Bienvenue dans cette étude consacrée à l’intégralité du troisième chapitre de la Genèse. Nous partons du principe que vous avez lu l’étude précédente de notre cycle de cours biblique, consacrée au diable et aux démons et nous ne revenons donc pas sur les termes diable, satan, lucifer, pourquoi, quand a eu lieu sa rébellion, et nous considérons ceci déjà pas forcément maîtrisé bien sûr, mais au moins connu. Reprenons sans plus tarder notre étude verset par verset, à partir de l’hébreu, en utilisant les précisions de la LXX lorsque cela nous semble pertinent. Voyons d’abord les cinq premiers versets qui forment l’attaque diabolique sur Eve :

Etude Biblique

Attaque diabolique contre Eve

1 Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs, que l’Éternel Dieu avait faits. Il dit à la femme: Dieu a-t-il réellement dit: Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin?
2 La femme répondit au serpent: Nous mangeons du fruit des arbres du jardin.
3 Mais quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: Vous n’en mangerez point et vous n’y toucherez point, de peur que vous ne mouriez.
4 Alors le serpent dit à la femme: Vous ne mourrez point;
5 mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal.


Je propose la traduction littérale suivante depuis l’hébreu :

1 et le Na’hash était arum parmi bête des champs que fît YHWH Elohim et il dit à Isha ainsi a dit Elohim pas vous mangerez de tout arbre du jardin ?
2 et la Isha dit au Na’hash du fruit des arbres du jardin nous pouvons manger
3 mais du fruit de l’arbre qui au milieu du jardin a dit Elohim : vous ne devez pas manger de lui ; et vous n’y toucherez pas sinon vous mourrez.
4 et le Na’hash dit à la Isha vous ne mourrez pas
5 car il sait Elohim que dans jour vous mangez de lui s’ouvriront yeux de vous et vous serez comme Elohim sachant bien et mal

Il est intéressant de voir le grec de la LXX sur le premier verset. Je ne reviens pas sur ce qu’est un na’hash : serpent, divination ou brillant. Le grec traduit de façon moins polysémique : na’hash est rendu par ὄφις ce qui est le terme grec pour serpent exclusivement. L’adjectif est intéressant. L’hébreu le donne arum, et je ne l’ai pas traduit sciemment pour pouvoir l’étudier. Souvent arum est rendu par rusé et on a l’impression que le texte veut nous prévenir d’une fourberie du serpent. Le terme arum en hébreu se retrouve surtout dans la littérature sapientielle : Job et Proverbes. Dans Job il est utilisé deux fois dans un sens plutôt négatif : les hommes rusés qui préparent des fourberies. Dans les Proverbes c’est tout à fait l’inverse : Il n’a jamais un sens négatif. C’est toujours pour mettre en avant la sagesse, l’intelligence, la prudence. Arum hébreu est rendu en grec par φρονιμώτατος qui est le comparatif de φρόνιμος qui signifie sage, prudent, intelligent, donc un registre également positif. Le grec vient nous prévenir de cette possible mauvaise lecture : le serpent est le plus intelligent, le plus sage, etc. Comment donc expliquer que le terme soit positif et voir le diable justement entamer le dialogue qui va nous entraîner dans la mort ? On peut répondre de la façon suivante, pour rejoindre la vision de Grégoire le Théologien : le diable n’a pas toujours été mauvais ; il a été créé bon et a choisi le mal ; l’hébreu et encore plus le grec semble nous dire : le texte vous montre l’exact moment de la rébellion de ce Séraphin. Le moment où il bascule, où il choisit la révolte qui va entraîner sa chute et son expulsion nous est montré dans ce premier verset. Lorsque le texte dit qu’il est arum, il est encore bon, et puis il parle à la femme, et là il bascule.

La tactique du serpent est d’instiller le doute dans l’esprit de la femme. Il veut l’amener à douter non pas du commandement divin en tant que tel, mais sur le fait qu’elle l’aurait peut-être mal compris. Il n’attaque pas frontalement le commandement divin. Il commence par un « est-ce qu’il a vraiment dit ça ? ». Il transforme l’interdit divin très ciblé en un interdit global. L’interdiction d’un fruit devient l’interdit de tous les fruits. Le fait qu’il parle en utilisant la seconde personne du pluriel pourrait indiquer qu’Adam serait également là, mais silencieux. Paul dans sa première à Timothée semble nous indiquer le contraire : « et ce n’est pas Adam qui a été séduit, c’est la femme qui, séduite, s’est rendue coupable de transgression. » (1 Tim 2:14). Ainsi ce « vous » diabolique indique davantage une évocation de la volonté divine que la réelle présence d’Adam ici. Que ce soit l’absence ou le silence d’Adam, cela interroge. Que faisait-il ? Où était-il ?

Le commentaire le plus déterminant du côté patristique est probablement celui de Saint Ambroise de Milan, chapitre 48 de son traité sur le paradis. Il attire notre attention sur ce que dit Eve : Elohim a interdit de manger et de toucher. Pourtant nous avons vu dans le chapitre 2 de la Gn que l’interdiction divine ne portait pas sur le fait de toucher, mais exclusivement sur le fait de manger. Dieu ordonne à Adam de ne pas manger, et Eve déclare qu’il lui est interdit de toucher et de manger. Il y a donc eu une modification entre temps. Ambroise précise : beaucoup pensent que la modification vient d’Adam. C’est peut-être pour cela que ce moment est resté comme la faute d’Adam, alors qu’il s’agit d’une action d’Eve. Ambroise relie ceci à un passage de l’apocalypse de Jean : « Je le déclare à quiconque entend les paroles de la prophétie de ce livre: Si quelqu’un y ajoute quelque chose, Dieu le frappera des fléaux décrits dans ce livre; et si quelqu’un retranche quelque chose des paroles du livre de cette prophétie, Dieu retranchera sa part de l’arbre de la vie et de la ville sainte, décrits dans ce livre. » (Apo 22 :18-19). Ajouter et retrancher des choses de l’Ecriture a des conséquences terribles. Adam, pour une fausse bonne raison, peut-être pour sécuriser l’interdiction a rajouté quelque chose. La tradition orale d’Israël imagine même un dialogue entre Eve et le Diable pour montrer l’engrenage possible face à quelqu’un comme le serpent :

Eve déclare au serpent qu’il est interdit de toucher ou de manger du fruit de l’arbre, sinon l’on meurt.
Le serpent a alors poussé Eve sur le fruit pour ensuite lui dire : tu vois que tu n’es pas morte ! donc tu peux en manger.
Si vous vous souvenez du commandement de Dieu en 2:16 il était double. Déclaration d’interdiction sur le fruit de cet arbre précis, mais aussi déclaration de pouvoir manger de tout fruit du jardin, « librement » précise l’hébreu littéral. Dans la réponse d’Eve à la première attaque du serpent, cette notion de liberté a disparu. On peut donc noter qu’Eve commence ici à réfléchir selon les paradigmes du serpent. Bien évidemment elle n’attache pas de fourberie à la volonté divine, mais elle est déjà captive d’une interprétation alternative du commandement divin. Le doute vient de naître. Elle aurait dû répondre « nous pouvons librement manger ». Dieu avait interdit l’arbre sur sa nature « arbre de la connaissance du bien et du mal » et Eve répond sur le lieu de l’arbre « l’arbre du milieu du jardin ». Le commandement est édicté par YHWH Elohim et Eve dit simplement Elohim. Le serpent monte d’un cran dans les versets 4 et 5 : il présente Dieu comme ni bon ni aimant. Il est égoïste et trompeur, empêchant Adam et Eve de parvenir à un accomplissement en devenant également Elohim. Un lecteur inattentif et cynique pourrait d’ailleurs conclure cela à la lecture du chapitre. Ici, le diable dit que Dieu ne veut surtout pas qu’Adam et Eve deviennent en quelque sorte divin, et c’est exactement ce que Dieu veut prévenir : qu’ils ne touchent surtout pas de l’arbre de la vie éternelle et qu’ils soient chassés du paradis. Le verset 3:22 de ce même chapitre est éloquent : « L’Éternel Dieu dit: Voici, l’homme est devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. Empêchons-le maintenant d’avancer sa main, de prendre de l’arbre de vie, d’en manger, et de vivre éternellement. ». Nous le verrons plus loin en détail bien sûr. Mais cette lecture inattentive, façonnée par le diable, est tout à fait possible. Le diable appuie ici avec trois affirmations cruciales :

  • Vous ne mourrez pas
  • Vos yeux s’ouvriront c’est-à-dire vous saurez quelque chose que vous ignoriez précédemment
  • Vous serez comme Elohim grâce à votre connaissance du bien et du mal

Ce qu’il faut voir ici est que le diable donne des vérités immédiates qui se révèlent des mensonges sur le long terme. La mort n’est pas immédiate et le diable semble donc avoir raison. Mais l’affreuse astuce ici est que la mort que Dieu a annoncé n’a jamais été promise comme immédiate. Le diable instrumentalise la miséricorde divine pour se parer d’une autorité toute artificielle. Il avait dit « vos yeux s’ouvriront » et effectivement nous verrons au verset 7 que leurs yeux se sont ouverts à cette nouvelle réalité. Et enfin, sur la connaissance du bien et du mal, Adam et Eve sont bien tombés dans ce qu’indiquait le diable mais de façon tout à fait trompeuse. On imagine aisément que la séduction résidait dans le fait d’acquérir une connaissance alors réservée uniquement à Dieu et cachée aux hommes. Ceci est le ressort mental de la gnose : cette croyance enfantine et diabolique à la fois qu’il y a quelque chose de caché à découvrir, à conquérir. Mais en fait le diable a d’une certaine façon tenu ses promesses. L’humanité a maintenant pris la place de Dieu et s’arroge le droit de définir ce qui est bien ou mal. Dieu par exemple, de façon très claire définit le mariage comme étant l’union d’un homme et d’une femme. Et bien l’humanité poursuit la promesse du diable et définit une nouvelle version du bien et du mal. Nous améliorons la vision étriquée de Dieu : nous déclarons que le mariage peut concerner aussi un homme et un homme, ou bien une femme et une femme. Nous l’inscrivons même fièrement dans la loi. Nous augmentons les libertés humaines. Nous définissons que le meurtre d’un embryon humain se développant dans la matrice de sa mère peut être admissible si l’embryon est encore assez jeune, et nous appelons cela une liberté. Nous permettons cela afin de transformer la mère en divinité qui a le droit de vie et de mort sur cet enfant, qui par définition n’est coupable de rien à titre personnel. Mais peut-être cet enfant arrive-t-il au mauvais moment : pas souhaité, pas d’argent, pas le temps, une carrière à mener, des études à finir, etc. Donc vous voyez, le diable a tenu sa promesse d’une certaine façon : nous sommes Dieu et nous définissons nous même ce qui est bien ou mal.

Eve mange le fruit et en donne à Adam

Passons aux deux versets suivants pour voir Eve choisir de manger du fruit défendu :

6 La femme vit que l’arbre était bon à manger et agréable à la vue, et qu’il était précieux pour ouvrir l’intelligence; elle prit de son fruit, et en mangea; elle en donna aussi à son mari, qui était auprès d’elle, et il en mangea.
7 Les yeux de l’un et de l’autre s’ouvrirent, ils connurent qu’ils étaient nus, et ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des ceintures.

On découvre ici rapidement l’étendue de l’arnaque. On s’attendait à une connaissance colossale, nous permettant de nous hisser au niveau divin : la seule chose que nous avons vu au final, est notre nudité. Il faut bien comprendre que le diable dupe, triche, ment. Il met un paquet cadeau autour de rien. Les gens qui signent un pacte avec lui sont bien naïfs quand on a tout ceci à l’esprit.
La Bible nous montre le moment de bascule chez Eve : elle voit dans un premier temps, puis juge que le fruit est bon. Il y a peut-être une forme d’ironie dans ce terme « bon » ici, car le terme s’utilise de deux façons en hébreu : le bien moral et le beau physique. Si l’on peut y voir une réminiscence du jugement divin sur chaque jour de la création, on peut constater qu’ici le beau n’a pas été un bien moral mais la base d’une transgression. Eve usurpe Dieu à juger ce qui est bon. On voit ici le travail de sape du diable, et souvenons-nous que lorsqu’elle juge de la sorte, elle n’a pas encore mangé.
Une interrogation que suscite ce passage est : pourquoi Eve donne à manger à Adam ? Ambroise de Milan explique dans le même traité sur le paradis : « Les yeux de leur esprit s’ouvrirent et ils se rendirent compte de la honte d’être nus. Pour cette raison, lorsque la femme a mangé de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, elle a certainement péché et s’est rendu compte qu’elle avait péché. En réalisant cela, elle n’aurait pas dû inviter son mari à partager son péché. En l’attirant et en lui donnant ce qu’elle avait elle-même goûté, elle n’annulait pas son péché ; plutôt, elle l’a répété. Certes, il va de soi qu’elle avait l’intention d’attirer la personne qu’elle aimait pour partager sa punition. On devrait s’attendre à ce qu’elle conjure à celui qui l’ignorait le danger de tomber dans un péché dont elle avait connaissance. Pourtant, cette femme, sachant qu’elle ne pourrait pas rester au Paradis après la Chute, semble avoir eu peur qu’elle seule soit éjectée du Jardin. Par conséquent, après la Chute, ils se sont tous les deux cachés. Consciente donc qu’elle devrait être séparée de l’homme qu’elle aimait, elle n’avait aucune envie d’être trompée. » (Du paradis, ch 33)

Le disciple d’Ambroise, Augustin d’Hippone précise sur cette notion d’yeux ouverts : « Il est écrit d’Adam et Eve : « Leurs yeux s’ouvrirent. Mais il serait absurde de croire que jusque-là ils étaient aveugles, ou avaient erré, les yeux fermés, dans le paradis terrestre. C’est donc une phrase, la même que l’on retrouve dans ce passage où il est dit d’Agar : « Elle ouvrit les yeux et j’ai vu un puits » (Gen. XXI, 19) ; Elle ne s’était certainement pas assise là jusque-là, les yeux fermés. Ils n’ont pas non plus marché les yeux fermés, suivant avec Jésus le chemin d’Emmaüs, ces disciples qui ont reconnu le Seigneur après sa résurrection, et pourtant il est dit que leurs yeux se sont ouverts à la fraction du pain (Luc XXIV, 31) ». Augustin nous précise donc que cette ouverture n’est pas ici littérale au sens premier du terme, mais une expression qui explique une nouvelle perception, probablement moins spirituelle et plus immédiatement physique. Peut-être les yeux s’ouvrent davantage parce que d’autres choses se ferment. Nous allons voir dans les versets suivants que c’est la relation avec Dieu qui va s’altérer grandement.

Dans une précédente étude j’avançai l’hypothèse du fruit comme étant une figue. Le fait qu’ils se cousent des feuilles de figuier semble plaider pour cette théorie. En effet, si le problème a lieu près d’un pommier, pourquoi aller courir peut-être loin, pour chercher une feuille de figuier ? à cause de la taille de la feuille, suffisamment grande pour couvrir une nudité adulte ? Le plus probable est de prendre ce qui est tout de suite à portée de main. La feuille du figuier dont on vient de goûter le fruit interdit…

On pourra revenir un instant sur cette question : mais pourquoi Eve choisit de croire Satan plutôt que ce qu’elle savait précédemment ? Souvenez-vous qu’elle a été dupée. Elle a naïvement cru que sa compréhension était imparfaite, et faisant confiance au serpent, elle a choisi de suivre ses indications. Il n’y a pas ici de rébellion ouverte. Le cas est plus grave pour Adam, qui lui, avait entendu le commandement divin. Poursuivons…



La honte de Adam et Eve

8 Alors ils entendirent la voix de l’Éternel Dieu, qui parcourait le jardin vers le soir, et l’homme et sa femme se cachèrent loin de la face de l’Éternel Dieu, au milieu des arbres du jardin.
Ce verset a beaucoup de commentaires car il soulève des difficultés, ou au moins des questions. On voit comment le traducteur essaie de contourner une bizarrerie de l’hébreu. Non pas qu’il y ait un terme bizarre, mais un terme suscite une interrogation. En effet l’hébreu ne dit pas parcourir mais marcher. L’hébreu littéral dit « et ils ont entendu le bruit YHWH Elohim marchant dans le jardin dans le souffle du jour et ils se sont cachés eux-mêmes Adam et Isha de lui de la face de YHWH Elohim parmi les arbres du jardin ». On a un Dieu qui marche dans le jardin. Le grec de la LXX reste exactement sur le même terme : Dieu marche. Saint Jean Chrysostome de commenter « Que dis-tu, ô Moïse ? Dieu marche-t-il ? croirons-nous qu’il a des pieds, et n’aurons-nous plus de sublime idée de lui ? mais comment marcherait Celui qui remplit l’univers de sa présence ? et comment Celui dont le ciel est le trône, et la terre le marchepied serait-il enfermé dans le jardin ? Il serait insensé de le dire. ». Ainsi le divin commentateur n’explique pas ce que c’est mais explique ce que cela n’est pas : quelque chose de comparable à ce que nous connaissons vous et moi lorsque nous marchons. Souvenons-nous que nous sommes encore en Eden. En fait les commentaires patristiques s’attachent davantage à un détail qui vous a peut-être échappé : le texte précise que nous sommes le soir. Saint Jérôme commente en précisant que le soir indique qu’Adam et Eve ne voient déjà plus la lumière du soleil divin. Pour eux c’est un soir spirituel.
Ils se cachent de Dieu, et Dieu marche seul. On verra dans le biblique que marcher avec Dieu dépeint au contraire la nature admirable des personnes : Enoch a marché avec Dieu 300 ans nous dit la Gn au chapitre 5, Noé marchait avec Dieu nous dit le chapitre 6, et Abraham a été appelé par Dieu à marcher avec lui : « Lorsque Abram fut âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans, l’Éternel apparut à Abram, et lui dit: Je suis le Dieu tout puissant. Marche devant ma face, et sois intègre. » (Gn 17:1). On peut constater en Gn 24:40 que la mission est accomplie « Et il m’a répondu: L’Éternel, devant qui j’ai marché, enverra son ange avec toi, et fera réussir ton voyage» dit Eliezer rapportant les paroles d’Abraham. Marcher avec Dieu est le signe de la proximité dans le biblique. On voit ici qu’Adam et Eve sont déjà loin de cette proximité qu’ils avaient probablement avant. Lorsque Dieu dit en Lv 26:12 « Je marcherai au milieu de vous, je serai votre Dieu, et vous serez mon peuple. » on voit que le verset nous renvoie en fait à cette coupure en Eden. Adam et Eve qui voulaient être comme Dieu ne souhaitent même plus être en sa présence. Voyons comment Dieu va réagir à cette trahison.

Premières paroles de Dieu après la faute

9 Mais l’Éternel Dieu appela l’homme, et lui dit: Où es-tu?
10 Il répondit: J’ai entendu ta voix dans le jardin, et j’ai eu peur, parce que je suis nu, et je me suis caché.
11 Et l’Éternel Dieu dit: Qui t’a appris que tu es nu? Est-ce que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais défendu de manger?

On voit que Dieu commence par interroger Adam. Les Pères expliquent que la question « où es-tu ? » est rhétorique et sert d’autres propos. Nul ne peut douter de l’omniscience de Dieu. Dieu sait très bien ce qu’ils ont fait, où ils sont, etc. Alcuin d’York par exemple précise « Il n’a certainement pas demandé à Adam par ignorance, mais, le grondant, il lui a dit de noter où il était et d’où il était tombé. ». Enseignement intéressant d’Alcuin ici : il demande à Adam de considérer où il était et où il est maintenant. Quel est son état ? Augustin poursuit sur la notion d’Ambroise et explique pourquoi dans une faute commise par Eve, Dieu souhaite s’entretenir d’abord avec Adam. Le génie d’Hippone écrit « Le Seigneur Dieu appela Adam et lui dit : Où es-tu ? Le reproche et non l’ignorance éclate dans cette question. Remarquons que l’ordre ayant été fait à l’homme de le transmettre à la femme, c’est l’homme qui est interrogé le premier. Le commandement est communiqué du Seigneur à la femme par l’intermédiaire de l’homme ; le péché passe du diable à l’homme par la femme. Tous ces faits sont pleins d’enseignements ; ce ne sont pas les personnages qui nous les donnent, c’est la toute-puissante sagesse de Dieu qui les fait sortir de leurs actes. Mais nous n’avons pas ici à découvrir le sens têtu des événements ; bornons-nous à montrer la vérité. » (comm. Littéral sur la Gn). Augustin pointe un défaut de transmission. C’est à cause de cette mauvaise transmission que le diable a pu duper Eve. C’est donc avant tout la faute d’Adam.

Alcuin et Augustin parlent de reproche. Chrysostome tempère cela. Lorsqu’Alcuin utilise le terme « gronder », il faut bien se souvenir que si Dieu punit parfois, il le fait toujours dans une optique de réparation. Son homélie sur ce passage de la Gn montre bien que dans cette question de Dieu, il n’y a pas que du reproche mais aussi l’amour infini de Dieu pour l’homme : « Dans cette interrogation même, nous trouvons une marque étonnante de la suprême bonté de Dieu ; non seulement il appelle Adam, mais il l’appelle lui-même, en personne : c’est ce que les juges de la terre dédaignent pour les coupables qui sont des hommes comme eux et de même nature qu’eux. Vous savez que lorsqu’ils siègent à leur tribunal, nos juges rendent compte aux auteurs de leur conduite, ils ne s’adressent pas à eux directement, mais ils utilisent un intermédiaire qui communique à l’accusé les questions des jugés et des accusés. Il est utilisé presque partout pour faire comprendre aux criminels à quel point ils ont été blessés en commettant le crime. Dieu n’agit pas de même, il interroge directement : Le Seigneur Dieu a donc appelé Adam et dit Adam, où es-tu ? Ces quelques mots contiennent une grande énergie de pensées. Parce que d’abord c’était en Dieu une immense et ineffable bonté d’appeler ce grand coupable qui rougissait de honte, et qui n’osait ni ouvrir la bouche ni prononcer un seul mot. Oui, l’interroger, et ainsi lui donner l’occasion d’implorer son pardon, atteste une infinie miséricorde. Adam, où es-tu ? Oh! que cette seule question est à la fois pleine de force et de douceur ! C’est comme si Dieu lui avait dit : Que s’est-il passé ? Je t’ai laissé dans un état, et je te retrouve dans un autre. Je t’avais laissé vêtu de gloire, et je te retrouve dans une nudité honteuse. Adam, où es-tu ? quelle est la cause de ton malheur ? et qui vous a plongé dans cet abîme de maux ? qui est le scélérat ou le voleur qui vous a pris tous vos biens, et qui vous a réduit à cette extrême indigence ? qui t’a fait connaître la nudité, et qui t’a dépouillé de ce magnifique vêtement dont je t’avais vêtu ? quel changement soudain ! et quelle tempête a soudain englouti toutes vos richesses ? Qu’avez-vous fait, que vous vouliez éviter celui qui vous a comblé des plus grands bienfaits, et qui vous a élevé à tant d’honneur ? et qu’as-tu peur en cherchant à te cacher ? est-ce qu’un accusateur vous poursuit et que des témoins vous embrouillent ? enfin, d’où viennent cette peur et cette terreur ? ». Le patriarche de Constantinople montre ici que le repentir était possible, et c’est l’obstination d’Adam et Eve au mal qui les a conduit à perdre le paradis. Le Christ a fait de l’appel au repentir le centre de sa prédication. Il sait combien, depuis le départ, cela nous est difficile.
Le verset 11 montre que Dieu s’intéresse d’abord particulièrement à Adam : « Qui t’a appris que tu es nu? Est-ce que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais défendu de manger ». Dieu est un Dieu de vérité : il veut voir un repentir pour pardonner. Il fera la même chose avec Caïn suite au meurtre d’Abel et obtiendra le même résultat, malheureusement. Adam déclare avoir eu peur que Dieu constate sa nudité. Aujourd’hui, dans nos sociétés, à part quelques tordus, il est inconcevable d’être nu dans la rue. Cela correspond à une honte immense. La honte que nous pourrions ressentir à être vus nus dans l’espace public nous donne ici la magnitude de la honte ressentie par Adam, mais vis-à-vis de son péché. Dieu n’obtenant pas le repentir corollaire de la vérité, il continue les questions rhétoriques. On notera que l’arbre de la connaissance du bien et du mal est devenu l’arbre dont je t’avais défendu de manger. A ce moment en théorie, tout est encore possible. Il suffisait à Adam de répondre « oui j’ai mangé de l’arbre. J’ai mal expliqué les choses à Eve. Tout est de ma faute. Pardonne moi ». Mais non, ce n’est pas du tout la route que va choisir Adam. L’Ecriture Sainte nous dit :

Adam accuse Eve

12 L’homme répondit: La femme que tu as mise auprès de moi m’a donné de l’arbre, et j’en ai mangé.

Il évident que Dieu attendait plutôt une réponse à la façon du roi David dans le psaume 50 « aie pitié de moi Ô Dieu, dans ta grande compassion, et dans ton immense miséricorde, efface mon péché ». Mais à la place, c’est un minable « c’est pas moi c’est l’autre » auquel il a droit.
Augustin commente ainsi « Quelle fierté ! Il a dit : j’ai péché ? Non. Il éprouve de la confusion dans toute sa laideur, il n’a pas assez d’humilité pour admettre sa faute. Ces paroles nous ont été transmises, parce que ces demandes étaient faites pour nous rendre fidèlement compte et pour servir de leçons, car si elles étaient fausses, elles ne pouvaient être instructives : elles étaient donc destinées à nous montrer jusqu’où va l’orgueil dans l’homme qui, encore aujourd’hui, rend Dieu responsable de ses crimes en s’attribuant toutes ses vertus. « La femme que tu as mise avec moi », c’est-à-dire que tu m’as donné pour compagne, m’a fait découvrir ce fruit et je l’ai mangé ; il semblerait l’entendre, qu’elle lui avait été donnée pour lui désobéir et le rendre infidèle à Dieu avec elle.» (comm litt sur la Gn).
Adam oublie ici un peu rapidement qu’au moins Eve a été dupé par un Séraphin. Lui n’a été dupé par personne. Il pouvait très bien refuser ce que lui proposait sa femme. On verra plus loin que Dieu le punira relativement au fait d’avoir écouté sa femme. Comme le pointe Augustin, Adam dans sa façon de repousser le blâme sur autrui semble à la fin accuser Dieu Lui-même : la femme que TU as mise auprès de moi. Le diable peut se régaler de la situation : Dieu est accusé. La femme qui était à l’origine un don magnifique à Adam, don qu’il avait accepté sans réserve, montre maintenant que Dieu en effet a des pensées cachées ; il ne cherche pas ce qu’il y a de mieux pour Adam. On voit comment le diable ici a réussi à abîmer la relation entre Dieu et Adam. Voilà comment pense Adam : La femme est en fait une erreur. C’est elle qui m’a amené à la faute. Dieu n’obtenant pas de repentir chez Adam, se tourne vers Eve.

Dieu interroge Eve

13 Et l’Éternel Dieu dit à la femme: Pourquoi as-tu fait cela? La femme répondit: Le serpent m’a séduite, et j’en ai mangé.

On voit qu’elle fait un peu comme Adam, en blâmant le serpent. Mais elle reconnait la faute et il est vrai qu’elle a été dupée. Elle n’est pas totalement innocente, mais pour elle la situation était bien plus compliquée que pour Adam. Les Pères reconnaissent cette meilleure réaction d’Eve. Ambroise de Milan explique « Cette faute est pardonnable qui est suivie d’un aveu de culpabilité. Il ne faut donc pas désespérer de la femme qui ne s’est pas tue devant Dieu, mais qui a préféré avouer son péché, celle à qui a été prononcée une sentence salutaire. Il est bon de subir la condamnation pour nos péchés et d’être flagellé pour nos crimes, pourvu que nous soyons flagellés avec d’autres hommes. Par conséquent, Caïn, parce qu’il voulait nier sa culpabilité, a été jugé indigne d’être puni dans son péché. Il fut pardonné sans peine prescrite, non peut-être pour avoir commis un crime aussi grave que le parricide - il était responsable de la mort de son frère - comme un sacrilège, en ce qu’il croyait avoir trompé Dieu en disant : “ Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère ? [ Gen 4:9 ] Et ainsi l’accusation est réservée à son accusateur, le Diable, prescrivant qu’il soit flagellé avec ses anges, puisqu’il ne voulait pas être flagellé avec les hommes. De tels, par conséquent, a-t-il été dit : « Il n’y a aucune considération pour leur mort et ils ne seront pas flagellés comme les autres hommes. [ Ps 72:4,5 ] Le cas de la femme est donc d’un tout autre caractère. Bien qu’elle ait encouru le péché de désobéissance, elle possédait toujours dans l’arbre du paradis de la nourriture pour la vertu. Et ainsi elle a admis son péché et a été considérée comme digne de pardon. « Le juste est le premier accusateur de lui-même au début de son discours. [ Prov 18:17 ] Nul ne peut être justifié du péché s’il n’a d’abord fait confession de son péché. C’est pourquoi le Seigneur dit : « Dis si tu as quelque chose pour te justifier. (Is 43:26) ».
Augustin est sur une ligne plus dure. La mention du serpent lui laisse entendre que le repentir n’est pas vraiment là « La femme répondit : Le serpent m’a séduite et j’ai mangé des fruits. Eve, elle aussi, ne reconnaît pas sa faute et la rejette sur un autre : c’est le même orgueil chez les deux sexes. Ce sont pourtant les ancêtres de l’homme qui, accablé par beaucoup de disgrâce, s’écria, sans imiter leur orgueil, et ceci jusqu’à la fin des temps : «Seigneur, aie pitié de moi ; guéris mon âme, car j’ai péché contre toi ». Il fallait attendre les afflictions, les horreurs de la mort, les inquiétudes des générations, la grâce qu’en temps opportun Dieu enverrait aux hommes, après leur avoir appris dans les souffrances à ne pas présumer de leurs forces. »

La condamnation du serpent

14 L’Éternel Dieu dit au serpent: Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre tout le bétail et entre tous les animaux des champs, tu marcheras sur ton ventre, et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie.
15 Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité: celle-ci t’écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon.

On voit dans ces deux versets de jugement contre le serpent, que Dieu ne prend pas la peine de susciter un repentir. La sanction arrive immédiatement. Saint Jérôme fait remarquer que la LXX précise que le serpent rampe sur sa poitrine et son ventre. C’est-à-dire que le grec amplifie l’humiliation de la sanction : le serpent ne peut plus regarder le ciel dont il est chassé. Il est collé contre terre, il ne voit que ça, il va même en manger tant il en est proche. Cette prophétie d’inimitié entre le serpent et la femme est des plus intéressantes. Saint Jérôme nous prévient que l’hébreu littéral signifie écraser. C’est quelque chose de violent. Les Pères expliquent souvent que la postérité de la femme c’est toute l’humanité qui vient par la suite. La postérité du serpent est vue de bien des façons. Alcuin d’York y voit le péché originel dont nous traiterons après l’étude verset par verset. Dieu ici annonce la défaite finale de Satan vaincu après avoir néanmoins pu asséner une blessure. Nous avons ici en extrême condensé l’Evangile : le Christ est vainqueur bien qu’ayant été blessé. Une morsure de serpent, même au talon, c’est la mort avec les espèces venimeuses. Ainsi nous avons cette annonce, paradoxale pour les gens avant Jésus : le serpent va tuer la postérité de la femme, mais il va perdre. Tout ceci est très clair à l’aune de la résurrection. Le terme hébreu pour postérité est zera, qui signifie semence, ce qui dans le biblique peut désigner tout le peuple ou un être particulier. On se souvient comment Paul identifie la semence d’Abraham non pas avec tout ce qui est sorti de lui ensuite, via les générations et les générations, mais exclusivement le Christ. On peut donc ici aussi réduire au Christ et voir un affrontement entre le Christ et la semence du serpent qui est le péché. On notera à nouveau que le grec de la LXX aide cette lecture d’une seule personne, avec le neutre singulier sperma, qui devrait introduire un pronom neutre. Mais c’est un « il » qui va écraser la tête de la semence du serpent. Et on a en fait, ici, une sorte d’annonce prophétique de toute l’histoire du monde : ce sera l’histoire d’une lutte entre deux lignées. Le terme inimitié est un peu terne ici. Si on pivote par le grec de la LXX on voit que le terme utilisé est ἐχθρός qui rend aussi bien inimitié que haine, opposition, séparation. Ainsi, il semble plus judicieux de traduire « je mettrai une haine entre toi et la femme, entre sa descendance et ta descendance ». L’histoire du monde sera donc tragique. On verra ainsi le diable faire en sorte de toujours tuer ceux qui ne se soumettent pas à l’empire du péché. On verra toujours cette tension historique entre une lignée élue et une lignée maudite : entre Abel et Caïn dès la génération suivante. Une lignée de Noé sera élue (chez Sem) et une maudite (chez Cham). Les patriarches expérimenteront l’existence en tant qu’élus chez des gens maudits. Cette haine des deux lignées ne connaitra pas de limite morale, comme chez Pharaon ou Hérode avec le meurtre des nouveau-nés.
A noter qu’ici, Saint Irénée de Lyon réalise une des plus belles interprétations typologiques de toute la patristique. Il voit chez la femme de ce verset 3:15 un type de la Theotokos qui va amener au monde celui qui va écraser le serpent. Parlant du Christ, il écrit : « s’il a récapitulé, par son obéissance sur le bois, la désobéissance qui avait été perpétrée par le bois ; si cette séduction dont avait été misérablement victime Eve, vierge et épouse, a été dissipée par la bonne nouvelle de vérité magnifiquement annoncée par l’ange à Marie, elle aussi vierge et épouse — car, de même que celle-là avait été séduite par le discours d’un ange, de manière à se soustraire à Dieu en transgressant sa parole, de même celle-ci fut instruite de la bonne nouvelle par le discours d’un ange, de manière à porter Dieu en obéissant à sa parole; et, de même que celle-là avait été séduite de manière à désobéir à Dieu, de même celle-ci se laissa persuader d’obéir à Dieu, afin que, de la vierge Eve, la Vierge Marie devînt l’avocate; et, de même que le genre humain avait été assujetti à la mort par une vierge, il en fut libéré par une Vierge, la désobéissance d’une vierge ayant été contrebalancée par l’obéissance d’une Vierge — ; si donc, encore une fois, le péché du premier homme a reçu guérison par la rectitude de conduite du Premier-né, si la prudence du serpent a été vaincue par la simplicité de la colombe et si par là ont été brisés ces liens qui nous assujettissaient à la mort : ils sont stupides, tous les hérétiques, et ignorants de l’«économie» de Dieu, et bien peu au fait de son œuvre relative à l’homme — aveugles qu’ils sont à l’égard de la vérité —, lorsqu’ils contredisent eux-mêmes leur propre salut… ».
Puis vient la punition réparation pour Eve :

La réparation d'Eve

16 Il dit à la femme: J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi.

Les Pères commentent unanimement pour expliquer qu’il ne s’agit pas d’une domination normale. Il s’agit de quelque chose qui doit demeurer dans une optique chrétienne. Ambroise de Milan par exemple : « Elle devait servir sous le pouvoir de son mari, premièrement, afin qu’elle ne soit pas encline à faire le mal, et, deuxièmement, qu’étant dans une position soumise à un vase plus fort, elle ne pourrait pas déshonorer son mari, mais au contraire, pourrait être gouvernée par son conseil. (1 Pierre 3:7) Je vois clairement ici le mystère du Christ et de son Église. Le tournant de l’Église vers le Christ dans les temps à venir et une servitude religieuse soumise à la Parole de Dieu, ce sont des conditions bien meilleures que la liberté de ce monde. C’est pourquoi il est écrit : « Tu craindras l’Éternel, ton Dieu, et tu ne serviras que lui. » (Deut. 6 :13 ; Lc 4 :8). Une telle servitude est donc un don de Dieu. C’est pourquoi le respect de cette servitude doit être compté parmi les bénédictions. ».
Ici nous voyons que ce qui avait été créé harmonieusement, le premier couple, a été abîmé par le péché. Il y aura des conflits dans la relation. Du duo initial nous passons à un duel avec un choc de volontés égoïstes. Les unions à partir de là auront besoin de Dieu pour perdurer. L’épreuve pour la femme sera de ne pas chercher à dominer un mari qu’elle regardera toujours de haut, et le défi pour l’homme sera de dominer de façon sacrificielle, en passant toujours après. C’est ce qu’enseigne Saint Paul dans son épître aux éphesiens, lue au mariage.
Et enfin, vient la sanction pour Adam.

La réparation pour Adam

17 Il dit à l’homme: Puisque tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé de l’arbre au sujet duquel je t’avais donné cet ordre: Tu n’en mangeras point! le sol sera maudit à cause de toi. C’est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie,
18 il te produira des épines et des ronces, et tu mangeras de l’herbe des champs.
19 C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière.
Saint Jean Chrysostome commente ainsi le verset 17 : « Mais Dieu dit à Adam : Parce que tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé le seul fruit dont je t’avais interdit de manger ; parce que tu as négligé de garder mon commandement, et ni la peur ni les menaces des châtiments qui ont suivi ton péché n’ont pu te retenir, et parce que tu as commis l’énorme erreur de toucher au seul fruit que j’avais excepté, en t’abandonnant l’usage de tous les autres, la terre est maudite dans ton travail. Ici, nous reconnaissons la bonté divine dans la manière différente dont il punit le serpent, un animal déraisonnable, et l’homme, être doué de raison. Il dit au premier : Tu es maudit sur la terre ; et au second : la terre est maudite dans ton travail. Et à juste titre : car elle a été créée pour l’homme, afin qu’il puisse jouir de ses productions. Mais parce que l’homme a péché, elle est maudite ; et l’effet de cette malédiction sera de troubler le repos et la tranquillité de l’homme. »
Alcuin d’York questionne : « POURQUOI LA TERRE A-T-ELLE FOURNI DES ÉPINES ET DES chardons ? - Réponse. La terre a été maudite à cause du péché de l’homme, pour produire des épines et des plantes vénéneuses afin de causer des tourments ou des troubles aux mortels, afin que l’homme puisse toujours avoir le péché originel devant ses yeux et puisse, au moins lorsqu’il est ainsi rappelé, se détourner finalement des péchés. ». Les épines sont représentatives du changement de relation entre l’homme et le monde. Dieu avait fait le monde pour l’homme. Il sera le maître sans Dieu d’un monde désormais hostile et dangereux. Dieu lui avait confié ce monde pour en être le gardien. Il lui faudra désormais le domestiquer et il passera le plus clair de son existence à participer au contrôle du monde devenu adversaire. A l’homme est maintenant promis une vie de labeur dont la seule issue est la mort avec ce tristement célèbre verset : « car tu es poussière et tu retourneras à la poussière ». On sait depuis le commandement que cette sentence de mort s’applique également à la femme puisqu’elle a mangé du fruit. Mais c’est Adam qui entend le verdict. La sentence de mort n’est certes pas immédiate. Le bannissement du jardin d’Eden est par contre quasi instantané, mais la présence divine est toujours là, comme en témoigne le chapitre 4. La mort d’Adam est rapportée en Gn 5.
Nous avons utilisé le mot de sanction, et il convient ici de faire une précision. La mort ici n’est pas tant une punition qu’un moyen de rétablir la relation. Nous verrons ceci dans le verset où Dieu évoque l’arbre de vie. Mais il est important de comprendre que la mort ici, qui avait été annoncé au chapitre 2 n’est pas une mort de punition. C’est un peu comme lorsqu’une mère dit à son enfant de ne pas mettre les mains sur une flamme sous peine d’être brûlé, ce n’est pas la mère qui punit l’enfant récalcitrant. C’est ainsi : le feu brûle. Ici Dieu avait prévenu que la mort surviendrait à la désobéissance. Qu’on y songe un instant. Adam tient sa vie de Dieu en permanence. Il est comme un appareil électrique relié à une prise. Il reçoit en permanence la vie divine. Dieu lui avait donc dit, si on peut paraphraser : tant que tu restes avec moi, que tu m’écoutes, que tu grandis de moi, tu vis. Mais si tu choisis de devenir auto-référentiel, alors tu perdras ta connexion avec la vie que je suis. Que se passe-t-il lorsqu’on ne reçoit plus la vie ? On meurt. Dieu n’a pas puni Adam de mort, il lui rappelle les conséquences funestes de son choix.
La suite des versets est comme suit :

Les premières actions humaines suites aux décrets divins

20 Adam donna à sa femme le nom d’Eve: car elle a été la mère de tous les vivants.
21 L’Éternel Dieu fit à Adam et à sa femme des habits de peau, et il les en revêtit.

Le commentaire de Chrysostome est magistral « Observez ici le soin pris par l’écrivain sacré de nous transmettre ces détails. Ainsi nous apprenons qu’Adam a donné un nom à sa femme, et qu’il l’a appelée Eve, c’est la vie, car elle est la mère de tous les vivants. C’est en effet la tige de la race humaine et la racine et le principe de toutes les générations. Mais après nous avoir raconté comment Adam a donné un nom à sa femme, Moïse nous parle encore de la bonté de Dieu, qui n’a pas abandonné ses créatures dans la nudité honteuse où elles étaient tombées. Et le Seigneur Dieu, dit-il, donna à Adam et à sa femme des manteaux de peau et les revêtit. Le Seigneur agit alors comme un bon père se comporte envers un fils prodigue. Ce fils de famille était doué d’un bon naturel et avait été élevé avec soin. Il jouissait dans la maison paternelle d’une riche abondance, portait des vêtements de soie et disposait d’un héritage opulent. Mais maintenant, l’excès même de prospérité le jette dans le mal ; et alors son père lui retranche tous ces avantages divers, le maintient plus étroitement sous son contrôle, et remplace ses vêtements somptueux par une habitude simple et commune qui ne cache que sa nudité. Adam et Eve devinrent donc indignes de cette gloire glorieuse qui les couvrait et les libérait de tous les besoins du corps. Dieu leur enleva cet éclat et la possession de tous les biens dont ils jouissaient auparavant. Chute terrible ! Cependant, il eut pitié d’un si grand malheur, et les voyant honteux d’une nudité qu’ils ne pouvaient ni couvrir ni cacher, il fit des tuniques de peau et les revêtit.

Écoutez, ô riches ! O toi qui t’enorgueillis du travail des vers à soie, et qui te pares des plus belles étoffes ! écoutez cette leçon de modestie que le Seigneur nous a donnée dès les premiers jours de la création. L’homme avait mérité la mort par son péché, et il avait besoin d’un vêtement pour cacher sa nudité ; et maintenant Dieu ne lui met qu’une tunique de peau. Il a voulu nous apprendre à fuir une vie douce et voluptueuse, et à embrasser de préférence une vie dure et austère. Mais peut-être que les riches, rebutés par cette morale sévère, me diront quoi ! tu veux qu’on s’habille avec des peaux de bêtes ? Je ne dis pas ça; et nos premiers parents eux-mêmes n’ont pas toujours porté ce genre de vêtements, car la bonté divine ne cesse d’être généreuse et bienfaisante. Ainsi, depuis le jour où Adam et Eve ont été soumis aux besoins de la nature, et ont perdu l’existence douce et angélique dans laquelle ils ont été créés, le Seigneur leur a permis de tisser la laine pour en faire des vêtements. Il convenait, en effet, que l’homme, étant raisonnable, soit vêtu, et qu’il ne vive pas comme un animal dans la honte et la nudité. Nos vêtements nous rappellent ainsi les possessions que nous avons perdues, et le châtiment que, par leur désobéissance, Adam et Eve, ont attiré à toute l’humanité.

Mais comment excuser ce luxe frénétique qui refuse l’usage de la laine, de ne porter que de la soie, et qui pousse même à l’extravagance de l’embellir de broderies d’or. Ce sont surtout les femmes qui se livrent à ces vanités ; et je leur dis : pourquoi parez-vous votre corps ? et pourquoi t’enorgueillir de cet attirail pompeux ? Alors vous oubliez que les vêtements sont dans la continuité de la punition infligée à nos premiers parents. Alors l’Apôtre nous dit : Ayant de quoi nous nourrir et nous couvrir, nous devons être heureux. (I Tim.6, 8.) Ainsi nous devons limiter notre sollicitude au strict nécessaire ; et il suffit que notre corps soit couvert sans se soucier de la beauté ou de la variété des vêtements. »
Il est intéressant de noter que si à Adam la mort fut promise en conséquence du péché, la première créature à subir les conséquences de cette faute, c’est un animal : ombre des futures réalités où Dieu tuera un jour un substitut pour le bien des pécheurs. Pourquoi Adam renomme-t-il son épouse est plus complexe à saisir. Avant la faute, Adam exerçait une domination en nommant tous les êtres autour de lui. Je rappelle que nommer c’est connaître l’essence des choses. Adam appelle donc son épouse ‘Hawwah, mot proche de vie qui se dit ‘Hai, et il précise qu’elle se nomme ‘Hawwah comme « mère des vivants ». A noter qu’en grec elle s’appelle Zoé ce qui signifie vie. Il est donc logique de penser qu’Adam, dans cet acte, déclare plusieurs choses à Dieu : je vais exercer mes prérogatives maintenant. Je nomme, ce qui est une de mes prérogatives. Je considère que le moment est venu de créer les générations suivantes pour faire advenir ce que Dieu a annoncé dans cette lutte contre la postérité du serpent. Il y a une postérité humaine à créer. Adam déclare donc ici qu’il accepte la situation. Dieu répond par de l’aide : il créé les vêtements pour les corps affaiblis qui sont maintenant dans la nécessité.



Expulsion du Paradis

22 L’Éternel Dieu dit: Voici, l’homme est devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. Empêchons-le maintenant d’avancer sa main, de prendre de l’arbre de vie, d’en manger, et de vivre éternellement.
23 Et l’Éternel Dieu le chassa du jardin d’Éden, pour qu’il cultivât la terre, d’où il avait été pris.
24 C’est ainsi qu’il chassa Adam; et il mit à l’orient du jardin d’Éden les chérubins qui agitent une épée flamboyante, pour garder le chemin de l’arbre de vie.

Souvent les Pères analysent le « un de nous » comme une référence trinitaire. C’est tellement évident que je n’insiste pas dessus. Saint Jean Chrysostome propose la lecture suivante qui est très profonde : « Ici encore le Seigneur emploie des expressions proportionnées à notre faiblesse : Et le Seigneur Dieu dit : Voici Adam devenu comme l’un de nous, connaissant le bien et le mal. Quelle simplicité de langage ! mais comprenons-le dans un sens digne de Dieu. Il nous rappelle donc comment le diable, par l’organe du serpent, a trompé nos premiers parents. Il leur dit : « Si vous mangez de ce fruit, vous serez comme des dieux » ; et ils l’ont mangé dans l’espoir insensé d’être égal à la divinité. C’est pourquoi Dieu, voulant leur faire sentir à nouveau la tache de leur faute, et l’illusion de leurs espérances, dit ironiquement : “Voici Adam devenu comme l’un de nous.”. Ce reproche amer était personnel et ne pouvait que jeter Adam dans une confusion extrême. C’est comme si le Seigneur lui avait dit : Tu as transgressé mon commandement d’être égal à moi. Bien! ce que vous vouliez est arrivé, ou plutôt ce que vous ne vouliez pas, mais ce que vous méritiez. Parce que tu es devenu comme l’un de nous, connaissant le bien et le mal. Le diable avait dit à Eve, par l’organe du serpent : « Vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » Alors le Seigneur ajouta : « Et maintenant, craignons qu’il ne lève la main, et prenne de l’arbre de vie, n’en mange et vive pour toujours. » Ici encore la miséricorde divine se manifeste ; mais il faut approfondir chacun de ces mots pour ne rien perdre, et découvrir toutes les richesses cachées. Quand Dieu fit un commandement à Adam, il lui permit l’usage de tous les fruits, sauf un, le menaçant de mort, s’il osait y toucher. Mais en le commandant et en le menaçant, il ne dit rien de l’arbre de vie. Adam, créé immortel, pouvait, à mon avis, et pour autant que je comprends ce passage, manger le fruit de cet arbre, comme de tous les autres ; et ainsi il aurait pu assurer l’immortalité, puisqu’il n’avait reçu aucune défense touchant cet arbre. »
Que comprenons nous du dernier développement du patriarche de Constantinople ? Que l’expulsion est un acte de miséricorde. Songez-y un instant. Adam et Eve sont maintenant séparés de Dieu. L’intimité passée est perdue. La mort est le résultat de cette séparation. L’arbre de la vie éternise les situations. Comme le dit Chrysostome, cet arbre aurait pu éterniser la situation d’un Adam totalement obéissant et libre dans un accomplissement du plan divin. Mais il peut aussi éterniser la coupure d’avec Dieu. Pour éviter cela, Dieu expulse Adam du paradis. Adam a mangé ce qu’il ne devait pas et a perdu la relation avec Dieu. C’est pour cela aussi que Dieu se présente à nous comme nourriture. Au banquet eucharistique, Dieu nous offre le moyen d’inverser le péché d’Adam. Cette réparation nous devons l’accomplir dans cette vie-là, avant de pouvoir espérer manger de l’arbre de vie, plus tard, pour éterniser notre relation restaurée.
On se souvient qu’au chapitre 2 de la Gn, l’arbre de la connaissance du bien et du mal, et l’arbre de la vie étaient présentés ensemble. On notera l’ironie sombre qui veut que le diable avait en partie raison maintenant. Il avait dit que l’arbre interdit n’était pas le seul interdit. C’est maintenant chose faite. L’ironie ne s’arrête pas là : Adam était le gardien, le responsable du jardin, et maintenant il en est expulsé et des anges armés d’épées de feu montent la garde pour éviter qu’il n’y retourne. La restauration de la relation entre Dieu et l’homme va ensuite traverser tout le biblique. Cela va se passer par palier. Au bout d’un moment, au prix du sang innocent des animaux de sacrifices, le grand prêtre d’Israël pourra profiter de la présence divine une fois par an dans le Saint des Saints. Il faut que nous chrétiens, ne perdions jamais de vue le côté inouï de ce que permet la liturgie eucharistique. Nous avons, chaque dimanche, la présence de Dieu, avec l’armée des anges et le chœur des saints. Nous avons bien plus que ce que le grand prêtre d’Israël n’a jamais eu. Avant le Christ, avant l’Eglise, vivre avec Dieu via l’arbre de vie était perdu, mais le tabernacle permettait de regagner quelque chose d’imparfait. Ce n’est qu’avec le sang du sacrifice ultime, celui du Christ, que nous pouvons retrouver ce qui fut perdu : la présence divine. Au bout de cette lutte, le Christ l’a promis : « Que celui qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux Églises: A celui qui vaincra, je donnerai à manger de l’arbre de vie, qui est dans le paradis de Dieu. » (Apo 2:7)

Le péché originel dans la tradition Orthodoxe

Voilà pour l’étude verset par verset. J’aimerai maintenant aborder le problème du péché originel, ainsi que la vision orthodoxe du péché originel. Qu’est-ce que le péché originel ? Pour présenter rapidement ce point de doctrine, il s’agit de dire que la faute que nous venons de voir s’accomplir dans ce troisième chapitre est le tout premier péché qui ait été commis par l’humanité. Ce péché a entrainé la mort comme nous avons pu le voir. Et bien cette doctrine stipule la chose suivante : l’humanité toute entière hérite de la conséquence du péché, à savoir la mort, et elle est également tenue comme co-responsable, et endosse également la culpabilité. Ainsi, nous héritons et de la culpabilité et des conséquences de la faute. Ce dernier point sera peut-être encore plus important, car nous nous adressons à un public francophone, susceptible d’avoir reçu un enseignement via ce qui est appelé « l’école de Paris », c’est-à-dire toute la théologie issue de l’institut Saint Serge. Les modernistes, et pas seulement les théologiens dans le sillage de Saint-Serge ont la position suivante : le péché d’Adam est uniquement celui d’Adam, et nous ne serions, nous ses descendants, être tenus responsables de cette faute. Ainsi, contrairement au monde protestant et au monde catholique romain, il n’y a pas de péché originel, à savoir une culpabilité héritée par nous tous dans cette faute d’Adam que nous venons de découvrir. Prenons par exemple un extrait d’une interview de Jean Claude Larchet, un théologien spécialisé dans les écrits de Saint Maxime le Confesseur, qui déclarait dans une interview à Orthodoxie.com, à propos de la crise du coronavirus : « Selon la conception orthodoxe (qui diffère sur ce point de la conception catholique du péché originel) la faute même d’Adam et d’Ève est personnelle et ne se transmet pas à leurs descendants ; seuls ses effets se transmettent. Cependant leurs descendants, depuis les origines jusqu’à nos jours, ont, comme le dit saint Paul dans le chapitre 5 de l’épître aux Romains, péché d’une manière semblable à celle d’Adam, se sont faits ses imitateurs, et ont confirmé son péché et ses effets par leurs propres péchés. »
Il convient donc, et c’est fondamental pour le public francophone, de préciser que cette position de Jean Claude Larchet, ou celle de l’école de Paris, n’est pas orthodoxe ; ceci n’est pas traditionnel. En effet, c’est contraire au droit canon, à la liturgie, à la patristique et à la Bible, ce qui vous avouerez, n’est tout de même pas rien en terme de définition d’orthodoxie. Par contre, nous reconnaissons sans souci, que l’idée spontanée serait plutôt de suivre cette approche néo-orthodoxe du péché originel. Chacun dira assez facilement : Adam et Eve ont désobéi, mais moi qui suis né des milliers d’années après je n’y étais pas dans ce jardin d’Eden. Je n’ai pas mangé de ce fruit. Je suis mortel car j’hérite d’une nature humaine mortelle. C’est déjà bien suffisant en terme de conséquence. C’est ce que Jean Claude Larchet veut dire lorsqu’il déclare « seuls ses effets se transmettent ». Mais pourtant être orthodoxe, ce n’est pas faire le menu de la théologie. C’est recevoir un enseignement. Ce que le Christ a enseigné ; ce que les Apôtres ont prêché et que les Pères ont conservés. C’est ça l’Orthodoxie.


Voyons la présentation de la problématique dans le premier tome de la dogmatique de Macaire Boulgakov : Il liste les conséquences de la façon suivante, nous allons voir que c’est bien plus que la mort :

  • Rupture de l’alliance avec Dieu, perte de la grâce, mort spirituelle
  • Obscurcissement de la raison
  • Perte de l’innocence, dépravation de la volonté, inclination au mal plutôt qu’au bien
  • Altération de l’image de Dieu
  • Altération des corps entraînant maladies, douleurs, affaiblissement
  • La mort
  • Expulsion du paradis, perte ou affaiblissement de son empire sur les animaux
  • Malédiction de la terre à cause de l’homme

Le docteur du péché originel est sans conteste Saint Augustin. Non pas que ce sujet le fascinait plus qu’un autre, mais la providence a voulu qu’il lutta contre une hérésie, le pélagianisme, hérésie dont il est venu à bout en rappelant la réalité du péché originel. C’est pourquoi, chez ces modernistes traine cette petite légende puérile : Augustin ne serait pas orthodoxe, sa théologie serait à l’origine du schisme de 1054, etc. Augustin est tout de même cité par le cinquième concile œcuménique comme docteur de l’Eglise, et ils ne sont pas nombreux sur la liste : Athanase d’Alexandrie, Hilaire de Poitiers, Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Ambroise de Milan, Théophile d’Antioche, Jean Chrysostome, Cyrille d’Alexandrie, Proclus de Constantinople, Léon de Rome et Augustin d’Hippone. L’orthodoxie se définit par le consensus de ces théologiens. Bien évidemment, de ci de là, ils diffèrent sur des points mineurs. Mais ils se rejoignent sur l’essentiel. Le péché originel en fait partie.



Augustin écrivait à ce propos : « la doctrine du péché originel, qui, d’Adam et d’Eve, s’est étendu sur tout le genre humain, est fort importante dans le christianisme. S’il n’y a point de péché originel en l’homme, que sa nature ne soit pas corrompue, qu’il naisse innocent et pur devant Dieu, tel que le premier homme sortit des mains du Créateur, il n’y a que faire de la rédemption, le Fils de Dieu est venu inutilement sur la terre, c’est en vain qu’il y a reçu la mort, et la religion chrétienne est sapée dans ses fondements. »

La confession orthodoxe de l’église catholique et apostolique d’orient, qui est un document catéchétique orthodoxe déclare : « le péché originel est la transgression de la loi de Dieu, donnée dans le paradis à notre premier père, Adam. Le péché a passé d’Adam à la nature humaine entière, en tant qu’alors nous étions tous en Adam, et ainsi par le seul Adam, le péché s’est répandu sur nous tous. Aussi sommes-nous conçus et naissons-nous avec ce péché ».

Macaire Boulgakov précise : la seule différence réside en Adam : sa faute fut volontaire et libre, et chez nous elle est héréditaire et inévitable. Chez Adam il y a péché personnel, chez nous péché de nature. Ceci permet de comprendre ce qu’est le baptême, incompréhensible sans cela : il anéantit en nous la tache originelle. Nous cessons d’être des enfants de la colère divine et coupables devant Dieu pour devenir purs et innocents. Mais nous conservons toutes les conséquences du péché originel que j’ai listées plus haut.

Le verset biblique sur lequel s’assoit le péché originel c’est Rm V 12 : « Comme le péché est entré dans le monde par un seul homme et la mort par le péché, ainsi la mort est passée dans tous les hommes par ce seul homme, en qui tous ont péché ». Il y a également Job 14:4 « qui peut rendre pur ce qui est né d’un sang impur ? ». Job parle ici d’une souillure qui touche tous les hommes et les rend tous coupables devant Dieu…

Ensuite la tradition la plus antique commande de baptiser les enfants, et toujours d’après tous les documents « en rémission des péchés ». Le rituel de baptême comporte des exorcismes. Cela montre bien que pour l’Eglise, les enfants comme les adultes sont confrontés à la même réalité du péché originel. Le concile de carthage en 418 aborde le sujet dans le canon suivant : « quiconque conteste la nécessité du Baptême des petits enfants, ou affirme que, quoiqu’ils soient baptisés en rémission des péchés, ils n’empruntent cependant du péché originel d’Adam rien qu’il faille laver par le bain de la régénération (d’où il résulterait que la forme du Baptême en rémission des péchés ne leur soit point appliquée dans son véritable sens), qu’il soit anathème ! Car ce que dit l’Apôtre « le péché est entré dans le monde par un seul homme et la mort par le péché ; ainsi la mort est passée dans tous les hommes par ce seul homme en qui tous ont péché » il ne faut point l’entendre autrement que comme l’a constamment fait l’Église catholique répandue en tout lieu. Car, par cette règle de foi, même les enfants qui sont encore incapables de pêcher par eux-mêmes, sont véritablement baptisés en rémission des péchés, pour être purifiés par la régénération de ce qu’ils ont emprunté de la vieille naissance »

Les références patristiques sont innombrables, et pas uniquement Augustin. Justin Martyr, Irénée, Tertullien, Cyprien, Hilaire, Basile, Grégoire le théologien, Ambroise, Chrysostome. Je vais citer Grégoire le théologien qui écrit « ce péché qui naît avec nous, a été transmis aux malheureux humains par leurs premiers parents… nous tous qui étions dans le même Adam, avons été séduits par le serpent et mis à mort par le péché, et sauvés par l’Adam céleste ».

Finissons avec la liturgie, avec notre magnifique patrimoine liturgique. La liturgie est centrale pour démontrer les choses, car en orthodoxie on prie ce qu’on croit et on croit ce qu’on prie. C’est ce que l’on appelle Lex orandi Lex credandi. Il doit y avoir une parfaite adéquation entre ce qui est prié et la doctrine qui est confessée. Le Synaxaire des matines du dimanche de l’expulsion d’Adam, parlant du jeûne, dit : « ne l’ayant pas observé, mais ayant cédé à son ventre ou plutôt par l’intermédiaire d’Eve, au serpent trompeur, non seulement il n’est pas devenu Dieu, mais en plus il s’est attiré la mort, dont il transmis le mal à tout le genre humain» et un peu plus loin « Et puisqu’à la responsabilité de tous nos semblables incombent et la transgression d’Adam et sa chute du paradis de délices, pour cette raison les Pères ont proposé qu’en en faisant mémoire, nous fuyions son exemple, au lieu d’en imiter l’intempérance ». Ce texte du synaxaire a été rédigé par Nicéphore Calliste Xanthopoulos au 16ème siècle. Bien évidemment, ce texte du triode n’est pas un traité de dogmatique, mais il exprime une doctrine, il explicite une dogmatique qui nous paraît parfaitement claire. De l’autre côté, il n’y a aucun tropaire, aucun kondakion, aucune hymne d’aucune sorte qui fasse à dire à Adam qu’il a rendu sa descendance mortelle mais exempte de la faute. La corruption de la nature humaine est toujours présentée sous les deux angles : porteuse de la souillure du péché et rendue tragiquement mortelle. Ces textes liturgiques sont terriblement normatifs dans le cadre orthodoxe. Ils ne sont probablement pas lus dans les paroisses bénéficiant d’un rythme liturgique moins soutenu que ne peuvent le vivre les monastères sérieux. Ainsi, ils ne sont pas connus du peuple orthodoxe, qui peut d’autant plus facilement être contaminé par cette théologie fallacieuse. Aucun prêtre souscrivant à cette doctrine partielle du péché originel ne pourrait répandre sa théologie après que ce texte du triode soit lu au pupitre.

Bref, il me semble avoir démontré amplement que le péché originel est une doctrine parfaitement orthodoxe et parfaitement traditionnelle. Il existe aujourd’hui deux instituts de théologie en France et de ce que j’ai pu constater lorsque je les fréquentais, les deux avaient un enseignement non orthodoxe sur ce sujet. Pour que les choses soient claires, il s’agit de l’institut Saint-Serge et du centre Dumitru Staniloae. Ces deux instituts enseignent par ailleurs des choses parfaitement orthodoxes et utiles dans d’autres domaines, mais vous pourrez aussi trouver des enseignements patristiques de qualité chez les catholiques romains et des cours de Bible enrichissants chez les protestants. Les choses ne sont jamais simples en la matière. Mais il s’agit ici de ne pas tomber dans le piège : ce n’est pas parce que les gens sont étiquetés orthodoxes, et qu’ils prient la liturgie de Saint Jean Chrysostome que leur orthodoxie est recevable. Quand nous voulons empoisonner un rat, nous ne mettons pas 100% de poison, mais 1% de poison à l’intérieur de 99% de fromage. Que celui qui a des oreilles entende, comme disait quelqu’un…

Je me permets de faire une petite digression concernant le centre de théologie Dumitru Staniloae. Dumitru Staniloae, pour ceux qui ne le savent pas, était un grand théologien roumain du 20ème siècle. Membre de la structure qui a rompu avec l’orthodoxie sur la question calendaire, il s’agit donc d’un théologien de la néo-orthodoxie. Néanmoins, il reste un grand théologien, et il y a ici une fraude assez manifeste à se réclamer de lui pour enseigner que le péché originel n’est pas orthodoxe, alors qu’il affirme le péché originel dans sa théologie dogmatique. Bref, fin de la digression : ne vous laissez pas abuser par ceux qui prennent de grands noms pour couvrir leurs hérésies.

Alors, d’accord, la Bible, les Pères, la liturgie et le droit canon déclarent que nous sommes tous individuellement coupables de la faute d’Adam. Le processus qui nous rend coupable montre que la nature humaine et les choses spirituelle sont plus compliquées que ce qu’elles paraissent. Comment réagir face à cela ? Et c’est probablement le moteur inconscient de toute cette fausse orthodoxie mensongère sur le sujet. Elle n’arrive pas à percevoir comment cette faute se transmet et elle n’arrive pas à accepter cette culpabilité qui semble tout à fait injuste. Choses que l’on peut bien évidemment facilement entendre. Mais pourtant, si l’on admet que l’action d’un homme, Jésus de Nazareth sur la Croix il y a un peu moins de 2000 ans, est effective quant à mon salut, je ne vois pas pourquoi l’action d’un autre homme, il y a un peu plus longtemps, pourrait ne pas être effective non plus dans l’autre sens. C’est ce qu’explique Paul dans son épitre aux Romains. Adam a apporté à tous le péché et la mort. Le Christ a apporté à tous la rédemption et la vie éternelle. Il y a une forme d’illogisme à admettre l’un sans admettre l’autre. Le fait que le Christ soit Dieu n’y change rien. C’est bien dans sa nature humaine que le Christ est vecteur de salut pour tous. Adam et le Christ partagent cette « capacité » mystérieuse à influer sur le destin de tous. C’est pourquoi Paul nomme Christ le nouvel Adam. Refuser cette culpabilité lors même que nous sommes sauvés est proprement absurde et quelque peu puéril. Admettre une culpabilité qui s’efface dans le baptême, ce n’est pas le plus grand des sacrifices il me semble. Car si l’on en reste au chapitre 3 de la Genèse, la situation est terrible et tragique. Mais nous qui avons le reste de la Bible. Nous avons toutes les raisons de nous réjouir. Paul n’écrit-il pas dans He 2:14-15 : « Ainsi donc, puisque les enfants participent au sang et à la chair, il y a également participé lui-même, afin que, par la mort, il anéantît celui qui a la puissance de la mort, c’est à dire le diable, et qu’il délivrât tous ceux qui, par crainte de la mort, étaient toute leur vie retenus dans la servitude. ».

L’orthodoxie véritable ne vous appelle donc pas à porter un fardeau bien trop lourd. L’orthodoxie véritable vous appelle à reconnaître l’étendue du drame qui s’est noué au jardin d’Eden, et aussi à reconnaître l’étendue du sacrifice qui a été consenti sur la Croix. Vous connaissez le lieu unique où se trouve l’orthodoxie véritable : bienvenue dans les catacombes.