Histoire de l’Eglise Orthodoxe officielle de Roumanie - partie 3


L’assassinat de Duca

De son côté, Codreanu donne également un visage politique à son action. Il est élu député deux fois dans deux circonscriptions différentes en 1931 et 1932. C’est le fameux scandale en 1931 de la faillite de la banque Marmorosch, Blank & Co qui offre un terrain favorable à des personnes comme Codreanu. En effet la faillite de l’établissement avait ruiné des milliers de roumains, mais les pressions politiques avaient montré le haut degré de corruption de la justice roumaine, car les coupables n’avaient pas ou peu été punis. Le parti de Codreanu n’est pas encore en mesure de prendre le pouvoir, avec seulement 5% des suffrages, mais c’est un bon début pour Codreanu. Ce début fait peur au pouvoir libéral incarné par Ion Georghe Duca. Celui-ci, leader du PNL, premier ministre, franc maçon notoire, est nommé par le roi Charles II pour mener le gouvernement roumain jusqu’aux élections de 1933. En préparation de ces élections, prétextant de l’arrivée au pouvoir d’Adolph Hitler en Allemagne, Duca interdit la garde de fer, et voyant que les élections qu’il doit organiser vont être favorables aux nationalistes comme Codreanu, ce grand démocrate reporte les élections et commence à persécuter les mouvements nationalistes. Il prend des mesures favorables à l’émigration des juifs vers la Roumanie, tout en prenant des mesures défavorables pour le retour au pays des minorités roumaines en dehors de Roumanie. Il empêche par exemple l’arrivée des aroumains à Dobrodja. Les aroumains sont les populations roumanophones du sud de la Roumanie. On en trouve essentiellement en Grèce et en Serbie. Codreanu et plusieurs milliers de légionnaires sont arrêtés. 18 trouveront la mort dans ces arrestations violentes. Trois légionnaires décident alors de tuer ce premier ministre Ion Duca. Nicolae Constantinescu, Ion Caranica et Doru Belimace, dont les noms permettent de composer le mot Nicadori (Ni pour Nicolas Constantinescu, Ca pour Ion Caracina et Dor pour Doru Belimace). Ils assassinent Duca à la gare de Sinaia, le 29 décembre 1933, ville de résidence du roi Charles II, avec lequel Duca venait de s’entretenir. Lors du procès retentissant, Caranica et Belimace, tous deux aroumains, déclareront que l’attitude pro juive et en même temps anti aroumaine avait été déterminante dans leur choix homicide.



L’interdiction de la Légion

Le roi Charles II cherchera par tous les moyens à supprimer Codreanu et la garde de fer. Il a apporté tout le soutien logistique nécessaire à un traitre interne à la légion de Codreanu qui voulait remplacer ce dernier. Stelescu, le traître, y trouvera naturellement la mort, et Charles II fera tuer ses partisans en même temps qu’il détruira la légion comme nous le verrons par la suite. On peut voir l’arrivée au pouvoir de Goga et Cuza comme une façon pour le système politique roumain d’offrir du Codreanu sans Codreanu. On peut même y voir, dans une vision un peu complotiste des choses, comme une manipulation du roi Charles II. En effet, c’est lui qui choisit de nommer Goga premier ministre en 1937 alors que la situation politique est totalement bloquée. Il peut d’ailleurs s’agir de quelque chose de calculé et de plus cynique, puisque Charles II réalise en mars 1938 un véritable coup d’état. Il supprime la constitution de 1923, dissout le parlement et prend les pleins pouvoirs. Il nomme Armand Calinescu ministre de l’intérieur. C’est lui qui va détruire opérationnellement la légion de Codreanu. Les légionnaires survivants le tueront finalement en 1939 en représailles. Et bien évidemment, comme dans tous les bons coups, c’est Miron Cristea qui est le premier ministre à ce moment. Goga et Cuza en Codreanu de substitution, une sorte de bière sans alcool, c’est peut-être encore une fois une idée sortie des loges. En effet, Charles II et Goga étaient franc maçons. On pourra trouver étonnant d’avoir un antisémite acharné comme Goga être franc maçon. Les êtres sont complexes. En tout cas ce qui précipite la chute de Codreranu est la perspective, très dangereuse pour Charles II, roi franc maçon et libéral dans l’âme, d’une alliance électorale entre Codreanu et Goga. Petit à petit Codreanu gagnait les âmes roumaines. Le clergé qui devient légionnaire ou en tout cas sympathisant est très important, nous le verrons ensuite. Il organise de gigantesques funérailles pour deux légionnaires tués en Espagne aux côtés de Franco dans la lutte contre le communisme. C’est à cette occasion qu’il rédige son ouvrage « pentru legionari », « pour les légionnaires ». Codreanu a créé tout un ensemble d’activités philanthropiques, et gère admirablement sa légion, sur un mode totalement méritocratique. Ultime manœuvre de Charles II, avant son coup d’état : il offre de changer le gouvernement roumain pour mettre un cabinet totalement légionnaire, mais la contrepartie est qu’il doit lui, Charles II, prendre la place de Codreanu à la tête de la légion. Bien évidemment, cette proposition est rejetée. Codreanu n’avance pas masqué : il veut mettre en place une sorte de régime fasciste chrétien. Il déclare sur la démocratie : « la démocratie détruit l’unité du peuple roumain, l’exposant ainsi affaibli devant le bloc uni de la puissance juive. ».

Mort de Codreanu et impact de la Légion sur BOR

Charles II annule donc le système politique roumain et met en place ce que les historiens appellent la dictature carliste. Il organise un pseudo procès contre Codreanu, condamné à 10 ans de travaux forcés pour avoir dit à Nicolae Iorga qui critiquait durement ses légionnaires : „ești un necinstit sufletește” qu’on peut traduire par « tu es une mauvaise âme ». On avouera que c’est cher payé pour cette déclaration. Mais ce n’est pas suffisant pour Charles II : il fait exécuter Codreanu lors d’un transfert de prison. Il est étranglé par des gendarmes lors d’une parodie de tentative d’évasion le 30 novembre 1938. Codreanu meurt à 39 ans.

Le prestige de Codreanu parmi le clergé roumain de l’Eglise officielle était très important. Ils voyaient bien que c’était un adepte rigoureux du carême et de la prière. Ils voyaient également qu’il avait quitté Cuza pour des raisons théologiques et les positions stupides et hérétiques de celui-ci concernant la place de l’AT dans la foi orthodoxe. Codreanu comptait 18 prêtres candidats aux législatives de 1937. Le numéro 2 de BOR, le métropolite Balan de Transylvanie, était un partisan et un soutien affiché du mouvement légionnaire. Plusieurs monastères majeurs de BOR soutenaient aussi très clairement le mouvement légionnaire. Lors de l’assassinat du premier ministre Duca en 1933, BOR a réalisé une déclaration très alambiquée où elle condamne la violence mais ne condamne pas la légion. On peut analyser la chose de la façon suivante : BOR, détachée de la foi orthodoxe véritable, s’est donnée inconsciemment la mission d’être l’incarnation de l’unité du peuple roumain. La légion de Codreanu fut une sorte d’écho politique et métareligieux à cette aspiration. Le théologien le plus emblématique de cette période me semble être Nichifor Crainic. Un théologien qui essaya de réaliser l’improbable synthèse entre nazisme et orthodoxie. Crainic est emblématique de cette période car c’était un théologien très respecté dans l’église officielle roumaine de cette époque et il essaya de cerner la définition de l’âme roumaine, de trouver comment définir la roumanité, sorte de mélange de données ethniques, historiques, politiques et religieuses. Crainic, théologien laïc, travaille comme professeur de théologie à la faculté de Bucarest. Il y déploie une théorie proche de celle de Cuza : Le Christ n’est pas juif. L’AT n’est pas juif et le Talmud est anti-chrétien. Certes le Talmud est antichrétien, mais affirmer que Jésus n’était pas juif est disqualifiant du point de vue théologique. On est donc surpris de lire sous la plume du grand, que dis-je du grand, de l’immense Dumitru Staniloae, qui écrivit en 1940 : « Nichifor Crainic est le premier théologien roumain de l’ère moderne de notre histoire qui sort la théologie du cercle étroit et contourné des spécialistes, en la présentant, sous une forme imposante, à l’attention générale du monde intellectuel… Nichifor Crainic renouvelle en l’actualisant la tradition dans une théologie qui ne se contentait que de quelques fragments de cette tradition, reçus au fil du chemin et souvent à travers l’interprétation contournée des théologies occidentales”, accomplissant “une véritable restauration de la théologie roumaine dans l’esprit orthodoxe ». Si Nichifor Crainic est emblématique de l’église officielle de l’entre deux guerres, Dumitru Staniloae est emblématique de l’église officielle sur toutes les époques. Légionnaire avec les légionnaires, communiste avec les communistes, Staniloae est un homme d’une grande intelligence qui écrira tout un tas de sottises, comme celle-ci. Crainic n’était pas un grand théologien. C’était un hérétique. Mais Staniloae en dit du bien car Crainic se passionne pour ce qui va devenir la raison d’être de cette église officielle : définir et incarner l’âme roumaine. Nous reviendrons plus tard sur Dumitru Staniloae, dont bien évidemment il y a beaucoup à dire, en bien comme en mal. Mais l’église officielle bien évidemment ne vous dira jamais rien de son côté girouette sans colonne vertébrale et sans courage. Imagine-t-on un Athanase d’Alexandrie orthodoxe avec les orthodoxes et arien avec les ariens ?

Avec Staniloae, sur certains domaines on peut même se demander si l’on a en face de nous un manipulateur ou un idiot complet. Dans un texte de 1934 il fustige le modernisme, la maçonnerie, alors que son patriarche est franc maçon. Donc soit il écrit pour donner quelques miettes aux antimodernistes et les garder dans BOR, et en ce cas, quel cynisme ! soit il combat la maçonnerie tout en restant aveugle à la contamination de BOR par celle-ci. Et en ce cas, quel naïf ! Qu’on ne se méprenne pas sur mes propos. Staniloae est un grand théologien. Sa théologie dogmatique est de très grande valeur. C’est le Staniloae non théologien qui nous intéresse. Je sais que son fan club viendra se plaindre du manque d’égard à son sujet. On nous dira qu’il a laissé un texte dans les années 30 où il condamne d’une certaine façon le nationalisme et qu’il est donc infondé de le dire légionnairo-compatible. Certes. Mais cela montre toute la complexité du personnage. Que son fan club relise le texte qu’il écrivit en réaction aux funérailles des deux légionnaires tués en Espagne. Le titre « Martyrs pour le Christ » vous donne la tonalité de l’article. BOR a accueilli à bras ouverts le mouvement légionnaire car cela correspondait aussi à un besoin d’avoir une implication du peuple.



Les apparitions de Maglavit

Le phénomène des apparitions de Maglavit en 1935 est intéressant de ce point de vue. Maglavit est un tout petit village qui est au sud-ouest de la Roumanie, près des frontières serbes et bulgares. Pour résumer ce cas que beaucoup ne connaissent que peu ou mal : un dénommé Petrache Lupu, berger de son état, déclara avoir vu et parlé à Dieu. La Roumanie se passionna pour ce cas. La moitié vit Lupu comme un dingue ou un escroc, l’autre moitié comme un saint porteur de messages. En période de forte sécheresse qui inquiétait à juste titre cette Roumanie rurale et paysanne, Lupu voit Dieu trois vendredis de suite, en mai et juin 1935. Dieu lui dit que si les gens ne se repentent pas, ne vont pas à l’église, ne respectent pas le repos les jours de fête et les dimanches et ne jeûnent pas les mercredis et vendredis, “il brisera leurs œuvres”. Lupu fit creuser un puits au lieu de la première apparition, et la ferveur populaire vit cette eau comme miraculeuse. L’intérêt pour Maglavit va croissant jusqu’en 1938 et les masses affluent. Il y a des guérisons miraculeuses. Maglavit devient une sorte de Lourdes roumain, avec les phénomènes marchands et économiques qui accompagnent inévitablement les lieux de pèlerinage.

Codreanu et les légionnaires adoubent le lieu comme un authentique lieu de la manifestation de l’intérêt de Dieu pour la Roumanie. Staniloae témoignera d’avoir vu les guérisons miraculeuses opérées à ce lieu et semble avoir considéré l’histoire de Lupu comme véridique. Seul Dieu peut savoir s’il a choisi d’apparaître à ce berger roumain. Mais ce qui est sûr est que le prêtre du lieu, le père Nicolae Bobin et le sénateur Valerian ont fait une petite fortune sur cette apparition. Ceci attisa la convoitise de l’évêque qui avait Maglavit dans son diocèse : mgr Stanescu. Au début il pensait que Lupu était fou et voulait calmer les ardeurs populaires avec un examen psychiatrique. Mais quand il a vu les fortunes que les roumains dépensaient pour venir à Maglavit, il a préféré menacer le Père Bobin de déposition s’il ne lui laissait pas reprendre les choses en main. Il créa donc un organisme caritatif qui serait chargé de récupérer les collectes des pèlerins. Mgr Stanescu avait déjà détourné 15 millions de lei avec ce genre de montage dans le passé nous apprend la version roumaine du magazine Historia. Mgr Stanescu fut probablement trop avide et brutal et c’est ce qui donna l’envie au roi Charles II de proposer un autre narratif pour récupérer les fonds : la construction d’une gigantesque église de 2500 m2. Le projet est estimé à près de 6 millions de lei. Le premier ministre patriarche aura ce commentaire laconique « Maglavit a le mérite d’attirer le monde ». Combien cette histoire de Maglavit est représentative de BOR sur cette période : le mépris des évêques, la piété populaire, les prêtres sans vergogne qui s’enrichissent sur le dos du peuple en accord avec la classe politique, et à la fin c’est la loge qui gagne car tout en haut de l’édifice, on retrouve toujours Charles II et son premier ministre Cristea.

Mort de Cristea et bilan sur Charles II

Cristea justement meurt lors d’un voyage en France, à Cannes, en 1939. Avant de passer à son successeur, le patriarche Nicodim, celui qui traquait les vcos avec les gendarmes, intéressons-nous un instant à Charles II. Sa politique nous l’avons vu est de régner sans partage. Mais une fois ses opposants neutralisés, cela ne fait pas une ligne politique claire. Charles II arrive au pouvoir en 1938 qui est une période compliquée, à quelques semaines d’un conflit mondial que tout le monde voit arriver. Il choisit de s’aligner sur une position anticommuniste, ce qui explique son rapprochement avec les puissances de l’axe, bien qu’il reste allié avec la France et l’Angleterre. Cette position d’équilibriste est impossible à tenir bien longtemps. Hitler n’en est pas dupe et déclare : « la Roumanie est comme les États-Unis : elle est officiellement neutre, mais en réalité elle nous livre une guerre froide ». Si on regarde la situation internationale, même si cela est chronologiquement absurde, puisque le coup d’état est en février et les accords en septembre, on peut dire que ce sont les accords de Munich de 1938 qui poussent Charles II à instaurer sa dictature. Disons pour être chronologiquement exact que c’est leur possibilité, et leur préparation connue dans les chancelleries, qui pousse Charles II à vouloir purger la Roumanie de toutes les forces qu’il imagine favorable aux nazis. Les accords de Munich sont surtout connus pour leur caractère de lâcheté. En France, « Munich » est même devenu synonyme d’un accord indigne, d’une sorte de capitulation. Un esprit munichois est un esprit qui refuse de se battre et d’affronter l’adversité. Mais quel est le contenu réel de cet accord et quel est son impact sur la Roumanie ? Le démembrement de la Tchécoslovaquie consenti par la France et l’Angleterre sonne le glas de la « petite entente ». C’est le nom d’une alliance diplomatique et militaire qui réunissait Roumanie, Yougoslavie et Tchécoslovaquie et qui avait l’appui international de la France. Ainsi les accords de Munich constituent un isolement terrible de la Roumanie sur le plan diplomatique. Les soutiens français et anglais pour lesquels les roumains avaient faits tant de concessions avec les conséquences internes que l’on a vu, ne sont plus que de grands principes sans réalité tangible. Lorsque survient le pacte Molotov Ribentropp en 1939, la Roumanie voit son dernier atout s’effondrer : il n’y a plus, de façon temporaire, d’affrontement entre l’union soviétique et le troisième Reich. Nul besoin d’être devin pour comprendre que le territoire acquis en 1918, la « Grande Roumanie », risque des évolutions néfastes, sous peu, à l’aune du conflit mondial qui se profile.

Eléments biographiques sur le patriarche Nicodime

Revenons au patriarche Nicodime, le second patriarche de cette fascinante église officielle roumaine. Il nait en 1864, à Pipirig, un petit village à l’ouest de Targu Neamts. Il étudie la théologie à Iasi puis à Bucarest et enfin à Kiev. Il est fait moine en 1894. On se souvient de son action toute chrétienne à l’encontre des vétéro calendaristes roumains et en collaboration avec les gendarmes roumains. Il est fait patriarche le 30 juin 1939. C’est un monarchiste convaincu, ce qui ne surprend pas dans une église façonnée par le pouvoir civil. Nous verrons ensuite que cet incroyable synode roumain aura même en stock un patriarche communiste, très utile lorsque l’état est communiste et non plus monarchiste, comme quoi, dans ce synode, tout est possible. Ce qui caractérise le mieux ce synode, c’est sa capacité d’adaptation à toutes les épreuves, à toutes les circonstances. On se souvient par exemple que Dumitru Staniloae dépeignait les légionnaires morts en Espagne comme des martyrs du Christ en 1937. Un an plus tard, une fois que le mouvement de Codreanu aura été terriblement attaqué et Codreanu tué par un gouvernement tout de même conduit par le patriarche Miron, le même Staniloae pourra écrire très tranquillement, à propos du FRN, le front de renaissance national, le terme qui accompagne la dictature carliste, je cite « une vague de rafraîchissement est partie de l’esprit et du cœur royal, réchauffés par l’amour sans fin pour ce pays. Sur les blessures produites par les divisions politiques antérieures, sur le découragement laissé par l’incapacité des partis politiques, sur le désert aride produit par le vent sec de toutes sortes d’égoïsmes, le mouvement FRN est devenu guérisseur, porteur d’un nouvel élan, de bourgeonnement de l’ensemble du pays et son évolution ethnique et sociale … Le programme du FRN est le programme de l’âme roumaine et de nos besoins. C’est le programme qui ne fait que recueillir nos trop longs soupirs… on voit que ce programme est né d’une vision complète de la réalité organique qu’est notre nation. » (Biserica de stat sau biserica in stat de Oliver Jens Schmitt p 140-141). On voit que Staniloae quittait assez facilement les cimes de la théologie byzantine et les merveilles de la philocalie pour se faire le petit propagandiste zélé du pouvoir politique en place. Les hiérarques de ce courageux synode n’hésitaient pas à s’adresser à Charles II en l’appelant Basileus. Miron Cristea avait même une fois tenté de comparer Charles II à l’empereur Constantin. On voit qu’il avait la flagornerie audacieuse. Cristea laissait un bilan terrible à son œuvre. Nous verrons par notre odyssée historique s’il faut le considérer comme le pire patriarche de cette église, mais il met déjà la barre très haut.

Bilan sur Miron Cristea

Voici quelques extraits d’un texte d’Octavian Goga, qui a bien connu Cristea, issu de son journal politique : « En Transylvanie, à l’époque des Hongrois, nous nous retirions dans les tranchées derrière les murs et voyions dans l’œuvre de Şaguna le critère suprême de nationalité. Malheureusement, le haut clergé orthodoxe de Transylvanie n’a pas été à la hauteur de la tâche au cours du dernier quart de siècle. Trop sécularisés, dépouillés du spirituel, ces évêques n’avaient rien de ce fluide miraculeux qui, chez les catholiques par exemple, entretient sans cesse le frisson mystique de la création. Parmi eux, Miron Cristea apparaissait plus investi avec quelques attributions représentatives, mais c’est tout. Il lui manquait d’abord une croyance religieuse bien définie. Sa vie, à travers toutes ses manifestations, trahissait à chaque pas non seulement l’absence totale de soif de Dieu, mais aussi une note indéniable de frivolité profondément désagréable. Il lui manquait alors une orientation culturelle plus sérieuse, qui lui donnerait la possibilité de combler les lacunes morales par des attitudes intellectuelles. Les seules qualités parmi cette douzaine étaient un physique d’une certaine distinction et des compétences indéniables de rhéteur provincial. » « Lors de la guerre (première guerre mondiale), Cristea faisait bon ménage avec tous ses pairs, les évêques de Transylvanie. Aucune insistance sur la dignité ou le sacrifice, au contraire, une soumission révoltante et dégradante à l’ennemi. » « Dès le premier jour, je n’ai pas vu en lui l’innovateur, mais j’avoue qu’il est descendu bien plus bas que le modeste mépris que lui portaient mes dispositions. L’Église de l’ancien royaume (il parle ici des deux provinces avant 1918), qui avait installé à sa direction, sinon la tradition d’une culture aux grandes proportions, du moins cette crainte patriarcale de Dieu, des vieux ecclésiastiques orthodoxes, cette Église, avide d’une personnalité écrasante, a perdu sa continuité avec l’esprit religieux du passé, sans bénéficier en retour d’un élan de civilisation réformatrice. ». Goga a ensuite un passage intéressant par rapport à Nicodime « Le souci manifesté dès le début, avec une persistance offensante, était du pur matérialisme. Cet accent embarrassant que la faim millénaire de la Transylvanie a implanté chez presque tous ses fils, a été mis en avant dans l’arène, dans la première période qui a suivi la Grande Union. Si l’on ajoute à cela un fanatisme un peu sélectif qui l’a guidé dans le choix des personnes qui l’entouraient, on se retrouve alors devant une dizaine de fonctionnaires, pressés sur le chemin de la chance, comme tant d’autres. ». Dans l’entourage de Miron considéré comme patriarche, il n’y avait que des personnes à son image : médiocres. Plus loin dans son œuvre, Goga décrit Cristea comme un « mazarin de la campagne », qui bien que les roumains aient un grand respect pour le monde rural, doit être vu comme une critique acerbe. Mazarin était un homme d’Eglise qui n’avait pas forcément marqué les esprits par son action dans le domaine spirituel, mais c’était un grand politique, un de ceux qui ont bâti la France. Nous avons vu ce qu’il fallait penser de Cristea sur le plan religieux. Mais on peut aussi dresser son bilan politique pour synthétiser qu’il n’a jamais eu aucune influence nulle part, se contentant d’être l’instrument de ceux qui le commandaient. Certains roumains le voient comme un patriote dévoué qui a fait tout ce qu’il pouvait pour aider à construire et défendre cette grande Roumanie tant souhaitée. On peut légitimement conclure qu’il faisait partie de ces êtres liquides et médiocres, serviles et petits qui s’ils sont en trop grand nombre dans les sphères de pouvoir amènent inévitablement un pays à la ruine.

L’élection de Nicodime au trône patriarcal

Les deux métropolites pressentis pour succéder à Miron étaient les métropolites Nicolae Balan et Visarion Puiu. J’ai déjà parlé du métropolite Balan, qui avait cassé le mouvement « oasta domnului ». Si on peut brosser son portrait rapidement, c’était le numéro 2 de BOR à l’époque. Il était métropolite de Transylvanie. Fervent partisan de l’œcuménisme il participa personnellement aux rencontres du conseil mondial des églises en 1925 à Stockholm et celui de Berne en 1926. Fervent partisan du mouvement de Codreanu il avait soutenu les légionnaires de façon très ostensible. Le métropolite Visarion de son côté était métropolite de Bucovine au moment de cette élection patriarcale. Très respecté par Nicolae Iorga, Visarion était un anti communiste farouche. A tel point qu’en 1944 lorsque les soviétiques arrivèrent il fuit jusqu’en France où il mourra en 1964. Condamné à mort par contumace par les communistes, le synode roumain l’avait déposé en 1950 et il le réintégra en 1990, à la chute du communisme. Le troisième candidat, celui qui emporta l’élection fut Nicodime Munteanu. Il l’emporta probablement grâce au contraste qu’il offrait face à Balan et Visarion. Les deux étaient des hommes qui en imposaient. Mais Charles II voulait un patriarche terne, probablement pour que personne ne puisse lui faire de l’ombre. Très mauvais calcul, que font souvent les politiques médiocres qui cherchent la loyauté plutôt que la compétence. Peut-être Nicodime l’homosexuel, dont le scandale du séminaire du Husi de 1923 s’était estompé, faisait aussi un contraste avec Miron le coureur de jupons. Nous évoquerons le problème de l’homosexualité du synode roumain après la chute du communisme.

Horia Sima, successeur de Codreanu

La seconde guerre mondiale va rebattre complètement les cartes en Roumanie. Tout le monde connait le déroulé suivant : Hitler attaque la Pologne en septembre 1939. L’URSS attaque la Finlande en novembre 1939 et finit au printemps 1940 par occuper militairement les trois pays baltes. La Roumanie aide la Pologne en faisant transiter tout le trésor polonais jusqu’à Alexandrie alors sous contrôle anglais. Le premier ministre de Charles II, Armand Calinescu, francophile et anglophile continue la lutte de l’état carliste contre la garde fer. Après la mort de Codreanu, c’est Horia Sima qui était devenu le nouveau dirigeant du mouvement. Il mérite qu’on parle quelques instants de lui, puisqu’il aura un rôle politique dans les événements qui vont suivre : il est né en 1907 à Făgăraș, et rejoint la légion en 1927 alors qu’il n’a que 20 ans. Il étudie la philosophie à Bucarest entre 1926 et 1932 et est nommé professeur de littérature en 1932, dans un lycée de Caransebeș. En 1938, la légion se réorganise après l’assassinat de Codreanu et c’est Sima qui est choisi pour la conduire. Horia Sima entre dans la clandestinité. Il passe son temps à échapper aux services secrets roumains de Charles II, le SSI. Sima choisit de s’exiler momentanément en Allemagne d’où il va pouvoir organiser l’assassinat d’Armand Calinescu, qui fut ministre de l’intérieur de Cristea pendant l’assassinat de Codreanu et qui était passé premier ministre après la mort du patriarche. Calinescu n’était pas seulement responsable de la mort de Codreanu, mais aussi d’une répression anti légionnaire féroce qui avait causé la mort ou l’emprisonnement de nombreux membres de la garde de fer. Un commando de la légion arrive à l’exécuter le 21 septembre 1939. Sima était revenu en Roumanie pour superviser l’attentat et retourne se réfugier en Allemagne pour échapper à la police roumaine.





La grande Roumanie victime de la seconde guerre mondiale

Revenons à la seconde guerre mondiale. Après les opérations militaires à l’est, Hitler, après avoir sécurisé le Danemark et la Norvège en avril 1940 se lance sur le front ouest et envahit la France en mai 1940, lui infligeant la plus grande défaite militaire de son histoire. La Grande Bretagne rapatrie ses troupes tant bien que mal dans le fameux épisode de Dunkerque. Isolée sur son île, Churchill ne peut rien pour la Roumanie, qui se retrouve seul pays européen à être en lutte contre l’axe Rome-Berlin.

En juin 1940 Les soviétiques annexent la Bessarabie. Avec les deux tiers de celle-ci les plus au sud, ils créent la république socialiste de Moldavie. Avec le tiers nord ils augmentent le territoire de la république socialiste d’Ukraine.

La position de Charles II est intenable en l’état. Il est obligé de réorienter sa politique en faveur de l’axe. Il nomme Ion Gigurtu premier ministre le 4 juillet 1940. Celui-ci déclare une orientation pro Berlin, pro nazie, nationaliste et antisémite. Pour plaire à Hitler ou par conviction personnelle, Dieu seul le sait, Gigurtu proclame une loi punissant de 2 à 5 ans de prison le mariage entre juifs et roumains. Gigurtu demande à Hitler de trancher entre Roumanie et Hongrie à propos du différend concernant la Transylvanie. La Hongrie avait perdu ce territoire en 1918 et il ne faut pas imaginer qu’elle n’espérait pas le récupérer un jour. Ce jour était arrivé et Hitler trancha en faveur de la Hongrie. Le démembrement de la Grande Roumanie avait commencé. Tout le nord de la Transylvanie passa donc sous contrôle hongrois. Ceci fut scellé dans le traité de Vienne en août 1940. Traité rapidement suivi par le traité de Craiova en septembre 1940, déclarant que la partie sud de Dobrodja revenait aux bulgares.

La perte totale est environ 1/3 du territoire et il s’agit aussi de 7 millions de roumanophones qui se retrouvent minorité ethnique dans d’autres ensembles politiques. Tout ce qui avait été gagné en 1918 était pratiquement perdu. La grande Roumanie était un rêve qui n’avait duré que 20 ans. L’inconscient roumain semble en tenir rigueur à Charles II, et ceci ne plaide pas en la faveur du sentiment monarchiste en Roumanie, qui semble considérer la monarchie comme un système confiant les rennes à des étrangers corrompus et incapables. La différence d’avec la démocratie reste sur ce point à établir… Si on analyse les choses rationnellement, Charles II ayant tout fait pour liquider toute opposition crédible à son pouvoir s’est en fait retrouvé seul face à l’ouragan de la seconde guerre mondiale. La Roumanie payait ainsi le prix fort d’avoir eu à sa tête quelqu’un qui voyait l’exercice du pouvoir comme une compétition darwinienne et non pas comme une diaconie de service pour quelque chose de plus haut. Le 5 septembre 1940 Charles II veut former un gouvernement mais plus aucun parti ne veut participer à quoi que ce soit avec lui. Le maréchal Antonescu, seul homme à peu près crédible de cette période, lui demande d’abdiquer ce que Charles fait le 6 septembre. Il abdique en faveur de son fils, Michel. Charles part immédiatement pour la Yougoslavie en train le 7 septembre et échappe de peu à la mort, car des légionnaires mitraillent son train. Les historiens déclarent qu’il imaginait encore pouvoir remonter sur le trône ensuite, ce qui prouve son manque de perception historique. Il partira pour les USA puis au Mexique et mourra d’une crise cardiaque en 1953, à l’âge de 59 ans.





Eléments biographiques sur Ion Antonescu

Intéressons-nous à Ion Antonescu, le nouvel homme fort roumain. Il est né en 1882 à Pitești dans une famille de militaires. Son père était un héros de la guerre de 1877-78 contre les turcs dont j’ai parlé précédemment. Il tient un rôle important dans l’armée roumaine lors de la première guerre mondiale et en ressort décoré du prestigieux ordre Mihai Viteazul, Michel le Brave. Il participe aux négociations diplomatiques à l’issue de la première guerre mondiale et juge que cette paix n’est pas bien faite et amènera un nouveau conflit. On voit qu’il a déjà un sens politique et une lecture juste des données géostratégiques. Après avoir été attaché militaire à Paris, il revient en Roumanie et gravit petit à petit les échelons jusqu’à devenir ministre de la défense sous le gouvernement d’Octavian Goga en 1937. Il occupe ce poste jusqu’en 1938. Il exprime son dédain envers le roi en refusant de s’asseoir à sa table alors que celui-ci est accompagné de sa maîtresse. Il est cassé par le roi et envoyé de façon étonnante méditer sur les règles de la politesse au monastère de Bistrita en Olténie. C’est peut-être ce coup d’éclat qui lui vaudra dans la période très anti Charles II de devenir l’homme fort qui pourra demander au souverain de partir. Ce qui a lieu en Roumanie entre le 5 et 7 septembre est quelque part entre le coup d’état et la transformation légale du pouvoir. En effet, Antonescu est porté par les militaires, les partis de droite et la garde de fer. Le 5 septembre Charles II qui n’a plus qu’Antonescu vers qui se tourner le nomme premier ministre mais c’est là qu’Antonescu lui demande de partir. Le débat chez les historiens tend plutôt à voir cela comme un coup d’état. Antonescu proclame alors le « statul national legionar », « l’état national légionnaire ». Celui-ci est promulgué le 14 septembre 1940. Horia Sima est nommé vice-président du conseil des ministres. Dans le nouveau gouvernement institué le 15 septembre 1940, les légionnaires occupent quatre ministères - Affaires intérieures, Affaires étrangères, Éducation nationale et santé, Travail et Protection sociale. Ils ont également plusieurs postes de secrétaire d’État. La Garde de Fer contrôle également la presse et le service de propagande ainsi que 45 des 46 préfectures sur tout le territoire. Le seul mouvement politique autorisé est à ce moment la Garde de Fer.

Antonescu détruit la légion

Mais dès le départ il y a des dysfonctionnements entre l’état que j’appellerai régalien et les légionnaires qui entrent dans cet appareil d’état. Par exemple, il y a de grosses tensions dans la police, entre ceux qui avaient auparavant combattu les légionnaires sous les ordres de Charles II et les policiers pro légionnaires voir légionnaires eux même. Le chef des services secrets qui avait traqué Sima est par exemple assassiné. Depuis Berlin, Hitler tient à ce que ce soit Antonescu qui dirige tout, et bien qu’il voie la garde de fer d’un bon œil, sa préparation de l’invasion de l’URSS demande une Roumanie stable et alignée. Antonescu ayant pour but de récupérer tout ce qui a été perdu au profit de l’URSS joue à fond le jeu de la collaboration avec Berlin. Il laisse stationner la Wehrmacht sur le sol roumain et 500 000 soldats allemands se comportent comme une armée d’occupation. Antonescu a besoin d’une Roumanie pacifiée et la légion est bien trop turbulente à son goût. Celle-ci organise des assassinats et le 27 novembre 1940 des intellectuels, des journalistes, d’ancien députés et des franc maçons jugés responsables de la mort de Codreanu sont assassinés. Le personnage le plus emblématique tué ce jour reste Nicolae Iorga, le grand historien d’extrême droite. Prenant prétexte de la mort de Iorga, Antonescu attaque la légion en janvier 1941. 3000 légionnaires sont emprisonnés et Sima réussit à fuir en Allemagne qui lui offre asile.

Donc, en une période de temps assez courte, la Roumanie aura connu plusieurs gouvernements et direction qu’on classera à l’extrême droite même si on a vu qu’elles furent parfois violemment antagonistes. Quelle fut l’attitude de BOR dans cette période pour le moins troublée ? Sima marque une sorte de divorce entre BOR et la légion. En effet, Sima n’est pas du tout un mystique comme Codreanu. Il n’est que dans le politique. Le religieux ne l’intéresse pas. Dumitru Staniloae veut néanmoins y croire. Lorsqu’Antonescu proclame l’état national légionnaire, il écrit « la lumière de la résurrection flotte au-dessus du pays. La nation s’est retrouvée.. aujourd’hui notre nation tient à nouveau dans sa main l’épée de l’Archange gardien du christianisme, que Dieu lui tend. ». Staniloae en 1940 voit en la légion un rempart contre le bolchévisme menaçant. Nous verrons qu’en 1944 il aura totalement changé d’avis. La presse orthodoxe qualifie l’état national légionnaire d’expression politique de l’orthodoxie. La victoire de la légion est décrétée victoire de l’église. Il faut bien comprendre ici que c’est le clergé du quotidien qui s’enthousiasme de la victoire de la légion. Le synode lui est plutôt circonspect. A la page 155 de son ouvrage, Schimtt cite un jeune prêtre, le père Ilie Imbrescu qui s’enthousiasme pour la légion et ne comprend pas que son synode se taise : « Dieu voulait que le mouvement légionnaire gagne… seules les autorités dirigeantes de BOR restent silencieuses. elles étaient silencieuses depuis le début et elles sont toujours silencieuses ». Il mourra en 1949 tué par les communistes. C’est un des rares prêtres pour lesquels les sites officiels de BOR actuels parle de son engagement légionnaire. Imbrescu est représentatif de quelque chose de crucial pour comprendre la période et pour comprendre BOR en général : la coupure radicale entre un clergé de terrain, souvent jeune et sincère, idéaliste, et un synode infiltré de franc maçons et de carriéristes sans ampleur, sans souffle, et sans vergogne. Si les métropolites Balan et Mihalcescu travaillent très ouvertement et tranquillement avec la légion, le patriarche Nicodime reste très distant. Il s’attire même les critiques du clergé jeune et exalté par la légion, particulièrement à Sibiu. La seule chose que va entreprendre le synode au niveau politique, est de chercher appui auprès d’Antonescu pour réduire l’influence gréco catholique et celles des missions néo protestantes en Roumanie. Un théologien éminent de cette époque enverra même une lettre au synode, lui demandant de frapper fort contre la maçonnerie qui essaie d’infiltrer l’église. C’est à hurler de rire quand on sait que Cristea était lui-même franc maçon et que tous les doutes sont plus que permis sur Nicodime, comme je l’ai déjà expliqué précédemment.

Lorsqu’Antonescu s’est retourné contre les légionnaires, il a pu constater que certains prêtres étaient tellement partisans des légionnaires qu’ils avaient pris les armes avec eux contre l’armée. Il a demandé la plus grande sévérité contre eux car il a considéré leur engagement comme inexcusable. Aussitôt la légion mise au pas par l’armée régulière, Nicodime a publié un texte officiel à la gloire du général Antonescu, le félicitant de sa victoire contre les félons. De martyrs du Christ en 1937, ils passèrent à la promesse de l’enfer en 1941. BOR collabora avec l’état roumain pour purger le clergé de ses éléments légionnaires. Et obtenant des résultats aussi probant que le précédant patriarche Miron, Nicodime n’obtint pourtant aucun soutien d’aucune sorte de la part du général Antonescu sur la situation de BOR dans les zones perdues au profit de l’Ukraine, la Russie, la Bulgarie et la Hongrie. La situation la plus compliquée était en Transylvanie. Les prêtres orthodoxes roumains étaient chassés de leurs paroisses et le troupeau orthodoxe officiel se retrouvait la plupart du temps sans prêtre de BOR. Les prêtres chassés trouvèrent refuge dans la zone sous contrôle roumain. Antonescu voyait d’un très mauvais œil n’importe quelle implication de BOR dans le champ politique. Les documents historiques issus des conseils des ministres de cette période font état de plusieurs déclarations très négatives d’Antonescu à destination de BOR. L’Eglise avait besoin d’être nettoyée, purifiée, pleine d’anarchistes, etc. Il avait une vision très négative de l’église et n’acceptait pas ces gens mal rasés, mal coiffés. Il voulait probablement une église davantage ressemblante à l’armée. Il voyait les monastères comme des parasites. Il n’avait visiblement pas apprécié son passage forcé au monastère de Bistrita. Les prêtres étaient payés par l’état et se plaignaient régulièrement de leurs petites pensions. Antonescu de son côté trouvait qu’il payait beaucoup pour pas grand-chose. Il voyait l’église comme un auxiliaire de son état. Celui qui paie commande ; c’était ce qui pouvait résumer la logique de la relation entre Antonescu et BOR.





Le sort des minorités religieuses pendant la seconde guerre mondiale

Le 22 juin 1941 Antonescu participe à l’invasion de l’URSS. Antonescu, probablement pour avoir la main mise sur les opérations militaires des troupes roumaines s’auto proclame maréchal. Le 14 août, Hitler satisfait des avancées donne à Antonescu ce qu’il attendait : le gouvernement sur toute la Moldavie, jusqu’à la région appelée Transnistrie. Mais il ne récupère pas pour autant la partie perdue au profit de la Hongrie.

Une page noire de l’histoire roumaine est la persécution des minorités pendant le règne d’Antonescu. Mais une fois de plus, ceci ne doit pas être abordé de façon manichéenne, émotionnelle ou simpliste. Antonescu a déployé une politique très hostile aux juifs, aux tziganes et aux minorités religieuses chrétiennes neo protestantes.

Le cas des juifs est le plus complexe et le plus déroutant. D’un côté vous avez des déportations, organisées sous contrôle 100% roumain d’Antonescu des juifs de Bessarabie vers le camp de Podolia, créé à l’origine par les bolchéviques, aujourd’hui en actuelle Ukraine, dans une partie gagnée par l’armée roumaine. Si le camp n’est pas proprement un camp d’extermination, les conditions de vie très dures aboutissent à la mort d’environ 100 000 juifs. Plusieurs documents montrent que dans l’esprit d’Antonescu, juifs et communistes étaient deux mots presqu’interchangeables. Lorsque naissent des rumeurs de sabotage contre l’armée roumaine en provenance des juifs de la ville de Iasi, survient le pogrom de Iasi, entre les 27 et 30 juin 1941. 13 000 juifs trouveront la mort dans ce massacre où sont intervenus les moyens de l’état. L’aspect le plus marquant de ces pogroms sera ce qui est nommé aujourd’hui « trains de la mort » : des milliers de juifs sont entassés dans des trains pour la déportation et quasi tous meurent d’étouffement, de chaleur, de déshydratation et d’épuisement. On pourra aussi évoquer le massacre d’Odessa. La ville est gagnée par l’axe le 16 octobre 1941. Elle est placée sous administration roumaine. Des attentats ont lieu, et d’une façon un peu similaire à Iasi, les juifs sont tenus responsables, et des massacres conjoints roumains et allemands tuent pendant plusieurs jours plus de 30 000 juifs. Ces événements d’une grande violence nous décrivent un régime Antonescu qui semble fanatiquement antisémite et homicide.

Et pourtant, pour une raison que les historiens n’arrivent pas à expliquer, Antonescu a également sauvé énormément de juifs pendant la guerre. Je n’ai pas de réponse et je suis comme eux, incapable de trouver une logique à l’ensemble. En effet en 1942 Hitler exige qu’Antonescu déporte les juifs roumains. Antonescu refuse et sauve même les juifs de Transylvanie dans un épisode qui nous intéresse au premier plan pour notre sujet. Ceci est raconté dans les mémoires du grand rabbin de Roumanie, Alexandre Safran. Celui-ci était dans une situation plus que délicate à Bucarest, dans une Roumanie dirigée par Antonescu, surtout avec les événements de Iasi et d’Odessa à l’esprit. Néanmoins il apprend qu’Hitler demande la déportation de tous les juifs de Transylvanie. Il demande alors au métropolite Balan, métropolite de Transylvanie basé à Sibiu de faire quelque chose. La demande est d’autant plus saugrenue que le métropolite comme nous l’avons vu est un grand ami de la garde de fer. Sur le papier la demande est inutile. Le métropolite est d’ailleurs connu pour ses prêches enflammés où les juifs n’ont pas le beau rôle. Safran termine son courrier par une phrase qui oscille entre la menace et la prière : Dieu te regarde. On a vu aussi tout le bien que pensait Antonescu de BOR, des gens couteux, inutiles et mal rasés. Pourtant Balan se rend à Bucarest, y plaide la cause des juifs, et Antonescu l’entend et dit non à Hitler. Il a donc sauvé des milliers de juifs d’une mort certaine car Hitler demandait leur déportation vers la Pologne, et chacun sait ce que cela signifiait alors. Pour l’anecdote, lorsque la situation s’inversera avec l’arrivée des communistes, Safran aidera Balan. Ceci nous permet au passage de considérer qu’Antonescu n’était pas totalement aveuglé par l’idéologie lorsqu’il considérait que les communistes étaient quasi exclusivement juifs. C’est un phénomène historique assez saisissant à contempler : lorsque des juifs démarrent ou s’inscrivent en masse dans un mouvement, ils le dominent au départ puis en sont exclus. C’est ce que me confiait amusé un juif converti à l’orthodoxie devenu prêtre. Chose vérifiée dans le christianisme, dans le communisme et même dans la psychanalyse. Fin de la digression.

Ainsi Antonescu est difficile à suivre : meurtrier de masse en 1941, sauveur de milliers de juifs en 1942, il adoucira aussi considérablement les conditions de vie des juifs de Moldavie en 1943. C’est pour cela aussi que conclure que la Roumanie fut ceci ou cela dans l’holocauste est puéril et motivé par tout sauf la recherche de la vérité. Des témoignages historiques nous disent que des roumains et des prêtres de BOR ont participé aux exactions antijuives. Des témoignages historiques nous disent que des roumains et des prêtres roumains ont eu des comportements héroïques et ont sauvé des juifs. Concluons donc sur ce sujet, avec le constat que l’on ne peut rien en conclure. Ni sur la Roumanie ni sur BOR. Une dernière remarque : les naïfs croient souvent que ceux qui disent du bien des juifs restent en accord avec leurs paroles et les protègent ensuite et que ceux qui en disent du mal font de même et les persécutent ensuite. Le métropolite Balan n’est pas l’unique exemple du contraire quasi systématique de cette loi historique. Un historien israélien a montré combien les dreyfusards français collaborèrent activement avec les nazis et combien les antidreyfusard français combattirent les nazis. C’est ce que Schmitt ne comprend pas dans son livre consacré aux relations entre BOR et l’état. Certes, de nombreux prêtres avaient un discours antijudaïque, mais cela ne prouve absolument rien, n’indique absolument rien, et n’aboutit absolument à rien sur ce sujet.

Les juifs ne sont pas la seule minorité religieuse à avoir souffert de la seconde guerre mondiale. Les plus attaqués furent les néoprotestants. Antonescu les jugea comme secte et ils furent purement et simplement interdits. Une chose qui est sûre, est que la boussole principale d’Antonescu fut de reconquérir ce qui avait été perdu par le démembrement de 1940. Il joue ainsi le jeu de l’Allemagne à fond, mais comprend en 1942, avec les nouvelles de Stalingrad que l’axe ne pourra pas gagner la guerre. Les archives historiques montrent même qu’Antonescu a considéré un moment la possibilité d’attaquer la Hongrie pour récupérer l’intégralité de la Transylvanie. Mais l’armée roumaine est décimée à Stalingrad. 120 000 morts et 80 000 prisonniers déportés en Sibérie rendent impossible ce plan d’attaque de la Hongrie.

Chute et mort d’Antonescu – coup d’état du Roi Michel

En 1944, l’avancée russe permet les premiers bombardements sur la Roumanie. Productrice de pétrole dans la région de Ploiesti, la Roumanie devient logiquement une cible puisque son pétrole alimente l’armée allemande. C’est principalement l’aviation américaine qui disposant d’une base en Lybie, bombardera le sol roumain, à Ploiesti mais aussi à Bucarest dans un bombardement causant 5000 morts. Antonescu essaiera sans succès de signer un armistice avec les alliés. Les rencontres diplomatiques secrètes furent nombreuses pendant l’année 1944. Mais la solution pour la Roumanie allait venir de l’intérieur. Une alliance politique nommée Bloc National Roumain, composée de communistes, de libéraux, de sociaux-démocrates et de défenseur des paysans est créée le 20 juin 1944 avec pour but l’instauration d’un autre régime politique et la signature effective d’un armistice avec les alliés. Le roi Michel 1er, Mihai en roumain, qui était resté sagement dans l’ombre d’Antonescu, qui avait été sacré roi en 1940 par le patriarche Nicodime à la cathédrale de Bucarest, profite de la situation pour réaliser un coup d’état, le 23 août 1944. Soutenu par le bloc national roumain, Michel fait arrêter le maréchal Antonescu et prend le pouvoir. C’est le moment où la Roumanie change de camp. L’état-major roumain, voyant que les russes sont entrés à Chisinau, en Moldavie toute proche le 20 août, laisse tomber Antonescu. L’armée roumaine reçoit l’ordre de ne pas se battre contre les russes qui entrent donc tranquillement en Roumanie. Staline ne signera finalement l’armistice qu’en septembre 1944, une fois la Roumanie sous son contrôle. L’Allemagne se battra pour essayer de conserver la Roumanie et fera même bombarder Bucarest mais sans succès. Les spécialistes considèrent qu’avec ce coup d’état et ce retournement et ses conséquences, la guerre a été raccourcie de 6 mois. Certains spéculent également qu’Antonescu, dubitatif sur les opérations allemandes n’avait pas envoyé toutes les troupes demandées à Stalingrad et avait aussi permis la victoire russe. Ce ne sont que des spéculations bien entendu, mais la Roumanie a joué un rôle important sur le plan militaire dans cette période charnière. Antonescu, détenu initialement à Moscou, pendant deux ans est renvoyé en Roumanie pour y être jugé en 1946 par un tribunal : il est condamné à mort et fusillé le premier juin 1946, à la prison de Jilava, en même temps que plusieurs hauts dignitaires de son régime, comme le général de gendarmerie.



La Roumanie bascule progressivement dans le communisme

La Roumanie, bien qu’occupée par les russes, n’a pas immédiatement sombrée dans le communisme. Dès après le coup d’état de 1944, le roi Michel nomme des généraux pour diriger le gouvernement, et essaie de rétablir un fonctionnement démocratique. Le général Radescu, premier ministre en 1944, était anti communiste. Sous la pression soviétique, Michel est obligé de nommer un premier ministre plus compatible avec Moscou, Petru Roda. Ceci permet aux communistes de truquer les élections générales de novembre 1946 pour se positionner comme vainqueurs. Comme le disait Staline, en démocratie, le plus important dans une élection est celui qui compte les bulletins. Les opposants politiques sont persécutés, emprisonnés ou éliminés. Enfin, le 30 décembre 1947, avec l’installation de la guerre froide, le roi Michel est forcé d’abdiquer et de quitter le territoire roumain. On peut considérer cette date comme étant celle où le communisme prend totalement le pouvoir en Roumanie. Les troupes soviétiques resteront stationnées sur le sol roumain jusqu’en 1958. Le roi Michel a raconté ensuite comment Petru Roda l’avait menacé de tuer jusqu’à 1000 étudiants détenus en prison si jamais il refusait d’abdiquer. L’homme fort des communistes roumains, qui prendra d’ailleurs le pouvoir après le départ de Michel l’aurait même menacé directement avec une arme pour le convaincre d’abdiquer. La famille royale roumaine se stabilisera en Angleterre jusqu’à la révolution de 1989. Les autorités roumaines ne leur donneront le droit de revenir en Roumanie qu’à partir de 1997. Il mourra en 2017 d’une leucémie et d’un cancer de la peau.

Instauration du communisme et rôle de la maçonnerie dans le processus

Revenons à la Roumanie communiste. Les communistes proclament une République populaire. Les communistes ont toujours martyrisé le peuple au nom du peuple. Pour que les choses soient totalement claires pour tout le monde, il suffit d’étudier le profil de Mihai Sadoveanu pour comprendre ce qui se joue ici. Celui qui a présidé la réunion qui permit à la Roumanie de devenir république populaire était un antifasciste bien connu qui avait toujours été opposé à Charles II, aux légionnaires et à Antonescu. Mais c’était aussi et surtout le grand maître de plusieurs loges majeures de Roumanie. J’en ai parlé, si vous vous en souvenez, lors de la pseudo condamnation de la maçonnerie par Miron Cristea. Sadoveanu était vu comme l’un des chefs suprême de la maçonnerie roumaine, sinon son dirigeant principal. Comme cela, vous pouvez avoir la certitude de qui travaille, pour quoi et pour qui.

Le communisme roumain a connu deux grandes phases historiques : la première sous la domination de Gheorghe Gheorghiu-Dej, entre 1947 et 1965, date de sa mort, et la deuxième, plus connue de nous, sous la domination de Nicolae Ceaușescu, de 1965 à sa mort le 25 décembre 1989 du calendrier grégorien.

Eléments biographiques sur Georghe Dej

Commençons par Gheorghe Gheorghiu-Dej. Il est né en 1901 à Bârlad. Militant communiste de toujours, il fait exécuter ses deux concurrents les plus importants Ștefan Foriș en 1946 (dont il enverra l’épouse en asile psychiatrique jusqu’à la rendre folle) et Lucrețiu Pătrășcanu dans une première grande purge en 1948. Il supervise directement la création de camps de travail servant à rééduquer les opposants au communisme, au premier rang desquels on trouve les légionnaires, mais aussi les communistes purgés par un Dej qui voit énormément de complots. Après la mort de Staline en 1953 il purge Ana Pauker, une figure de premier plan du régime, qui avait toujours eu le soutien du tyran. Juive, elle tombe dans une purge pour lien avec le sionisme, une accusation qui n’était pas totalement fantaisiste. Pauker faisait partie de cette première génération de sionistes d’extrême gauche. Une dernière grande purge aura lieu en 1957 où Dej fait tuer des vieux compagnons de lutte, dans un schéma assez classique dans les régimes communistes.





La prison de Pitesti

Depuis la chute du communisme et l’ouverture des archives nous avons une idée assez claire de la violence et de la cruauté du régime communiste roumain. Les crimes de ce régime sont innombrables, mais je vais en prendre trois. Le premier sera le plus marquant émotionnellement. Soljenitsyne, devant les témoignages avait déclaré en 2010 que Pitești constituait « le plus terrible acte de barbarie du monde contemporain ». La droite roumaine depuis 1989 a voulu insister sur cette abomination qui eut lieu à Pitești et voulu faire des anciens détenus des sortes de héros roumains de la lutte anticommuniste. L’institut Elie Wiesel, un juif roumain qui a dédié sa vie à la perpétuation de la mémoire de l’holocauste, a inexplicablement cherché à lutter contre cette tendance, afin que la mémoire collective reste bien centrée sur l’holocauste. Comme si l’esprit humain n’avait pas de place pour plusieurs chagrins et plusieurs empathies. Peut-être le zèle d’Elie Wiesel peut se comprendre si l’on commence à creuser la réalité de son témoignage et de sa propre déportation. Mais revenons au sujet, et aux souffrances bien réelles des prisonniers de Pitești. Certains historiens pensent qu’Ana Pauker et les tenant de la ligne stalinienne sont à l’origine de cette expérience de lavage de cerveau cherchant à reconditionner les opposants. Ce que l’on sait est que cette expérience pris fin après que Pauker disparu lors d’une purge orchestrée par Dej. Elle est en tout cas initiée par un haut responsable de la Securitate, Alexandru Nicholschi, un juif de Bessarabie dont le vrai nom est Boris Grünberg, et par un ancien détenu de la prison, Eugen Turcanu. Les violences sont diverses : être battu jusqu’à l’inconscience avec des barres de fer, électrocution des parties intimes, privation de sommeil, viols, exposition à des températures extrêmes, obligation d’ingérer ses propres excréments ou ceux des autres détenus, piqures sous les ongles, injection de substances chimiques ou pharmaceutiques, les simulations de noyade. L’originalité si je puis dire venait du fait que les prisonniers étaient appelés à torturer d’autres prisonniers pour échapper eux même aux tortures, ce qui brisait tous les liens psychologiques entre détenus. Il ne faut pas croire que ceci était une violence aveugle et brutale. Il s’agissait au contraire de quelque chose de très précis. Il y avait en tout trois stages à franchir pour que le lavage de cerveau soit complet. La première étape consistait à avouer ses propres crimes. Pour passer cette étape, on imagine combien ont avoué des crimes imaginaires. Ensuite, la seconde étape consistait à dénoncer les crimes des autres, ou leur comportement déviant. Et enfin la troisième étape consistait en une suite d’humiliations qui ne prenaient fin que lorsque le prisonnier pouvait réciter la langue de bois communiste de façon jugée adéquate. Cette troisième étape était particulièrement riche en symboles religieux qu’on pourra regarder ici avec une attention accrue : le baptême à Pitești consistait en deux variantes principales ; soit une immersion dans de l’eau glacée pendant de longues minutes, soit une immersion dans des bassines remplies d’urine et d’excréments. Dans les deux cas le « baptisé » était immergé jusqu’à la proche noyade, puis on lui permettait de respirer un instant avant de le replonger et ainsi de suite. On demandait en signe de rééducation réussie à des chrétiens de profaner des icônes en urinant dessus ou en piétinant des croix. On faisait faire aux séminaristes et aux membres du clergé des liturgie où l’urine remplaçait l’eau bénite et où les matières fécales remplaçaient l’encens. La liturgie devenait le lieu de la proclamation publique de blasphème de la part des prisonniers, afin d’éviter des tortures supplémentaires. Les prisonniers devaient également lécher les bottes des gardiens en les appelant Dieu. Je finirai cette évocation de l’indicible en parlant des prisonniers dont le corps était de multiples fois brûlés avec des cigarettes, et qui perdaient de grandes parties de peau. On leur demandait d’écrire des confessions où ils mettaient en lumière les comportements déviants au sein même de leur famille. Deux prisonniers réussirent à se suicider comme seul échappatoire à cet enfer, ce qui conduisit les gardiens à mettre en place des sécurités supplémentaires afin que nul ne puisse échapper au programme de rééducation.

Les communistes eux même condamneront à mort Turcescu, le criminel bourreau en chef et fermeront le programme jugé trop violent et probablement inefficace. La prison de Pitești n’a pas été fermée et est restée un rouage de l’appareil pénitentiaire communiste le plus effrayant mais sans cette intensité dans la barbarie. Après la chute du communisme, la prison a été vendue et démolie et les lieux de ces crimes n’existent plus aujourd’hui.

La déportation des germanophones de 1951

Le second des trois crimes que j’ai choisi pour illustrer ce que fut le communisme en Roumanie est la déportation des minorités allemandes qui eut lieu en 1951. Elles s’inscrivent dans la volonté de détruire toute bourgeoisie en Roumanie. Ces minorités allemandes se trouvaient plutôt en Transylvanie, et étaient plutôt aisées, dans des positions de domination économique dans une logique capitaliste. Ces minorités allemandes étaient souvent de gros propriétaires terriens et le régime communiste mettaient en place tout un cadre d’expropriation et de collectivisation des terres. Ils ont aussi payés collectivement les liens de certains avec le nazisme pendant la seconde guerre mondiale. Les communistes déportèrent donc environ 40000 personnes depuis la Transylvanie, principalement la région du Banat, vers les plaines du Bărăgan, à l’est de Bucarest, qui sont connues pour être une zone ingrate et inhospitalière du point de vue agricole. Parmi ces déportés il y avait également des opposants et d’autres minorités ethniques comme les serbes ou les macédoniens. Les gens, partis à la hâte arrivèrent avec presque rien, et durent survivre dans des camps de travail forcés, avec aucun abri. Ils souffrirent de la chaleur accablante de l’été, de la rigueur de l’hiver, de malnutrition et se bâtirent des abris de fortune, parfois des trous dans la terre. Les historiens dénombrent 1700 morts dont 174 enfants.

Ceaușescu lui-même en 1972 a critiqué ces déportations de Bărăgan. Il ne faudrait pas croire pour autant que l’arrivée au pouvoir en 1965 de Ceaușescu marque un adoucissement du régime. Si Dej était un stalinien classique totalement aligné sur Moscou, Ceaușescu marque une forme d’originalité dans le bloc soviétique. Il critique l’invasion russe de la Tchécoslovaquie en 1968, signe des accords de partenariats économiques avec des pays occidentaux et reçoit même le président américain Nixon en 1969. Il choisit un non alignement entre Moscou et Pekin lors de la guerre froide des années 70 entre les deux géants communistes. Mais il n’en reste pas moins un tyran communiste assez classique avec culte de la personnalité et système de surveillance omniprésent. Il se faisait appeler « génie des Carpates » ou « grand architecte de la construction du socialisme ». Des poèmes, des chansons et des pièces de théâtres étaient régulièrement écrites et produites à sa gloire. Le palais du parlement à Bucarest, qu’il avait nommé « maison du peuple » montre son goût pour les projets architecturaux monumentaux. Sa femme Elena était présentée à la population comme une savante de renommée internationale, bardée de diplômes du niveau doctoral avec une expertise particulière dans le domaine de la chimie. Elle a même fait publier des travaux scientifiques sous son nom. En vérité, les deux n’avaient pas le bac et Ceaușescu avait juste une formation d’apprenti cordonnier. Ils sont représentatifs de cette société du mensonge, où le pouvoir ment, où la population sait que le pouvoir ment, le pouvoir sait que le peuple sait, mais tout continue parce que la Securitate est là, pour éliminer ceux qui auraient un goût immodéré pour la vérité.

La surveillance généralisée de la Securitate

Ceci nous amène au troisième crime pour saisir ce que fut le communisme en Roumanie : la surveillance généralisée mise en place par la Securitate. On frémit à l’idée de ce que cela aurait pu être avec les moyens technologiques actuels. Il s’agissait de la police politique secrète, avec pour nom officiel « département de la sécurité de l’état » « Departamentul Securității Statului ». Si on veut faire court, c’était le KGB roumain. Elle est d’abord dirigée par Alexandru Nicholschi, vous savez celui qui mettra en place le plan de lavage de cerveau de la prison de Pitești. Il commence par purger tous ceux qui dans la police politique avaient travaillé pour Charles II ou pour Antonescu. Puis c’est Gheorghe Pintilie, un autre juif de Bessarabie qui prend la suite de Nicholschi. On se demande si être juif de Bessarabie n’est pas une forme de piston pour diriger la police politique roumaine sous les communistes. Ils mettent en place un système d’écoutes généralisées et arrivent à un fonctionnement où chaque agent s’occupe de vérifier la vie de 43 roumains. Le courrier était intercepté, vérifié puis expédié. Ils avaient fait placer des microphones d’écoute dans les lieux publics importants, dans les hôtels, dans les restaurants. Ils avaient tout un réseau d’informateurs parmi la population et l’on ne savait jamais si l’on ne se confiait pas à un informateur de la Securitate. Chaque informateur avait un dossier à la Securitate et devait lui-même réaliser des dossiers sur ceux qu’il surveillait et dont il pressentait une défiance envers le régime. Les artistes et les intellectuels étaient sous une surveillance particulièrement accrue. Tout ceci a créé un climat de terreur jusqu’à la chute du communisme en 1989. Après Pintilie, c’est Ion Stănescu qui dirige la Securitate de 1965 à 1972. Après la révolution il sera un des membres fondateurs du PSM, parti socialiste des travailleurs qui intégrera ensuite le parti de gauche principal actuel, le PSD. Il mourra en 2010 d’un accident. Tous ses successeurs n’auront pas la même impunité, Dieu merci, ainsi Tudor Postelnicu qui fut le dirigeant de la police politique de 1978 à 1987 qui sera condamné à perpétuité pour ses crimes. L’ultime dirigeant de la Securitate, Iulian Vlad, fut lui aussi condamné à 25 ans de prison à la chute du régime, mais fut gracié au bout de 4 ans. Il est mort en 2017 à Bucarest. On voit que certains, étant donné la gravité de leurs crimes, se sont plutôt bien sortis des mailles du filet. Pourquoi ? on ne peut que conjecturer bien évidemment. Vu leur fonction, ces gens-là avaient des dossiers. En fait ils avaient les dossiers de tout le monde. Il ne faut pas être naïf sur la révolution roumaine de 1989. Une partie de l’armée et de la Securitate a changé de camp pour la rendre possible. Ceux qui tuent Ceaușescu, d’une certaine façon ne valent pas mieux que lui. Et c’est ensuite cette nomenklatura communiste qui s’est mélangée de façon très opportune à ceux qui étaient d’authentiques anti-communistes. La révolution de 1989 est la rencontre d’une authentique aspiration populaire avec des manifestations monstres très courageuses quand on sait la nature du régime, et le calcul de dignitaires communistes qui ont lu l’actualité internationale de façon très intelligente. Le cordonnier et sa sorcière étaient trop stupides pour comprendre ce qu’il se passait.

Une fois ce portrait brossé, revenons maintenant à notre sujet principal : l’église officielle roumaine. Traçons un bilan de son action pendant le communisme. Et c’est un bilan plus que mitigé. En effet, nous sommes sur un spectre très large qui va des héros aux salops.