L'Eglise Orthodoxe officielle de Roumanie : partie 2
Histoire de l’Eglise Orthodoxe officielle de Roumanie - partie 2
L’essor économique et politique en Roumanie
En 1920, l’augmentation du territoire roumain est ratifiée lors du fameux traité de Versailles. Ainsi, la grande Roumanie, est une expression qui sera depuis utilisée pour faire référence à la Roumanie dans ces frontières de 1920. La Roumanie devient une puissance régionale. En 1938, l’essor économique était tel, que le PIB était à peine inférieur à celui de la France. La vie politique est dominée par deux grands partis : PNL, Partidul National Liberal, qu’on peut traduire en parti national libéral, représentant les intérêts de la bourgeoisie, et le parti conservateur, le PNR, Partidul National Român, le parti national roumain, plus conservateur. Le PNL est encore aujourd’hui un acteur majeur de la vie politique roumaine, et le président actuel, en fait partie. Ce serait faire un raccourci que de dire que le PNL d’avant-guerre a continué pour aboutir au PNL actuel, car bien sûr, il fut interdit sous les communistes.
La constitution de 1923 et l’Eglise
En 1923, la Roumanie se dote d’une nouvelle constitution qui reconnait cette fois les droits des minorités. Cette constitution entérine la réalité émergeante de 1918. Elle est le résultat d’un consensus entre le PNL de l’époque, les partis représentant les intérêts des paysans, et le PNR.
Les articles 22, 72 et 77 sont intéressants pour l’histoire et la place de l’Eglise :
Article 22.
La liberté de conscience est absolue.
L’État garantit à tous les cultes une égale liberté et protection, tant que leur célébration ne porte pas atteinte à l’ordre public, aux bonnes mœurs et aux lois organiques de l’État.
L’Église chrétienne orthodoxe et l’Église gréco-catholique sont Églises roumaines.
La religion orthodoxe roumaine étant celle de la majorité des Roumains est l’Église dominante dans l’État roumain ; l’Église gréco-catholique a seulement la préséance sur les autres cultes.
L’Église orthodoxe roumaine est et demeure indépendante de toute hiérarchie étrangère, tout en conservant son unité avec l’Église œcuménique d’Orient, en ce qui concerne les dogmes.
Dans tout le royaume de Roumanie l’Église chrétienne orthodoxe aura une organisation unitaire, avec la participation de tous ses membres, clercs et laïques.
Une loi spéciale fixera les principes fondamentaux de cette organisation unitaire, ainsi que les modalités suivant lesquelles l’Église réglementera, conduira et administrera, par ses organes propres, et sous le contrôle de l’État, ses questions religieuses et culturelles, ses fondations et ses établissements.
Les affaires spirituelles et canoniques de l’Église orthodoxe roumaine seront réglées par une autorité synodale centrale unique.
Les métropolitains et les évêques de l’Église orthodoxe roumaine sont élus d’après le mode déterminé par une loi spéciale.
Les rapports entre les différents cultes et l’État seront réglementés par la loi.
Article 72.
Sont membres de droit du Sénat, à raison de leur haute situation dans l’État et dans l’Église :
a) l’héritier du trône dès l’âge de dix-huit ans accomplis ; il ne peut toutefois avoir voix délibérative avant celui de vingt-cinq ans accomplis ;
b) les métropolites du pays ;
c) les évêques titulaires d’évêché des Églises orthodoxe roumaine et gréco-catholique, s’ils sont élus conformément aux lois du pays ;
d) les chefs des confessions reconnues par l’État, à raison d’un pour chaque confession, s’ils sont élus ou nommés conformément aux lois du pays et représentent plus de 200.000 fidèles ; ainsi que le représentant supérieur religieux des musulmans du royaume ;
e) le président de l’Académie roumaine.
Le mandat de ces sénateurs cesse en même temps que la dignité ou la qualité qui le leur a fait attribuer.
Article 77.
Les pouvoirs constitutionnels du roi sont héréditaires dans la descendance directe et légitime de Sa Majesté le roi Charles Ier de Hohenzollern-Sigmaringen, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, et à l’exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance.
Les descendants de Sa Majesté seront élevés dans la religion orthodoxe d’Orient.
Donc, si vous vous souvenez de la précédente constitution, il s’agit du même texte, sauf qu’est reconnue la réalité de l’uniatisme en Transylvanie, et l’Eglise gréco-catholique y est donc mentionnée sans rien de discriminatoire. Les minorités hongroises, allemandes, juives, ukrainiennes, russes, turques, roms et grecques qui représentent 28% de la population à l’époque, obtiennent les mêmes droits que les roumains, et surtout le droit de vote.
Le changement de calendrier de 1924
Nous pouvons maintenant passer au changement de calendrier qui a eu lieu en 1924. C’est une initiative gouvernementale qui en est à l’origine. La Roumanie toute entière utilisait le calendrier julien jusqu’en 1919. Elle passe au calendrier grégorien cette année mais pas l’Eglise. Toujours dans cette optique de modernisation de l’état et de la société, le gouvernement a souhaité passer au calendrier grégorien qui était en usage dans la plus grande partie du monde. C’est sous le gouvernement de Ion Brătianu que ce changement fut organisé également pour l’Eglise. Le ministre des cultes de son gouvernement était Alexandru Lapedatu, franc maçon. Vous pourrez trouver la référence de son appartenance à la franc maçonnerie dans l’étude historique datant de 2018 sur la franc maçonnerie en Transylvanie, nommée « masoneria în Transilvania » coordonnée par Tudor Salagean, directeur du musée ethnographique de Cluj et Marius Eppel de l’université de Cluj. Quand je donne des appartenances maçonniques, je ne les donne pas sur des suppositions, mais sur des documents d’historiens. C’est ce même Lapedatu qui proposera, l’année suivante, la loi permettant à Miron Cristea de devenir patriarche et non plus simple premier métropolite du synode de cette église. Pour les personnes qui réfléchissent à ces questions, il n’est pas étonnant de trouver autant de franc maçons lorsqu’il se passe quelque chose d’important et de néfaste dans l’Eglise. La société roumaine aurait très bien pu opter pour un double calendrier. Ce n’est pas si compliqué que cela. Même moi j’y arrive très bien. La société profane, avec son activité économique, politique, sociale aurait pu fonctionner suivant le calendrier grégorien, tandis que l’Eglise, respectueuse de sa tradition aurait conservé le calendrier julien. Mais vous vous souvenez que le but de la maçonnerie roumaine est l’union avec Rome, et que pour cela, l’abolition de toute différence est une étape vers ce but. Le premier prétexte utilisé par les défenseurs du changement de calendrier en Roumanie, est que historiquement, la Roumanie a toujours eu des liens importants avec Constantinople, et que de mai à juin 1923, Mélèce Metaxakis, le patriarche de Constantinople, avait présidé un concile panorthodoxe qui avait donné la légitimité canonique au calendrier julien révisé, et qui appelait solennellement les églises orthodoxes du monde à utiliser ce calendrier julien révisé. ça, c’est ce que l’on vous apprend dans les instituts de théologie modernistes en France comme saint Serge ou Dumitru Staniloae. C’est ce que vous devez répéter si vous voulez voir votre apprentissage sanctionné par un diplôme. Mais si vous creusez un peu la question, les choses se troublent assez rapidement. Mélèce Metaxakis était lui-même franc maçon. C’est ce que revendique fièrement la Grande Loge de Grèce, précisant son appartenance à la loge Harmonie. La revue officielle de la GLNF précise, et cela nous remplit d’admiration, qu’il avait atteint le 33ème degré du rite écossais ancien et accepté, le plus haut degré de la franc maçonnerie. Ensuite, si l’on regarde ce concile pan-orthodoxe, il n’y avait personne d’autorité d’aucun patriarcat ou d’une quelconque église locale. Ce pseudo concile réunit seulement 9 personnes et ses conclusions ne furent acceptées à l’époque, par personne. La Roumanie fut la première, un an plus tard, à répondre positivement à cette invitation à utiliser un nouveau calendrier liturgique. On pourra considérer que les appartenances maçonniques de Cristea et de Metaxakis ont probablement pu aider à ce processus. Ce fut une démarche fraternelle, si je puis dire.
La position orthodoxe des siècles précédents sur le calendrier
Entre 1582 et 1924, les orthodoxes se sont exprimés plusieurs fois au travers de documents officiels de l’Eglise, sur la pertinence du changement de calendrier. Jérusalem, Constantinople, Alexandrie, la Russie, la Grèce, la Bulgarie, la Serbie, et la Roumanie avaient répondu négativement à cette sollicitation. Iorga, le célèbre historien roumain a vécu de son vivant ce changement de calendrier. Il témoigne dans son ouvrage sur l’histoire de l’Eglise roumaine : « La réforme de M. Lapedatu finalisée en 1925, plus de 10 ans après la tentative ratée de Haret, n’a pas produit les résultats souhaités par tout le monde. Il y eut des bagarres juste devant les autels, et le lendemain de ces efforts désespérés, les salles, les rassemblements étaient pour la plupart vides et les quelques personnes présentes, pour la plupart des religieux, se contentaient d’écouter. On a voulu croire que les fidèles des paroisses auraient demandé l’utilisation du calendrier grégorien dans l’Église, tout comme les paysans roumains auraient demandé à adhérer en masse aux coopératives agricoles collectifs du type des kolkhozes soviétiques. Et pourtant la décision prise trop facilement et sans connaissance de la psychologie populaire, complexe, conservatrice et mystique, pour recevoir le calendrier occidental, a provoqué une scission qui perdure encore, non seulement en Bessarabie, mais aussi dans les régions montagneuses de l’ancienne Moldavie ».
Il me semble qu’il n’est même pas nécessaire d’argumenter davantage pour savoir si ce changement de calendrier était souhaitable et même licite. Il a été refusé par tous nos hiérarques pendant des siècles et n’a finalement été demandé et réalisé que par des gens qui n’étaient pas orthodoxes. Car je rappelle qu’un franc maçon ne peut pas être orthodoxe, et encore moins clerc, et encore moins évêque et encore moins patriarche. Toutes les actions de ces personnes sont nulles aussi bien du point de vue canonique que sacramentelle.
La naissance des vétéro-calendaristes roumains
Par contre, ce que l’on peut regarder, puisqu’un siècle s’est écoulé maintenant, c’est ce qu’ont subi les orthodoxes roumains qui choisirent de ne finalement jamais accepter de suivre ce changement de calendrier. Car lorsque Cristea et Lapedatu en ont fini avec le changement de calendrier, bien évidemment, une petite partie du clergé et du peuple s’est opposé. Le petit reste dont parle saint Paul dans une de ses épîtres. « Après avoir réussi à changer le calendrier, voyant qu’une partie du clergé et des croyants continuaient la lutte de résistance et défendaient l’ancien style, sentant le danger de compromettre l’innovation, l’Église officielle a demandé l’interdiction de ce mouvement et a demandé le soutien des organes de répression de l’État à cet effet. Cela a donné lieu à une violente agression physique avec la complicité des hiérarques et des prêtres du nouveau style. Ainsi, ceux qui prêchaient l’Évangile de l’amour et de la paix se transformèrent en véritables inquisiteurs qui, comme ceux d’autrefois, commirent des crimes au nom de Dieu. ». c’est ce qu’écrit Constantin Bujor, l’auteur d’un petit ouvrage fort intéressant, « 65 ans de persécution de l’Eglise Orthodoxe Vetero Calendariste » à la page 16 de son ouvrage. A partir de 1924 vous n’avez plus l’Eglise Orthodoxe Roumaine simplement. Vous avez une situation de schisme. Vous avez d’un côté, l’Eglise officielle, celle qui est nommée Biserica Ortodoxa Romana avec l’acronyme BOR. Ça c’est la structure dirigée par les francs-maçons et appuyé par un état également maçonnique. Et vous avez une nouvelle structure qui émerge : Biserica Ortodoxa de Stil Vechi, avec l’acronyme BOSV. Toute l’illusion ici est de croire que BOR est la continuité du passé et BOSV est une nouvelle chose. Mais c’est l’inverse, pour qui veut y réfléchir un instant. BOSV n’a absolument rien changé avec ce qui précéda pendant 19 siècles. BOR par contre, avec son métropolite franc maçon, a changé le calendrier et on verra qu’il l’a fait d’une façon où aucun doute n’est permis. BOSV parle de BOR comme étant une église de nouveau style, ou style nouveau, stil nou en roumain. D’où la phrase « avec la complicité des hiérarques et des prêtres du nouveau style » dans l’extrait de l’ouvrage. Et BOR parle de BOSV comme étant une église de style ancien, stil vechi en roumain. C’est important de bien comprendre cette dénomination pour la suite de l’exposé. Pour aller plus vite, j’utiliserai l’acronyme BOR pour désigner l’église orthodoxe de Roumanie ayant adopté le nouveau calendrier.
Si on rentre dans le détail des choses, le 1 octobre 1924 est devenu le 14 octobre 1924. 27 moines en Moldavie n’ont pas accepté le changement de calendrier. Ils furent chassé des monastères dans lesquels ils résidaient. Ces monastères se trouvaient à Neamt, Suceava et Bacau pour ceux qui connaissent la géographie roumaine. Ils décidèrent d’aller vivre dans les montagnes, de façon érémitique, dans la pureté de la foi orthodoxe reçue par les ancêtres. L’hiver approchait, et pour ceux qui connaissent la Roumanie, l’hiver n’est pas tendre. Les moines s’organisèrent en construisant de petits abris de fortune, dans des grottes, connus de quelques villageois gardant la foi droite. Mais les higoumènes des monastères s’inquiètent. Leur exemple pourrait donner des idées à d’autres moines. Une action coordonnée avec la gendarmerie se produit le 15 décembre. Certains, prévenus, parviennent à échapper à la capture. Les abris sont découverts, et détruits, ainsi que les icônes des moines. 3 moines échapperont à la gendarmerie jusqu’au mois de février 1926 où ils seront finalement arrêtés. On les mettra dans des poulaillers et seront battus et insultés pendant plusieurs jours jusqu’à ce qu’un villageois viennent corrompre les gendarmes pour les libérer. Mais de toute façon, rien n’y fit. En 1927, il y avait 30 moines dans les montagnes, jouant au chat à la souris avec les gendarmes. En Roumanie, en 1927, être moine dans les montagnes moldaves, constituait un trouble à l’ordre public. On notera pour la postérité, Nicodim Munteanu, l’higoumène du monastère de Neamts qui collabora étroitement avec les gendarmes pour faire emprisonner les moines de l’ancien style. Nous retrouverons cet inestimable personnage plus tard, puisqu’il s’agit ni plus ni moins que du deuxième patriarche, le successeur de Miron sur le trône de l’Eglise Roumaine Officielle. Alors, la prochaine fois, pour ceux qui sont perdus dans cette loge maçonnique, euh pardon dans cette église, la prochaine fois qu’on vous fait l’ecténie de prières pour les patriarches, vous savez l’ecténie « Que le Seigneur Dieu se souvienne dans Son royaume des patriarches de l’Église orthodoxe roumaine endormis dans le bonheur, Miron, Nicodim, Iustinian et Iustin. », endormis dans le bonheur essayant de rendre maladroitement l’expression « Pe adormitii întru fericire », pour les endormis dans le bonheur ou endormis dans la joie, souvenez-vous que le premier était un franc maçon mais que le second était un criminel. En effet, en 1927, pour taper un grand coup, les autorités, à la demande de Nicodim donc, mobilisent 9 détachements de gendarmes, et se dédient à cette tâche pendant 30 jours. L’opération commence le 16 septembre 1927. Ils parviennent à capturer 7 moines. Il seront battus à morts avec des horloges sur la tête. Vous apprécierez le symbole. Certaines eurent les barbes arrachées avec des pinces, avant la mise à mort avec des horloges. Donc effectivement, priez bien pour le patriarche Nicodime, je crains qu’il n’en ait un grand besoin.
Les premières persécutions
Le plus étonnant quand on y pense, est que les grecs, les russes, les serbes, les bulgares les lipovènes et les ukrainiens purent garder l’ancien calendrier dans leurs églises, sans absolument aucun souci. Mais les roumains, devaient absolument tous passer au nouveau calendrier. Tous les bâtiments furent bien évidemment perdus. Toutes les églises possédées aujourd’hui par les communautés rattachées à BOSV ont été financées par les croyants. Aucune aide de l’état n’est bien évidemment venu accompagner ces communautés entre 1924 et 1989. BOSV promeut Mihai et Ioan Urzică comme étant les premiers constructeurs d’une église de stil vechi, pendant cette période de persécution. Leur témoignage est que dès que l’Eglise orthodoxe de stil vechi fut construite, les villageois cessèrent immédiatement d’aller fréquenter celle de stil nou. Les gendarmes vinrent donc forcer les villageois à aller dans l’Eglise que la franc maçonnerie leur destinait. La mémoire de BSOV conserve des centaines d’anecdotes, de témoignages sur comment les gendarmes ont systématiquement agis de façon à empêcher toute expression religieuse relative à l’ancien calendrier. Les vrais croyants roumains, fidèles à la vraie tradition se réunissaient dans des maisons, dans des granges, en plein air lorsque le temps le permettait. Les gendarmes venaient alors systématiquement pour frapper et détruire. Il n’est pas rare de trouver aujourd’hui des églises avec des icônes tachées de sang. Les vétéro calendaristes roumains ont choisi de conserver ce sang séché, de ne pas le nettoyer, pour témoigner de cette époque de persécution.
Les souvenirs de BOSV sur les persécutions
Nous avons des témoignages de moines battus par des prêtres du nouveau style. Nous avons des témoignages sur les gendarmes regardant qui ne travaillait pas un jour de fête sur l’ancien calendrier. Nous avons des témoignages d’églises construites par les fidèles, à leur frais, pendant plusieurs jours, puis brûlées pendant la nuit qui suivait la fin de leur construction. On notera que le clergé de BOSV était finalement un ensemble de prêtres et de hiéromoines qui avaient refusé le passage au nouveau calendrier. Deux hiéromoines, Glicherie et David allèrent chercher de l’aide à l‘Athos et à Jérusalem. A l’Athos les moines étaient accueillis et encouragés chaleureusement. Le patriarche de Jérusalem d’alors, le patriarche Damanios leur a donné sa bénédiction et les a exhorté à continuer le combat pour la vraie foi. Le Père Nicolae Onofrei de la paroisse de Rădăşeni conserve précieusement cette photo de Damanios et Glicherie (Nicolae Onofrei din Rădăşeni à chercher dans Google Images). Damanios est connu sous le titre de Damien Ier de Jérusalem et fut patriarche jusqu’en 1931. Miron Cristea prenait ses ordres de la loge, euh du patriarcat de Constantinople. Glicherie et les autres résistants prenaient leur bénédiction à Jérusalem. On voit bien qu’on ne parle pas des mêmes réalités spirituelles. Le Père Nicolae montre assez spontanément cette photo à qui le lui demande, mais il est plus pudique et ne montre pas les cicatrices laissées par un passage à tabac fait par les gendarmes qui cherchaient à capturer Glicherie. Ceux-ci parvinrent finalement à l’arrêter en 1936, arrestation pendant laquelle plusieurs moniales vétéro calendaristes furent envoyées au monastère Vărzăreşti au sud de la Moldavie, vers Vrancea. Bizarrement, aucune description de ce monastère ne fait mention de cet épisode tellement admirable. L’arrestation de Glicherie fut extrêmement violente. Les gendarmes ont tiré dans la foule vétéro calendariste. Les blessés furent emmené à l’hôpital et les témoins raconte le cas d’une femme opérée sans anesthésie auquel le chirurgien disait « tais-toi styliste, arrête de crier ». Il y eut des centaines d’arrestations. Les hommes furent déshabillés, allongés sur le sol, et battus férocement. Les femmes et les enfants enfermés pendant des jours dans une école, avec possibilité de sortir seulement à la condition d’adopter le nouveau calendrier. Ils étaient également battus, régulièrement, probablement pour faciliter l’arrivée en eux la vraie foi prêchée par cette merveilleuse église officielle roumaine. Voulant probablement marquer les esprits, l’Eglise construite par les vétéro calendariste à Radaseni, fut démontée et déplacée par les gendarmes pour être reconstruite autre part, au bénéfice bien évidemment de l’église officielle, que j’ai du mal à appeler orthodoxe, vous me comprendrez. Existe-t-il un vétéro calendariste aujourd’hui, dont la famille ne comporte personne ayant été arrêté par la gendarmerie, comme ça, au hasard, et tabassé au poste, avec une seule et unique question : « Mai ţineţi pe vechi ? » qu’on peut traduire « tu gardes l’ancien calendrier ? ». Le sujet de ce texte n’est pas de faire un historique des bons, mais bien une étude des mauvais, et je vais arrêter ici cette interminable litanie de persécution, de violence, que la Roumanie a infligé à son église orthodoxe véritable, à son peuple orthodoxe véritable. Car les méfaits de cette fausse église, de cette loge maçonnique, de cette synagogue de Satan ne s’arrête pas ici. Loin de là…
La gendarmerie et les persécutions des VCOs
Mais avant de revenir à cette navrante assemblée de maçons en soutane, il faut s’interroger sur le rôle de la gendarmerie, dont on a vu qu’elle a été le bras armé de l’état et de la fausse église pour réprimer la foi orthodoxe en Roumanie. Un nom émerge de cette période ; le général Barbu Paraianu. Il fut le chef de la gendarmerie roumaine, de 1934 à 1938, ce qui correspond à la période avec la plus grande répression avant l’arrivée de la guerre mondiale et du communisme. C’est un grand modernisateur de la gendarmerie roumaine, en terme de logistique et d’organisation. C’est sur son initiative qu’il a proposé à Miron Cristea d’intensifier les persécutions contre les vétéro calendaristes et d’interner les dirigeants du mouvement dans des monastères du sud de la Roumanie. Une idée qui a reçu la bénédiction de sa béatitude le patriarche Miron, et nous avons bien évidemment la lettre du général au patriarche. Elle est datée du 7 août 1936 et a la référence pour les historiens ANR IGJ 4.1936. Comme je le disais. Ici, tout est sourcé. Tout est tracé. Il ressort des archives de la gendarmerie roumaine, que ceux-ci ont étudié avec attention le phénomène styliste. Pas moins de 6 études successives réalisées par les fonctionnaires de l’état roumain. D’après les historiens qui ont consulté ces documents, il en ressort que le stylisme est vu surtout comme l’impossibilité des populations bessarabiennes de se conformer à des décisions centralisées roumaines. Il est mis en avant le taux d’analphabétisme de 68% en 1930, pour le plus élevé à Balti. Les historiens plus modernes associent parfois ce mouvement vétéro calendariste à une énième variation du phénomène des révoltes paysannes contre l’autorité de l’état. Il est intéressant de voir que ces études historiques rejoignent très souvent les études de la gendarmerie roumaine dans une cécité fascinante : nul ne se demande si les stylistes roumains n’auraient pas tout simplement adopté cette posture, parce que c’est ce que leur indiquait leur tradition religieuse. Devenir styliste en 1924 et le rester par la suite c’est obéir à la tradition mais c’est désobéir à la hiérarchie ecclésiale. Au contraire, adopter le nouveau calendrier c’est obéir à la hiérarchie mais c’est désobéir à la tradition de l’Eglise. Il ressort aussi des documents de la gendarmerie, que l’intensification de la répression entre 1934 et 1938 ait pu être due à une forme de réponse aux actions de Staline en Bessarabie. Celui-ci aurait visiblement chercher à déstabiliser la région pour la regagner à l’espace soviétique. Les vétéro calendaristes, très présents en Bessarabie ont alors pu être amalgamés à une sorte de cinquième colonne de Staline à l’intérieur de la Roumanie, sur une frontière particulièrement fragile et discutée. Les archives de la gendarmerie montrent que les stylistes sont vues comme des personnes immorales et dont l’attitude est subversive vis-à-vis de l’état, car l’orthodoxie est tellement importante pour l’identité roumaine que ne pas être avec l’Eglise c’est d’une certaine façon être un agent de l’étranger. Les stylistes sont plusieurs fois qualifiés de « cosmopolites » par exemple. Les gendarmes se voient donc comme des patriotes luttant noblement contre des gens en train de comploter contre l’Eglise et contre l’état. « Universul » un célèbre journal de cette époque se fait le relais de la vision des gendarmes : les stylistes seraient des agents de Moscou. Ces études de la gendarmerie ne servaient pas seulement à la gendarmerie : elles furent par exemple envoyées à l’évêque Tit Simedrea, évêque en Bucovine. Nous avons également un courrier de Miron Cristea qui remercie le chef de la gendarmerie pour toute son aide.
Oastea Domnului, le second échec de Cristea
Revenons donc à l’inénarrable Miron Cristea. En 1925, il est fait patriarche. Pour une raison que je n’ai jamais réussi à rattacher à un document ou à un texte, le patriarche roumain est habillé en blanc. C’est le seul patriarche orthodoxe à être vêtu de la sorte. Le mouvement vétéro calendariste concernera lors de la répression à laquelle participa Cristea environ 1 million de personnes. Il concerne encore aujourd’hui environ, c’est dur à estimer mais probablement 800 000 roumains. Ce n’est pas le seul échec de Cristea à sa prétention d’une église unique, centralisée, incarnant l’âme roumaine. Son deuxième échec se nomme « Oastea Domnului ». Elle est fondée en 1923 à l’initiative d’un prêtre de Transylvanie, Iosif Trifa. Oastea Domnului n’offre pas de désobéissance sur le fond, mais sur la forme. Ce mouvement reprend des chants néo protestants anglo-saxon adaptés, et offre une place importante aux laïcs, mais dans un cadre formel qui n’est pas du tout issu de l’orthodoxie. C’est assez étonnant à voir et à constater. C’est le numéro 2 de l’Eglise roumaine, le métropolite Balan, bras droit mais aussi rival en quelque sorte de Cristea, qui mènera une guerre incessante au Père Iosif Trifa. Et on sait combien un métropolite peut avoir un pouvoir de nuisance face à un prêtre : celui-ci est excommunié, et il sera enterré sans ses ornements sacerdotaux. Depuis 1989, l’Eglise roumaine, qui n’est pas à une volteface près, parle de façon plutôt élogieuse de Oastea Domnului, qui bien qu’interdite sous les communistes avait réussi à survivre. L’excommunication de Trifa fut levée en 1990. Oastea Domnului, remise dans son contexte historique montre ici l’importante influence des mouvements néo protestants du monde anglo saxon dans l’entre deux guerres. Cette influence n’est pas nouvelle et initiée par la chute du communisme. La dictature communiste a été une sorte de pause dans une influence qui ne s’est pas démentie depuis la constitution de 1923, donnant une place inédite aux minorités. C’est cette importance des minorités qui est le plus probablement à la source de l’essor de l’extrême droite en Roumanie dans l’entre deux guerres. Disons tout de suite, et on voit aujourd’hui en France une parfaite illustration de cela, le terme extrême droite est utilisé par des opposants afin de disqualifier une démarche qui est davantage une quête d’identité. Ainsi, dans toute la littérature historique de l’entre deux guerres on verra qualifiée l’Eglise roumaine comme fleurtant avec l’extrême droite, et trois personnages historiques vont émerger, qui vont avoir un impact profond sur l’église officielle roumaine. Ces trois hommes sont Octavian Goga, Alexandru Cuza et enfin Cornelius Codreanu. Je préfère parler d’impact que d’influence. En effet ces trois hommes, de façon extrême il est vrai, vont se faire l’écho d’une aspiration profonde du peuple roumain dans sa quête d’identité.
Octavian Goga
Octavian Goga est né en Transylvanie en 1881. C’est un activiste roumain un peu plus courageux que Miron Cristea, ce qui il est vrai n’est pas bien compliqué. Son engagement lui vaut d’être condamné à mort par contumace par les hongrois en 1915, après plusieurs séjours en prison. Il se réfugie en France et ne revient en Roumanie qu’en 1919. Goga, a toute une carrière de journaliste, de poète, de traducteur et même de dramaturge. Mais c’est l’activisme politique qui le caractérise davantage. Fasciné par les réussites politiques des fascistes italiens et des nationaux socialistes allemands, il croit en une prise du pouvoir par les voies légales et parlementaires. Ce sera la ligne de fracture principale avec Codreanu que nous verrons plus loin. Goga parvient au pouvoir à la faveur d’une instabilité politique le 28 décembre 1937. Il restera premier ministre jusqu’au 10 février 1938, donc un temps très bref. La Roumanie avait obtenu sa reconnaissance internationale en échange de la reconnaissance du droit des minorités. Goga, en opposition avec ces accords et avec la constitution, durcit les conditions d’accès à la citoyenneté pour les juifs roumains. Plus de 600 000 juifs sont concernés. Deux tiers restent roumains, mais un tiers perd sa nationalité et se voit attribuer une carte de séjour d’un an, et se retrouvent dans une situation d’étrangers. La Roumanie est pressée par la Grande Bretagne de remédier à cette situation illégale du point de vue du droit international d’alors. C’est ce qui pousse Goga à chercher une alliance avec les italiens et les allemands. Il propose même l’envoi de ces juifs étrangers qu’il désigne comme des vagabonds sur l’île de Madagascar. Il subit un AVC très puissant en mai 1938 et entre dans le coma puis meurt. Il est enterré avec le drapeau roumain sur lequel est dessiné la croix gammée, illustration assez frappante de son espoir identitaire calqué sur l’exemple nazi. Pour l’anecdote, c’est le roi Charles II qui fit une sorte de coup d’état pour prendre le pouvoir. Il nomma un certain Miron Cristea comme premier ministre pour la période de transition après Goga, puis lui confia le pouvoir jusqu’en 1939. Pour continuer dans l’anecdote, Miron Cristea continua et accentua les mesures antijuives de Goga.
Alexandru C. Cuza
Alexandru Cuza ne doit pas être confondu avec Alexandre Ioan Cuza, l’homme politique du XIXème siècle. Ils sont quasi homonymes, mais le Cuza qui nous intéresse est ici Alexandru Constantin Cuza. Il était professeur de sciences politiques et économiques à l’université de Iasi. Il est né en 1857. Il a étudié en Allemagne et en France en plus de la Roumanie, et obtient un diplôme à la Sorbonne. Le trait politique principal de Cuza est l’antijudaïsme. Il crée en 1895 l’alliance antisémite mondiale. Il rejoint Goga dans sa lutte dans un cadre politique, électoral, parlementaire puis gouvernemental. Pour l’anecdote, c’est Cuza qui choisit comme emblème la swastika pour un mouvement auquel il participe en 1921. Il a donc toujours revendiqué la paternité de ce symbole, et considère que les allemands ont copié sur lui. Cuza fut le « ministru de stat » qu’on pourrait traduire « ministre d’état » du gouvernement Goga. Le ministre d’état est un ministre sans portefeuille précis mais qui agit dans la coordination, la représentation et la médiation sur tous les sujets importants. Ion Antonescu, alors général, était le ministre de la défense du gouvernement Goga. Il deviendra le dirigeant de la Roumanie entre 1940 et 1944. Le problème avec Alexandru Cuza était, bien qu’il souhaitait donner une coloration chrétienne à son action, qu’il était hérétique. Du point de vue religieux il s’agissait d’un marcioniste stupide, et il s’agit probablement ici d’un pléonasme. Il considérait que le Christ n’était pas juif mais aryen. Il considérait que l’AT devait être intégralement abandonné et même repoussé. C’était donc une sorte de Houston Stewart Chamberlain roumain pour ceux qui connaissent ce penseur anglo-allemand qui avait les mêmes délires sur le Christ aryen. Cuza accusait l’apôtre Paul d’être le falsificateur du christianisme. Il repoussait l’intégralité de la patristique. Il est étonnant de constater une amitié durable entre le futur patriarche Nicodim Munteanu et Alexandru Cuza. Je ne sais pas si un patriarche peut sérieusement être ami avec quelqu’un tenant ce genre de positions. Mais peut-être saint Jean était-il ami avec des gnostiques de son temps ? Peut-être Arius et Athanase allaient-il parfois manger ensemble ? Peut-être… En tout cas, bien qu’ayant cette doctrine très très peu chrétienne, Cuza fonde le parti national chrétien, sans que l’Eglise officielle n’y trouve rien à redire. Cuza ne sera jamais attaqué ni condamné de la part de l’Eglise. On pourra méditer assez longuement sur le traitement qui a été fait à Oasta Domnului, qui n’avait aucune hérésie, et Cuza qui était un hérétique sur toute la ligne.
Corneliu Codreanu
Nous allons maintenant passer au troisième personnage, Corneliu Codreanu, de loin le plus intéressant et le plus important. Il nait en 1899. Il nait à Huși, en Moldavie, dans le département de Vaslui. Il constate dans sa jeunesse, comment les familles juives ou allemandes sont prospères et comment les familles roumaines sont pauvres. Il a 8 ans lors de la révolte paysanne de 1907. C’est le général Averescu qui réprime les paysans, victimes de disette et qui marchent sur Bucarest. Averescu ne fait pas dans la dentelle et 11000 paysans sont tués au moyen de l’artillerie et des milliers sont arrêtés. Averescu a accompli cela avec la bénédiction du premier ministre et du ministre de l’intérieur d’alors, des gens du PNL, les libéraux. Codreanu comprend donc très jeune, que les libéraux sont partisans des libertés des riches mais pas de celles des pauvres, des libertés des rentiers mais pas de celles des travailleurs. On voit le même phénomène partout dans le monde : avec les libéraux, vous êtes libres lorsque vous vous conformez à ce qu’ils veulent. Il comprend donc que le libéralisme est une escroquerie sur le fond et il le comprendra plus tard le lien avec la maçonnerie en étudiant la question, puisque tous ces gens-là étaient des maçons. Il veut participer à la première guerre mondiale mais est trop jeune. Il étudie le droit à Iasi. Il va d’abord se démarquer dans sa lutte intraitable contre le communisme. En 1920, lors de grandes grèves à Iasi, soutenues et pilotées depuis Moscou et organisée sur place par des communistes roumains dont nous reparlerons un peu plus loin, il se rend à une usine en grève et totalement bloquée. Le drapeau rouge flotte sur l’usine. Il fend la foule des ouvriers, et pendant qu’un leader communiste harangue les prolétaires avec son poison spirituel et politique, Codreanu monte pour enlever le drapeau rouge et place le drapeau roumain à la place. Il retourne la foule en son sens. C’est probablement le début de sa légende. Ce n’est pas un grand orateur, mais il trouve les mots justes. Il rappelle aux ouvriers roumains la noblesse du travail et les dangers du communisme. Il est très opposé au communisme et s’implique en tant que briseur de grève contre les syndicats roumains d’influence bolchévique. Il voyage dans toute l’Europe pour rencontrer les anti communistes et voir leurs méthodes. Il va naturellement en France et découvre les œuvres de Charles Maurras. Il voit arriver avec horreur une démocratie parlementaire qui va chercher à protéger les minorités comme l’impose la constitution de 1923. Il voit les conséquences : comment l’année scolaire ne commence plus par une divine liturgie dans l’université, pour ne pas heurter les sensibilités des minorités non roumaines. Il milite tout de suite pour l’instauration d’un numerus clausus pour des étudiants d’ascendance roumaine, car l’université à cette époque accueillait surtout des élèves issus de minorités riches, tels que les juifs ou les allemands. Il rencontre Cuza qui est professeur à Iasi. Il fonde avec Cuza la ligue de défense nationale chrétienne. Cette ligue se veut une réponse à cette libéralisation de la Roumanie par rapport aux minorités.
Il convient ici de faire deux digressions qui me semblent importantes pour bien comprendre les motivations de Codreanu. Nous ne cherchons pas à distribuer les bons et les mauvais points, mais nous cherchons à comprendre. Nous cherchons à comprendre avec la rationalité et non pas avec l’émotion. Si vous voulez entendre des poncifs du genre « l’extrême droite c’est très méchant », vous pouvez aller sur d’autres blogs. Il est important de bien comprendre cela, car une immense partie du clergé de l’église officielle va se retrouver dans les idées et le combat de Codreanu. Ne pas étudier cela c’est ne rien comprendre à l’église officielle roumaine dans la période de l’entre deux guerres. Il nous faut donc définir quelle était la place des juifs dans cette société roumaine et comprendre ce qu’est une pensée identitaire.
Première digression sur la place des Juifs en Roumanie entre 1923 et 1940
Pour les données historiques concernant les juifs, je me source chez Carol Iancu, historien franco roumain qui fut formé en histoire à Jérusalem. La période où Codreanu va agir contre les juifs est une période où l’influence juive en Roumanie va croitre de façon considérable. Le recensement de 1912 donne 239 967 juifs en Roumanie, soit 3.3% de la population roumaine totale. Avant 1923, de par la logique de la constitution de 1866, les juifs ne pouvaient exercer le rôle de magistrats ou occuper un poste dans l’enseignement ou dans l’administration. Ils ne pouvaient non plus atteindre le grade d’officier dans l’armée. Les juifs avaient néanmoins payé le tribut du sang à la libération de la Roumanie : 882 morts, 740 blessés, et 825 décorés après la fin de la première guerre mondiale. Les traités internationaux étaient arrivés au compromis suivant concernant les juifs roumains : « La Roumanie s’engage à reconnaître comme ressortissants roumains de plein droit et sans aucune formalité, les Juifs habitant tous les territoires de la Roumanie et ne pouvant se prévaloir d’aucune autre nationalité ». Avec l’expansion territoriale issue de la victoire de 1918, ceci change considérablement le donné démographique : on passe à 796 000 juifs en Roumanie d’après la statistique officielle de 1924. 238 000 en Bessarabie, 200 000 en Transylvanie, 128 000 en Bucovine, et 230 000 dans le Royaume des deux provinces. Dans un esprit identitaire comme celui de Codreanu, c’est une donnée très violente. Ce qui est intéressant d’ailleurs est que 756 000 se considèrent religieux, et plus de 500 000 ont le yiddish comme langue maternelle. Les juifs résident principalement dans les villes. Ils représentent 14% de la population urbaine roumaine. Les statistiques de 1930 donnent 11.8% de Bucarest, 34.4% de Iasi, 20% de Galati, 36.6% de Botosani, 30.8% de Bacau, 36% à Chisinau, etc. à Husi où grandit Codreanu, les juifs représentent 14.6% de la population. Les juifs résident principalement en Moldavie, Bessarabie et Bucovine. En Bessarabie il y a énormément de villes où les juifs sont majoritaires. La grande ville de Calarasi au nord de Chisinau comptait 76.7% de juifs.
Les juifs des années 1930 travaillaient essentiellement dans l’industrie, l’artisanat, le commerce et la banque. Si on prend le commerce, en Roumanie, 48% des firmes étaient tenues par des roumains. 52% étaient tenus par des minorités, et un tiers de celles-ci l’étaient par des juifs. En 1937, les roumains avaient produits 1440 docteurs d’origine roumaine. 1460 étaient juifs. 70% des journaux étaient détenus par des juifs. Ils avaient une réussite de premier plan dans le textile, dans la production de fer et d’acier. Les juifs représentaient environ 35% de la production industrielle roumaine. Particularité des juifs de Roumanie : il y avait une importante communauté sépharade à tel point que deux revues furent créées en 1934 pour ce public particulier. La majorité des juifs étaient néanmoins ashkenazes. En 1940, à l’apogée de la présence juive en Roumanie, il y avait 24 écoles talmudiques, 7 séminaires talmudiques, des maternelles, des collèges, des écoles professionnelles, des écoles commerciales. En 1928, Alexandru Lapedatu que nous avons rencontré dans d’autres circonstances normalise et officialise le culte mosaïque en Roumanie. Tout est organisé autour d’un grand rabbin par ville. L’abattage rituel est encadré. Le gouvernement roumain accorde une subvention aux autorités juives de 10 000 000 de lei en 1928, qui tombera à 1 000 000 en 1937 avant d’être supprimée. Un certain Miron Cristea déclarera en 1937 dans le journal bien connu « curentul » : « où est-il écrit que vous, juifs, avez le privilège de vivre sur le dos des autres peuples, et sur le dos des roumains, comme des parasites ? Où est-il écrit qu’il nous est permis de sentir comment vous sucez la vigueur du peuple et du chrétien jusqu’au jour où vous devrez quitter la maison paternelle et vous expatrier ? Où est-il écrit que nous n’avons pas le droit de nous débarrasser de ce danger que nous n’avons pas le droit de nous secouer pour nous débarrasser de ce parasite ? ». Cristea est un homme qui ne croit rien et ne pense rien que ce qui va dans son intérêt de pouvoir. Donc s’il reprend une diatribe anti juive de cette nature, c’est que ce sentiment devait être le sentiment majoritaire. Cristea a d’ailleurs mauvaise presse chez les historiens juifs qui le voient comme un horrible antisémite. C’est probablement très injuste. Cristea ne pensait rien et ne croyait rien. Il était le perroquet d’un monde antisémite.
Seconde digression sur la pensée identitaire
Passons maintenant à la pensée identitaire. Il sera peut-être plus aisé de définir ce qu’est un identitaire en miroir de ce qu’est un universaliste. Un universaliste est un homme qui croit à deux grandes thèses : le premier dogme est que tous les hommes sont égaux, que tous les peuples sont égaux et second dogme, ils peuvent tous vivre ensemble sans aucun problème. Les différences sont secondaires par rapport à l’appartenance commune à l’humanité. Les cultures, les langues, les habitudes, les coutumes sont des accidents de l’histoire, des hasards de l’existence. C’est dans ces mythes modernes que le mondialisme trouve sa racine profonde. C’est de là qu’il tire son aspiration à l’abolition des frontières et des différences. Les marxistes et les libéraux croient tous les deux dans ces dogmes. Ils ne s’opposent que sur les moyens d’instaurer leur monde idéal, qui est au final le même. Tout ceci provient de la révolution française et de tous les idéaux qui la sous-tende. L’identitaire est quelqu’un qui ne croit pas en ces dogmes. Ou peut-être qui n’y croit plus. Il se considère donc comme un homme du réel là où l’universaliste est un homme du rêve. Il y a peut-être du dogme chez l’identitaire. Mais c’est un dogme tiré d’un constant anthropologique : un homme fait toujours partie d’un groupe. Et une fois qu’il a grandi dans un groupe, le groupe reste pour toujours en lui. L’enfant apprend dans sa famille, dans son clan, dans son ethnie, dans sa patrie. L’universaliste connait ces étapes mais elles lui semblent temporaires. L’identitaire veut s’arrêter là. Car il sait que l’homme apprend plus et mieux avec celui qui lui ressemble. Il y a des études de psychologie cognitive qui le démontrent. Les tragédies humaines témoignent toujours du même phénomène : lorsque survient une crise, le plus souvent économique ou militaire, les liens universalistes se désagrègent très rapidement et les liens ethniques ou patriotiques prennent le dessus. Pour le pire ou pour le meilleur. C’est un constat anthropologique. Il est bien évident que Codreanu n’est pas un universaliste mais un identitaire.
Le donné identitaire de Codreanu face aux Juifs
Codreanu, en tant qu’identitaire roumain a trois ennemis principaux : les communistes, l’oppression capitaliste de la grande bourgeoisie sur la paysannerie roumaine, et enfin les populations adhérant à une vision identitaire mais non roumaine sur le territoire roumain. Et pour chacune de ces populations, Codreanu se retrouve face à des juifs. C’est donc ainsi qu’on peut comprendre la cristallisation chez lui d’un antisémitisme forcené. Prenons la célèbre citation de Milton Friedmann, l’économiste bien connu : « Il y a peu de peuples, voire aucun dans le monde, qui ont une dette aussi grande envers la libre entreprise et le capitalisme compétitif que les Juifs … et Il y a peu de peuples, voire aucun dans le monde, qui ont fait autant pour saper le fondements intellectuels du capitalisme comme les Juifs. ». C’est tout le paradoxe finalement. Tous les juifs ne se retrouvent pas dans le communisme, mais dans le communisme on retrouve beaucoup de juifs, en tout cas une disproportion flagrante avec leur représentation statistique dans la population. Tous les juifs ne se retrouvent pas dans la haute bourgeoisie capitaliste, banquière et financière, mais dans cette bourgeoisie on retrouve beaucoup de juifs, en tout cas une disproportion flagrante avec leur représentation statistique dans la population. Et enfin, les juifs étaient très actifs dans ce mouvement identitaire d’avant-guerre qui allait donner quelques années plus tard la création de l’état d’Israël : le sionisme. Codreanu voyait très bien ce qu’il se passait en Russie, et la destruction terrible que le communisme apportait à la Russie. Il ne voulait pas de la même chose pour la Roumanie. Il se souvenait très bien que les grands intérêts financiers n’hésitaient pas avec leurs relais politiques libéraux à massacrer le petit peuple quand leurs intérêts financiers étaient menacés. Il voyait d’autres juifs se passionner pour l’état d’Israël mais cette passion n’était pas dirigée vers le développement et le bénéfice de la Roumanie. Voilà ce qui structure l’antisémitisme de Codreanu. Tout ceci est expliqué dans son ouvrage « pentru legionari » « pour les légionnaires » qu’il a écrit en 1937, afin que sa doctrine ne soit pas caricaturée par la presse bourgeoise libérale. Dans cet ouvrage il rappelle quelques statistiques des facultés dans les années 20 qui l’ont poussé dans son engagement violent.
Le donné statistique du système scolaire en Roumanie
Faculté de Cernauti, classe de philosophie :
Roumains : 174
Juifs : 574
En Droit, dans la même ville, semestre d’été :
Orthodoxe 237
Catholiques 98
Luthériens 26
Autres religions 31
Mosaïques 506
En Bessarabie
Enseignement primaire rural :
Garçons : 72 289 Roumains 1 974 étrangers chrétiens 1 281 Juifs
Enseignement primaire urbain :
Garçons : 6.385 Roumains, 2.435 étrangers dont 1.351 Juifs
Ecoles secondaires et professionnelles :
1 535 orthodoxes, 6 302 mosaïques
Codreanu constate qu’avec cette situation, dont je préciserai qu’elle est dûe à la fois à la performance du système éducatif juif et de l’environnement familial positif, le paysan roumain n’a quasiment aucune chance d’accéder aux meilleurs postes dans la société roumaine. Ce qui constitue tout de même un paradoxe si l’on se souvient que l’on est en Roumanie. Codreanu milite donc pour un numerus clausus qui permette de réserver des places aux locaux. Certes, il le fait d’une façon qui nous dérange émotionnellement aujourd’hui, en utilisant le coup de poing, avec des groupes scandant des slogans du types « Jidanii jos » qu’on peut traduire « à bas les youpins ». Mais il se bat pour que les roumains puissent dominer en Roumanie.
Le meurtre du préfet Manciu et la création de la garde de fer
Les historiens et les intellectuels qui regardent cette période critiquent tous la violence de son action. Est-ce que les manifestations pacifiques à la Gandhi auraient pu constituer un substitut acceptable et efficace ? Il faut aussi se souvenir qu’en face de Codreanu, les gens tuent sans trop se poser de question morale. Les communistes tuent leurs opposants. Les libéraux quand ils sont en danger tuent leurs opposants. L’époque est violente. Et Codreanu, justement opte pour l’action violente. En 1924 il va se passer l’événement qui va faire de Codreanu un héros des nationalistes roumains, et qui va diviser la société roumaine en deux : les partisans et les opposants. Codreanu et les étudiants qui militaient pour les intérêts des étudiants roumains et le numerus clausus avaient face à eux un préfet de police extrêmement violent, le préfet Constantin Manciu, relai à Iasi du parti libéral PNL, ce parti qui avait massacré les paysans quelques années plus tôt. Codreanu avait créé un cadre associatif et légal pour son action : la ligue de défense nationale chrétienne (LANC) et ils étaient littéralement persécutés par ce préfet et sa police. C’était probablement un préfet zélé et un brin sadique. Codreanu lui-même est tabassé plusieurs fois et laissé en sang à de multiples reprises. Codreanu raconte tous les mauvais traitements, toutes les bastonnades, toutes les blessures qu’il doit à ce préfet dans son ouvrage. Il raconte comment des enfants étaient frappés violemment sur la plante des pieds avec un nerf de bœuf pour savoir où se cachait Codreanu. Il raconte comment certains ressortaient handicapés à vie de ces séances d’interrogatoires. Dans une énième action de la police contre Codreanu et ses partisans, une fusillade éclate et Manciu est tué d’une balle dans la tête. La majorité des historiens attribuent l’acte à Codreanu qui sera enfermé en prison, jugé puis innocenté car sa culpabilité n’aura pas pu être établie. C’est pendant ce séjour en prison que Codreanu fonde alors la garde de fer, encore appelée la légion de l’archange Michel. Ses membres appellent Codreanu « le capitaine » et s’auto désignent sous le nom de « légionnaires ».
La légion mène un combat violent au nom de la religion chrétienne et du nationalisme roumain. Elle manifeste, crée des campagnes de presse, des réseaux d’entraides, use de menaces de morts et parfois même d’assassinats ciblés pour lutter contre tout ce qui constitue à ses yeux la démocratie parlementaire : les juifs, les franc maçons, les communistes, les intellectuels et les artistes décadents. Les plus grands penseurs roumains seront séduits par la légion : Mircea Eliade, Emil Cioran, Nae Ionescu pour ne citer qu’eux. Emil Cioran et Mircea Eliade seront membres de la légion et feront la promotion d’un antijudaïsme non racial. Cioran verra la garde de fer comme la dernière chance pour la Roumanie d’exister dans l’histoire.
Codreanu sort innocenté de prison après le célèbre procès de Focsani. Il devient le héros nationaliste de la moitié de la Roumanie. Il organise son mariage où il invite tous les roumains qui voudront venir. C’est un événement gigantesque. On voit ici que Codreanu est en plus un fin communicant. Il sait toucher le peuple. Il a pour lui quelque chose que les roumains apprécient plus que tout. Il est honnête. Il vit simplement. Il est l’homme d’une femme. Il n’est pas corrompu. Il contraste de façon absolue avec une classe politique totalement corrompue. Et surtout, c’est quelqu’un de très pieux, voire mystique. Ce n’est pas un théologien. Il n’a pas conscience que l’Eglise est tenue par les maçons et que son mysticisme s’allie avec des gens dont les sacrements sont vides et inopérants.
Le contraste entre Codreanu et la monarchie roumaine
Ce qu’incarne Codreanu dans la société roumaine est aussi une affaire de contraste. La monarchie n’arrive pas à incarner la patrie roumaine. Elle peine à renvoyer aux grands du passé : Etienne le grand, Michel le brave. Ferdinand et Marie ont beau être sacrés rois de tous les roumains, en 1922 à Alba Iulia cela ne fonctionne pas. La famille royale aurait pu être la réponse à ce problème identitaire. La reine Marie, l’épouse de Ferdinand avait même une certaine dimension historique. Elle s’était distinguée en réprouvant la brutalité des massacres contre le paysans révoltés en 1907. Elle s’habillait volontiers en costume traditionnel roumain et invitait l’élite roumaine à rester près de ses traditions. Mais son mari, Ferdinand peut être qualifié d’idiot. La Roumanie avait fait construire une cathédrale dédiée à ce couronnement, ce qui explique le décalage entre 1918 et 1922. Le lieu était symboliquement très fort : Alba Iulia était le lieu de la signature de 1918, mais aussi celui où Michel 1er le brave avait été fait voïvode de Transylvanie et de Valachie, faisant ainsi le lien entre les souverains roumains et cette quête roumaine quasi millénaire d’unité de son territoire. Ferdinand, catholique, refuse d’entrer dans la cathédrale construite à cet effet et est fait roi de tous les roumains en dehors de l’édifice. Il ne deviendra orthodoxe qu’en 1927, sur son lit de mort si l’on peut dire. Il recevra tout de même l’extrême onction des catholiques, ce qui en dit long sur cette conversion. Marie ne deviendra orthodoxe qu’en 1926. Pour un cœur roumain, ces souverains ne pouvaient immanquablement que passer pour des étrangers avec ce genre de maladresses. Si tu veux être roi d’un peuple, tu dois avoir la foi de ton peuple. C’est le B A BA du pouvoir monarchique bien compris. Le contraste avec un Codreanu mystique, pieux, ultra religieux ne peut que jouer en sa faveur, et en défaveur de la monarchie. J’ai déjà parlé du comportement parfaitement droit de Codreanu dans la sphère privée. Le contraste avec Charles, le fils de Ferdinand et Marie, appelé à monter sur le trône, est également saisissant.
Le caractère scandaleux de la vie de Charles le pousse à renoncer au trône en 1925, alors qu’il aurait dû être l’héritier de Ferdinand. Charles, multiplie les aventures, les mariages hors de la noblesse, passe sa vie dans les casinos. Charles est l’anti Codreanu par excellence. Il est élevé à l’étranger et ne s’exprime jamais en roumain de façon spontanée. Il privilégie le français et l’anglais. Les légionnaires le surnommeront « le cosmopolite ». Il se passionne pour les chevaux, les voitures, les avions. Il a des enfants illégitimes. Après son abdication il part vivre à Nice et dilapide sa fortune à Monaco. C’est donc techniquement son fils, Michel, petit-fils de Ferdinand qui jeune enfant devient successeur officiel, puis roi en 1927. Un conseil de régence est tenu à cause du très jeune âge de Michel, seulement six ans, et on ne sera pas étonné de retrouver Miron Cristea dans ce conseil.
Quasi ruiné par son train de vie, devant l’instabilité politique chronique roumaine, Charles revient en politique et fait abroger sa propre renonciation au trône et devient Charles II de Roumanie en 1930. Charles II aura donc le rare privilège de destituer son propre fils Michel, qu’il n’avait pas revu depuis des années, pour aller vivre une vie plus légère à l’étranger.