Histoire de l’Eglise Orthodoxe officielle de Roumanie - partie 4 - BOR sous le communisme


Le patriarche Nicodime en visite à Moscou

Commençons par une anecdote intéressante sur le patriarche Nicodime qui part en visite à Moscou en 1946 sous la pression du premier ministre Petru Voda. Nous sommes dans la campagne électorale où les communistes truqueront les résultats en novembre 1946. Staline aussi bien que Voda veulent montrer un rapprochement des deux synodes russes et roumains. Staline est conscient après la seconde guerre mondiale qu’avoir une église marionnette est bien plus utile que de n’en avoir aucune. Les communistes roumains sont alignés mais à cette époque, la Roumanie est encore une monarchie et Nicodime n’est pas comparable au patriarche Alexis de Russie. Il dispose encore d’une certaine latitude de mouvement. Cette anecdote provient de l’ouvrage de la chercheuse bulgare Daniela Kalkandjieva sur l’histoire de l’église russe sous le communisme. Nicodime devait aller en Russie depuis 1945 mais il repoussait sans cesse. Un ministre communiste lui mettant la pression, il lui répondit qu’il ne recevait pas d’ordre d’un ministre. Puis devant la pression grandissante, il se retrouve en Russie et là, assiste par hasard à une scène incroyable : les dignitaires russes avec qui il avait parlé dogmatique et pastorale pendant deux jours, il les surprend par hasard, en les observant de loin, en train de se démaquiller et de se rhabiller en civil : les barbes étaient fausses, les moustaches étaient fausses. Ce n’étaient que des agents russes déguisés en prélats. Ceci n’empêche pas les deux évêques qui l’accompagnent, Justinien Marina et Nicolae Popovici, les deux évêques les plus en vue pour lui succéder, de déclarer qu’il est naturel que Moscou prenne les rennes du monde orthodoxe dans le cadre de la lutte contre le catholicisme. Nicodime, est très triste de cela, car de son côté il préparait, dans la foulée de Miron, l’union entre le Vatican et le synode roumain. Dixit la chercheuse bulgare. Elle parle même d’un poste de cardinal d’Orient, où Nicodime aurait pu convaincre ses homologues de le rejoindre dans l’union. Mais finalement les pressions politiques l’emportent : tous les accords déjà signés avec le Vatican sont dénoncés. Ce projet est confirmé par l’historien Christian Vasile dans son ouvrage « entre le Vatican et le Kremlin ». Nous avons donc ici un patriarche roumain qui négocie directement le ralliement avec Rome. Mais la géopolitique russe vient empêcher cela, car le Vatican étant dans le camp occidental, ce rapprochement est rendu impensable par le communisme. Puis Alexis vient en visite en 1947 en Roumanie. Il évoque l’idée de Staline de la création d’un Vatican orthodoxe, bien évidemment basé à Moscou, et dont les évêques roumains devraient naturellement être membres. Nicodime, excédé par les remarques des russes pendant le voyage leur demande alors pourquoi ce Vatican orthodoxe devrait être à Moscou et pas à Bucarest. Un dignitaire communiste roumain lui répond un énigmatique mais néanmoins inquiétant : « n’aie pas peur, où qu’il soit tu ne le verras pas ». Autre provocation pour les communistes, bien que soutien inconditionnel du roi Michel, il garde un portrait d’Antonescu dans son bureau. La démission et le départ du roi sera un coup dur pour lui. Il présente sa démission, mais elle est refusée. Nicodime est trop apprécié de la population. Il décède finalement à 83 ans, le 27 février 1948, des suites d’une pneumonie. Les circonstances de sa mort sont suspectes pour beaucoup. Nombreux ont parlé d’empoisonnement et se souviennent de la menace du dirigeant communiste à sa bravade anti russe.

Le bilan du patriarche Nicodime

Il est difficile de faire le bilan de Nicodime car c’est un personnage contrasté. Sur les vétéro calendaristes et sur les négociations avec le Vatican pour le rapprochement des deux structures ecclésiales, il perd bien évidemment toute crédibilité dogmatique et a une part d’ombre très importante. Mais on ne peut pas ne pas lui reconnaître une forme de courage voire de panache face aux communistes avant sa mort. Nicodime, lui au moins est resté fidèle à ce qu’il pensait, même si ce qu’il pensait n’était pas très orthodoxe. Nous verrons cela avec le cas de l’inénarrable pilier de la dogmatique roumaine, l’immense théologien Dumitru Staniloae. Nicodime au moins n’a pas fait de laïus à la gloire du communisme. Certains ont voulu lui chercher des poux dans la tête au niveau de l’antisémitisme. Ils confondent déclarations et actions, comme toujours avec ceux qui ne comprennent rien à l’histoire et au réel. Les déclarations sont parfois violemment antijuives, mais il s’oppose à Antonescu lorsque celui-ci veut interdire le baptême et donc la conversion des juifs. Il s’oppose également à lui lorsqu’il a voulu, en suivant la logique allemande, que les juifs portent l’étoile jaune. Il a également accompagné le métropolite Balan lorsque celui-ci a sauvé des dizaines de milliers de juifs de Transylvanie.

Staniloae et le communisme

Staniloae sentait très bien le vent tourner. En février 1945 lorsque Staline fait Alexis patriarche de Russie, il écrit « la hiérarchie orthodoxe, rassemblée en un seul lieu, passe de la défensive à l’offensive contre le catholicisme dont ont tant souffert les peuples orthodoxes, qui se trouvaient jusqu’à récemment dans des situations politiques défavorisées ». Staniloae pouvait passer du pro légionnarisme à propagandiste d’église en temps de guerre froide, comme ça. En un simple clignement d’œil. C’est peut-être cette capacité impressionnante qui fait dire à ce synode qu’il était le meilleur d’entre eux. Car je vous rappelle que la seule orthodoxie de cette église, c’est de n’en avoir aucune.

Staniloae avait bien compris où étaient les nouveaux maîtres de la Roumanie : en Russie. Nombre de dignitaires communistes roumains étaient d’ailleurs des espions russes. Il écrit en juin 1945 : « L’État et l’Église orthodoxe russe ont désormais derrière eux une lutte commune, un procès et une mémoire coûteuse, qui seront source de compréhension mutuelle. L’État soviétique a quitté l’ère des frontières fermées. Il entretiendra désormais des relations vives avec les autres nations et souhaite jouer un rôle dans la politique mondiale. Pour cela, il est nécessaire et naturel d’utiliser tous les ponts qui peuvent être utiles pour se rapprocher des âmes des autres peuples. L’orthodoxie en fait partie. L’État soviétique a connu au cours de ces 27 années la vitalité de la foi religieuse, ainsi que sa contribution positive à la grande œuvre du progrès social. Et comme le régime communiste est un régime réaliste, qui prend en compte et utilise toutes les forces réelles et durables, sans être perturbé par la dialectique de l’évolution historique, il y a de fortes raisons de croire qu’il persistera sur la voie du développement et de l’approfondissement harmonieux des relations avec l’Église. ». Malgré ces déclarations de soumission intellectuelle, Staniloae sera arrêté et emprisonné entre 1958 et 1963. Il passera 5 années en prison dans des conditions difficiles. Il apprendra dans sa chair que pactiser avec le Diable ne vous apporte rien au final. Pendant cette période qui marque la phase la plus dure du régime sous la domination de Dej, beaucoup de figures religieuses sont emprisonnées. On est dans cette phase paranoïaque délirante où le régime tyrannique ne voit plus que des ennemis partout, comme on a pu le constater à maintes reprises, et la première fois sous la révolution française, matrice de toutes les tragédies communistes.

BOR et le communisme

Bien évidemment BOR fut grandement limitée dans son organisation et dans son fonctionnement par les communistes. Ce sont eux qui ont imposé des nouvelles règles : une structure locale doit avoir au minimum 750 000 croyants. Ceci a totalement redessiné la carte des diocèses. L’éducation religieuse fut interdite à l’école. Les écoles confessionnelles furent déclarées illégales. Les instituts de théologie furent fermés. Il ne resta plus que ceux de Sibiu et Bucarest. On ne compte pas les dégradations sur des croix et des icônes que l’on peut imputer aux communistes. Ceux-ci ont donc commencé de façon très hostile jusqu’à ce que tombe cette étude de la Securitate : 76% de la population roumaine se considère religieuse. Si on détruit BOR les gens iront pour beaucoup chez les catholiques.

Lors de la grande vague de collectivisation des terres, BOR a perdu énormément de foncier. Elle n’a pu conserver que les églises en tant que bâtiment. Paradoxe du communisme, Petru Groza a donné aux prêtres ce qu’ils attendaient depuis des années sans l’obtenir des gouvernements précédents : l’égalité salariale avec les professeurs. Groza était lui-même fils de prêtre, et il a pu se souvenir de la quasi misère du clergé de terrain.

Autre aubaine inattendue pour BOR : la vision particulière nationaliste des communistes roumains les ont amené à considérer que toutes les autres organisations religieuses en dehors de BOR n’étaient pas roumaines. Les communistes, et nous tenterons une explication plus loin, ont finalement considéré que la Roumanie était par essence orthodoxe, et qu’une Roumanie sans BOR n’était pas la Roumanie. Par contre, ils ont considéré qu’une Roumanie sans sectes néo protestante ou sans présence gréco-catholique restait la Roumanie, et que ces organisations religieuses étaient le bras de l’occident et du capitalisme. Et BOR s’est donc retrouvé dans cette situation paradoxale : ce n’est pas par la sainteté de ses membres ou par l’évidence de sa doctrine que BOR allait s’imposer sur les autres religions en Roumanie, c’est parce que les communistes allaient détruire, ou tout du moins essayer de détruire ces autres religions, pour la plupart dans l’orbite chrétienne.



Éléments biographiques du patriarche rouge : Justinian Marina

C’est Iustinian Marina qui devient patriarche de BOR après la mort de Nicodime. Voyons un peu la biographie de ce triste personnage. Ioan Marina de son vrai nom, est né en février 1901 à Suiești, dans le județ Vâlcea. Il nait dans une famille de prêtres et est naturellement envoyé à l’âge de 15 ans dans un séminaire. En 1923 il en sort avec le titre de professeur. Il enseigne pendant un an dans une école primaire puis est fait prêtre et est envoyé à la faculté de théologie de Bucarest. Il obtient sa licence de théologie en 1929. Mgr Stanescu, celui qui avait détourné 15 millions de lei et s’était enrichi sur le site de Maglavit, reconnait en lui certaines qualités et le fait prêtre de Ramnic. Nous sommes en 1932. Il officie maintenant à la cathédrale épiscopale de la ville. En 1935 il perd sa femme, âgée de 27 ans. Il choisit de ne pas se remarier et d’élever seul ses deux enfants. Le hasard le fait rencontrer Gheorghe Dej en 1944, lorsqu’il lui offre l’abri, alors que celui-ci est poursuivi par les hommes d’Antonescu après son évasion de la prison de Craiova. Un des évadés qui accompagne Dej a témoigné plus tard en ces termes : « Après avoir dépassé Craiova, à environ 30 kilomètres de là, nous nous sommes arrêtés dans un village où nous avons été hébergés par un prêtre qui était également un communiste. ». Dej et Marina deviennent amis. C’est Dej qui va ensuite faire l’ascension de Marina une fois arrivé au pouvoir. Première étape : lorsque le métropolite de Iasi demanda à avoir un assistant au ministère des cultes qui organisait toute la vie administrative de BOR, c’est Marina qui est proposé. Il est fait évêque vicaire en juillet 1945 et reçu dans le monachisme en août 1945. On voit là toute la souplesse canonique de ce merveilleux synode, toujours prêt à réaliser une économie pour le bien des croyants. En 1947, lorsque le métropolite de Iasi, Mgr Mihalcescu meurt, c’est naturellement Marina qui est proposé pour prendre sa suite. Dej avait donc placé un homme à lui à la tête de BOR. C’était d’autant plus évident pour les communistes de considérer que BOR était à eux. Le 6 juin 1948, Marina présente son programme en tant que patriarche : la formation du clergé à l’esprit de l’Orthodoxie et aux exigences de l’époque ; la restauration du monachisme roumain ; la réorganisation de l’enseignement théologique ; l’abolition de l’Église roumaine unie à Rome et l’intégration des fidèles de cette Église dans l’Église orthodoxe roumaine ; le renouement des liens fraternels avec toutes les Églises orthodoxes ; et enfin la promotion des relations œcuméniques avec les églises chrétiennes. Il a le soutien de l’influente Ana Pauker et Vasile Luca, en plus de celui de Gheorghe Dej. Soutenu par un orthodoxe, un athée et une juive, c’est presque un patriarche œcuménique…

Le nouveau patriarche Iustinian réalise donc le tour de force d’accompagner l’état communiste roumain dans la destruction des églises uniates et romaines de Roumanie mais d’être en faveur des relations œcuméniques. Dans ce cadre, il réalise un grand appel officiel à Cluj en octobre 1948 et il obtient la conversion d’environ 20 000 prêtres catholiques, sous le regard bienveillant du ministère de l’intérieur qui organise la cérémonie. Nous sommes ici dans les cimes les plus hautes de l’orthodoxie. Sous son patriarcat de collaboration avec les communistes, 302 églises ont été construites de toutes pièces, 2 345 autres églises ont été réparées ou restaurées, dont 999 monuments historiques, et parmi elles 128 monastères, ermitages et autres établissements monastiques. En plus des églises nouvellement construites et décorées de peintures, les peintures ont été restaurées dans 271 autres églises. Ceci est le gain qu’il a obtenu pour sa collaboration. Nous verrons qu’il y a eu d’autres récompenses bien terrestres.

Éloge du patriarche Justinian par BOR

Il meurt en 1977, dans le monastère Radu Voda de Bucarest qui fait une biographie très élogieuse du patriarche. Son tombeau s’y trouve encore aujourd’hui. Un texte rédigé en 2001, donc sans aucune pression communiste d’aucune sorte, texte issu de BOR, déclare tout de même sur le patriarche Iustinian : « On ne peut pas parler du patriarche Justinien Marina sans évoquer le grand travail législatif de l’Église qui établit le cadre juridique pour l’exercice de l’activité de l’Église, dans l’esprit de la tradition et des canons, la réorganisation de l’enseignement théologique moyen et universitaire, expulsé du système étatique, et son adaptation aux conditions imposées par le pouvoir communiste, afin de poursuivre la formation des ministres de l’Église, le développement de l’activité d’édition théologique à travers l’édition et l’impression de nouvelles revues et livres de théologie et de culte de haut niveau, la réorganisation du monachisme roumain , malgré la tentative de l’abolir, à travers des décrets de l’État, la canonisation des premiers saints roumains, l’orientation du clergé vers le service social des fidèles, incarné dans « l’apostolat social », l’encouragement et le développement de la compréhension entre les cultes en Roumanie, à travers l’œcuménisme pratique local, ainsi que le développement des relations avec d’autres Églises et cultes ou confessions chrétiennes, au sein du mouvement œcuménique, la réorganisation de l’imprimerie et des ateliers d’objets ecclésiastiques, la bonne gestion des biens ecclésiastiques, la discipline du clergé, la création de la maison de retraite de l’Église orthodoxe roumaine, la création de maisons de repos et de sanatoriums ainsi que de maisons de retraite pour personnes âgées, la restauration de nos monuments religieux, monastères et églises paroissiales, l’organisation de la diaspora orthodoxe roumaine, préservation de l’unité de l’Église orthodoxe roumaine et du Saint-Synode et autres. ». Nous verrons en détail ce qu’est l’apostolat social, car au cœur de toutes les collaborations de ce communiste en soutane, le plus grave est peut-être celle-là : la justification théologique de la collaboration avec les communistes. BOR a travaillé avec Satan, et a justifié de travailler avec Satan en prenant à témoins les Saintes Ecritures et la Tradition de l’Eglise. C’est absolument inouï. Et aujourd’hui, il est impossible d’entendre un discours de vérité sur cette crapule en dehors des travaux des historiens.

La face cachée du patriarche

Déjà, ce que tout le monde peut constater sans avoir recours à des archives nouvelles : Iustinian a remis sur pieds des séminaires, certes, mais où était enseigné le marxisme léninisme au côté de la théologie dogmatique, et cet enseignement a été systématisé dans tous les monastères de Roumanie. La monastère Radu Voda loue les qualités humaines et spirituelles de Marina en termes élogieux, mais oublie malheureusement ces détails qui éclairent la personnalité du patriarche : il ne se déplaçait qu’en voiture de luxe, une Buick que lui avait mis à disposition Dej. Il partageait cet intérêt pour les voitures de luxe avec Ana Pauker, cette dirigeante communiste dont nous avons déjà parlé, communiste certes, mais tout le temps habillée en vêtements occidentaux de luxe. Il est tellement plus exaltant de parler du prolétariat dans une limousine et habillée en Dior ou en Chanel. Marina était plus intéressé par les meubles. Il s’était fait fabriquer des meubles de luxe pour une valeur de 600 000 lei et imposait à tous les prêtres qui le croisaient de tomber à genoux pour lui baiser la main. Il était en outre propriétaire d’une résidence d’une valeur de 2.5 millions de lei aux environs de Bucarest. Il avait installé sa maîtresse, une jeune femme docteur de 27 ans directement au palais patriarcal. Probablement prenait-il sa santé très au sérieux. Après le décès de sa femme il avait d’ailleurs entamé une carrière de Don Juan. Il semble apprécier les riches veuves. Emprunt de ce besoin tout roumain d’aller régulièrement se ressourcer dans les monastères, Marina allait souvent dans un monastère de Moldavie, dont la moniale higoumène était une autre de ses maîtresses et qu’il avait mis à cette position. Il est également question d’orgies et de beuveries au schite de Dragoslavele. Pour terminer le portrait, les archives de la CIA confirment que Marina a été et est toujours resté membre du parti communiste roumain.

Les gogos vous diront qu’il a lui-même subi les foudres du parti en 1959, et qu’il a aussi goûté sa part de souffrances. Il se serait même opposé au régime concernant la répression subie par les moines, et mis en résidence surveillée pendant 6 mois. Certes. Mais c’est le lot de tous les processus révolutionnaires de dévorer même ceux qui participent à leur mise en place. Pourtant Marina, surnommé à juste titre le patriarche rouge avait déclaré : « L’homme nouveau est l’homme soviétique, donc le Christ est soviétique ! »



Le parcours de Nicolae Steinhardt

Marina était une crapule communiste, et comme ses deux prédécesseurs, n’avait en aucun cas l’étoffe ou le mérite nécessaire pour être patriarche. Mais il ne doit pas cacher ceux qui agirent de façon admirable, car ce portrait se doit d’être juste et équilibré. Un des plus emblématique et intéressant me semble être le père Nicolae Steinhardt. De ce que j’ai pu constater, il jouit d’un grand crédit en Roumanie. Son témoignage peut être lu dans son livre « le journal de la félicité » qui montre comment, en 1959, lors d’une campagne de purge qui touche les intellectuels, il avait refusé de faire un faux témoignage pour incriminer une connaissance à lui qu’il avait rencontré pendant ses études, Constantin Noica, un intellectuel que le régime cherchait à faire condamner. Pour cette attitude, il est condamné et interné pendant 12 ans dans le camp de travail de Jilava. Juif athée, il déclare dans son livre avoir été impressionné par la haute tenue et la rigueur morale des gens internés ici et qu’une irrépressible envie de leur ressembler l’a poussé à vouloir devenir chrétien, puisque ces gens essayaient de suivre le Christ. Qui fréquente-t-il dans cette prison ? des légionnaires, des fascistes affiliés à Antonescu – son parrain sera d’ailleurs l’ancien chef de cabinet d’Antonescu – des moines orthodoxes, deux prêtres orthodoxes, des prêtres greco catholiques et un protestant. Il est baptisé dans la prison assez rapidement après avoir été catéchisé par ses co détenus. Libéré en 1964, il deviendra hiéromoine orthodoxe dans le monastère Rohia dans le Maramures. Son journal est très intéressant à lire, très émouvant sur toute cette période d’incarcération et de découverte du christianisme. C’est une pilule rouge nécessaire pour beaucoup, lorsque Steinhardt décrit ses sympathies légionnaires. Cela permet de sortir des orientations modernes et bien pensantes véhiculées par les historiens. La façon dont Steinhardt décrit comment ces personnes qui étaient censées lui être hostile ont été les personnes les plus douces, les plus accueillantes et les plus humaines qu’il ait jamais pu rencontrer est édifiante. L’expérience qu’a faite Steinhardt n’aurait pas été possible si il avait été emprisonné dans un enfer comparable à Pitești, mais Steinhardt nous montre que dans des prisons simplement très dures si je puis dire, des expériences chrétiennes profondes étaient possibles. Steinhardt mourra en 1989 et n’aura malheureusement pour lui pas le temps de savourer une Roumanie débarrassée de cette dictature.

Le cas Valeriu Gafencu

On ne sera pas étonné de voir parmi la liste des gens liés à BOR et qui furent irréprochables dans leur attitude au communisme Valeriu Gafencu. Le Père Steinhardt l’avait surnommé le saint des prisons. Gafencu avait rejoint la légion dès l’âge de 16 ans. Emprisonné à Aiud, une autre prison renommée pour sa dureté dans le système carcéral communiste, Gafencu a une crise mystique en prison, et avec quelques compagnons de détention il constitue un groupe de jeûne et de prières. C’est une sorte d’hésychasme adapté au système concentrationnaire communiste. Les prêtres orthodoxes de BOR incarcérés en même temps que lui le jugeront négativement, lui reprochant d’exagérer, d’avoir du sectarisme. Ces prêtres sans panache et sans étoffe, ces petits fonctionnaires étriqués de la foi, sont l’inévitable produit d’une église dont le synode est truffé de maçons ou de bolchéviques. Rien d’anormal, et c’est plutôt encourageant pour Gafencu d’être rejeté par les médiocres et les petits. Gafencu sera envoyé de prisons en prisons pour l’isoler de ses groupes de prières. Il mourra de tuberculose en 1952 sans avoir jamais renié son appartenance au mouvement légionnaire malgré les tortures que l’on peut imaginer. Gafencu est le représentant le plus emblématique de cette catégorie de roumains qui furent appelés « les saints des prisons ». Par une raison que je m’explique très bien mais que les historiens modernes ont du mal à expliquer, tous les saints des prisons étaient des légionnaires ou des sympathisants d’extrême droite. Ainsi, l’historienne Monica Grigore de rappeler au peuple, cette masse grouillante et stupide incapable de bien penser que, je cite « La dévotion aux « reliques » des « saints de prison » introduit, dans la religion vécue des pèlerins, des « saints » porteurs de valeurs anticommunistes, qui brouillent la nature violente et oppressive du fascisme. De cette manière, la religion vécue par les détenteurs de la religion officielle et les femmes devient un moyen par lequel les valeurs de l’extrême droite entrent dans la vie quotidienne ».

Les greco-catholiques dans les geôles communistes

Dans ces mêmes prisons, les seuls orthodoxes qui se soient comportés héroïquement face au communisme, ont pu côtoyer certains greco catholiques qui n’avaient pas voulu répondre à l’appel à la conversion du patriarche Iustinian. D’une façon totalement incompréhensible, ils n’avaient pas voulu rejoindre le patriarche dans sa buick, ce patriarche avec sa maîtresse directement installée dans le palais patriarcal. C’était probablement des gens un peu frustres, incapables de voir la beauté des meubles à plusieurs centaines de milliers de lei du patriarche ou de sa propriété à plusieurs millions. Ils n’avaient pas su écouter les arguments théologiques de ce patriarche membre du parti communiste. C’est vraiment bizarre. Ils avaient donc préféré partir pour la sombre nuit des prisons communistes. Les deux plus emblématiques aux yeux de l’histoire semblent être le Père Vladimir Ghika et surtout l’évêque Iuliu Hossu, l’évêque du diocèse romain de Cluj-Gherla. Il sera interné dans différents endroits à partir de 1950. Il sera visité régulièrement par le patriarche Iustinian, par le futur patriarche Teoctist, ainsi que l’évêque Gerasime Cristea (à priori aucun lien avec Miron), qui avait révélé dans une interview en 2006, que nul ne pouvait être starets dans un monastère sans collaborer avec la Securitate. Les documents catholiques romains déclarent qu’Andrei Andreicut, l’actuel métropolite de Transylvanie s’était aussi essayé à la joute théologique avec l’évêque uniate. Egalement sans succès. Peut-être lui avait-il dit à lui aussi ce qu’il avait déclaré une fois en venant visiter son troupeau de Bistrita : l’AT c’est pour les juifs, cela ne sert à rien de le lire. Le chrétien a tout ce dont il a besoin dans le NT. Hossu, on le comprend n’a pas voulu rejoindre ces pitres de BOR.

BOR et les uniates sous le communisme

Et Hossu nous emmène à un autre grand crime de BOR pendant la période communiste. La participation à la destruction de l’église uniate et de l’église romano catholique roumaine. Non pas que le catholicisme romain dans ces deux variantes historiques ne doive pas être combattu, comprenez-moi bien. Mais on ne combat l’erreur théologique qu’avec la théologie. On ne met pas les hérétiques dans des camps de travail. Et surtout on ne s’allie pas avec le diable pour nous débarrasser de notre adversaire. Il existe d’ailleurs aujourd’hui tout un contentieux foncier entre BOR et les catholiques roumains : des terrains et des bâtiments perdus par les uniates pendant le communisme ont été récupéré par les orthodoxes officiels. Tout n’a pas été rendu. BOR est donc aussi une église de voleurs.

On me dira qu’il est très orienté de ma part de voir un opportunisme anti catholique chez les orthodoxes officiels pendant la période communiste. Soit. La situation était complexe. Prenons un instant un regard empathique. Certains furent obligés de choses contre leur gré. Mais en ce cas, comment considérer l’absence complète, depuis maintenant 35 ans, de toute déclaration officielle à ce sujet de la part de BOR. Les cas de conflits judiciaires amenés devant les tribunaux montrent que les biens originellement catholiques et confisqués au profit des orthodoxes, sont défendus becs et ongles par les orthodoxes. On est au-delà du manque de panache. On est chez les gredins.

Et puis regardons les choses du point de vue de la mission pour l’orthodoxie en Roumanie aujourd’hui vis-à-vis des catholiques. La mission est impossible. Les catholiques se voient comme une église sortie des catacombes, une église de martyrs, purifiée et irréprochable. Lorsqu’un orthodoxe viendrait pour leur dire quoi que ce soit, il serait, et sera encore longtemps entaché par la souillure de la compromission et de la collaboration. L’orthodoxie, à cause de la lâcheté de BOR est devenue inaudible pour les minorités religieuses persécutées sous le communisme. Quel génie pastoral ! Quel gain inestimable.

Le cas Arsenie Boca et le choix de l’hésychasme

La seule chose que BOR puisse se targuer pendant cette période difficile est incarnée par Arsenie Boca. Immense figure religieuse en Roumanie, et surtout en Transylvanie, Arsenie Boca est né en 1910. Son père était uniate et c’est sa mère orthodoxe qui s’est assuré qu’il soit élevé dans la vraie foi. Il entre en 1929 à l’académie théologique de Sibiu grâce à une bourse obtenue à l’aide d’études scolaires réussies. Le métropolite Balan le remarque et lui accorde une bourse pour continuer à se former à Bucarest, une fois diplômé de Sibiu en 1933. Il étudie les arts jusqu’en 1938 et est considéré comme un élève exceptionnel. Il part au Mont Athos plusieurs fois pour y récupérer des manuscrits roumains de la philocalie. Il collaborera avec Dumitru Staniloae pour la traduction de ce trésor orthodoxe. Il est fait diacre en 1936 et c’est à l’issue d’une retraite à l’Athos en 1939 qu’il choisit le monachisme. Il devient starets du monastère de Sâmbăta de Sus. Lorsque les communistes prennent le pouvoir, ils voient d’un mauvais œil l’action que Boca a sur les foules. De grands pèlerinages sont organisés vers son monastère. Les services secrets d’Antonescu avaient déjà créé une fiche sur lui et les communistes le cataloguent assez rapidement comme ayant des sympathies légionnaires. Il est arrêté, interrogé et détenu plusieurs fois : en 1945, en 1948, en 1951 et en 1955. Les deux dernières détentions durent chacune un an. En 1959 la Securitate demande à l’évêque d’Arad de lui interdire de célébrer. Mgr Nicolae Corneanu s’exécute et bien que Boca ne soit pas excommunié formellement il n’a plus l’autorisation de célébrer. Boca était un hésychaste convaincu, et il est l’emblème de cette résistance intérieure pour laquelle ont opté nombre de roumains. La prière incessante, la prière du cœur comme réponse aux épreuves de la persécution. Pour ceux qui ne connaissent pas cette pratique orthodoxe, elle est fondée sur cet appel de l’Apôtre Paul « priez sans cesse » qu’il adresse dans sa première épître aux Thessaloniciens. Le grand théologien de l’hésychasme est saint Grégoire Palamas. L’arrivée de l’hésychasme en Roumanie tient à plusieurs choses : sa présence dans les écrits philocaliques traduits par Staniloae et Boca, son utilisation pratique et concrète par les mystiques russes, particulièrement au monastère d’Optina, et dont certains avaient fui la terreur bolchévique pour aller en Roumanie, revivifier le leg théologique de saint Paissy Vélichkovsky, un saint à cheval entre Russie et Roumanie, qui a fini sa vie au monastère de Neamts. Un représentant de cet exil intérieur dans la liberté offerte par l’hésychasme est Tudor Sandu qui fut arrêté aussi bien par les régimes d’extrême droite que par les communistes. La figure d’Arsenie Boca est encore plus représentative de cette ambiguïté de BOR, car s’il a manifesté des choses qui font indiscutablement penser à la sainteté, il y a d’autres choses, notamment son travail iconographique qui laisse dubitatif. Certains ont voulu y voir des traces d’hérésie. C’est probablement exagéré. Il est probable que Boca n’était ni un saint ni un hérétique, mais qu’il a authentiquement résisté au communisme, mais dans une dimension exclusivement spirituelle où l’hésychasme a joué un rôle important. Chaque année, des milliers de personnes se rendent en pèlerinage sur sa tombe au monastère de Prislop. Cette ferveur et cette piété populaire a poussé le synode roumain à se poser la question de sa canonisation en 2019. Ce n’est finalement que cette année, au côté de Dumitru Staniloae et 14 autres figures de BOR que le Patriarcat a officiellement canonisé le Père Arsenie Boca.

BOR victime du communisme

Si l’on veut une approche davantage statistique à l’opposition du clergé de BOR au communisme, on peut prendre les statistiques des historiens concernant l’épuration à l’intérieur de BOR : 1880 prêtres passèrent par des mesures coercitives plus ou moins violentes. 966 sont morts, ainsi que 614 chantres. La plupart furent accusé du crime de sympathie pour la légion. Il faut prendre ces chiffres avec des pincettes, car la paranoïa totalitaire communiste n’est pas forcément un bon indicateur d’une réelle opposition. Des gens neutres ont probablement eu la malchance de passer dans la broyeuse du système communiste. Jusqu’en 1958, les monastères étaient plutôt épargnés par la répression, de façon assez étonnante il faut bien l’admettre. En 1938, la Roumanie comptait 154 monastères avec 4100 moines. En 1958 la situation était de 191 monastères avec 6400 moines. La première approche du régime fut d’imaginer créer quelques grands monastères qui compterait des centaines voire des milliers de moines, de façon à faciliter le contrôle. Ils commencèrent par fermer tous les séminaires monastiques et à interdire l’entrée dans le monachisme pour les moins de 50 ans. Ceci fut décidé en 1955. Puis en 1958 commencèrent les expulsions. Ainsi en 1963, il ne restait plus que 78 monastères avec 2126 moines. Les communistes étaient particulièrement vigilants avec les monastères qui suscitaient une adhésion populaire via des pèlerinages. Les archives de la Securitate montrent que le futur patriarche Teoctist fut particulièrement actif dans la répression des activités monastiques. C’est ce que montrent les ouvrages de Christian Vasile, de Cristina Plamadeala, ou l’histoire du communisme en Roumanie de Berindei, Dobrincu et Gosu. J’ai bien évidemment à disposition toutes les références pour ceux qui ont du mal à avaler la pilule (Jens Schmitt p 279).

Justinian, meilleur patriarche aux yeux de Staline

Le plus grand péché du synode roumain sous le communisme revient probablement sur le plan doctrinal au patriarche Iustinian qui a voulu produire des éléments théologiques pour rendre licite la collaboration avec les communistes. Il a produit une réflexion théologique afin de rendre orthodoxe le fait de travailler conjointement avec Satan. Il a multiplié les concepts déviants comme « église populaire » par exemple. Il se plaisait à dire : « l’Eglise appartient à Dieu, mais aussi au peuple. Elle appartient aussi au peuple car ses serviteurs sont appelés à éclairer et à éduquer ». Iustinian a pensé l’Eglise comme un instrument de transformation sociale, permettant l’avènement d’un homme nouveau, homme attendu par les communistes. C’est BOR qui a été chargé, dans toutes les paroisses du pays, de vendre la collectivisation des terres, à laquelle les paysans étaient naturellement opposés. Les propagandistes de BOR écrivirent ainsi dans le télégraphe roumain, le 15 juin 1962 un article intitulé « la grande victoire » : « Ce printemps, notre peuple a célébré une grande victoire, un grand événement historique : l’achèvement de la collectivisation de l’agriculture. Ainsi, grâce à la victoire du socialisme dans les villages, presque quatre ans plus tôt que prévu, le peuple tout entier est déterminé à achever la construction du socialisme. Le socialisme a définitivement gagné dans notre pays, dans les villes et dans les villages. Fiers de ses succès, notre peuple regarde avec confiance l’avenir qu’il crée par son travail et sa force créatrice. Le grand événement historique s’est produit : la collectivisation de l’agriculture est un fait majeur qui ouvre de brillantes et nouvelles perspectives à la paysannerie collectiviste et au peuple tout entier. Sur la voie du perfectionnement de la construction du socialisme, notre peuple, un peuple travailleur et épris de paix, marche avec joie vers de nouvelles victoires. »

Texte stupéfiant quand on sait qu’il émane de l’église orthodoxe roumaine, et non pas du parti communiste. On voit à quel point la première était l’auxiliaire du second. La rhétorique anti catholique au sein de BOR était de dire que l’orthodoxie luttait pour le communisme, tandis que le Vatican et ses relais roumains luttaient eux pour le capitalisme et la bourgeoisie. Les archives russes montrent comment Staline percevait Iustinian comme un excellent patriarche, le meilleur du monde orthodoxe. Meilleur au sens de la promotion de son agenda politique bien évidemment. Le gouvernement soviétique a même déclaré que le patriarche roumain était un modèle à suivre pour son soutien envers les démocraties populaires au travers des églises orthodoxes. Iustinian se fit l’infatigable relais de la « politique de paix » de Staline à l’international. Iustinian se fit l’infatigable adversaire du patriarche de Constantinople, Athenagoras, qui était lui la marionnette des américains. Athenagoras avait été posé par la CIA sur le trône de Constantinople, la même année que les communistes avaient mis Marina sur le trône de Bucarest. Cet affrontement s’est immédiatement arrêté lorsque les communistes roumains ont gagnés une certaine autonomie après la mort de Staline. Iustinian s’est alors lancé avec passion dans le dialogue œcuménique, prenant part aux conférences panorthodoxes de Rodos en 1961, 63 et 64 et Chambésy en 1968. Ne pouvant aller trop loin dans l’ouverture aux monde romain, Iustinian avait besoin d’un concept théologique qui montre une ouverture, mais pas trop. C’est Staniloae qui synthétisera les besoins géopolitiques de Ceaușescu par le concept de « synodalité ouverte ». Marina a fait l’éloge du socialisme pendant les réunions avec les anglicans. Cela n’a pas empêché ceux-ci de venir en visite officielle à Bucarest en 1965, pour la rencontre entre Iustinian et l’archevêque de Canterbury.

L’apostolat social : la théologie de la collaboration

Mais le concept théologique le plus important de cette période reste néanmoins au crédit du patriarche Iustinian : l’apostolat social. C’est par lui que Iustinian va chercher à rendre orthodoxe toutes les lâchetés, toutes les compromissions et toutes les collaborations. Iustinian a repris le concept de symphonie byzantine du pouvoir, que l’Eglise a pu parfois connaître sous l’empire byzantin. Voyons d’abord le concept véritable de symphonie byzantine avant d’en voir l’effroyable parodie qu’en a fait BOR pendant la période communiste. Le concept de symphonie byzantine trouve ses racines dans les écrits des Pères de l’Église et dans les textes législatifs de l’Empire byzantin. L’idée est que l’Église et l’État sont deux institutions divinement ordonnées, chacune ayant sa propre sphère de compétence et d’autorité. L’Église est responsable des affaires spirituelles, de la morale, de la théologie, et de l’administration des sacrements. Elle guide les âmes des fidèles et veille à la conformité religieuse et éthique de la société. L’État est responsable des affaires séculières, de la protection de l’Empire, de l’administration de la justice, et du maintien de l’ordre public. L’empereur, considéré comme choisi par Dieu, protège l’Église et soutient ses activités. L’empereur byzantin était souvent vu comme le protecteur de l’Église, exerçant un pouvoir considérable dans les affaires ecclésiastiques, comme la convocation de conciles et la nomination de hauts dignitaires religieux. Le Patriarche de Constantinople, en tant que chef spirituel, collaborait avec l’empereur pour assurer que les lois et les politiques de l’État étaient en accord avec les enseignements de l’Église. Les lois byzantines, comme celles du Code Justinien, reflétaient souvent cette symphonie en intégrant des principes religieux dans la législation civile. L’Église, de son côté, reconnaissait l’autorité de l’empereur et travaillait en collaboration avec lui. L’exemple le plus frappant de non fonctionnement de la symphonie byzantine est très probablement la période iconoclaste. Ce sont certains empereurs, s’éloignant de la doctrine orthodoxe, qui s’opposèrent à la vénération des icônes. Ainsi, dans le concept de symphonie byzantine, il va de soi que l’empereur doit être orthodoxe.

L’apostolat social est la reprise de ce concept, adapté à la situation roumaine du vingtième siècle sous domination communiste. L’idée était que l’Eglise s’étant toujours adapté à l’état qui était en face d’elle, aujourd’hui, sous le règne du communisme, l’Eglise devait donc s’engager dans la construction d’un christianisme social. Le synode a donc vendu à sa population l’idée suivante : l’église collabore avec l’état, par tradition. Les pères à Byzance faisaient de même, ainsi faisons nous. Concrètement, l’apostolat social est une série de dix volumes écrits par Iustinian entre 1947 et 1971. Il y appelait sans cesse à la soumission et au respect de l’état. Il appelait également au développement d’une théologie de lutte contre les discriminations et le colonialisme. Il y parlait d’une « église servante » de façon récurrente. Bref, on comprendra que c’était une théologie de la lâcheté. Certains diront que beaucoup préfèrent créer des concepts théologiques bidon que d’être torturés pendant des mois dans les geôles communistes. Certes. Cela ne sied pas à la catégorie d’évêque, mais on peut le comprendre. Un évêque doit être prêt à tout endurer et à tout supporter pour le Christ. Sinon, il n’est pas évêque. Moi par exemple, je vous affirme très simplement et très tranquillement que j’aurai écrit les 10 volumes de l’apostolat social pour éviter la torture. Mais je ne suis pas évêque. Être évêque cela implique quelque chose. Aujourd’hui le synode roumain est plein de ces gens qui n’ont pas la moindre qualité qui est attendue pour être évêque. Mais ce qui est tout aussi grave avec ce pauvre synode roumain, est qu’il justifie, à postériori, après la chute du communisme, lorsque tout danger est écarté, la lâcheté passée. Il n’y a personne dans ce synode pour battre sa poitrine en disant : j’ai péché, Seigneur aie pitié de moi. Non. Les académies continuent de donner les titres académiques ronflant sur des doctorats inutiles et sans valeurs au ciel, et des pleutres sans charisme d’évêque continuent de nommer d’autres évêques aussi lisses qu’eux pour que leur médiocrité ne paraisse pas au grand jour.

Comment BOR regarde son passé

Regardez par exemple cette déclaration hallucinante faite par Ioan Bria, théologien roumain qui nous a quitté en 2002, qui fut entre 1973 et 1994 représentant de BOR au conseil œcuménique des églises à Genève : « le patriarche Iustinian restera dans l’histoire de l’Eglise roumaine pour son ‘apostolat social’ … Pour lui, l’Eglise roumaine est foncièrement une institution populaire et elle joue dans la vie de la nation un rôle complémentaire au facteur politique … grâce à sa ténacité politique il a évité un décret de séparation explicite entre l’état et l’Eglise et il a renouvelé – dans des circonstances critiques – un statut de ‘symphonie’ entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Cette symphonie qui est évidente, par exemple dans les fonds assurés par l’état pour la rétribution partielle du clergé, la rétribution du corps enseignant des théologiens, et pour la restauration des églises monuments nationaux, a donné à l’Eglise le sens de sa stabilité institutionnelle et de sa prospérité économique … vers la fin de son ministère, l’évolution de la société roumaine posa à l’Eglise des problèmes fondamentaux qu’elle ne pouvait pas résoudre à partir d’un apostolat social forgé en 1948, basé sur la conception byzantine d’après laquelle l’Eglise et l’état forme un seul corps qui présupposerait que l’Eglise est un partenaire de l’état dans l’édification sociale. Cependant l’apostolat social constituait le cadre éthique dans lequel l’Eglise a pu exercer sa coopération et sa solidarité nationale … le patriarche Iustin veut garder encore cet élément de ‘symphonie’ bien qu’il le fonde sur un autre principe, plus biblique, à savoir la fidélité de l’Eglise envers son peuple et vice versa ».

Comme dit le proverbe, il vaut mieux entendre cela que d’être sourd. Voyez-vous une trace quelconque de distanciation, ou d’excuse ? il n’y a pas ici de laïus du type « nous avons été amené à faire des choses horribles. Quand on pense que le secret de la confession amenait chez certains des informations dans le dossier tenu par la police politique. Nous avons littéralement collaboré avec Satan. ». Mais non. Pas le moins du monde. Ici Bria nous joue la petite musique du « les communistes auraient pu détruire l’Eglise et c’est le génie du patriarche Iustinian qui a permis à l’Eglise de survivre ». Ceci est la première grande faute théologique, tellement dans l’erreur qu’on peut probablement parler d’hérésie : on ne sauve pas l’Eglise. C’est l’Eglise qui nous sauve. On ne sauve certainement pas l’Eglise en collaborant avec celui qui la persécute. Toute l’histoire de l’Eglise témoigne du contraire à celui qui pourrait en douter. Dans toutes les grandes périodes historiques liées à des persécutions, on voit très clairement que ce choix des évêques roumains de collaborer apparait comme quelque chose de totalement inédit. La symphonie byzantine n’est possible qu’avec un pouvoir chrétien. La métaphore utilise le langage musical car il faut qu’il y ait une harmonie. Lorsque les empereurs byzantins se sont mis à être iconoclastes, les évêques byzantins orthodoxes de l’époque se sont mis spontanément à détruire des icônes et à prêcher l’iconoclasme à leur troupeau ? certainement pas ! certes il y a eu des évêques iconoclastes, qui ont eu accès à des positions de pouvoir grâce à leur collaboration avec ces empereurs iconoclastes. Mais une fois que la situation s’est retournée en la faveur de l’Eglise, que s’est-il passé ? Les évêques iconoclastes ont été soit repentants soit expulsés. L’Eglise n’a pas développé toute une historiographie pour expliquer la lâcheté et la compromission. Au contraire elle a exalté les résistants. Chez les roumains de BOR, on institutionalise la couardise, on normalise la lâcheté. C’est totalement stupéfiant à constater. Il n’y a pas eu un seul évêque qui puisse sauver l’honneur. Nous verrons plus loin que Teoctist, devenu patriarche sous les communistes et donc institué par eux est resté patriarche plusieurs années après la chute du communisme. C’est absolument stupéfiant.



Obéissance et économie canonique

Le leg théologique de ce infâme Iustinian n’est donc pas d’avoir sauvé l’Eglise. Il y a juste probablement perdu son âme. Son leg théologique devrait être étudié dans les facultés de théologie comme l’édification d’une impossible théologie. La symphonie byzantine est impossible avec des communistes. Institutionnellement, après la chute d’Antonescu, les politiques roumains ont repris la constitution de 1866 avec quelques modifications de 1923. Pendant une très courte période, tous les cultes furent reconnus et licites. Puis en 1948 les communistes édictèrent une nouvelle constitution. L’article 27 qui est le seul à considérer le domaine religieux déclare :

« La liberté de conscience et la liberté religieuse sont garanties par l’État.
Les cultes religieux sont libres de s’organiser et de fonctionner librement si leurs rituels et leurs pratiques ne sont pas contraires à la Constitution, à la sécurité publique ou aux bonnes mœurs.
Aucune confession, congrégation ou communauté religieuse ne peut ouvrir ou entretenir des établissements d’enseignement général, mais seulement des écoles spéciales pour la formation du personnel des cultes sous le contrôle de l’État.
L’Église orthodoxe roumaine est autocéphale et unitaire dans son organisation.
La manière dont les cultes religieux sont organisés et gérés sera réglementée par la loi. »

Donc, en 1948, il n’y a plus que BOR. Tous les autres sont illégaux. Et Bria de continuer d’expliquer comment BOR s’adapte à cette symphonie byzantine totalement inédite. Les deux piliers de l’infâmie furent l’obéissance et la notion canonique d’économie. Ainsi Bria de déclarer cette phrase proprement hallucinante : « les canons de l’Eglise sont immuables, leur interprétation peut évoluer ». Vous pourrez trouver toutes les références de cette citation vertigineuse dans l’ouvrage d’olivier Gillet « religion et nationalisme » page 36. Une fois de plus, tout est sourcé. Tout a été vérifié. Expliquons la notion d’économie pour ceux qui seraient étrangers à ces subtilités du droit canon. Un canon empêche telle ou telle chose, ou oblige à telle ou telle chose. L’économie revient à une suspension temporaire du canon, pour la recherche du plus grand bien. Par exemple, l’Eglise a une discipline assez rigoureuse sur l’alimentation. Et bien les femmes enceintes, les personnes malades, des personnes âgées se voient dispensées de cette rigueur, de façon temporaire, à cause de leur état. Cela dépend de la personne qui s’occupe spirituellement de vous. Et bien BOR s’est visiblement autooctroyée une économie de 50 ans, avec droit de dire le contraire de ce à quoi elle est normalement appelée. Ainsi Dumitru Staniloae d’écrire après la chute du communisme : « on oublie le fait que ces éloges [au régime communiste] prononcés mais non pensés, étaient exprimés en vertu de la certitude que de cela dépendait l’activité de l’Eglise tout entière dont ils [les hiérarques] sont en premier lieu responsables. On oublie en général que l’Eglise, au prix de ces rares et brèves paroles d’hommage, a pu continuer au long de toutes ces 45 années son œuvre liturgique et spirituelle, comme n’ont pas pu le faire les églises de Bulgarie, d’Albanie et en quelque mesure même en Yougoslavie. Le peuple roumain a pu ainsi garder, par son église, la continuité fondamentale de sa spiritualité ». BOR est une église qui a refusé de porter sa croix et qui a l’audace de croire qu’elle est encore membre du corps mystique du Christ. S’il est toujours délicat de comprendre les voix de Dieu, il est possible que cette persécution communiste ait été envoyée comme ultime chance à une structure rongée par le modernisme, par la franc maçonnerie, qui avait multiplié les fautes canoniques majeures comme le changement de calendrier, qui avait négocié à son plus haut niveau un honteux et inacceptable rapprochement avec Rome. C’est peut-être le Christ qui avait demandé à BOR, comme elle l’avait il y a longtemps demandé à Pierre : m’aimes-tu ? Un test extrême lui a été envoyé. Son synode a ainsi très clairement répondu qu’il préférait sauver sa vie que de suivre le Christ. C’est littéralement ce qu’il s’est passé. Et ici je parle bien du synode et de ses apparachicks bien en vue comme Dumitru Staniloae. Et pourtant, il est impossible de croire un seul instant que toutes ces personnes ne connaissaient pas ce passage marquant tiré de l’Evangile selon saint Marc : « Puis, ayant appelé la foule avec ses disciples, il leur dit: Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive. Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de la bonne nouvelle la sauvera. Et que sert-il à un homme de gagner tout le monde, s’il perd son âme? Que donnerait un homme en échange de son âme? Car quiconque aura honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l’homme aura aussi honte de lui, quand il viendra dans la gloire de son Père, avec les saints anges. » (Mc 8 :34-38). Je m’adresse ici très solennellement au clergé du quotidien, au peuple qui a pour autorité spirituelle, canonique et ecclésiastique cette structure appelée BOR. Vous êtes rattachés à des gens qui n’ont aucune grâce. Leurs sacrements sont inopérants. Ils sont discrédités. A la fin des temps, vous suivrez ces pseudos évêques aux enfers. Tant que l’on vous demandera, dans la liturgie, de célébrer la mémoire de Miron, Nicodime, Iustinian et tous les autres escrocs, vous avez la preuve liturgique indéniable que l’on vous rattache à l’inacceptable religieux. Le Christ appelle sans cesse les gens à la repentance car le Royaume des cieux est proche. Que vaut votre repentir si votre évêque n’en a jamais formulé un seul ? BOR est incapable de repentir. Rien que pour cela BOR n’est pas chrétienne. C’est le B A BA du christianisme. Par contre, à la place du repentir, vous trouvez des conférences organisées pour célébrer la mémoire des canonistes qui ont trouvé les concepts et les formulations pour soutenir la collaboration avec Satan. Liviu Stan, le canoniste en chef de BOR pendant le communisme est ainsi célébré, en toute tranquillité par le patriarche actuel Daniel : « Un théologien érudit et un enseignant créatif ». https://basilica.ro/patriarhul-daniel-despre-parintele-prof-univ-dr-liviu-stan-1910-1973-un-teolog-erudit-si-un-profesor-creator/

C’est tout à fait caractéristique de cette église de pleutres, prompte à faire des colloques, des symposiums et des conférences. Son érudition qui est réelle, tourne dans le vide. Elle ne sert à rien. Ces gens ont accompagné, cautionné, expliqué la destruction des monastères, leur transformation en coopératives recherchant la prospérité socialiste, faisant des moines des ouvriers. Ils ont baissé les yeux devant la destruction d’églises inestimables permettant la construction du palais du peuple à Bucarest. Tous ces théologiens qui ont participé à la propagande communiste l’ont fait en travestissant les Ecritures et les saints pères. Ils ont recherché dans tout le corpus patristique tout ce qui pouvait aller dans le sens d’une population pacifique, servant l’état et s’acquittant patriotiquement de son impôt. « Ils ont ainsi appelé à la collaboration loyale avec l’autorité de l’état, le paiement de l’impôt, le travail pour le bien commun, la défense de la patrie, même au sacrifice de la vie » (religion et nationalisme, Olivier Gillet p 58). Ils ont expliqué que s’opposer au communisme c’était s’opposer à Dieu, dans une lecture particulièrement travestie de l’épitre aux Romains où saint Paul appelle à l’obéissance envers les autorités politiques. Ils se sont bien gardés de dire que les Pères de l’Eglise les plus éminents comme Basile de Césarée avaient une lecture bien différente de la leur. Rappelons que l’Eglise roumaine, avant d’être cette assemblée de lâches n’a pas toujours appelé à suivre aveuglement l’état. Ainsi les révoltes en Transylvanie à la fin du 18ème siècle, où le clergé orthodoxe fut moteur. A cette époque-là, les prêtres mourraient pour la patrie roumaine à venir et pour les droits des serfs roumains opprimés par les catholiques. Le paradoxe est que l’historiographie communiste montre ces révoltes anticatholiques sous un jour positif. Mais elle transforme les prêtres orthodoxes en prêtres révolutionnaires. Les théologiens roumains ont affreusement retourné l’analyse de cette période glorieuse : les prêtres d’alors sont des modèles car ils luttaient pour les intérêts du peuple. Mais aujourd’hui, sous la domination communiste, l’intérêt du peuple c’est de ne rien faire.

Dans ses écrits sur l’apostolat social, Iustinian déclare sans ambages s’inspirer de ce qu’a fait le métropolite Serge en Russie, en 1927, en reconnaissant la tutelle du pouvoir communiste. Ce traitre a laissé son nom à jamais dans cette félonie, par le terme de sergianisme. Il est assez fou de considérer que Iustinian le cite comme un modèle et comme un exemple à suivre. En tout cas, la situation de BOR pendant tout le communisme est très clairement un sergianisme roumain.