Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père.
Nous arrivons maintenant au centre, mon X, qui est le salut librement offert par le Verbe Incarné.
11 Elle est venue chez les siens, et les siens ne l'ont point reçue.
12 Mais à tous ceux qui l'ont reçue, à ceux qui croient en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, lesquels sont nés,
13 non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu.
Ceci est le centre du prologue de Jean, le centre du chiasme, le centre du message. Librement, grâce à la volonté divine qui l’a rendu possible, nous pouvons devenir des enfants de Dieu.
Sachez que toute l’Epître aux Galates est un gigantesque chiasme, très complexe, avec plusieurs niveaux d’imbrication. Ainsi, quand vous entendez ou lisez que Paul l’a écrite rapidement, sous le coup de la colère, sur un coin de table, et envoyé aux pauvres galates, vous pouvez rire à gorge déployée de ce genres de remarques philologiques qui émanent toujours d’organismes protestants, catholiques romains ou faux orthodoxes, mais tous vrais libéraux… Ou alors Paul a vraiment écrit très rapidement et dans ce cas-là, c’est l’Esprit Saint qui a caché, pour nous autres modernes, cette structure chiasmatique pour que nous puissions nous en émerveiller.
Sachez que tout le récit du déluge est un chiasme, à un seul niveau d’imbrication, et que les philologues respectueux ont mis en exergue dans le texte des dizaines et des dizaines de chiasmes. Et surtout sachez que c’est l’argument massue contre tous les modernistes, libéraux et autres parasites universitaires et académiques qui encombrent les académies de théologies et embarrassent les études bibliques de leurs faux à priori. Si la Bible est truffée de chiasmes, alors elle n’est pas l’addition de plusieurs scribes différents qui touchent, modifient et manipulent les textes pour coller à leur vision théologique. Elle est le fruit d’une unique pensée, parfois dans un seul trait, dans une seule rédaction, dans une seule construction à mon avis consciente, avec pour but la mise en avant de messages théologiques importants, et pour autre but la mémorisation du texte, conformément au fonctionnement de l’esprit humain.
Revenons au chapitre 2
La traduction française est prise de la Louis Segond, une traduction avec un français de qualité. Il place ainsi les versets :
5 Lorsque l'Éternel Dieu fit une terre et des cieux, aucun arbuste des champs n'était encore sur la terre, et aucune herbe des champs ne germait encore: car l'Éternel Dieu n'avait pas fait pleuvoir sur la terre, et il n'y avait point d'homme pour cultiver le sol.
Le fait que le verset 4 commence et s’arrête ici, et que le verset 5 commence et s’arrête ici est une convention toute moderne. Mais revenons-en au sens.
Le sens se découpe mieux ainsi
Voici les origines des cieux et de la terre, quand ils furent créés Lorsque l'Éternel Dieu fit une terre et des cieux.
Puis
aucun arbuste des champs n'était encore sur la terre, et aucune herbe des champs ne germait encore: car l'Éternel Dieu n'avait pas fait pleuvoir sur la terre, et il n'y avait point d'homme pour cultiver le sol.
Et vous aurez remarqué dans ma première structure un chiasme :
Cieux Terre Terre Cieux
Qu’avons-nous au centre ? « Quand ils furent créés lorsque l’Eternel Dieu »
Nous avons pour la première fois, un autre nom de Dieu. Nous avons même un double nom. Nous avons le tétragramme et elohim acollés.
יְהוָ֥ה אֱלֹהִ֖ים (en non accentué) יהוה אלהים
Ce que je vais enseigner ici est absent de la tradition patristique et n’est contenu que dans la tradition rabbinique. Je redonne ici naturellement les précautions d’usage autour de la tradition rabbinique, qui dans le cas où elle émane d’une période antérieure au Christ, a parfois des éléments bons à prendre et retenir, et qui néanmoins se poursuit chez ceux qui ont rejeté le Christ, c’est à dire dans l’erreur. Il faut donc bien discerner quoi prendre dans cette tradition… Car comme disait l’immense docteur d’Hipponne : « la même religion que nous appelons maintenant religion chrétienne était déjà celle des siècles anciens. Déjà son règne durait depuis les jours de nos premiers parents lorsque le Verbe se fit chair et se manifesta au monde. Cet événement ne lui apporta au fond, d’autre changement qu’une dénomination nouvelle. La vraie foi donc, qui existait depuis les premiers temps, commença alors à s’appeler religion chrétienne, afin d’annoncer à toute la terre que le Christ, pour nous ouvrir le Royaume du Ciel est venu accomplir la loi et les prophètes, bien loin de les abolir ».
Saint Hilaire de Poitiers ajouta « outre la loi écrite, Moïse enseigna séparément les mystères les plus secrets de la loi aux soixante-dix anciens, institués dans la synagogue en qualité de docteurs, chargés spécialement d’en transmettre la connaissance. C’est de cette doctrine traditionnelle, enseignée dans la synagogue depuis lors et sans interruption, que Jésus-Christ parla quand il dit ‘les pharisiens et les scribes sont assis dans la chair de Moïse. Observez donc et faîtes tout ce qu’ils vous disent, mais n’imitez pas leurs œuvres’ ». Cet enseignement séparé est consigné dans les livres principaux de la tradition rabbinique : mishna, talmud, midrashims, etc.
Ici je vais y emprunter la théologie des noms de Dieu, qui me semble tout à fait éclairante et très probablement antérieure au Christ, et donc valide. De quoi s’agit-il ? Lorsque Dieu est présenté avec un nom dans la Bible, cela fait référence à un type de comportement de Dieu avec le monde. Les rabbins ont ainsi répertoriés les différents noms avec leur correspondance dans la relation de Dieu avec sa création. Elohim fait référence à un Dieu qui juge, qui organise, qui tranche. C’est plutôt une dimension naturelle et rétributive qui se manifeste au monde. Par contre, le tétragramme est la manifestation complète de la miséricorde divine. Elohim juge tandis que YHVH pardonne le repentant.
Un mot sur la vocalisation de ce tétragramme. En l’absence de signe de vocalisation il existe des dizaines de combinaisons possibles. En effet le premier yod pourrait se prononcer ya, ye , yi, yo, you. De même pour le H suivant, qui pourrait se décliner sur toutes les voyelle et même être muet, de même pour le V suivant qui devrait lui se prononcer, et enfin pour le H final qui aura le même comportement que le premier H.
Ainsi on pourrait lire YOUHAWEHI ou YIHOUWAHOU ou YAHOUWAHE.
Deux vocalisations ont beaucoup d’adeptes : Yavé (qui postule donc les deux H en muet) et Jéhovah qui postule donc le dernier H en muet. Plus important, la traduction des LXX qui à l’écrasante majorité, mais sans que cela soit systématique à traduit le tétragramme par Theos et Elohim par Kyrios. Ainsi ici nous avons Theos – Kyrios. Ce qui est souvent rendu en français par le Seigneur Dieu ou l’Eternel Dieu.
Mais revenons à YHVH qui reflète la miséricorde divine, et voyons ici comment cette théologie des noms pourrait éclairer un passage du NT de l’Evangile selon Saint Jean.
19 Pilate fit une inscription, qu’il plaça sur la croix, et qui était ainsi conçue: Jésus de Nazareth, roi des Juifs.
20 Beaucoup de Juifs lurent cette inscription, parce que le lieu où Jésus fut crucifié était près de la ville: elle était en hébreu, en grec et en latin.
21 Les principaux sacrificateurs des Juifs dirent à Pilate: N’écris pas: Roi des Juifs. Mais écris qu’il a dit: Je suis roi des Juifs.
22 Pilate répondit: Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit.
La réaction des principaux sacrificateurs est étonnante et tranche avec ce que rapporte les autres évangélistes : moqueries et quolibets. La tradition nous a laissé INRI, indication que les premières lettres des noms sont ici importantes, afin de créer un acronyme. INRI est l’acronyme issu du latin, acronyme de Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum.
En Grec cela était INBI : Ἰησοῦς ὁ Ναζωραῖος ὁ βασιλεὺς τῶν Ἰουδαίων
Enfin en Hébreu il était donc écrit : Yeshua Hanotzrim Melekh Hayehoudim
mais il était plus probablement écrit selon les usages et la grammaire demandée par l’hébreu Yeshua Hanotzrim Wumelekh Hayehudim. Le Wu avant Melekh signifie et : Jésus Lenazaréen Etroi Desjuifs.
C’est une conjecture mais qui mérite d’être rapportée, et c’est ce que semble vouloir nous dire Saint Jean. Sur la croix, l’inscription dérangeait les meurtriers du Christ. En quoi YHMH les aurait dérangé ? Par contre on comprend bien que le nom de Dieu les ait dérangé. Prenez conscience un instant de l’extraordinaire message que recouvre cette décision de Pilate : sur le Christ en Croix est inscrit le nom de Dieu lorsqu’il choisit de faire miséricorde aux repentant. Qu’est-ce que le sacrifice de la Croix sinon la grâce à l’état pur, la miséricorde poussée au-delà des limites humaines ?