Histoire de l’Eglise Orthodoxe officielle de Roumanie - partie 5 - BOR face à la collaboration après le communisme


Les hiérarques principaux ayant collaboré avec les communistes

Par les archives de la Securitate, nous savons avec certitude que les hiérarques suivants ont collaboré avec les communistes. Le premier de cette longue liste est Nicolae Corneanu. Si vous vous souvenez c’est lui qui a cassé Boca. Il est mort en 2014 et était évêque sur la partie de Timisoara et du Banat. C’est lui qui a fait évêque vicaire le patriarche actuel Daniel, dont nous parlerons plus loin. Son dossier montre que Corneanu a pu monter dans la hiérarchie de BOR en dénonçant « les ennemis du peuple ». En 2008, invité à la dédicace d’une église uniate il a communié. Mais il a ensuite demandé pardon et a été pardonné indique le communiqué officiel du patriarcat roumain. Vous voyez, selon les sujets, ils savent demander pardon. Il a été démis de ses fonctions en 2012 par Daniel, sans que l’on sache pourquoi, dans une procédure pas complètement orthodoxe, mais on ne va pas chipoter, vu là où on en est avec ce synode.

Passons à Pimen Zainea ; le métropolite de Suceava et Radauti. Ce bon Pimen nous a quitté en 2020. Il a attaqué les historiens qui le comptaient parmi les collabos mais a perdu.

Passons à Andrei Andreicut. C’est l’actuel métropolite d’Alba Iulia. En 1978 il avait installé une chapelle secrète de catéchèse pour ses fidèles lorsqu’il était prêtre. Quel dommage qu’il fut en même temps informateur pour la Securitate, sous le nom de code de Ionica. Il est condamné après la révolution de 1989, mais sa condamnation sera cassée par une pirouette légale du sénateur Dan Voiculescu qui fera passer une loi rendant inconstitutionnelle le travail de la commission de recherche sur la collaboration de BOR avec la Securitate. Le fait que Voiculescu ait lui-même été un agent de la Securitate n’a probablement rien à voir avec cette décision. En 2014, il a soutenu un candidat de gauche aux élections, Victor Ponta. Andrei Andreicut a demandé pardon pour ses fautes commises sous le communisme.

Passons à Visarion Radauteanul. Il est moins connu car c’était un évêque vicaire sur Sibiu. BOR lui a quand même dédié une page de souvenir sur son site officiel. Il y est dit à quel point il fut un grand homme, et un grand hiérarque. Il manque juste sa collaboration avec la Securitate et son nom de code : Bobi.

Passons à Casian Craciun. Il est né en 1955 et il est encore vivant et siège actuellement dans le synode de BOR. Il est évêque pour la zone de Dunarii de Jos avec le rang d’archevêque. La Securitate lui avait permis d’aller étudier à l’étranger en échange d’informations, et il a ainsi pu réaliser un doctorat à l’université de Strasbourg sur l’icône. Pendant les auditions de la commission d’enquête il avait déclaré que le passé ne devait pas avoir trop d’importance. Est-ce une politique pastorale disruptive de BOR concernant la confession ? Si vous googlez son nom, il est impliqué dans divers scandales sexuels et cela lui vaut le surnom peu enviable de « desfranat » qu’on peut traduire en « lubrique ». Un personnage d’une très haute stature morale donc.

Terminons cette liste avec Calinic Argatu l’évêque de la zone d’Arges et donc davantage connu sous le nom de Calinic Argeseanul. Reconnu informateur et collaborateur de la Securitate en 2007, il est blanchi par un jugement en appel en 2008. Il a eu également une carrière politique et fut député pendant trois ans, du parti politique des révolutionnaires de 1989. Si on lit les mentions du verdict de 2008, la cour d’appel déclare que Calinic a bien collaboré, mais d’une façon inoffensive. En effet ses dossiers ne disaient pas de mal des gens. Il a ainsi constitué un dossier sur un spirituel roumain connu et apprécié : Arsenie Papacioc. Calinic avait ainsi écrit dans le dossier de Papacioc, je cite « “bien qu’il semble inoffensif, il semble qu’il n’oublie pas le passé” ». Il faut savoir que Papacioc, qui nous a quitté en 2011, était un ancien légionnaire, et qu’il avait même été arrêté par les services d’Antonescu comme soutien à la légion. Les communistes lui avaient fait passer 4 ans de travaux forcés dans la terrible prison d’Aiud. Papacioc s’était déclaré à plusieurs reprises farouchement opposé à l’œcuménisme pratiqué par les courageux évêques du synode de BOR. Bref, je vous laisse juge de savoir si ce genre de remarque pouvait être nuisible à Papacioc ou pas. Pendant ce temps-là, Calinic, toujours membre du synode, est lui décoré officiellement par le Vatican, par le nonce apostolique en personne. Ce contraste entre Papacioc le héros et Calinic le collabo est absolument saisissant.

La commission d’enquête sur la Securitate

Il faut savoir que tous ces verdicts de collaboration avec les communistes sont tout à fait officiels. Je ne relaie pas des accusations de journaux à scandale. Il s’agit des résultats d’une commission d’enquête tout à fait officielle, la CNSAS, Commission Nationale pour l’étude des archives de la Securitate. En 2008, et j’en ai parlé précédemment, le sénateur Dan Voiculescu, un conservateur influent, a fait passer des lois pour limiter la capacité d’action de ladite commission. Ceci a empêché la Roumanie de regarder en face son passé et donne une illustration frappante de la qualité actuelle de sa classe politique. Le CNSAS poursuit actuellement sa mission et sort régulièrement des informations issues des archives de la Securitate. On peut légitimement s’interroger sur les obstacles qui sont faits à cette commission. On peut bien évidemment penser à des choses qui sont faites ici où là. Par exemple, il est impossible que le patriarche actuel, Daniel Ciobotea n’ait pas de dossier à la Securitate. Pourtant son dossier est introuvable. La théorie la plus acceptée est que son dossier a été détruit en 1989, à la révolution et j’en parlerai plus loin. Je vous laisse réfléchir aux implications vertigineuses qui veut que le dossier du patriarche qui sera élu en 2007 soit détruit en 1989. On ne peut que se perdre en conjectures et en théories totalement impossible à démontrer.



Les deux théories historiques sur la Roumanie

Mais on peut considérer qu’il y a une volonté, en Roumanie, de préserver BOR coûte que coûte. Et ceci par contre peut être pensé. Déjà, il faut accepter, même si cela heurte une conscience orthodoxe bien informée, pour les roumains, BOR c’est la continuité d’avec l’Eglise orthodoxe. Et surtout c’est la continuité avec 2000 ans de christianisme en Roumanie. Je rappelle que la Roumanie a été évangélisée à l’époque apostolique, par l’apôtre André qui est venu dans la zone du delta du Danube. Les premières communautés chrétiennes sur les terres roumaines remontent aux apôtres. Mais il y a un cadre historique particulier qui est unique à la Roumanie. Si je peux résumer cela simplement je le ferai ainsi : il y a deux grandes théories historiques sur la Roumanie. La théorie que je dirai hongroise, et la théorie que je dirai roumaine. Ces deux théories divergent sur l’histoire de la Transylvanie au premier millénaire et sur l’origine des populations qui peuplèrent la Transylvanie à cette époque. Pour résumer à l’excès, les hongrois attestent que lorsqu’ils sont arrivés en Transylvanie au neuvième siècle, la zone était vide de tout habitant. Les roumains de leur côté attestent que la région était bien évidemment peuplée, et qu’elle l’était par les geto-daces, peuple qui offre une continuité historique avec les roumains actuels. L’historiographie hongroise considère que les roumains qui habitent actuellement en Transylvanie sont des immigrés plus tardifs venus du sud. On comprend bien les implications énormes pour les deux peuples. Selon la version roumaine, les hongrois sont des envahisseurs et des occupants qui empêchent depuis toujours une unité nationale. Selon la version hongroise, les roumains ont créé une fable historique et n’ont aucun droit sur un bon tiers de leur territoire. Les éléments archéologiques, génétiques, linguistiques et historiques montrent que la position hongroise est mensongère et fantaisiste. Les avancées scientifiques ont apporté une contribution déterminante pour l’étude de cette controverse. Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la mémoire profonde historique de la présence des roumains en Transylvanie depuis toujours, depuis avant l’arrivée des conquérants romains et après leur départ, lorsqu’ils s’appelaient les geto-daces, et bien cette mémoire était présente quasi exclusivement dans l’église orthodoxe de cette zone. C’est pourquoi l’Eglise orthodoxe est quasi constitutive de l’identité roumaine. Bien évidemment que l’on peut avoir la nationalité et vivre paisiblement en Roumanie sans être orthodoxe. Mais ce qu’est la Roumanie est lié à l’histoire de l’Eglise. C’est pourquoi, consciemment ou inconsciemment, les communistes n’ont pas souhaité ou voulu détruire ceux qui étaient les témoins de ce qu’est la Roumanie. Ils auraient sinon, en quelque sorte, scié la branche sur laquelle ils étaient assis. Ceaușescu a joué cette carte, décrivant la Roumanie comme un ilot latin dans un océan slave, lorsqu’il a voulu occuper une place originale et particulière sur le plan international. Pour cela, il avait besoin que BOR puisse témoigner de cette continuité historique entre les geto-daces d’autrefois et les roumains d’aujourd’hui. La preuve de la « roumanité » des populations transylvaines était faite par leur appartenance à la religion orthodoxe. Ce problème empoisonne les relations entre hongrois et roumains depuis longtemps, et même pendant le glacis soviétique, cela était un sujet de débat à l’intérieur du bloc communiste. La parution d’un ouvrage d’histoire en Hongrie en 1986 reprenant les thèses de l’historiographie hongroise a causé un véritable scandale en Roumanie. Et comme les hongrois sont plutôt catholiques, les problématiques entre orthodoxes et catholiques ne peuvent pas se départir le plus souvent d’une dimension également nationaliste. Ainsi, il y a peut-être ce ressort inconscient dans la société roumaine : certes, cette église est une église de branquignoles et d’escrocs spirituels, mais nous ne pouvons pas faire sans eux, car ils sont les témoins immémoriaux de ce que nous sommes. BOR jouit ainsi d’un incroyable privilège pour sa continuité, puisqu’elle est identifiée à un élément constitutif de l’identité roumaine. C’est un totem d’immunité tout à fait immérité mais bien réel.





Le patriarche Iustin, second patriarche rouge

Sous le communisme, il n’y a pas eu un seul patriarche, mais bien trois. Après la mort de Iustinian en 1977, c’est Iustin Moisescu qui devient patriarche. Il nait en 1910. Il termine de brillantes études de théologie à la faculté de théologie d’Athènes. Il étudiera aussi en France et son doctorat porte sur Evagre le Pontique. Dans les années 40 il aura des sympathies légionnaires, ce qui servira de moyen de pression sur lui à partir de l’arrivée des communistes. Il devient donc informateur de la Securitate à partir des années 50. En 1956 il est fait moine et est élevé au rang de diacre par Teoctist, son futur successeur sur le trône patriarcal. Il devient très vite métropolite de Sibiu et règne donc sur toute la Transylvanie. L’année suivante, il est fait métropolite de Moldavie, ce qui est une façon officieuse pour BOR de le placer comme successeur de Iustinian. C’est un voyageur : on le voit aux Indes, aux USA pour des visites officielles et aussi et surtout aux réunions du conseil œcuménique des églises. Il est fait patriarche en 1977 et le reste jusqu’à sa mort en 1986. Les archives de la Securitate relèvent un détail amusant : il n’est même pas prêtre lorsqu’il est fait métropolite de Transylvanie. Son ascension fulgurante s’explique par sa docilité face aux communistes et le soutien qu’il apporte lorsqu’il faut casser un prêtre un peu trop scandalisé par les actions communistes.

Continuons avec les contrastes. D’un côté nous avons ce patriarche insignifiant, nommé évêque sans avoir été prêtre, et de l’autre Gheorghe Calciu-Dumitreasa un prêtre de BOR. Dans l’ouvrage qui est consacré au patriarche, le patriarche Daniel déclare dans la préface : « C’était un archipasteur majestueux et sobre comme un voïvode, et dans le silence imposé, un combattant intrépide jusqu’à la mort, comme un pilier au milieu de la tempête. Plus précisément, lorsque les dictateurs communistes voulurent déplacer le siège du Patriarcat de la capitale au monastère de Văcăreşti, il refusa catégoriquement. C’était une audace difficilement tolérable de la part de Ceaușescu ». Ainsi tout ce qu’on peut trouver au crédit de ce guignol, c’est d’avoir préservé son lieu de représentation et pour ceux qui ont étudié sa vie, de s’être impliqué dans le dialogue œcuménique. Bravo !! un conquérant de l’impossible. Un guerrier de l’inutile. Un hiérarque de l’interdit !! Dans tous ses voyages internationaux, il se fit le relai servile de la propagande communiste et de ses appels à la paix dont on connait la teneur véritable. On ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir réussi à convaincre les dirigeants communistes de ne pas détruire les églises suivantes : le monastère de Cotroceni (1984), l’église d’Albă-Postăvari (1984) et Doamna Oltea (1986), “Saint-Nicolas”. “-Jitniţa (1986) et l’Église “Saint Vendredi” Herasca (1987). En contraste donc, je vous propose de méditer la vie du Père Gheorghe Calciu Dumitreasa. Sympathisant de la garde de fer, il est arrêté d’abord par les services d’Antonescu en 1942 puis à nouveau par les communistes en 1948. Il passera par l’effroyable prison de Pitești. Il critique le régime à de nombreuses reprises ce qui lui vaut à nouveau 10 ans de prison en 1978. Le patriarche Iustin le réduit à l’état laïc et les interventions répétées du président Reagan permettent de le faire libérer. Il part vivre aux USA. Il devient prêtre dans l’OCA qui ne reconnait pas la sentence du patriarche. Il sera un infatigable opposant du communisme, prêchant et s’adressant aux roumains au travers des radios financées par le gouvernement américain : the Voice of America et Radio Free Europe. Il meurt d’un cancer du pancreas en 2006. Il y a eu un résistant et un collabo. Contraste effroyable. Qui rend inopérante toute la prose du patriarche Daniel. Le combattant intrépide n’était clairement pas Iustin.



Le patriarche Teoctist, le patriarche antéchrist

Passons à Teoctist. Avec lui c’est le retour des homosexuels au patriarcat, chose qui ne s’était plus vue depuis Nicodime. Il nait en 1915. Il embrasse le monachisme à 20 ans et gravit lentement les échelons jusqu’à devenir archimandrite d’un monastère en 1946. En 1947, ses positions pro communistes lui nuisent dans une église encore dirigée par quelques hiérarques monarchistes. Proche de Iustinian Marina il est défendu par les communistes et est placé à un poste administratif important dans la métropole de Iasi. Il devient patriarche à la mort de Iustin en novembre 1986. Partisan de l’œcuménisme, les catholiques romains et les anglicans sont avantageusement présents lors de son intronisation. Sa compromission avec les communistes était telle, qu’à la révolution il se retire de son rôle de patriarche, et demande à finir ses jours au monastère de Sinaia. En janvier 1990, très très peu de temps après la révolution, le synode se réunit et lui demande de revenir sur sa décision. Il sera le premier patriarche orthodoxe à recevoir une visite officielle du Pape, à l’époque Jean Paul II, après la chute du communisme. Il meurt en 2007 après une opération de la prostate. Les circonstances de la révolution et comment la foule de Bucarest fut amenée à scander « Teoctist Antihrist ! » méritent d’être relatées. Après la chute de Ceaușescu, c’est la liesse. Teoctist fait une prêche ou l’ancien dictateur est comparé à Hérode. Mais la foule découvre aussi dans un organe de propagande communiste, un message de félicitations que Teoctist avait adressé au dictateur, pour le féliciter de la répression qu’il avait conduite à Timisoara au tout début de la révolution mais avant la chute du régime. Les maladroits défenseurs de l’honneur de BOR arguent qu’il s’agissait d’un message pour le dictateur, mais sans référence à cette répression. Laissons cette méprisable casuistique de côté. Teoctist sent le vent tourner et démissionne de son rôle de patriarche et part pour Sinaia. Le synode accepte en janvier 1990. Mais en avril 1990, le même synode change d’avis et lui demande de revenir sur le trône. Il accepte. Et c’est un soulagement car ce fut un grand hiérarque, proche du peuple. Par exemple, lorsqu’il était à Iasi dans l’administration de la métropole, il utilisait l’argent de l’Eglise pour financer le club de foot local. Cela montre bien évidemment son refus de vivre dans le luxe et sa compréhension fine des besoins véritables des croyants. Une bonne équipe de foot aide indiscutablement à gagner son ciel. C’est connu.

C’est pendant cette période de suspense insoutenable, où BOR était sans patriarche qu’un métropolite de Transylvanie, Mgr Antonie Plămădeala, pour lequel on a découvert ensuite que qu’il avait un haut grade dans la police politique et avait demandé à Ceaușescu le grade de colonel dans la Securitate. Cet évêque donc, a fait cette stupéfiante déclaration qui servait d’introduction à mon texte : « Nous avons choisi de ne pas être des martyrs. C’était un choix tactique que de parier sur la survie et sur le fait qu’à un moment donné, un jour, une libération du communisme pourrait survenir, mais d’ici là, l’Église devait continuer. Pour que les églises ne soient pas fermées comme en Russie, pour que l’Église ne soit pas complètement détruite comme en Albanie et pour protéger autant que possible les prêtres et les fidèles des persécutions directes ». Les évêques du synode de BOR donc, ont eu le courage de n’en avoir aucun. Ils ont refusé de porter leur croix, et rien à leurs yeux n’est plus chrétien que cela. S’ils n’avaient pas été évêques ils auraient pu faire une grande carrière à Hollywood, car Teoctist arrivait à déclarer sur les destructions d’églises, avec des larmes dans les yeux : « Nous en avons fabriqué de nouvelles, mais celles qui se sont effondrées ont disparu… Et les multitudes de prêtres qui remplissaient les prisons communistes. Prêtres, évêques, enseignants et croyants de notre Église. Nous avons eu d’énormes difficultés, je peux dire insurmontables, et maintenant nous versons des larmes pour eux et nous devons prier et nous souvenir d’eux. ». Quand on évoquait son rôle comme informateur de la police politique communiste c’était davantage la colère qui venait que l’émotion, de façon assez étonnante.



La compromission théorisée et question aux fidèles

Bref, ce synode de lâches a théorisé le pourquoi de sa compromission avec Satan. En fait, il fait ce que nous faisons tous lorsque nous péchons mais que nous ne reconnaissons pas nos péchés, lorsque nous nous cherchons toutes les excuses du monde. Mais maintenant, c’est à chacun de se poser véritablement la question suivante, question qui est valable pour toutes les églises ayant traversées l’époque communiste : si le synode continue après la chute du communisme, si le patriarche reste le même, si les évêques dont on découvre qu’ils étaient parfois officiers dans la police politique restent évêques dans ce synode, c’est que l’on a un synode qui ne reconnait pas ses immenses fautes, qui ne les corrige pas, qui ne s’amende pas. Le minimum du minimum était une purge. Les évêques qui avaient failli auraient dû nommer évêques des moines non compromis et laisser le synode repartir sur des bases saines. Mais les membres gangrénés n’ont jamais été coupés. La pourriture demeure. Comment pouvez-vous suivre et reconnaitre une quelconque autorité spirituelle à ce synode ? c’est un mystère qui dépasse l’entendement.



BOR après le communisme

Mais ce n’est pas fini. Il nous faut maintenant étudier BOR après le communisme. Car il n’y a pas que le relativisme par rapport aux collaborateurs qui pose question. Certains pourront toujours considérer que BOR n’était pas libre de ses mouvements, et que l’action de ses évêques ne peut pas lui être imputée. Cette perception manque cruellement de profondeur théologique mais essayons un raisonnement par l’absurde. Oublions un moment qu’aucune metanoia n’a été faite, oublions les lâchetés, les compromissions. Regardons le bilan de BOR depuis 1989.



L’exorcisme de Tanacu

Le nerf de la guerre est la stature des prêtres et le sérieux de leur formation, et le sérieux de leur suivi par la hiérarchie. La première pièce au dossier est le cas de l’exorcisme du monastère de la Sainte Trinité à Tanacu en 2005. Une moniale qui était atteinte d’une maladie mentale est morte à la suite d’un exorcisme. Le prêtre Daniel Petru Corogeanu, ainsi que les autres moniales du monastère, ont conduit l’exorcisme de la façon suivante : ils ont attaché la pauvre moniale, Irina Cornici, sur une croix de bois pendant 3 jours, sans nourriture et sans boisson. Prenant ses crises de schizophrénie violentes pour des manifestations d’infestations diaboliques, ils l’ont laissé ainsi, ce qui a probablement conduit à une combinaison fatale de souffrance physique, psychologique et de déshydratation. Le rôle de l’Eglise, est bien évidemment de prendre soin des plus faibles, des plus blessés par l’existence. Ici ce prêtre et les moniales ont fait l’exact inverse. J’avais constaté moi-même en échangeant avec un starets de Roumanie évoluant dans BOR, qu’il n’avait pas la connaissance de la distinction entre le psychique et le spirituel. Ce hiéromoine donnait une conférence sur le carême et son action sur le corps et l’âme. Je lui avais demandé pourquoi il laissait l’esprit de l’homme de côté et qu’il ne concevait pas l’action du carême sur son esprit. Ainsi, la plupart des gens de BOR, pauvrement formés ne connaissent pas l’anthropologie tripartite de l’homme, corps-âme-esprit, et ne savent donc pas qu’il peut y avoir des problèmes psychiques qui ne sont pas des problèmes spirituels. De plus, il s’est mêlé à cette ignorance très bien partagée, une inhumanité cruellement coupable. Condamné à 7 ans de prison en 2008, Corogeanu a été libéré par la justice roumaine en 2011. Nous n’avons pas à commenter cette décision des tribunaux roumains. L’évêque qui suivait ce prêtre et le monastère est l’évêque Ioan Selejan. Mgr Ioan est toujours dans le synode roumain, et bénéficie même d’une réputation plutôt positive. Cette sombre affaire a tout de même empêché Mgr Ioan de devenir métropolite de Iasi. Il est actuellement métropolite du Banat. Nous voyons ici, dans ce cas certes extrême, que le fait que BOR soit doté d’un synode qui ne remplit pas son rôle, peut avoir des conséquences tragiques. Ce qui est le plus commun est la somme de conseils spirituels donnés sans connaissance, sans clairvoyance. Combien de gens rentrent de confession, de discussion avec des conseils absurdes, donnés par des gens sans autorité spirituelle véritable ?



BOR et l’argent

Mais la plus grande motivation pour les hiérarques d’occuper les fonctions qui sont les leurs, reste bien évidemment l’argent. Teodosie de Tomis est le plus emblématique de cette catégorie. C’est l’évêque de Constanta. Il a été accusé de détournement de fonds européens qui devaient originellement servir à la restauration de monastères, et a aussi été impliqué dans une affaire de corruption pour des admissions irrégulières au séminaire théologique de Bucarest. La position de prêtre en Roumanie, si vous êtes dans une grande ville, avec une communauté importante, peut être très lucrative. Les gens n’ayant pas les qualités sont ainsi parfois très motivés pour néanmoins devenir prêtre. Teodosie était donc soupçonné de permettre contre rémunération de pouvoir devenir prêtre à ceux qui s’acquittaient de cette taxe particulière. Dans ces deux affaires il a été blanchi deux fois par le tribunal. Ses relations très proches avec les milieux politiques de gauche n’y sont bien évidemment pour rien. Le fait qu’il ait une résidence somptueuse et des voitures de luxe n’a rien à voir avec tout cela, et c’est probablement la piété du troupeau de cet évêque qui a voulu le voir arriver à la liturgie en voiture de luxe. Teodosie est un évêque bulldozer. Il n’a pas hésité à détruire des vestiges archéologiques inestimables, avec des tombes paléo chrétiennes datant du sixième siècle avant notre ère, afin de faire construire des lieux de culte pour BOR. Teodosie est toujours évêque actuellement dans le synode de BOR.

Teofan Savu, le métropolite Teofan d’Olténie lui a créé des monastères n’existant que sur le papier pour récolter des budgets nationaux. Ou pour être plus précis, il fait passer des bâtiments pour des monastères, tels que des séminaires, ou des centres diocésains. C’est le journal Adevarul qui a révélé le montage financier. Le métropolite Teofan est toujours métropolite actuellement dans le synode de BOR.

Le précédent métropolite de Suceava, qui le resta jusqu’à sa mort vendait quant à lui du tabac et de l’alcool. Ce qui est bien avec BOR, est que vous avez un service complet. Ils vous vendent de quoi vous faire une dépendance, et ensuite ils vous accompagnent pour vous sortir des problèmes de dépendances.

BOR et le sexe

Ceux qui ne sont pas intéressés par l’argent le sont généralement par le sexe. On donnera les exemples de l’évêque Corneliu Bârlădeanu, élu évêque de Husi en 2009. Décidément, Husi attire les tordus… C’est en 2017 qu’éclate le scandale du séminaire, où des vidéos le filment dans des actes sexuels explicites avec des séminaristes. Devant le tollé général en Roumanie, l’évêque a dû démissionner, ce qui avait été demandé par le synode. Il y a eu également une enquête pénale pour voir si les actes étaient consentis, et la justice roumaine n’a pas pu prouver d’actes imposés. Même si les actes ne sont pas imposés, ce n’est pas une église orthodoxe ; c’est un cloaque pestilentiel. Autre exemple, toujours de 2017, avec le Père Cristian Pomohaci qui fut enregistré par un mineur de 17 ans alors qu’il lui faisait des avances à caractères sexuels. L’affaire a amené d’autres victimes à témoigner. De façon étonnante, Pomohaci a été condamné à l’issue de l’enquête pour détournement de fonds, comme quoi ma distinction est quelque peu artificielle : on peut, chez les personnes en position de pouvoir, aimer et l’argent et le sexe. A la fin, et je ne pense pas me tromper en disant que Pomohaci n’a jamais été condamné pour avoir fait des avances à un mineur. BOR l’a réduit à l’état laïc, ce qui est le moindre qu’elle pouvait faire. Ici, il ne faut pas croire à une augmentation des cas, mais plutôt à l’amélioration des capacités technologiques et aux réseaux sociaux : il a été possible d’enregistrer et de filmer en 2017 ; ce qui n’était pas possible auparavant. Ce qui était impossible à publier avant devient maintenant accessible aux victimes de ces prédateurs. Mais l’on peut légitimement croire que BOR est plein de ces prédateurs financiers et sexuels, justement parce que l’Eglise est un lieu intéressant pour ce genre de profil psychologique.

Mais finalement on pourra me dire que tous ces déviants, sont des brebis galeuses, chose inhérente à n’importe quelle organisation d’une taille significative. Dans toutes les armées, il y a des lâches. Dans toutes les entreprises, il y a des cadres incompétents. Et donc, dans les grandes églises comme celle de Roumanie, de temps en temps on a un évêque véreux, un prêtre qui aime les jeunes hommes ou un recteur de séminaire qui est corrompu. Cela ne devrait pas entacher tout l’ensemble. Bien que l’Eglise soit fondamentalement à part de toutes les structures qui réunissent des hommes dans un but commun, acceptons ce principe. Essayons de prendre du recul et de la hauteur pour essayer de comprendre la mutation post communiste, et surtout pourquoi cette église, si on lui trouve des circonstances atténuantes pour les épreuves du passé, n’est toujours pas un lieu où cheminer véritablement et sérieusement en Christ. Et pour comprendre BOR d’après 1989, vu que nous avons une église qui suit systématiquement le pouvoir, il faut comprendre la réorganisation politique d’après la révolution.





Structure ou conjoncture ? le cas Ion Iliescu

Après 1989, la vie politique s’est cristallisée autour de trois blocs : la gauche qui a d’abord eu le pouvoir, une droite qualifiée d’extrême, et un centre otanien atlantiste et européiste. Le premier homme fort de la Roumanie c’est Ion Iliescu. A l’heure où ce billet est écrit, il est toujours vivant. Il est né en 1930 dans une famille très à gauche, qui avait participé à la guerre d’Espagne du côté des communistes. Il rentre au parti communiste à 35 ans, sous l’ère Ceausescu, et s’occupe à un très haut niveau de responsabilité de l’enseignement et de la santé. Petit à petit, il s’attire la défiance de Ceausescu, mais sans pour autant être considéré comme un opposant politique. Il n’est pas mis en prison ou torturé, mais ses divergences d’opinion d’avec le dirigeant roumain sur les options politiques et économiques lui valent d’être placardisé. Sa marginalisation commence environ en 1971 et se poursuit jusqu’en 1989 où il n’est plus que le directeur d’une maison d’édition technique. Il reste néanmoins proche des cercles de pouvoir. Une des théories les plus intéressantes pour percer les mystères de la révolution, en fait un agent du KGB russe aligné sur Gorbatchev et sa pérestroïka. La révolution serait en fait un coup d’état russe pour ramener la Roumanie dans le giron russe et faire cesser l’isolationnisme roumain voulu par Ceausescu. Un concours de circonstances historiques a voulu que le coup se déroule en même temps que l’effondrement total du bloc communiste, et qu’il prenne alors une direction totalement inattendue et non anticipée. Après une zone de flou où se reconstituent des partis politiques, ont lieu des élections présidentielles en mai 1990 où il est élu pour deux ans. En 1991 est promulguée la nouvelle constitution roumaine, qui est encore aujourd’hui la constitution de l’état roumain. Il est réélu en 1992 pour un nouveau mandat de quatre ans. Il perd le pouvoir présidentiel au profit d’Emil Constantinescu entre 1996 et 2000 puis est réélu en 2000 jusque 2004. En plus d’avoir aligné la Roumanie sur l’OTAN et les USA, Iliescu reste dans l’histoire comme l’homme de l’amnistie des événements de la révolution de 1989. En 1990, il décrète l’amnistie de tous les miliciens et soldats fidèles au régime Ceausescu qui ont battu ou tué les révolutionnaires. Le plus emblématique est le lieutenant de la Securitate de Timisoara. Il amnistie en même temps tous les actes illégaux commis par les révolutionnaires. Puis l’amnistie s’étendra à tous les dignitaires communistes impliqués dans la répression de la révolution. Constantinescu donnera aussi une grâce présidentielle à un responsable communiste emprisonné. Rappelons que la révolution a fait en tout 1104 morts et 3321 blessés. Peut-être cette grâce était-elle nécessaire à la société roumaine à cette époque pour avancer. C’est un sujet qui est encore aujourd’hui débattu et qui est vu comme une des choses controversées relativement à l’action d’Iliescu.



Une église et un peuple en miroir face à la justice

La société roumaine n’a malheureusement jamais pu faire le procès du communisme, le procès de ces années, et rendre une forme de justice. D’une certaine façon, peut-on reprocher à BOR de ne pas avoir fait ce que la société roumaine avait été incapable de faire ? Les roumains étaient finalement mal placés pour exiger de leur église ce dont ils étaient eux même incapables. Il semblerait que dans l’esprit d’Iliescu et que peut-être dans celui de beaucoup de roumains, le procès du couple Ceausescu était finalement le seul procès nécessaire et suffisant. Rappelons qu’Iliescu fut directement impliqué dans cette parodie de procès. Ce procès est emblématique de tout ce qui est problématique dans cette transition politique et dans cette révolution : rien n’est fait dans les règles et la justice élémentaire est bafouée. On ne regarde pas son passé en face, et on ne dit pas les choses. Dans cette façon de faire, BOR a été totalement à l’unisson de la société roumaine. On ne regarde pas son péché, on essaie de l’oublier ; on se donne toutes les excuses du monde ; et on essaie d’avancer. D’un certain point de vue, c’est compréhensible et même parfois recommandé. Mais là c’est de l’Eglise dont on parle. Enfin, de ce qui est censé être l’Eglise, car je le répète, depuis l’élection de Miron Cristea à la tête du synode, ce n’était plus l’Eglise, et les actions de BOR n’ont cessé de le prouver. Le rôle d’une église dans une société, c’est de christianiser toujours plus cette société. Vous imaginez si toute ou partie des évêques étaient sortis dans une déclaration publique, en disant : nous avons péché pendant cette épreuve que le Seigneur a voulu nous faire vivre. Nous n’avons pas été digne de notre mission. Nous avons refusé de porter notre croix. Nous avons eu peur du martyre. De nouveaux évêques, dignes et sérieux auraient été nommés et l’Eglise roumaine serait sortie par le haut. Mais qu’avons-nous constaté ? l’exact contraire. La lâcheté a été théorisée. La compromission a été conceptualisée théologiquement. Comme si pour exister, une église avait besoin d’un homme en blanc dans une cathédrale située dans la capitale. Mais quel rapport ? L’Eglise n’est véritablement libre que lorsqu’elle est persécutée. C’est tout son paradoxe d’ailleurs, et cela permet de clarifier les choses. Encore faut-il qu’elle n’accepte pas de collaborer avec le persécuteur. Les premiers chrétiens déclaraient « non possumus » pour ne pas se compromettre avec l’adversaire. Si on pouvait donner un nom à BOR, ce serait l’Eglise possumus. L’Eglise qui peut ce qu’elle ne doit pas.



Le cas Dumitru Staniloae après 1989

Aujourd’hui une partie de BOR renoue timidement avec la pensée que la société démocratique marchande qualifie d’extrême droite. Les particularités roumaines fragmentent de façon importante les tenants de l’extrême droite. Il y a ceux qui se veulent successeurs de Codreanu qui se qualifient de néo-légionnaires mais qui refusent l’étiquette de fascistes ; il y a ceux qui veulent réhabiliter le maréchal Antonescu ; et enfin il y a les monarchistes. Ces trois groupes sont extrêmement divisés et parfois antagonistes. Les légionnaires se souviennent d’avoir été détruits par Antonescu. Les légionnaires et les partisans d’Antonescu se souviennent de façon incriminante et quelque peu injuste que le roi Michel 1er a donné la Roumanie aux soviétiques. Staniloae, avant sa mort en 1993 écrivit de nouveau dans des revues légionnaires. On peut donc conjecturer que cela était véritablement là ce à quoi il croyait du point de vue politique. Dans ces revues de droite, on peut y lire une franche opposition à toutes les sectes néoprotestantes, mais aussi au new age, aux grandes organisations internationales, au conseil œcuménique des églises, à la franc maçonnerie, etc. Et tout ceci est très bien et parfaitement orthodoxe. Mais une fois de plus, cela montre un trait de caractère assez inconsistant et frivole : pourquoi rester avec un synode qui continue à participer au conseil œcuménique des églises ? pourquoi rester avec un synode si accueillant et bienveillant avec la franc maçonnerie ? pourquoi rester avec un synode qui multiplie les rencontres constructives avec les grandes organisations internationales ? Lorsque Staniloae et ses comparses écrivent dans des journaux d’extrême droite pour dénoncer tout cela et qu’aux liturgies ils commémorent un évêque qui fait exactement le contraire, on est encore en droit de se demander si tout ceci est bien sincère. Ou si les roumains considèrent illusoire le fait d’avoir jamais des évêques dignes de ce nom. Attitude extravagante si l’on considère l’histoire de l’Eglise sous la haute antiquité. 95% des grands héros de l’Eglise étaient des évêques. C’est systématique. En Roumanie, quelle est cette malédiction qui veut que les évêques soient toujours ce qu’il y a de plus médiocre ? Si vous regardez les saints récemment proclamés par le synode, il n’y a pas un seul évêque. C’est tout à fait symptomatique de quelque chose. Et vous connaissez le proverbe : le poisson pourrit toujours par la tête. Alors, quelle est cette église bizarre où les personnes vues comme des grands spirituels sont en fait des moines, des simples moines, rarement des higoumènes, et jamais des évêques ? Ici un blog se veut le défenseur de l’orthodoxie, mais il met en avant le moine Ilie Cleopa, très apprécié en Roumanie, qui fait partie des 16 nouveaux saints, moine qui a défendu bec et ongles le changement de calendrier des francs-maçons contre l’orthodoxie véritable. Ici un autre blog qui recense les violations canoniques liées aux prières communes et qui fustige l’œcuménisme, mais qui est réalisé par quelqu’un qui reste malgré tout lié à BOR. Est-ce que le peuple roumain entier a perdu la notion d’évêque ? est-ce que le peuple roumain entier croit dans le conte pour enfants du combat de l’intérieur ?