L'empereur Julien l'apostat
Julien l’apostat
Les deux délégations retournent voir l’empereur
Les deux délégations envoyées à l’empereur, celle de Rimini et celle de Séleucie se rencontrèrent. Vous vous souvenez que la délégation de Rimini était arienne. Ceci permit aux ariens de faire croire à la délégation de Séleucie que la conclusion de Rimini était que le Christ était une créature, pas comme les autres, mais une créature. Les délégués brodèrent sur le compromis de Rimini : l’éternité du Christ était semblable à celle des anges. C’était une éternité de créature. Hilaire témoigne d’une explication d’éternité pro futuro, c’est-à-dire une éternité mais sans antériorité infinie. Les délégués de Séleucie rejetèrent tout d’abord cette approche typiquement arienne. Et comme d’habitude, à force de manœuvre, de menaces larvées, de régime de semi-liberté, le 31 décembre 359, l’empereur arriva enfin à son but. Les délégués de Séleucie signèrent le texte attendu. Mais Hilaire, présent en qualité de témoin et certainement pas comme signataire, ainsi que le relate Jérôme plus tard dans ses textes : la majorité des souscriptions à ce symbole avaient été extorquées. La paix de l’empereur était factice, et tout le monde le savait. Il n’y avait pas de paix véritable dans l’Eglise.
Pour enfoncer le clou, les évêques ariens présents à Constantinople où avaient eu lieu toutes les rencontres entre les délégués et l’empereur, réunirent un nouveau synode en 360, appelé synode de Constantinople. Le but de ce synode était double : liquider les rivalités à l’intérieur du parti arien et soumettre une bonne fois pour toute, les autres évêques avec un synode de référence, sans polémique. En écho à ce triste concile, les évêques gaulois se réunissent à Paris en 360 ou 361 et affirment l’omoousios. Ils adressent un courrier aux évêques orientaux en jetant l’anathème sur plusieurs évêques dont les fameux Ursace et Valens. A noter en 360, un évènement important pour la suite : Mélèce est élu évêque à Antioche. Elu par des évêques ariens qui pensaient avoir en lui un partisan, il se prononce presque immédiatement pour la foi de Nicée.
La lettre d’Hilaire de Poitiers à l’empereur
Athanase et Hilaire prirent la plume pour défendre la foi. Athanase ménagea l’empereur, en ne l’accusant pas directement, alors qu’il était celui qui avait donné les pouvoirs aux évêques qui plongeaient l’Eglise dans les tourments. Athanase n’étant pas un homme totalement dédié à la vérité, il faut peut-être mettre cela sur le compte d’une vision orientale du pouvoir. Hilaire ne prit pas les mêmes précautions. Il écrit à ce dernier : « Il est temps de parler, le temps de se taire est passé. Qu’on attende Jésus-Christ, l’Antechrist est venu; que les pasteurs crient, les mercenaires ont fui. Donnons notre vie pour nos brebis, car les voleurs sont entrés dans la bergerie, et un lion furieux rôde autour d’elles pour les dévorer. Marchons au martyre… Mourons avec Jésus-Christ pour régner avec lui. Garder un plus long silence, ne serait pas modération, mais lâcheté; se taire toujours, n’est pas moins dangereux que de ne se taire jamais… Dieu Tout-Puissant, créateur de toutes choses ! Père de notre Seigneur Jésus-Christ ! que n’ai-je été appelé à vous confesser, vous et votre Fils unique, aux temps des Dèce et des Néron. Alors, par la miséricorde de Jésus-Christ, votre Fils, brûlant de l’Esprit-Saint, j’eusse méprisé les chevalets, les flammes, les croix; je n’eusse craint ni d’être brûlé, ni d’être jeté au fond de la mer… Nous aurions combattu ouvertement contre vos ennemis, contre les bourreaux et les égorgeurs. Mais nous avons à combattre un persécuteur hypocrite, un ennemi caressant… Constantius, je te dis ce que je dirais aux Néron, aux Dèce, aux Maximien : tu combats contre Dieu, contre son Eglise ; tu tourmentes les saints, tu hais ceux qui prêchent Jésus-Christ, tu es le tyran de la religion : c’est là ce que tu as de commun avec les persécuteurs. Ce qui t’est propre, le voici : tu feins d’être disciple de Jésus-Christ, et tu es son ennemi; tu fais sans cesse de nouvelles formules de foi, et ta vie est un combat contre la foi; tu nommes de mauvais évêques, tes partisans, et tu chasses les bons; tu emprisonnes les ministres de Jésus-Christ, et tu ranges tes armées en bataille pour inspirer de la terreur à l’Eglise. »
On imagine que les conséquences de cette lettre pour Hilaire furent terribles. Et pourtant, contrairement à toute attente, l’empereur fut touché de cette lettre. De façon providentielle, les ariens de l’orient redoutaient Hilaire. Ils avaient déjà assez à faire avec un Athanase pour ne pas en avoir un deuxième. La combinaison de l’impact de la lettre sur Constantius et la crainte des évêques ariens enclencha une sentence de fin d’exil pour Hilaire. Il put rentrer en Gaule. Il arrive auréolé de la gloire du vainqueur. Dans la même veine, Lucifer de Cagliari envoie une longue étude biblique à Constantius, pour lui montrer qu’il est en tout point semblable aux rois apostats d’Israël, aux rois maudits de Juda et que la sentence la plus terrible l’attend au tribunal céleste. « Entends-tu, Constantius? Dès que toi et les tiens vous vous éloignez de Dieu, on ne vous regarde plus comme des hommes, mais comme des bêtes sauvages et des brigands. » peut lire l’empereur de la plume de l’évêque italien. Mais l’évêque l’appelle aussi au repentir. Tel un saint Paul, il peut cesser d’être persécuteur et devenir apôtre. Il conclue de la sorte : « Toi aussi, après avoir été persécuteur et blasphémateur, tu pourras devenir saint et ami de Dieu, si, comme le bienheureux Paul, tu crois que Jésus-Christ est le vrai Fils de Dieu ; si tu confesses qu’il a régné et qu’il régnera toujours avec le Père, sans commencement ni fin; si tu ne résistes pas aux Ecritures qui te crient que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont la même éternité; si, enfin, tu crois que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont une divinité unique. Si tu as cette foi, tu feras partie un jour du chœur des patriarches, des prophètes, des apôtres et des martyrs. Si tu ne l’as pas, et si tu méprises nos avertissements, tu ne l’imputeras qu’à toi, lorsque tu seras tourmenté avec le diable et ses satellites. »
Mort de Constant et arrivée au pouvoir de Julien l’apostat
Constantius se plaint alors que les évêques ne le respectent pas. Lucifer lui répond : « Constantius, tu nous reproches d’avoir été insolent. Tu aurais raison, si les serviteurs de Dieu devaient épargner les apostats. Voyons si jamais il en a été ainsi. ». Contrairement à Hilaire, Constantius ne supporte pas les remontrances de Lucifer et l’exile de nouveau. C’est à ce moment que Dieu rappelle à lui Constantius qui meurt en 361. L’empereur qui lui succède est le fameux Julien l’apostat, connu pour être dans la mémoire de l’Eglise, un des pires, sinon le pire empereur romain qui n’ait jamais régné sur l’empire. Julien est connu pour avoir remis le paganisme à l’honneur.
On pourra être surpris de voir en Julien un empereur païen. Si Constantin avait été sincère dans sa défense de la foi, avec les quelques limites que nous avons vus sur cette période de l’histoire de l’Eglise, les enfants de celui-ci n’avaient pas spécialement attaqué le paganisme. Le Père Guettée explique : « Les superstitions populaires, les habitudes séculaires des nations, ne s’effacent pas vite, même en présence des décrets qui les condamnent, et des doctrines qui en démontrent la fausseté. De plus, les hommes littéraires, les philosophes, ne se sentaient pas généralement portés à abandonner des maîtres célèbres, pour entrer dans une société religieuse qui n’avait à leur offrir pour modèles ni des Homère, ni des Platon. Ils laissaient au vulgaire et aux ambitieux la religion nouvelle où l’on n’avait pour maître qu’un crucifié. Pour eux ils préféraient à la secte barbare et judaïque, la civilisation des anciens Grecs et se drapaient dans leur titre d’Hellènes, qui devenait l’opposé du titre de chrétien. Les apologistes chrétiens leur abandonnèrent ce titre; dans la littérature religieuse du quatrième siècle, Hellènes est synonyme de gentils ou idolâtres. » (histoire de l’Eglise, tome 3, p252). Julien avait été lecteur dans sa jeunesse, mais son véritable attrait était pour la philosophie. Ce n’est que par peur de Constantius qu’il n’avait pas exprimé son dédain pour l’Eglise et son attrait pour l’hellénisme. Il se forma aux philosophies grecques aux cultes à mystères païens d’abord à Ephèse puis à Athènes. Le hasard a voulu qu’il côtoie sur les bancs de l’école de philosophie à Athènes deux élèves qui n’étaient autre que les futurs Grégoire de Nazianze et Basile de Césarée, deux des plus immenses docteurs de l’Eglise. Grégoire se souvient de Julien ainsi : « Rien en lui ne me faisait augurer quelque chose de bon; il remuait toujours la tête; il haussait ou baissait sans cesse les épaules; son regard, indécis, égaré, avait quelque chose de celui d’un maniaque; il ne pouvait tenir ses pieds en repos et il remuait toujours; son nez respirait l’insolence et le dédain ; les contractions continuelles de sa figure avaient le même caractère; parfois il s’abandonnait à un rire immodéré et désordonné; il affirmait ou niait sans raison; il parlait à tort et à travers, adressant des demandes et faisant des réponses dénuées de bon sens, contradictoires, et sans caractère scientifique. Je dis alors à ceux qui étaient avec moi à Athènes : Quel méchant homme nourrit l’empire romain ! J’aurais voulu être mauvais prophète, j’aurais mieux aimé m’être trompé que de voir les maux dont ce monstre a rempli le monde entier. ». Il évolue ensuite dans les Gaules qu’il gouverne du point de vue administratif, ainsi que dans l’entourage de Constantius. Il se révèle un général compétent ainsi qu’un excellent administrateur. Julien se fait même des ennemis parmi les fonctionnaires habitués au vol et à la corruption. Du point de vue spirituel, il prie principalement Mercure qui est pour lui le philosophe absolu. Il s’essaie à la philosophie et à la littérature. Païen de cœur, il n’en reste pas moins politique : Constantius l’ayant nommé César, il est proclamé empereur d’occident par ses partisans, il participe activement à la prière dans l’église en janvier 361, devant tout le peuple chrétien. Avant que la lutte pour l’empire n’ait lieu avec Constantius qu’il venait donc de trahir, ce dernier meurt et Julien est reconnu empereur dans tout l’empire. Pour effacer le sceau du baptême, il se fit arroser du sang d’une victime sacrifiée en l’honneur des dieux. Son entrée publique dans l’idolâtrie envoya un signal clair aux évêques : le christianisme avait un nouvel ennemi à la tête de l’empire.
Les premières mesures de Julien
Mais il faut reconnaître que son règne débute plutôt bien : il rappelle tous les évêques exilés et proclame la paix religieuse. Mais ce n’est que pour céder à un relativisme religieux. Chacun est libre de croire ce qu’il veut. Julien était spirituellement un païen. Depuis son paganisme, il avait au fond un mépris égal pour les orthodoxes comme pour les ariens. Il permis aux novatiens de rebâtir une église qui avait été détruite. Une ère apparente de liberté religieuse débutait. Point positif de la situation : les ariens n’avaient plus de soutien impérial et les orthodoxes pouvaient enfin parler haut et fort sans rien craindre. Julien exigea que tous les évêques chassés de leur siège épiscopal soient réintégrés et que les occupants soient chassés. Il prit cette décision en 362. Ceci augurait une liste de conflits sans fin, mais permit à Athanase de sortir de la clandestinité et de regagner le trône d’Alexandrie. Grégoire de Cappadoce qui occupait le siège d’Athanase, seulement grâce au soutien et à la protection de la police fut chassé et brûlé par la population qui le détestait. Il n’est pas clair de savoir si ce sont des chrétiens succombant à l’esprit de vengeance qui tuèrent l’usurpateur Grégoire, ou si ce sont des païens, galvanisés par le paganisme du nouvel empereur, qui se vengeaient de la destruction par Grégoire d’un temple de Mithra et l’exposition de tous les ossements humains découverts, vestiges du caractère démoniaque des cultes païens antiques. Athanase revint de façon triomphale. Il entra sur un âne dans la ville. Grégoire de Nazianze nous rapporte que chaque maison fit un festin : toute la ville était illuminée et l’on n’entendait qu’applaudissements et éclats de joie.
Des conciles se réunirent partout pour trancher sur la façon de considérer les évêques qui avaient suivi les décisions de Constantius et qui avaient d’une façon ou d’une autre collaboré. Comme on peut l’attendre, il y avait des partisans de la rigueur qui voulaient des exils, et des partisans de la douceur qui demandaient à ce que l’on comprenne que l’on avait sacrifié des mots mais pas la vraie doctrine. En Grèce, en Egypte, l’on pencha dans le sens de la douceur. Le Pape Libère prêcha la douceur. Difficile dans sa position de faire autrement. Il prôna de ne condamner que ceux qui explicitement se livreraient à des déclarations publiques ariennes dans la présente situation. Il invita tous les évêques italiens à reconnaître officiellement la foi de Nicée et de rejeter tout ce qui venait de Rimini. Beaucoup d’évêques acceptèrent Nicée, mais le mot omoousios en troublaient encore certain. Ce n’en était pas encore fini de l’arianisme.
Le cas de Mélèce d’Antioche
C’est dans ce contexte qu’il faut parler plus longuement de Mélèce d’Antioche. Mélèce s’est tout d’abord illustré dans l’arianisme. D’abord élu évêque chez les arméniens, il signa la formule ultra arienne d’Acace de Césarée de Palestine lors du concile de Séleucie dont il était un des membres. Eudoxios, évêque arien d’Antioche fut nommé évêque de Constantinople et c’est Mélèce qui prit sa place à Antioche. Il s’occupa d’abord de régler des problème de discipline ecclésiastique. Puis, chose inattendue à la vue de son parcours passé, il se mit enseigner la foi de Nicée et à se prononcer en faveur du omoousios. Un des derniers actes de Constantius avant de mourir fut de l’exiler pour cette raison. Mélèce, homme charismatique, agrégea des hommes autour de lui et Antioche se retrouva dans une situation tout à fait inédite. Il y avait au total la faction arienne, les mélétiens qui étaient orthodoxes mais qui venaient d’une certaine façon de l’arianisme, et enfin les orthodoxes qui avaient toujours été orthodoxes, mais qui ne communiaient pas avec les mélétiens parce qu’il venait de l’arianisme. Il y avait donc deux partis orthodoxes à Antioche. Les mélétiens étaient dans la situation particulière de professer l’orthodoxie, mais d’être sans Mélèce qui avait été exilé. Ils étaient sans évêque et Lucifer de Cagliari, pour remédier à cela, ordonna évêque un certain Paulinus, sans entrer en contact avec les orthodoxes non mélétiens. Puis Mélèce, conformément au décret de Julien revint d’exil. Les orthodoxes se recomposèrent finalement en deux camps : autour de Paulinus et autour de Mélèce. L’évêque arien s’appelait quant à lui Euzoius. C’est ce genre de situation chaotique que cherchait Julien par son décret. A Antioche, cela avait fonctionné à merveille. Lucifer apprenant ensuite que son action n’était pas approuvée de tous, réagit mal et choisit de s’isoler dans son diocèse de Sardaigne. Ses partisans formeront une sorte de schisme, professant une parfaite orthodoxie, mais coupé des autres pour des raisons seulement humaines et non dogmatiques. Ce schisme ne dura pas et s’éteignit rapidement.
Une nouvelle problématique théologique apparut à cette époque : la divinité du Saint-Esprit. Après la consubstantialité du Fils, celle de l’Esprit faisait également débat. C’était en quelque sorte, une conséquence normale et logique de l’arianisme. Si le Fils n’était pas omoousios avec le Père, il était logique qu’il en soit de même pour l’Esprit. L’Esprit était une créature commençait à dire les ariens. Lors du concile qui eut lieu en Egypte pour réaffirmer la foi de Nicée et la position d’Athanase, le concile proclama : « L’Esprit est de même substance et divinité que le Père et le Fils, et, dans la Trinité, il n’y a absolument rien de créé, rien qui soit inférieur ni rien de postérieur ». Ceux qui étaient combattus étaient les pneumatomaques, dont le plus illustre représentant était Macédonius, le patriarche de Constantinople. Les pneumatomaques sont parfois appelés macédoniens à cause de lui. Le concile d’Alexandrie s’attela ensuite à une tâche indispensable : se mettre d’accord sur le vocabulaire théologique lié à la Trinité. Tout le monde ne comprenait pas ousia et hypostase de la même façon. Il y avait de plus le problème du grec et du latin. Le premier problème était que certains utilisaient indistinctement ousia et hypostase pour décrire la même chose, à savoir la nature divine. Ils disaient que Dieu n’a qu’une hypostase, mais pour eux c’était pour affirmer l’unicité de la nature divine. D’autres affirmaient une Trinité d’hypostases. Osius avait voulu éclaircir ceci au moment du concile de Nicée, mais la chose n’avait pas été au bout. On choisit alors de considérer les concepts tels qu’exprimés aujourd’hui : hypostase pour la personne divine et ousia pour la nature divine. L’utilisation du terme hypostase fut lavée de son soupçon de sabellianisme. Athanase, grâce à ses exils maitrisait aussi le latin et put servir de pont linguistique. Tout le monde se mit d’accord et l’on put enfin anathématiser Arius, Sabellius, Paul de Samosate et tous les autres hérésiarques, tout en étant en accord sur la doctrine orthodoxe. Le même concile traita d’un dernier sujet : l’humanité du Christ. Une secte nommée les appolinariens professaient que le Christ n’avait pas d’âme. Le concile réaffirma l’évidence : le Christ, en tant qu’homme avait tout ce qui constitue un homme du point de vue anthropologique. Et l’âme est bien évidemment une composante indispensable de ce qu’est l’homme. Appolinaire de Laodicée, le fondateur de cette hérésie voyait le Christ comme la seconde Personne de la Trinité animant un corps humain. Son hérésie sera condamnée plusieurs fois, mais ici est la première.
Cette série de conciles à Alexandrie, en Gaule, en Espagne, en Grèce et ailleurs permit d’assainir la situation. Les évêques abusés par les tromperies de formulation du concile de Rimini purent ainsi professer une orthodoxie parfaitement nicéenne et traditionnelle. Athanase, dans un moment d’exaltation écrivit même que la foi de Nicée était la foi du monde chrétien dans son entier. Julien, sous le prétexte de la liberté religieuse n’en aidait pas moins les ariens qui tenaient les patriarcats d’Antioche et de Constantinople, et rassemblaient des évêques en Lybie. Julien finança également Eunome et Aétius. En privé il appelait Jésus le « galiléen » et les chrétiens les « galiléens ». Connaisseur de l’histoire, il avait compris que les persécutions ne faisaient que rendre les chrétiens sympathiques au final. L’empire romain s’y était suffisamment essayé pour conclure que cela ne fonctionnait pas. Julien essaya donc quelque chose d’assez original et de radicalement différent : il édicta une loi pour interdire l’instruction aux chrétiens. Il exempta également les chrétiens de service militaire et publia un décret interdisant qu’un chrétien puisse être nommé préfet. Son prétexte était assez habile : le préfet doit parfois déclarer des peines capitales et les chrétiens sont hostiles à la peine de mort. Réinstaurant un culte officiel aux idoles, Julien permit aux chrétiens de voir qui était un chrétien sincère, et qui ne l’était que par calcul. Il les persécuta également financièrement, levant un impôt frappant exclusivement les chrétiens, afin de financer les guerres contre les perses. Athanase, constatant la reprise et la vigueur du paganisme écrivit à ce moment son discours contre les Hellènes, qui est un réquisitoire contre le paganisme. Il y réfute une idée intéressante qu’utilisaient les philosophes païens pour convaincre les chrétiens : les dieux des polythéistes étaient en fait ce que les chrétiens appellent des anges, mais le polythéisme cachait un monothéisme. On retrouve aujourd’hui ce genre de sornettes chez certains universitaires. Athanase écrivit ensuite un second ouvrage pour expliquer l’incarnation aux païens : le discours sur l’incarnation du Verbe est probablement son ouvrage majeur. S’il n’y en a qu’un seul à lire de Saint Athanase, que ce soit celui-là. Ces deux discours contre le paganisme enflammèrent les païens contre Athanase qui dut à nouveau se cacher pour éviter la mort. Julien, en fin connaisseur de la religion chrétienne répondait à ceux qui venaient lui demander de rétablir l’ordre suite à ce genre de débordement : « c’est un devoir pour vous de supporter patiemment les injures. C’est là un précepte de votre Dieu ». Julien n’ordonnait pas directement de persécutions antichrétiennes, mais remettant le paganisme à l’honneur, il permettait aux païens de commettre des persécutions antichrétiennes sans jamais intervenir. Il est probable que son ambition secrète, son moteur profond était d’être le grand restaurateur de l’hellénisme et de la philosophie. C’est la trace qu’il voulait laisser dans l’histoire.
Julien montre son vrai visage
Julien, après avoir accablé les chrétiens de taxes, partit en guerre avec les Perses. Il quitta Constantinople et partit vers Antioche. Sur la route se trouvait Césarée de Cappadoce, où séjournait saint Basile, son ancien camarade d’école à Athènes. Julien voulut le rencontrer mais Basile l’ignora. Il y eut un échange épistolaire plutôt glacial entre les deux hommes. Julien écrivit à Basile : « J’ai compris ce que j’ai lu, c’est pourquoi je l’ai condamné. ». Ainsi justifiait-il son apostasie. Basile lui répondit sans hésitation « Tu n’as pas compris ce que tu as lu ; car si tu l’eusses compris, tu ne l’aurais pas condamné. ». Ayant débuté sous le masque de la liberté religieuse, Julien révélait chaque jour davantage son vrai visage. Il fit exécuter des soldats refusant d’apostasier. Que soient ici cités les noms des martyrs que Julien nous a donné à cette occasion : Juventinus, Maximinus, Bonosius, Maximilianus. Il y eut bien évidemment de nombreux anonymes dont les noms sont connus au ciel. Le ciel justement envoya plusieurs messages pourtant assez clairs à Julien. Lorsqu’à Antioche celui-ci voulut faire rebâtir un temple à Appolon. A peine l’ouvrage achevé, le temple fut détruit par un incendie. Les chrétiens d’Antioche furent immédiatement accusés et beaucoup furent torturés à mort pour trouver les coupables. Les historiens n’ont pas donné de réponses certaine à la question de l’origine de l’incendie. En représailles, bien que n’ayant aucun coupable, Julien décida de détruire la plus grande église d’Antioche et de confisquer le mobilier. Le prêtre Théodoret fit cacher ce mobilier et l’oncle de Julien, lui aussi prénommé Julien fit torturer le malheureux prêtre pour obtenir les richesses de l’église d’Antioche. Avant de mourir, Théodoret prophétisa la mort très prochaine des deux Juliens : l’empereur et son oncle. Théodoret mourut décapité. L’oncle de l’empereur mourut subitement quelques jours plus tard, dans de grandes souffrances, d’après les historiens de l’Eglise. Les chrétiens d’Antioche, persuadés que la seconde partie de la prophétie s’accomplirait bientôt, chantaient des psaumes dans tout Antioche. Julien ne pouvait faire un pas dans la ville sans entendre partout les prières s’élever vers le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Julien lui-même constatait la supériorité du christianisme sur le paganisme. Il déclara à ce propos : « Il est honteux pour nous de voir que, parmi les Juifs, il n’y ait aucun mendiant, et que les impies Galiléens nourrissent, non-seulement leurs pauvres, mais les nôtres. Nous semblons ainsi abandonner absolument ceux qui nous appartiennent… Ne souffrons pas que d’autres s’emparent de ces vertus et nous laissent la honte de notre indifférence. ». Prisonnier de conceptions erronées, Julien multipliait les sacrifices. Les gens d’Antioche riaient à ce propos : « Le voilà qui va préparer le sacrifice ; non, c’est un boucher qui va tuer un animal. Il en tue tellement qu’il n’est pas étonnant que la viande soit à un si haut prix. ». On voit dans ces sarcasmes comment le peuple chrétien d’Antioche s’était libéré de l’idée de sacrifice non sanglant. Probablement peu pressé d’aller guerroyer contre les perses, Julien rédige à Antioche un livre pour réfuter le christianisme. Cet ouvrage sera réfuté bien plus tard par Saint Cyrille d’Alexandrie, l’autre géant d’Alexandrie. En rédigeant cet ouvrage, l’empereur païen eut une idée : il ferait rebâtir le temple de Jérusalem. Le but était de donner un démenti à Jésus-Christ, dont la fameuse prophétie était qu’il n’en resterait pas pierre sur pierre.
Il demanda les plans aux juifs, leur promit les fonds nécessaires et fit démarrer le chantier. Il confia le suivi des travaux à son proche conseiller, Alypius d’Antioche puis partit enfin affronter les perses. Cyrille de Jérusalem témoigne avoir vu de nombreux juifs accourir à Jérusalem pour aider financièrement. Mais il souriait, confiant dans le fait que cela ne se produirait jamais. Une série d’événements vinrent entraver les travaux : vents violents emportant les matériaux, éboulements, secousses et tremblements de terre, tempêtes, etc. Un incendie surgit des excavations et brûla des ouvriers. L’historien païen Ammien Marcellin relate : « Comme Alypius activait les travaux, avec le concours du gouverneur de la province, de terribles globes de flammes s’échappèrent des fondations d’une manière si fréquente que le lieu devint inaccessible aux travailleurs. En présence de l’opposition permanente de cet élément, on fut obligé de renoncer à l’entreprise ». Ceci rend le fait historique difficilement contestable. Julien apprendra la nouvelle avant de mourir peu de temps après au combat. Il meurt en 363.
Le Père Guéttée conclut ainsi sur cet empereur : « Julien a été très diversement apprécié par l’histoire. Les ennemis du christianisme l’ont exalté jusqu’en ces derniers temps. Les chrétiens l’ont généralement jugé avec sévérité. Il ne fut, au fond, malgré ses dehors philosophiques, qu’un dévot fanatique de l’idolâtrie. Comme écrivain, il ne manque pas d’une certaine facilité; mais on sent, en lisant ce qui est resté de ses œuvres, qu’il était plus rhéteur qu’éloquent, plus sophiste que philosophe. Il se croyait un autre Marc-Aurèle, et on ne peut lire sa Censure des Césars sans être convaincu que cet empereur était le modèle qu’il voulait suivre, et que Constantin était celui qu’il voulait éclipser. Il mourut à trente-deux ans, sans avoir fait les grandes choses auxquelles il se croyait appelé, et il n’a laissé dans le code romain qu’un petit nombre de lois empreintes de l’esprit injuste et intolérant du polythéisme. »
Loin des fausses dévotions et des attitudes conciliantes, Grégoire de Nazianze appelle tous les chrétiens à se réjouir de la mort de l’empereur. Il exhorte chacun à chanter le cantique de la délivrance que les Hébreux chantèrent au sortir d’Egypte. L’Eglise n’offrit pas de service funèbre. Pas de cierges autour du défunt. Pas de cantiques autour du cercueil. Son corps fut emmené à Tarse où il fut enterré misérablement dans un temple païen.