L’Orthodoxie

l’Église comme Tradition – De la Tradition ecclésiale (p 34 - 35)

Le domaine de la Tradition s’étend à la foi et à la vie, à la doctrine et à la piété. La Tradition primitive était orale : le Seigneur lui-même n’a pas écrit et il a tout donné par la parole à ses disciples ; la prédication et l’enseignement originaires ont aussi été oraux. Toutefois, avec le temps, la Tradition devient essentiellement écrite. Pour la composer, la pratique de l’Eglise en fait ressortir les plus substantielles et elle leur confère une force de loi ecclésiale. Il devient obligatoire pour tout chrétien de les accepter et de les confesser. Ce minimum de Tradition, nécessaire pour tous quant à la doctrine, mais qui n’en épuise certes pas le contenu, l’Eglise le constitue avec ce qu’elle a solennellement proclamé et à quoi elle a imparti une vertu canonique par ses conciles œcuméniques ou locaux, les assemblées qui avaient le plus d’autorité dans l’Eglise et qui en représentaient l’organe suprême pour leur temps.

De telles confessions universellement obligatoires sont : le symbole de la foi de Nicée-Constantinople, que l’on proclame aussi à la liturgie eucharistique (d’importance moindre et sans usage liturgique, le symbole des Apôtres et surtout celui attribué à Saint Athanase) ; ensuite les définitions dogmatiques des sept conciles œcuméniques. Celui qui ne reçoit pas cette Tradition se trouve par là même en dehors de l’organisation de la vie ecclésiale.

Cependant, l’on ne saurait comparer l’importance des règles pratiques avec celles des dogmes, car plusieurs d’entre elles dépendaient de circonstances historiques qui en restreignent la portée. Aussi certains canons ont-ils simplement replacés par d’autres plus récents (ce qui ne pouvait être le cas des définitions dogmatiques) ; ou des canons, sans avoir été formellement annulés, sont devenus caducs et ils ont cessés d’être la Tradition vivante de l’Eglise ; ils sont tombés dans le domaine de l’histoire et de l’archéologie de celle-ci.

Il n’en reste pas moins que l’organisation et la structure hiérarchique de l’Eglise sont fondées sur les lois qui contient la Sainte Tradition. Dans le domaine du culte, d’une force égale pour tous est l’Ordo, par exemple le Typikon, qui règle toute la vie liturgique durant l’année ecclésiale. Le Typikon non plus n’a pourtant pas la vertu imprescriptible d’un dogme, car ses exigences sont adaptées aux conditions locales ; n’en sont obligatoires que les traits généraux. Une pluralité des formes cultuelles est possible par principe. Avant la division de l’Eglise, elle se manifestait par l’existence de deux rites, occidental et oriental, d’égale dignité, alors que pareille distinction était inadmissible en matière de dogmes. Et lorsqu’une telle divergence apparut à propos de la procession du Saint-Esprit (filioque), elle mena au schisme.


Commentaire/Analyse




Ce passage est très intéressant en ce qu’il juxtapose les problématiques des traditions dogmatiques, canoniques et liturgiques. Le Père Serge expose très bien les hiérarchies d’autorité en suivant cet ordre : dogme, canon, liturgie. Un dogme est une vérité formulée, vraie pour toujours. C’est une formulation le plus souvent liée à une crise dans le corps de l’Eglise, une sorte de réaction d’anticorps face à une hérésie s’introduisant dans le corps de l’Eglise, tel un virus. Très souvent, les gens peu instruits en christianisme pensent que la divinité du Christ fut imposée au concile qui a réalisé la formulation sur la divinité du Christ. Ils fantasment un christianisme où le Christ ne serait pas Dieu, avant que le concile de Nicée ne formule l’impossibilité d’être chrétien et de croire que le Christ n’est pas Dieu. Mais un dogme ne créé pas quelque chose de nouveau. Seule la formulation est nouvelle. Les premiers chrétiens ont toujours su que le Christ était Dieu. C’était l’enseignement des apôtres et des pères d’avant le concile de Nicée. Nous avons tous les textes. Il n’y a aucun débat sur ce sujet. Rien n’a plus d’autorité qu’un dogme, car les dogmes portent sur la personne du Seigneur. Les dogmes, quand on y réfléchit un instant, ne font que rappeler la vérité et défendent admirablement la possibilité même de salut. Car si le Christ n’est pas Dieu, l’homme n’est pas sauvé, et nous sommes tous condamnés à l’enfer. Les conséquences du complotisme contre l’Eglise sont terribles quand on y pense.

Pourquoi les canons n’ont-ils pas la même autorité que les dogmes ? Car comme le dit le Père Serge, les canons, pour certains en tout cas, ont un caractère transitoire. Par exemple, les anathèmes lancés contre tel ou tel hérétique et ses communautés de fidèles. Dieu merci, plus personne (à ma connaissance) n’est disciple de Paul de Samosate, et ainsi ce canon est tout à fait historique et n’a plus aujourd’hui force de loi aujourd’hui. Au contraire, aucun dogme ne peut devenir « histoire ». Le Christ est plus que jamais vivant, et tout ce qui le concerne est actuel. C’est ce caractère transitoire de certains canons qui a probablement conduit un certain nombre de hiérarques orthodoxes à ne pas les respecter pour y substituer une autre discipline. Ceci est parfaitement pharisien dans la définition même du pharisaïsme dans le NT : la substitution de la pratique divine par la pratique humaine, donnant à cette dernière une priorité tout à fait mal venue. Les prières œcuméniques sont de ce point de vue une pratique tout à fait pharisienne, puisqu’elles se substituent à un droit canon hérité des apôtres, pourtant tout à fait explicite.

Enfin, la liturgie et l’autorité très particulière du typikon. Le typikon est le livre qui règle les pratiques liturgiques. Ces pratiques sont multiples dans l’Eglise en fonction des pays, des coutumes, des habitudes. On pourra constater ces différences dans le domaine musical, vestimentaire, architectural, mais aussi dans l’exécution de la divine liturgie. Vous pourrez constater que les grecs et les russes ne font pas exactement la même chose dans la partie eucharistique de la célébration. Il est tout à fait intéressant de voir comment ces usages liturgiques sont vécus comme des absolus par certains, qui parallèlement violent allègrement le droit canon en participant aux prières œcuméniques. Et ceci explique cela. Il faut compenser ! inconsciemment, ils savent qu’ils ont tort. Ils savent qu’ils ne sont pas dans le respect dans ce que les apôtres ont enseignés. Alors, ils font de détails liturgiques, des absolus. Est-ce que cela permet de compenser ? certainement pas. Car comme le Père Serge le rappelle, le droit canon et les dogmes sont au-dessus des usages liturgiques.