Les anathèmes des semi-ariens contre Photin
Les anathèmes des semi ariens contre Photin
Nous reprenons notre étude historique et canonique au sortir du concile de Sardique. La situation n’est pas bonne pour l’Eglise. Dans la partie orientale, les évêques semi-ariens sont plus nombreux que les évêques orthodoxes. Ils profitent de la position semi-arienne de l’empereur d’orient pour faire la chasse à tous les évêques orientaux qui sont venus à Sardique pour soutenir l’orthodoxie Nicéenne. Athanase nous rapporte même que deux évêques furent condamnés à mort et durent prendre la fuite pour échapper à la sentence. Beaucoup de laïcs, refusant les évêques semi-ariens remplaçant les évêques orthodoxes déposés et chassés, furent également condamnés à mort. Athanase est tout naturellement interdit de rentrer en Egypte. Il écrira à ce propos : « c’est ainsi que la nouvelle hérésie n’a pas seulement nié le Seigneur, elle a aussi prêché l’homicide ». Athanase trouva refuge en Dacie (actuelle Roumanie), puis en Aquilée (en actuelle Italie) auprès de l’empereur d’occident Constant.
Celui-ci envoya d’abord une lettre amicale à son frère et homologue en orient, demandant qu’Athanase fut autorisé à rentrer à Alexandrie sans danger ni entrave. Devant le refus de l’empereur Constance, Constant envoya cette fois une lettre de menace, menaçant d’envoyer une légion pour chasser d’Alexandrie tous les imposteurs qui empêchaient le retour d’Athanase. Deux évêques légats, Vincent de Capoue et Euphratas de Cologne furent chargés de se rendre à Antioche pour porter cette lettre de menace. Etienne d’Antioche, un évêque arien et fourbe, tenta de compromettre les deux légats avec une prostituée, chargée de les séduire. Mais la chose fut heureusement découverte et c’est Etienne qui fut finalement déposé pour avoir ourdi une cabale en ce genre. Ceci aida probablement l’empereur d’orient à accepter l’ultimatum de l’empereur d’occident. Un concile fut organisé à Antioche pour la déposition d’Etienne. Il rappela les évêques et clercs chassés. Il leva toutes les interdictions pesant contre Athanase. Quelques mois plus tard, Grégoire, l’usurpateur qui trônait toujours à Alexandrie mourut. L’empereur empêcha qu’un évêque fut nommé pour lui succéder et invita officiellement Athanase à regagner son poste à Alexandrie. Celui-ci avait suivi l’empereur d’occident à Trèves. Il hésita longtemps avant de revenir, probablement peu assuré sur l’attitude de l’empereur d’orient. Mais il se résolut à partir. Il rencontra l’empereur à Antioche qui lui fit le meilleur accueil. Mais les évêques ariens de son entourage étaient à la manœuvre. Utilisant l’empereur, ils essayèrent d’obtenir la création d’une église pour les ariens d’Alexandrie, église validée par Athanase où ils pourraient vivre leur foi arienne tout en étant pas en état de schisme. Très habilement, Athanase répondit à l’empereur qu’il demandait la réciproque pour tous les orthodoxes ayant pour évêque un évêque arien. Pris à leur propre piège, les évêques ariens d’Antioche firent abandonner la proposition. Athanase après un détour par Jérusalem arrive à Alexandrie en 346.
Pendant cette phase qui voit Athanase regagner son trône, l’Eglise dut se réunir en concile à Milan, plusieurs fois semble-t-il aux alentours de 345-347 pour condamner Photin, évêque de Sirmium, en actuelle Serbie, et disciple de Marcel d’Ancyre. Nous ne savons pas précisément quelle était sa théologie, mais il semble qu’il voyait en Jésus un homme exceptionnel, adopté par Dieu en raison de ses mérites personnels. Il s’agit d’une christologie tout à fait non orthodoxe. Photin avait pu échapper à l’attention de l’Eglise car il avait été persécuté par les ariens et les eusébiens, et il profitait de l’aura de Marcel d’Ancyre.
Un problème avec les donatistes en Afrique donna lieu à la tenue du concile de Carthage en 349. Il y a plusieurs conciles à Carthage au long de l’histoire. Le premier est en fait une série de conciles sur la problématique des lapsi avec comme figure principale, Saint Cyprien, de Carthage bien évidemment. Le concile qui a lieu dans notre exposé est le second concile. Quant au concile le plus connu ayant eu lieu à Carthage, il aura lieu au cinquième siècle et adressera la problématique du baptême des enfants et donc du péché originel. Un élément intéressant issu de ce concile de Carthage. Deux évêques, Antigone et Optantius avaient un différend territorial. La délimitation des diocèses avait été décidée lors de ce concile, ce qui montre que les divisions territoriales de l’empire n’étaient pas encore appliquées à l’Eglise, bien que le principe remonta au concile de Nicée, datant déjà de 25 ans.
L’empire romain traversa une nouvelle turbulence politique, en l’an 350. Constans, empereur d’occident fut victime d’un complot qui lui coûta la vie, au profit d’un dénommé Magnence. Ceci suscita des ambitions : Vétranion, un général chrétien se déclara empereur en Pannonie, et Nepotianus, neveu de Constantin fit de même à Rome. Constantius, en guerre contre les perses rentra en hâte. Il se dirigea d’abord vers Vétranion et lui offrit la vie sauve en échange de la récupération et la fidélité de ses troupes. Vétranion avait eu de la chance. Davantage que Nepotianus, qui fut vaincu et tué par Magnence. Constantius sortit vainqueur de l’affrontement avec Magnence et resta seul empereur : il régnait à la fois sur l’orient et l’occident. Lors de l’épisode avec Vétranion, l’empereur Constantius avait sollicité un grand concile pour la déposition de l’évêque Photin dont j’ai parlé précédemment. Ce concile a édicté tout un ensemble d’anathèmes, dont la lecture permet de définir les contours d’une christologie et d’une théologie trinitaire presque parfaitement orthodoxe, je dis bien presque :
Anathème 1 :
« Ceux qui disent que le Fils est né du néant ou d’un être autre que Dieu (c’est-à-dire qu’il est d’une autre substance que Dieu), ou bien qu’il y a eu un temps ou une durée où le Fils n’était pas, ceux-là sont rejetés par la sainte Eglise catholique »
Anathème 2 :
« Si quelqu’un appelle le Père et le Fils deux Dieux, qu’il soit anathème »
Anathème 3 :
« Si quelqu’un dit que le Christ est Dieu et Fils de Dieu avant tous les temps, sans admettre qu’il a aidé le Père dans la création de toutes choses, qu’il soit anathème »
Anathème 4 :
« Si quelqu’un ose dire que le Non-engendré ou une partie de lui est né de Marie, qu’il soit anathème »
Anathème 5 :
« Si quelqu’un dit que le Fils a existé sans doute avant Marie, mais seulement dans la prescience de Dieu, et qu’il n’était pas en Dieu engendré du Père avant tous les temps, et que par lui toutes choses ont été faites, qu’il soit anathème »
Anathème 6 :
« Si quelqu’un dit que la substance de Dieu est sujette à s’étendre ou à se rétrécir, qu’il soit anathème »
Anathème 7 :
« Si quelqu’un dit que la substance de Dieu en se dilatant a formé le Fils, ou appelle Fils l’extension de la substance de Dieu, qu’il soit anathème »
Anathème 8 :
« Si quelqu’un appelle le Fils de Dieu Logos pensé ou bien prononcé, qu’il soit anathème »
Anathème 9 :
« Si quelqu’un dit que le Fils de Marie n’est qu’un homme, qu’il soit anathème. »
Anathème 10 :
« quelqu’un appelant Dieu le Dieu-homme né de Marie, entend par là le Non-engendré (lui-même), qu’il soit anathème »
Anathème 11 :
« Si quelqu’un entend à la manière des juifs (ces paroles d’Isaïe) : « Je suis le premier et le dernier et en dehors « de moi il n’y a pas de Dieu, » paroles qui ont été dites pour exclure les idoles et les faux dieux, et les entend à l’exclusion de celui qui est né Dieu, Fils unique avant tous les temps, qu’il soit anathème »
Anathème 12 :
« Si quelqu’un entendant ces paroles : « Le « Logos s’est fait chair, » croit que le Logos s’est changé en chair, ou bien qu’en prenant chair il a souffert un changement, qu’il soit anathème. »
Anathème 13 :
« Si quelqu’un entendant ces mots : « Le Fils unique de Dieu a été crucifié, » croit que sa divinité a subi une subversion, pour la souffrance, pour le changement, pour l’amoindrissement ou l’anéantissement, qu’il soit anathème »
Anathème 14 :
« Si quelqu’un dit que ces mots : « Faisons « l’homme, » n’ont pas été dits au Fils par le Père, mais que le Père se les est dits à lui-même (c’est-à-dire les a dits au Logos existant en lui d’une manière impersonnelle), qu’il soit anathème. »
Anathème 15 :
« Si quelqu’un dit que ce n’est pas le Fils qui a apparu à Abraham, mais — le Dieu non engendré, ou une partie de ce Dieu — qu’il soit anathème. »
Anathème 16 :
« Si quelqu’un dit que le Fils n’a pas combattu comme un homme avec Jacob, mais que c’est le Dieu non engendré ou une partie de ce Dieu qui a combattu, qu’il soit anathème »
Anathème 17 :
« Si quelqu’un n’entend pas du Père et du Fils (ces paroles de Moïse) : « Le Seigneur lit pleuvoir du feu du Seigneur, » mais s’il dit que le Père a fait pleuvoir de lui-même, qu’il soit anathème. Car c’est le Seigneur, c’est-à-dire le Fils, qui a fait pleuvoir du Seigneur, c’est-à-dire du Père »
Anathème 18 :
« Si quelqu’un entendant ces paroles ; « Le Père « est le Seigneur et le Fils est le Seigneur, » et : « Le Père et le Fils « sont le Seigneur » (car celui-ci est le Seigneur issu du Seigneur), dit qu’il y a deux Dieux, qu’il soit anathème. Car nous ne plaçons pas le Fils sur la même ligne que le Père, mais nous le subordonnons au Père car le Fils n’est pas descendu sur Sodome sans la volonté du Père, il n’a pas fait pleuvoir de lui-même, mais bien du Seigneur (c’est-à-dire d’après la volonté du Père). Il est bien évident en effet que le Père a seul la puissance par lui-même ; et le Fils ne s’assied pas (de lui-même) à la droite du Père, mais seulement lorsqu’il a entendu la parole du Père : Assieds-toi à ma droite. »
Anathème 19 :
« Si quelqu’un appelle le Père, le Fils et le Saint-Esprit, une seule personne, qu’il soit anathème. »
Anathème 20 :
« Si quelqu’un appelant le Saint-Esprit Paraclet dit de lui qu’il est le Dieu non engendré, qu’il soit anathème »
Anathème 21 :
« Si quelqu’un ne regarde pas, ainsi que le Seigneur nous l’a enseigné, le Paraclet comme différent du Fils (car il a dit : Et le Père vous enverra un autre Paraclet que je lui demanderai), qu’il soit anathème. »
Anathème 22 :
« Si quelqu’un appelle le Saint-Esprit une partie du Père ou du Fils, qu’il soit anathème. »
Anathème 23 :
« Si quelqu’un appelle le Père, le Fils et le Saint-Esprit trois Dieux, qu’il soit anathème. »
Anathème 24 :
« Si quelqu’un dit que le Fils est arrivé à l’existence par la volonté de Dieu, comme une (des) créatures, qu’il soit anathème. »
Anathème 25 :
« Si quelqu’un dit que le Fils a été engendré sans la volonté du Père, qu’il soit anathème, car le Père n’a pas engendré le Fils d’une manière forcée et comme une nécessité de sa nature quand même il ne l’aurait pas voulu ; mais aussitôt qu’il l’a voulu, en dehors de tous les temps, et sans souffrir de changement, il l’a engendré de lui-même et lui a donné l’existence »
Anathème 26 :
« Si quelqu’un dit que le Fils n’a pas été engendré et qu’il n’a pas son principe dans un autre, admettant ainsi deux êtres non engendrés et sans principe et par conséquent deux Dieux, qu’il soit anathème ; car la tête et le principe de tout est le Fils, et Dieu est, à son tour, la tête et le [646] principe du Christ. De cette manière nous ramènerons tout avec piété, par le Fils, au principe de toutes choses, lui-même sans principe »
Anathème 27 :
« Pour donner une fois de plus le véritable sens de la doctrine chrétienne, nous ajoutons : « Si quelqu’un ne confesse pas le Christ Dieu et Fils de Dieu existant avant tous les temps, coopérateur du Père pour la création de toutes choses ; mais s’il dit qu’il n’a été appelé Christ et Fils que depuis qu’il est né de Marie, et qu’il a eu, alors comme Dieu, un commencement, qu’il soit anathème. » »
Saint Athanase reproduit ses anathèmes dans ses textes, ainsi que saint Hilaire de Poitiers qui les traduit en latin bien sûr, mais en les mettant parfois dans un autre ordre. Ce qui ressort de ces anathèmes, est une idée que l’on peut se faire de la théologie professée par Photin : il voyait deux inengendrés dans le Père et le Fils et faisait probablement une distinction entre Fils et Logos. On a un Logos non engendré qui a un moment s’est étendu au Christ. Hilaire rapporte que Photin pensait « que le Fils avait existé, en effet de toute éternité, dans la prescience de Dieu, mais non d’une manière absolue ». En introduisant les anathèmes je disais que cela était presque parfaitement orthodoxe. En effet, l’anathème 18 en disant que « le Fils n’est pas égal au Père mais qu’il lui est subordonné » utilise ici des formulations quasi-ariennes et en tout cas parfaitement subordinatianistes. Il ne faut pas oublier que ce concile a été tenu principalement par des eusébiens et des semi-ariens. Mais Photin était encore moins orthodoxe qu’eux. Le Saint-Esprit pour lui, était une sorte d’extension de Dieu et pas une personne. Les anathèmes 24 et 25 sont intéressants du point de vue de l’histoire de la théologie. Le 24 anathématise ceux qui pensent que l’engendrement du Fils est un engendrement de volonté. Mais le 25 semble condamner ceux qui pensent que le Fils est engendré de par la nature du Père. La position arienne, durement combattue à Nicée par Athanase était « Le Père a engendré le Fils par sa volonté ». Athanase postulait que l’acte de volonté n’est pas nécessaire, et que c’est la nature, hors de la volonté qui a engendré le Fils. La position arienne plaçait le Fils au rang des créatures, qui elles sont bien issues de la volonté de Dieu. On voit bien ici que les eusébiens veulent se défendre des accusations d’arianisme, mais condamnent également la position orthodoxe. On ne sait pas trop comment ils conçoivent l’engendrement du Fils.
Ces anathèmes furent présentés à Photin pour savoir s’il se rangeait à la théologie qui s’en dégageait. Il refusa de signer, ce qui prouve le point. Celui qui présida tout cela était Basile d’Ancyre, le successeur de Marcel d’Ancyre. Il avait été élu en 336, suite à la déposition de Marcel. Nous le retrouverons plus tard dans l’histoire de l’Eglise lorsqu’il prendra la tête des semi-ariens. Photin quant à lui n’avait pas fini de faire parler de lui. A Sirmium, les évêques rédigèrent un nouveau credo, et une nouvelle fois, ce qui ne surprendra pas vu la composition de l’assemblée en question, ce credo évitait le mot omoousios. On y a un Christ Dieu de Dieu, existant avant tous les siècles, lumière de lumière. Ce credo finissait même par quelques anathèmes contre ceux déclarant qu’il fut un temps où il n’existait pas, ou bien qu’il était sorti d’une autre substance que celle de Dieu. Le mot utilisé pour substance est encore à ce moment hypostase. Les cappadociens n’ont pas encore épuré le langage. Les eusébiens sont une mutation de l’arianisme : ils admettent que le Fils est antérieur au monde, antérieur au temps, mais il reste une créature. Antérieur et supérieur à tous, mais une créature. Leur refus de la consubstantialité les amènent à condamner ceux qui voient le Fils comme une extension de la substance divine. Formulation maladroite, en apparence orthodoxe, et qui ménage les erreurs ariennes. Ils composèrent ensuite deux autres symboles qui auront une grande importance pour la suite de cette période. Les évêques eusébiens savaient bien qu’Athanase ne se rangeraient jamais à ces symboles de compromis. Ce dernier compose en 350 son « apologie contre les ariens » qui ne montre pas trop de volonté de conciliation. Dans sa métropole d’Alexandrie, il dépose tous les prêtres à tendances ariennes, et les remplacent par des orthodoxes.