Bonjour et bienvenue dans ce dernier billet d’explication biblique sur le chapitre 2 de la Genèse. Un chapitre très riche qui voit la création de la femme et l’institution du mariage.

Voici la traduction courante (Segond) des versets étudiés:

18 L’Éternel Dieu dit: Il n’est pas bon que l’homme soit seul; je lui ferai une aide semblable à lui.
19 L’Éternel Dieu forma de la terre tous les animaux des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les fit venir vers l’homme, pour voir comment il les appellerait, et afin que tout être vivant portât le nom que lui donnerait l’homme.
20 Et l’homme donna des noms à tout le bétail, aux oiseaux du ciel et à tous les animaux des champs; mais, pour l’homme, il ne trouva point d’aide semblable à lui.
21 Alors l’Éternel Dieu fit tomber un profond sommeil sur l’homme, qui s’endormit; il prit une de ses côtes, et referma la chair à sa place.
22 L’Éternel Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise de l’homme, et il l’amena vers l’homme.
23 Et l’homme dit: Voici cette fois celle qui est os de mes os et chair de ma chair! on l’appellera femme, parce qu’elle a été prise de l’homme.
24 C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair.
25 L’homme et sa femme étaient tous deux nus, et ils n’en avaient point honte.

Une traduction littérale pourrait être

18 Et dit YHWH Elohim pas bon soit Adam seul. Je ferai lui aide semblable.
19 Et forma YHWH Elohim de Adamah toute bête des champs et tout oiseau des cieux et il apporta à Adam pour voir quoi il appellera eux et tout que il appellera lui Adam âme vivante lui nom son.
20 Et donna Adam noms à tous bétail et oiseaux des cieux et toute bête des champs et à Adam pas trouver aide semblable.
21 Et il causa de tomber YHWH Elohim un sommeil profond sur Adam – et il dormit et il prit une des côtes de lui et il ferma la chair de place.
22 Et il fit YHWH Elohim la côte que il avait pris de le Adam en Isha – et il apporta elle à Adam.
23 et dit Adam cette maintenant os de mes os et chair de ma chair et cette il appela Isha car de Ish a été prise cette.
24 Ainsi devra quitter Ish père de lui et mère de lui et il se joindra à isha de lui et deviendront chair unique
25 et étaient les deux nus le Adam et sa isha et pas honteux.

Commençons pas une analyse philologique, car plusieurs points méritent d’être explicités. En effet, auprès d’un certain public, souvent féminin, il est parfois de bon ton de mettre la Bible en accusation, de mettre l’Eglise en procès, pour des positions réactionnaires et patriarcales. Nous ne tomberons pas dans ce genre de facilités, puisque le but de ce cours est de se faire porteur de la Bible nue et de la lecture patristique traditionnelle. Toute déconstruction ne serait que l’écho de choses finalement mondaines et sans intérêt.

La première mention de la femme serait d’être une aide semblable, une aide adaptée. On pourrait comprendre bien des choses allant de la servante à l’égale complémentaire. Le terme traduit par aide est Ezer. Cela se traduit systématiquement par aide et jamais comme serviteur. Le terme que Segond traduit comme semblable ne se trouve que dans ces deux versets 18 et 20. Nous n’avons donc pas vraiment d’autre verset vétérotestamentaire qui puisse venir éclairer ce passage et nous expliquer : quel type d’aide doit être la femme ? Vous connaissez cette règle herméneutique patristique : l’AT éclaire le NT et le NT éclaire l’AT. Et pour passer de l’un à l’autre, nous avons besoin du pivot du grec de la LXX. L’expression en grec est βοηθον κατ αυτον. Le κατ αυτον final nous indique bien qu’il s’agit de l’idée de semblable. On pourrait même dire « comme lui ». Mais on peut aussi traduire « pour lui » et c’est donc Boetos qui va sceller le sort de cette énigme féminine. Regardons les occurrences du NT (je mets en gras les termes issus de la même racine que boetos) :

Mt 15:25 : « Mais elle vint se prosterner devant lui, disant: Seigneur, secours-moi! »
Mc 9:22 « Et souvent l’esprit l’a jeté dans le feu et dans l’eau pour le faire périr. Mais, si tu peux quelque chose, viens à notre secours, aie compassion de nous. »
Heb 13:6 « C’est donc avec assurance que nous pouvons dire : Le Seigneur est mon aide, je ne craindrai rien; Que peut me faire un homme? »

Ces quelques versets montrent que l’aide en question n’est pas une aide domestique et ménagère. Il s’agit d’une aide telle que Dieu peut en apporter à l’homme. Le constat de Dieu peut sembler d’ailleurs peu élogieux pour l’homme si l’on en prend la mesure : il n’est pas bon que l’homme soit seul. Pourquoi ? La réponse de la tradition orthodoxe au sens large n’est pas la constatation d’une incapacité, mais le fait que l’homme est une créature relationnelle. L’homme est fait pour être en relation. Ainsi, pour une créature relationnelle, image d’un Dieu relationnel, dont la relation à Dieu est encore à construire, il est normal de prévoir l’avènement d’une autre créature qui lui soit semblable.

Les versets 19 et 20 où Adam va nommer toutes les bêtes terrestres et les oiseaux des cieux peuvent ainsi paraître quelque peu étranges, mais en fait cet enchainement est parfaitement logique si l’on y réfléchit. Il fallait qu’Adam comprenne que cette aide semblable, cet alter égo parfait et nécessaire n’existait pas encore. Nul animal terrestre, nul oiseau des cieux ne pouvait remplir cette fonction. Ce n’est qu’au terme de cette énumération qu’Adam en a pris totalement conscience. N’oubliez pas qu’Adam avait la connaissance primordiale, et qu’il a donc donné aux animaux un nom qui correspondait à leur essence profonde. Le fait que la Bible précise que les animaux sont également fait à partir d’Adamah montre bien que Adam ne s’appelle pas Adam parce qu’il fait d’Adamah. Le fait qu’Adam nomme les animaux montre bien que l’homme règne sur la création. Même après la déchéance de la chute, cette domination va demeurer, et nous serons au sommet de la chaine alimentaire. Puisque Adam n’a pas trouvé cette aide semblable, il est devant un double constat : cette aide est nécessaire et cette aide n’existe pas. Il est donc tout à fait logique dans la narration d’arriver au passage de la création de la femme.



L’unanimité de la lecture patristique traditionnelle (ainsi que rabbinique) est que la femme est créée à partir de l’os de l’homme appelé côte. Une lecture moderne et moderniste veut y voir le côté. En français par exemple côte et côté sont le même mot si l’on ne prend pas en compte l’accentuation. Il s’agit de la même situation en hébreu. Le terme en question est צֵלָע et il peut effectivement selon les contextes se traduire par côté. Par exemple en Ex 25 :12, donc du même auteur Moïse, on peut lire que Dieu demande ainsi de construire l’arche d’alliance : « Tu fondras pour elle quatre anneaux d’or, et tu les mettras à ses quatre coins, deux anneaux d’un côté et deux anneaux de l’autre côté. ». Ici le mot côté est exactement le même. Alors, comment pouvons-nous disqualifier le côté et retenir exclusivement côte ? Voyons les sources principales : le rendu de la LXX et la tradition patristique. La LXX rend ainsi « καὶ ἐπέβαλεν ὁ θεὸς ἔκστασιν ἐπὶ τὸν Αδαμ καὶ ὕπνωσεν καὶ ἔλαβεν μίαν τῶν πλευρῶν αὐτοῦ καὶ ἀνεπλήρωσεν σάρκα ἀντ᾽ αὐτῆς ». Et il faut bien admettre que la LXX garde cette même ambiguïté, car le grec classique peut se lire côte ou côté. Le terme est πλευρά et les philologues nous signalent qu’Homère par exemple l’utilise pour côte et côté. Ainsi, dans le fameux verset de Jean 19:34 « mais un des soldats lui perça le côté avec une lance, et aussitôt il sortit du sang et de l’eau. ». Le côté ici est le pleura grec : « αλλ εις των στρατιωτων λογχη αυτου την πλευραν ενυξεν και εξηλθεν ευθυς αιμα και υδωρ ». Donc pleura c’est côte ou côté. Cela dépend du contexte. Ce sont les Saints Pères qui vont donc nous indiquer la réponse. Ambroise de Milan, Augustin d’Hippone, Jérôme de Stridon, Jean Chrysostome de Constantinople, Tertullien de Carthage unanimes : il s’agit ici de la côte.

Pourquoi insister à ce point sur côte/côté ? Parce que dans une certaine orthodoxie moderne et moderniste, qui se réclame de l’évêque Jean Kowalevsky, un personnage important dans l’histoire de l’orthodoxie française, personnage complexe dont on ne peut pas dire des choses binaires, dont j’ai déjà parlé dans ce blog et qui mérite un billet à lui seul, dans son sillage donc, il est des gens pour considérer le scénario suivant : Adam était un être double, masculin et féminin qui fut coupé en deux au niveau du côté, et la femme est née de cette séparation. On voit l’importance de lire côté et non côte dans cette lecture.

Et bien, cette lecture a quatre défauts :

  • Premier défaut : elle est absurde du point de vue de la narration complète. Si la femme est créée à ce moment, l’homme aussi. Ce qui existait avant n’était pas l’homme. Donc pourquoi considérer que la femme seule est créée du côté. Les deux sont créés à ce moment-là, dans cette logique.
  • Deuxième défaut, la lecture se veut contraire à dix neuf siècles de tradition de l’Eglise. Même les rabbins comprennent côte, c’est vous dire la largeur du consensus philologique sur ce passage. Est-ce à dire qu’on ne peut rien affirmer de nouveau dans l’Eglise ? Non. On peut affirmer des nouvelles choses bien entendu, mais elles doivent s’harmoniser avec tout ce qui a précédé.
  • Troisième défaut, cette position est très exactement soutenue par de grands ennemis historiques de l’Eglise : les gnostiques. Popularisée dans le banquet de Platon, cet Adam primordial hermaphrodite en un certain sens, et divisé pour donner hommes et femmes, c’est une position explicitement gnostique, et Dieu sait que toutes les positions des gnostiques ont été condamnées sans appel et sans équivoque.
  • Quatrième et dernier défaut : cette lecture qui veut équilibrer la position entre l’homme et la femme, est une lecture, je l’ai déjà dit, moderne, qui ne veut surtout pas recevoir l’insupportable accusation de machisme, d’inégalité homme-femme, etc. On veut bien être orthodoxe, mais sur des bases modernes. Le paradoxe de ce besoin d’égalité, c’est qu’il brise la logique du récit qui finalement nous montre une Eve plus importante qu’Adam. Réfléchissons un instant. On voit que la création se complexifie jour après jour. D’abord la lumière et la matière, puis les océans, puis la terre émergée avec sa végétation, puis les astres, puis les animaux et enfin Adam. A chaque fois nous avons à faire à quelque chose de plus sophistiqué. Eve n’est pas faite de la glaise comme Adam, mais est faite d’un os. C’est plus noble en un sens et plus complexe. Ainsi, cette recherche d’égalité qui montre surtout un impératif mondain et non pas une vraie démarche spirituelle, nous empêche de voir que dans le plan originel de Dieu, la femme avait une place prépondérante. C’est elle que le serpent va voir. Adam est absent, comme endormi, ou au second plan. C’est elle qui a le pouvoir. Elle dit à Adam de manger et il mange. Dieu, c’est la vie de la vie. La femme, si liée à la vie et la perpétuation de la vie, la Bible ne nous la montre surtout pas comme un acteur de second plan. On doit la voir non pas comme le point faible que le Diable attaque fourbement, mais comme le point fort, le point central, qui va entraîner assurément la chute complète et absolue de l’humanité. Eve était tellement grande, tellement puissante, tellement importante, qu’il a fallu non moins que la Mère de Dieu pour rattraper cette faute funeste que nous verrons bientôt.



Sur le sommeil d’Adam, je porte à votre connaissance les deux commentaires suivants. Le premier est de Tertullien : « Il est certain que, dès le début de sa nature, l’homme a été impressionné par ces instincts (de sommeil). Si vous recevez votre instruction de Dieu, (vous constaterez) que la fontaine de la race humaine, Adam, a eu un goût de somnolence avant d’avoir une gorgée de repos; il a dormi avant de travailler, ou même avant de manger, voire même avant de parler ; afin que les hommes puissent voir que le sommeil est une caractéristique et une fonction naturelles, et qui a réellement préséance sur toutes les facultés naturelles. De ce premier exemple aussi nous sommes conduits à tracer dès lors l’image de la mort dans le sommeil. Car, comme Adam était une figure du Christ, le sommeil d’Adam est l’ombre de la mort du Christ, qui devait dormir d’un sommeil mortel, afin que la blessure infligée à son côté puisse, de la même manière (comme Eve a été formée), être typifiée l’église, la vraie mère des vivants. C’est pourquoi le sommeil est si salutaire, si rationnel, et est en fait formé sur le modèle de cette mort qui est générale et commune à la race humaine. Dieu, en effet, a voulu (et on peut dire en passant qu’il n’a, généralement, dans ses dispensations, rien accompli sans de tels types et ombres) se placer devant nous, [Traité sur l’âme 43] » Ce magnifique commentaire est un classique des lectures patristiques. Concentrons nous sur le passage « Car, comme Adam était une figure du Christ, le sommeil d’Adam est l’ombre de la mort du Christ ». Pour les Pères de l’Eglise, la lecture traditionnelle était de montrer comment l’AT dévoilait, annonçait le NT. Les termes utilisés sont : images, figures, types, ombre. Adam est une figure du Christ signifie qu’un ou plusieurs événements de la vie d’Adam annoncent, préfigurent certains événements de la vie du Christ. Cela fait écho à cette parole du Christ à ces deux hommes, à la fin de l’Evangile de Luc sur le chemin d’Emmaus : le Christ explique que l’Ecriture parle de Lui. Mais elle ne le fait pas de façon directe et immédiate. Elle ne dit pas : il s’appellera Jésus, habitera à Nazareth, son père légal s’appellera Joseph, etc. L’Ecriture utilise des figures. Ici Tertullien nous explique que ce sommeil d’Adam annonce celui du Christ au tombeau. Là où la figure proposée par Tertullien est absolument superbe, c’est que le Christ s’est endormi dans la mort du tombeau avec une blessure à son côté, et Adam s’est endormi avec une blessure à son côté. Du côté du Christ jaillit l’Eglise, et du côté d’Adam jaillit la femme. Ici, l’utilisation du mot côté est intéressante, mais dans cette recherche de passages qui parlent du Christ. Les figures patristiques concernent le plus souvent le Christ, l’Eglise, la Mère de Dieu, la Trinité. Ce sont les figures les plus analysées par les saints pères.

Second commentaire, celui d’Augustin, sur le sens possible du mot qui sert à rendre sommeil, qu’on peut lire comme « extase ». « L’extase où Dieu fait entrer Adam, afin de le plonger dans le sommeil, peut donc fort bien s’entendre d’un ravissement qui le mit en communication avec la société des anges et le fit pénétrer dans le sanctuaire de Dieu, afin qu’il y apprit le mystère qui ne devait s’accomplir qu’à la fin des temps. Aussi en voyant près de lui, à son réveil la femme tirée d’une de ses côtes, laissa-t-il échapper, comme dans un transport prophétique, ces paroles où l’Apôtre voit un mystère si auguste : «C’est là l’os de mes os et la chair de ma chair: on l’appellera femme, parce qu’elle a été tirée de l’homme. L’homme quittera donc son père et sa mère pour s’attacher à son épouse, et ils seront deux en une seule chair. » Quoique l’Ecriture attribue ces paroles au premier homme, le Seigneur dans l’Evangile les cite comme étant sorties de la bouche de Dieu même : « N’avez-vous, pas lu, dit-il, que celui qui créa l’homme au commencement, les créa mâle et femelle, et qu’il dit: A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et ils seront deux dans une seule chair ? ». C’est afin de nous faire comprendre qu’Adam prononça ces paroles par une inspiration prophétique, en sortant de son ravissement. ». Ce commentaire est tiré du commentaire littéral sur la Gn.

Ce commentaire nous emmène vers les versets suivants et l’institution du mariage. Mais revenons sur ce qu’Augustin fait qui est ici véritablement remarquable. Il explique une bizarrerie du texte. Ici dans le verset, Adam parle et dit que l’homme quittera père et mère pour se marier. Mais effectivement dans l’Evangile, le Christ dit que c’est Dieu. Comment résoudre ce puzzle ? Le Christ ne peut pas se tromper, mais nos yeux lisent bien que c’est Adam qui parle !!! Augustin fait référence à un transport prophétique comme on peut en constater dans les psaumes « Quand j’ai réfléchi là-dessus pour m’éclairer, la difficulté fut grande à mes yeux, jusqu’à ce que j’eusse pénétré dans les sanctuaires de Dieu, et que j’eusse pris garde au sort final des méchants. » (Ps 73:16-17). Ainsi, cette connaissance d’Adam est dûe à une révélation divine. Ce que dit Adam, c’est Dieu qui le lui a appris. C’est ce que nous enseigne le Christ dans un raccourci foudroyant rapporté par Matthieu dans son Evangile.

Au verset 22, on voit dans l’hébreu que la femme est appelée Isha. Elle ne s’appelle pas Eve, pas encore. La Bible la désigne comme Isha. Isha se traduit aussi bien par femme que par épouse. La plupart des traductions rendent « femme », mais laissent de côté la dimension matrimoniale du passage. Dieu n’a pas créé une femme, mais il a créé une épouse. Il faut bien prendre en compte la dimension relationnelle qu’enseigne l’orthodoxie. Dieu est relationnel. En lui-même et avec sa création. Il est donc logique qu’il créé aussi des êtres de façon relationnelle. La relation normale, archétypale, matricielle de l’homme et de la femme est le mariage. Le mariage est une institution d’avant la chute. Le mariage n’est pas une invention du monde. C’est une volonté de Dieu. Nous sommes créés pour le mariage.

L’exclamation d’Adam est quelque peu énigmatique : os de mes os, chair de ma chair. A la limite : faite de mes os. Mais que veut-il dire ? Le divin docteur de Constantinople nous éclaire de façon admirable :

« Cette parole nous montre qu’Adam reçut alors de Dieu l’esprit de prophétie, tout comme il avait reçu le don admirable de la connaissance. C’est en effet à cause de ce don qu’il imposa à chacune des nombreuses espèces animales leur nom propre et véritable. Mais ici l’écrivain sacré a pris grand soin de nous avertir qu’Adam avait été plongé dans un profond sommeil, de sorte qu’il n’avait aucune sensation de ce qui s’était passé en lui. Ainsi quand, à la vue de la femme, il est instruit de tout, on ne peut douter qu’il n’ait reçu l’esprit prophétique, et qu’il n’ait pas parlé par l’inspiration du Saint-Esprit.
Adam ne connaissait pas humainement la création de la femme, et pourtant dès que Dieu la lui apporte, il dit : Voici maintenant l’os de mes os, et la chair de ma chair. Un autre interprète, au lieu du mot, « maintenant », écrivez « une fois » ; comme si Adam avait déclaré que pour cette fois seule la femme était formée de cette façon, et que ce mode de génération ne se renouvellerait plus. C’est comme s’il avait dit : maintenant la femme s’est formée de l’homme, mais désormais l’homme naîtra de la femme, ou plutôt de l’union des deux sexes. Car, dit l’Apôtre, l’homme n’a pas été ôté de la femme, mais la femme a été ôtée de l’homme ; et l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme a été créée pour l’homme. (I Corinthiens II, 8, 9.) Eh ! dis-tu en m’interrompant, ces mots montrent que la femme est faite de l’homme. Attendez un peu et admirez la précision avec laquelle l’apôtre parle. Cependant, poursuit-il, ni l’homme sans femme, ni la femme sans homme, c’est-à-dire que depuis la formation de la première femme, et l’homme et la femme naissent de la même manière, par l’union des sexes. Tel est le sens de ce mot qu’Adam dit de la femme : Voici maintenant l’os de mes os, et la chair de ma chair. »



Le verset 24 est le moment de l’institution du mariage. Profitons de Tertullien qui commente ainsi, relativement aux problématiques des mariages multiples, afin de savoir ce qu’il convient de penser des hommes ayant plusieurs épouses :

« Pour l’établissement de la loi du mariage unique, l’origine même de la race humaine est notre autorité ; Dieu témoigne avec insistance : il l’a constitué à l’origine pour un type à examiner avec soin par la postérité. Car quand il avait formé l’homme, et avait prévu qu’une paire lui était nécessaire, il en emprunta une de ses côtes et lui façonna une femme ; alors que, bien sûr, ni l’Artificier ni le matériel n’auraient été insuffisants (pour la création de plus). Il y avait plus de côtes en Adam, et des mains qui ne connaissaient aucune lassitude en Dieu ; mais pas plus de femmes aux yeux de Dieu. Et en conséquence, l’homme de Dieu, Adam, et la femme de Dieu, Eve, s’acquittant mutuellement des devoirs d’un seul mariage, ont sanctionné pour l’humanité un type via ce précédent faisant autorité de leur origine et la volonté primordiale de Dieu. Enfin, « il y en aura », dit-il, « deux dans une seule chair », pas trois ni quatre. Dans toute autre hypothèse, il n’y aurait plus « une seule chair », ni « deux (unis) en une seule chair ». Il en sera ainsi, si la conjonction et la croissance ensemble dans l’unité ont lieu une fois pour toutes. Si, cependant, (cela a lieu) une deuxième fois, ou plus souvent, immédiatement (la chair) cesse d’être « une », et il n’y aura pas « deux (unis) en une seule chair », mais clairement une côte (divisée) en plus. Mais lorsque l’apôtre interprète : « Les deux seront (unis) en une seule chair » de l’Église et du Christ, selon les noces spirituelles de l’Église et du Christ (car le Christ est un, et une est son Église), nous sommes liés à reconnaître une duplication et une application supplémentaire pour nous de la loi de l’unité du mariage, non seulement conformément au fondement de notre race, mais conformément au sacrement du Christ. D’un mariage nous tirons notre origine dans chaque cas ; charnellement en Adam, spirituellement en Christ. Les deux naissances se conjuguent pour poser une règle normative de monogamie. A l’égard de chacun des deux, il est dégénéré qui transgresse la limite de la monogamie. La pluralité du mariage a commencé avec un homme maudit. Lémec fut le premier qui, en se mariant à deux femmes, en fit (unir) trois « en une seule chair ». »

Tertullien rappelle donc à juste titre que Dieu a institué le mariage monogame. Tout autre mariage ne saurait être qu’une affreuse parodie de cette vérité première. Profitons de cette évocation du mariage pour rappeler quelques notions théologiques et historiques. L’Eglise n’a pas immédiatement réalisé de liturgie de mariage comme nous la connaissons aujourd’hui dans la tradition orthodoxe. Pendant des siècles, le fait d’être marié par les autorités civiles suffisait à l’Eglise à considérer l’homme et la femme comme mariés. C’est un empereur byzantin qui a voulu se marier quatre fois de suite, qui a poussé l’Eglise à une limitation plus formelle et organisée du point de vue canonique. Car cela pourra en surprendre certains, habitués et élevés dans une tradition romaine : l’Eglise permet le divorce. Il y a des canons et des textes tout à fait clairs des grands docteurs de l’Eglise qui attestent de cette position. Précisons néanmoins tout de suite. L’Eglise permet le divorce, à contre cœur. Le cas doit être examiné par l’évêque qui va prendre ceci sur lui. S’il doit y avoir remariage, la liturgie de mariage justement n’est plus du tout la même. Là où la liturgie de mariage « normal » met en œuvre de très belles prières, celle du remariage a des prières qui sont sans équivoque et qui sont très peu plaisantes à entendre. Le divorce est donc très encadré, et peut amener à une rupture de communion plus ou moins longue selon la politique disciplinaire de l’évêque. La position absolutiste romaine n’est donc pas traditionnelle. Ce refus obstiné du divorce est une des nombreuses innovations dont le catholicisme a entaché l’histoire, mais je clos le point ici, celui-ci méritant une vidéo à lui seul, qui viendra, n’en doutez pas. Revenons au biblique et au dernier verset, qui est assez étrange si l’on veut bien y prêter attention.

On nous dit qu’ils étaient nus sans en être honteux.

Regardons les Pères pour comprendre. St Ephrem le Syrien explique « C’est à cause de la gloire dont ils étaient enveloppés qu’ils n’avaient pas honte. Une fois que cela leur fut enlevé, après la transgression du commandement, ils eurent honte d’en avoir été dépouillés, et tous deux se précipitèrent vers les feuilles afin de couvrir moins leur corps que leurs membres honteux. »

Saint Jean Chrysostome, à l’unisson, commente : « Quant à l’usage des vêtements, l’Ecriture nous dit qu’ils étaient nus et qu’ils ne rougissaient pas. Qu’avant le péché et la désobéissance, la grâce divine était comme leur vêtement ; ils ne rougissaient donc pas de leur nudité. Mais dès qu’ils ont enfreint le précepte du Seigneur, ils ont su qu’ils étaient nus et ils ont rougi. Qui a suggéré alors à Adam les mots qu’il a prononcés ? et n’est-il pas évident qu’il a reçu le don de prophétie, et qu’il a découvert l’avenir des yeux de l’esprit ? Ce n’est pas sans raison que j’insiste sur ces détails, car ils nous montrent l’immense bonté du Seigneur envers le premier homme. Il menait en principe la vie des anges, s’enrichissait de mille bienfaits, et possédait même l’esprit prophétique. Alors quand vous le voyez, après tant de grâces et de faveurs, devenir un égaré, gardez-vous de blâmer Dieu, et ne blâmez que l’homme. C’est lui seul, comme je le dirai plus tard, qui s’est privé de tant de biens par sa désobéissance, et qui a été légitimement condamné pour son péché.

Et ils étaient tous les deux nus, Adam et la femme, et ils ne rougissaient pas. (Gen. II, 25.) Considérez, je vous y invite, le bonheur éminent de nos premiers parents. Comme ils étaient élevés au-dessus de toutes les créatures sensibles et grossières ! ils habitaient moins la terre que le ciel ; et bien que vêtus d’un corps, ils ne ressentaient pas les infirmités, puisqu’ils n’avaient besoin ni de toit, ni de vêtements, ni d’aucune autre aide extérieure. Or ce n’est pas sans raison et sans motif que l’Écriture sainte entre dans ce détail, et nous enseigne que leur vie était exempte de chagrin et de tristesse, et que leur condition était presque celle des anges. Elle souhaite que, les voyant alors dépouillés de tous ces privilèges, et tombés d’une haute opulence dans une profonde misère, nous n’attribuions leur chute qu’à leur propre négligence. Pour le reste, il est important de prêter attention à tout ce passage de la Genèse. Car Moïse a d’abord dit qu’Adam et Eve étaient nus, et qu’ils ne rougissaient pas. Comment auraient-ils pu connaître leur nudité, puisque la gloire céleste semble comme un vêtement superbe ! »

Ainsi le commentaire patristique considère que la gloire de Dieu était leur vêtement et qu’ils étaient donc vêtus uniquement de cela. A-t-on besoin d’autre chose lorsque l’on a la gloire divine ? Chrysostome nous enseigne très subtilement que cette nudité nous indique les conditions de vie idéales au paradis. Cette nudité n’était pas dû au manque ou au dénuement mais bien à l’inutilité du vêtement. Pourquoi un vêtement puisque nous avons Dieu ? D’où l’absence de honte.

Voilà pour ce chapitre 2 très riche. Il y a encore des myriades de choses à dire mais il nous faut avancer au chapitre 3 qui va nous voir répondre dans les prochain billets à ces questions brulantes : qui est le serpent, pourquoi la chute, comment la chute, quelles conséquences, le péché originel est-il particulier dans la tradition orthodoxe, etc.