Le concile de Laodicée

Laodicée est la capitale de la province de Phrygie, en actuelle Turquie moderne. On peut encore visiter ses ruines près de la ville de Denizli. Elle n’est pas très loin de la ville de Colosses, à laquelle Paul envoya une épître conservée dans le NT. Elle est également une des sept églises citées dans l’Apocalypse de Jean.

Canon1 : « Selon la règle ecclésiastique nous décidons qu’on doit, après un certain temps passé dans la prière et le jeûne, gracier et faire de nouveau participer à la communion ecclésiastique ceux qui régulièrement et conformément aux lois contractèrent un second mariage, sans s’être mariés clandestinement. »

Commentaire : ce canon autorise les secondes noces. Il ne s’agit pas d’une innovation. Le canon 8 du concile de Nicée, les canons 3 et 7 du concile de Néocésarée (un concile du début du quatrième siècle), et un canon du concile d’Ancyre, autre concile d’avant Nicée, le faisaient déjà. Lorsque l’on lit ce canon, ainsi que ces prédécesseurs, on voit que l’Eglise permet les secondes noces mais veille toujours à rappeler qu’il s’agit d’une économie, c’est-à-dire d’un assouplissement de la règle qui doit être observée et poursuivie. Il s’agit ici d’une différence majeure avec le catholicisme romain qui ne permet pas les secondes noces. Disons pour être précis, qu’il s’agit ici de la possibilité pour les personnes de pouvoir communier suite à leurs secondes noces. Chez les catholiques romains, ils ne le peuvent plus jamais, comme s’il s’agissaient d’un crime inexcusable, tandis que chez les orthodoxes, nous voyons bien le patrimoine canonique valider cet usage de pouvoir à nouveau communier, après un temps pénitientiel laissé à la discrétion de l’évêque ou du père spirituel. La notion liée au mariage clandestin fait très probablement référence au mariage civil n’ayant pas eu sa contrepartie religieuse. Un homme, marié une première fois à l’Eglise et chez les autorités civiles, puis une deuxième fois uniquement dans le domaine civil, ne pourrait pas demander un troisième mariage civil qui serait son second mariage religieux. Cela, l’Eglise ne le permettrait pas.

Canon2 : « Les pécheurs des diverses catégories qui ont persisté dans leurs sentiments de confession et de pénitence et qui se sont tout-à-fait éloignés du mal, doivent, après un temps de pénitence proportionné à leur faute, être admis de nouveau à la communion eu égard à la miséricorde et à la bonté de Dieu. »

Commentaire : ce canon grave dans le marbre canonique la discipline pénitentielle liée à la confession et à la pénitence. On voit ici qu’aucun péché n’est déclaré hors du domaine de la pénitence et de la confession.

Canon3 : « Que ceux qui ont été baptisés depuis peu ne soient pas élevés à la cléricature. »

Commentaire : ceci est une redite du canon 2 de Nicée.

Canon4 : « Que les clercs ne pratiquent pas l’usure, ni ne prennent des intérêts et ce qu’on appelle la moitié en plus. »

Commentaire : nous avons déjà vu cela au canon 17 de Nicée. On imagine que la répétition de canons édictés à Nicée, implique bien que ce concile avait du mal à s’imposer et dans sa théologie sur l’homoousios mais aussi sur ses divers canons.

Canon5 : « Que les ordinations ecclésiastiques ne se fassent pas au temps où les audientes sont encore dans l’église. »

Commentaire : vous vous souvenez que les audientes étaient ces chrétiens pénitents qui devaient quitter l’Eglise après la liturgie de la parole, avant la liturgie proprement eucharistique. Et bien ce canon précise, que l’ordination ne peut pas avoir lieu lorsque les audientes sont encore dans l’Eglise. C’est une façon toute canonique, et avec cette logique propre, d’interdire aux pénitents la possibilité d’être ordonnés. Une formulation plus logique pour un moderne aurait été « on ne doit pas ordonner un audientes » mais le canon recourt à cette formulation toute particulière : « on n’ordonne pas en présence des audientes ». Ainsi, le canon fait d’une pierre deux coups : pas de pénitents pour les ordres ecclésiastiques et indication liturgique appropriée.

Canon6 : « Qu’il soit défendu aux hérétiques de franchir le seuil de la maison de Dieu, aussi longtemps qu’ils s’obstineront dans leur hérésie. »

Commentaire : canon ô combien intéressant, puisque du côté des vrais orthodoxes, la volonté affichée de ne pas participer aux prières communes est souvent vue chez les modernistes comme un extrémisme naïf et arrogant. On remarque donc ici, combien la pratique pastorale se distancie de ce canon, puisque la politique utilisée dans les paroisses est d’accueillir tout le monde lors des liturgies, la communion eucharistique devenant l’instant de séparation entre orthodoxes et non orthodoxes. Dans ce canon, les Pères demandaient à ce que cette séparation soit effective et complète. Notre pratique est donc plutôt dans l’économie, et nous devons bien admettre que nous sommes plus doux que nos anciens. Cette pastorale est pragmatique, car il nous faut gagner des gens à l’orthodoxie véritable. Mais souvenons nous que nous sommes déjà peut-être tièdes lorsque nous pensons que nous sommes stricts.

Canon7 : « Que ceux qui reviennent des hérésies, c’est-à-dire de celle des novatiens, des photiniens ou des quartodécimains, qu’ils aient été dans ces sectes catéchumènes ou fidèles, ne soient pas reçus avant d’avoir anathématisé toutes les hérésies, et en particulier celle dont ils sortent. Ceux d’entre eux qui dans ces sectes sont appelés fidèles pourront participer au saint mystère, après avoir appris les symboles de la foi et avoir été oints du saint chrême. »

Commentaire : est soulevée ici une problématique canonique ô combien complexe, qui renvoie à la nature même de l’Eglise et des sacrements : le baptême conféré par les hérétiques a-t-il une validité ? Ce canon semble indiquer que oui. Le cas des novatiens et des quartodécimains est le plus simple : ce sont des schismatiques davantage que des hérétiques. Le terme grec utilisé αἵρεσις doit se recevoir dans sa polysémie : ce n’est pas simplement la déviation doctrinale, mais c’est aussi l’école de pensée au sens large. Et ici, pour ces deux écoles de pensée, le contenu principal de la foi est juste. Tout ce qui concerne le Christ, la Sainte Trinité ou d’autres points de doctrine orthodoxe fondamentaux, sont absolument égaux à ceux des orthodoxes. Ainsi, au quatrième siècle, si vous aviez interrogé un novatien ou un quartodécimain sur la Sainte Trinité, vous n’auriez rien trouvé à redire, et si votre discussion n’avait porté que sur ce point, vous n’auriez pas pu savoir qu’ils n’étaient pas orthodoxes. Il vous aurait fallu parler du repentir avec le novatien ou de la date de Pâque avec le quartodécimain pour trouver une différence avec vous. Ainsi, on peut comprendre que pour les Pères de Laodicée, si un schismatique a une conception trinitaire tout à fait correcte, alors son baptême devient valide, et l’immersion n’est plus nécessaire puisque considérée comme déjà réalisée. Le canon demande un Credo et une chrismation, qui symboliseront le retour dans l’Eglise.

Le cas du Photinien est plus compliqué à comprendre. En effet la théologie trinitaire des photiniens n’était pas exempte de doute. Il se peut qu’au moment où le canon fut édicté, ce semi-arianisme n’était pas vu comme problématique du point de vue trinitiaire, ce qui explique cette largesse.

Il faut maintenant penser ce canon dans sa perspective historique. Ce canon est reçu dans le corpus canonique central par le concile In Trullo. Mais il l’est aux côtés des autres canons qui semblent le contredire. Par exemple le canon 46 des apôtres dit : « L’évêque, le prêtre ou le diacre qui a reconnu le baptême ou le sacrifice des hérétiques, nous ordonnons qu’il soit déposé : “quel accord peut-il en effet exister entre le Christ et Bélial, et quelle part peut avoir l’infidèle avec le fidèle ?” ». Comment résoudre cette contradiction ? Il faudra considérer que les hérésies du temps des apôtres étaient des erreurs concernant le Christ et la Trinité. De facto, le baptême est totalement invalide. Mais les pères de Laodicée sont à leur époque confrontés à quelque chose d’inconnu à l’époque des apôtres, et il faut alors considérer le canon présent comme un formidable enseignement sur le sacrement du baptême et son lien avec la foi en Christ et la foi en la Trinité. Nous reprendrons plus en détail cette problématique lors de l’étude des canons de Constantinople, en particulier le canon 7.

Canon8 : « Que ceux qui reviennent de l’hérésie des phrygiens même s’ils faisaient partie du prétendu clergé de cette secte, même s’ils portent le titre de “très grand”, doivent être instruits dans la religion avec le plus grand soin et baptisés par les évêques et les prêtres de l’église. »

Commentaire : « l’hérésie des phrygiens désigne ici le montanisme. Dans la continuité du canon précédent, leur baptême n’est pas considéré comme valide. L’Eglise a beaucoup hésité historiquement, sur ce point particulier, au long de son histoire. Certains voyaient le baptême montaniste comme valide, tel que Denys le Grand, évêque d’Alexandrie. C’est probablement l’influence de Basile de Césarée qui ici se fait sentir : il considère leur baptême invalide puisqu’ils personnifient l’Esprit Saint à Montan. De plus, certains baptêmes auraient été faits au nom du Père, du Fils, de Montan et de Priscilla. Formulation non systématique chez eux, mais suffisante pour soulever un doute et considérer par prudence le baptême comme invalide.

Canon9 : « Il ne faut pas permettre que les membres de l’église se rendent dans les cimetières ou dans ce qu’on appelle les martyria de n’importe quels hérétiques, pour y célébrer le service divin ou y faire leurs dévotions; les fidèles qui n’observeront pas cette règle, seront excommuniés pendant quelque temps et seront réconciliés lorsqu’ils auront fait pénitence et confessé leur faute. »

Commentaire : le contexte est ici le suivant : un hérétique, mort après une persécution, et dont les sectateurs érigeaient une sorte de chapelle afin d’y célébrer un culte. Un orthodoxe, même s’il peut parfois discerner une forme de courage, admirer un trait de caractère particulier ici ou là, ne peut pas pour autant participer à des prières qui mettent cette personne au sein d’un culte, car le seul qui doit être adoré, c’est Dieu.

Canon10 : « Que les membres de l’église ne marient pas indifféremment leurs enfants avec les hérétiques. »

Commentaire : l’expression utilisée ici laisse à penser que l’on parle du clergé. Dans leur exemplarité, il leur est demandé de ne pas contracter pour leur progéniture ce que le droit canon appelle un mariage mixte. Nous verrons le cas du mariage mixte en tant que tel lors du canon 31 de ce même concile.

Canon11 : « Que l’ordination de celles qu’on appelle presbytides ou présidentes ne se fasse pas dans l’église. »

Commentaire : ce canon est compliqué à comprendre pour nous aujourd’hui. La première difficulté vient du terme presbytide et du terme présidente (dans un cadre ecclésial). Un passage chez saint Epiphane apportent quelques éclaircissements. Ce passage est tiré d’un texte contre les collyridiennes, une secte du quatrième siècle, posant une égalité entre la Vierge et Dieu et ne vouant un culte que quasi-exclusivement à Marie, culte tenu par des femmes </b> : « Il n’a jamais été permis aux femmes d’offrir le sacrifice ; les collyridiennes s’arrogent donc un droit qu’elles n’ont pas. Il n’est permis aux femmes que de servir. C’est pour cela qu’il n’y a dans l’Église que des diaconesses ; si on appelle presbytides celles qui sont plus âgées, il faut se garder de confondre ce mot avec celui de presbytériennes ; celles-ci seraient des prêtresses (ιερειας), tandis que presbytides ne désigne que l’âge et signifie les seniores. ». Léonce de Byzance appelait les collyridiennes, les philomarianites, les amoureuses de Marie.

Le texte d’Epiphane permettrait de conclure qu’il s’agit de diaconesses supérieures, positionnées au-dessus des diaconesses normales. Le canon pourrait être compris dans le sens de ne plus faire de ce genre de diaconesses, car elles outrepassent leur pouvoir. Certains pensent, que comme on ne choisissait les diaconesses que chez les femmes âgées, la compréhension du canon concernant des diaconesses supérieures serait alors absurde. Le 15ème de Chalcédoine impose l’âge minimal de 40 ans pour les diaconesses. Théodose l’a même porté à 60 ans. Ceci indique bien que la pratique n’était pas universelle, et les diaconesses supérieures ne serait alors pas une compréhension absurde. Car sinon, on pourrait comprendre que le canon interdit purement et simplement les diaconesses. Nous avons des témoignages historiques de diaconesses dans l’Eglise bien après ce concile de Laodicée. Et d’ailleurs, si In Trullo, dans son canon 14 déclare ne pas vouloir de diaconesse ayant moins de 40 ans, cela prouve bien que Laodicée ne renonce pas aux diaconesses. Il se peut donc que la clé de lecture soit lié au « dans l’église ». Expression à comprendre en tant que bâtiment cette fois. Façon canonique de rappeler que les diaconesses ne sont pas ordonnées. Il ne s’agit pas d’une chirotonie comme peut la connaître un diacre, un prêtre ou un évêque. A noter que Zonaras et Balsamon, les deux plus grands commentateurs grecs des canons, lisent tous deux le canon comme la fin des diaconesses supérieures, car cette institution donnait naissance à des abus : « des femmes avaient, par orgueil et par cupidité abusé de leur position ».

Canon12 : « Que les évêques soient ordonnés en vue du gouvernement d’une église, d’après le jugement du métropolitain et des évêques voisins, après toutefois que l’on sera suffisamment convaincu de leur orthodoxie et de leurs bonnes mœurs. »

Commentaire : ce canon fait un peu écho au quatrième de Nicée, et rappelle l’importance du métropolitain et des évêques voisins. Aujourd’hui, dans notre époque de grande apostasie, de grand relativisme, et de grand sentimentalisme, il est toujours bon de rappeler qu’un évêque orthodoxe doit être un exemple de par son orthodoxie et de par ses mœurs.

Canon13 : « On ne doit pas laisser à la foule l’élection de ceux qui sont destinés au sacerdoce. »

Commentaire : le canon semble enlever au peuple toute participation aux élections du clergé. Le canon 4 de Nicée semblait déjà exclure le peuple, ne laissant les problématiques d’ordination épiscopales qu’aux évêques. Mais si on lit bien le canon, il s’agit de comprendre que la foule seule ne peut pas choisir un évêque. Il faut aussi que le clergé y participe. Certains linguistes indiquent également que le terme choisit pour foule, οχλους, a une dimension houleuse, tumultueuse. Le canon véhicule donc l’idée qu’une élection doit se faire avec le clergé, et dans des conditions apaisées.

Canon14 : « Que dans le temps pascal on n’envoie plus les saints dons en guise d’eulogie dans les autres diocèses. »

Commentaire : ce canon a deux difficultés de compréhension. Première difficulté : qu’est-ce qu’une eulogie ? Il s’agit de pains disposés sur l’autel mais non consacrés pour l’eucharistie, et donc simplement bénis, et généralement destinés à ceux qui étaient présents, mais qui pour diverses raisons n’ont pas pu communier. Les évêques des premiers siècles s’envoyaient les uns les autres des pains consacrés, comme reconnaissance mutuelle. Cet usage a évolué ensuite dans l’envoi des pains bénis à la place des pains consacrés. Seconde difficulté, pourquoi le concile mentionne la période pascale comme prohibant l’envoi ? Et bien il semblerait que pour la période pascale, l’envoi des pains bénis cessait et l’ancien usage revenait. Ainsi, Laodicée, très probablement par respect pour les saints dons, veut limiter cet usage qui est effectivement dangereux.

Canon15 : « A l’exception des chantres ordonnés, qui montent à l’ambon et chantent d’après le livre, personne d’autre ne doit faire le chantre à l’église. »

Commentaire : Ceci est plein de bon sens spirituel et paroissial. Combien de fois voyons-nous des liturgies perdre de leur charme et de leur profondeur à cause d’une piètre interprétation musicale. De la même façon qu’on n’imaginerait pas donner la responsabilité de l’iconostase à quelqu’un qui gribouille à peine, ou mettre quelque chose désagréable comme encens, le concile rappelle une évidence : on ne doit laisser le chant qu’à des personnes correctement formées pour le chant. La plupart du temps, il s’agira de personnes formées musicalement, et ayant une connaissance particulière d’un répertoire, et des aptitudes. Elles devront de plus avoir une formation liée aux particularités de la musique d’Eglise.

Canon16 : « Le samedi on doit lire publiquement les évangiles avec les autres parties des Écritures. »

Commentaire : le canon n’est pas contextualisé, il est difficile de voir ce qu’il cherche à corriger. On peut imaginer des églises très judaïsantes, mettant en avant une solennité particulière pour le shabbat, et qui composaient leurs offices avec uniquement des passages de l’AT. Le canon rappelle alors la centralité de l’Evangile.

Canon17 : « Que dans les assemblées pour le service divin on ne chante plus les psaumes immédiatement l’un après l’autre, mais que l’on intercale une leçon après chaque psaume. »

Commentaire : ce canon se comprend probablement dans le cadre d’une liturgie eucharistique. En effet les offices des heures monastiques contiennent des enchainements de psaumes très organisés, appelés cathismes. Ces cathismes ne comportent pas de leçons.

Canon18 : « Le même service de prières doit toujours avoir lieu soit à none soit aux vêpres. »

Commentaire : il s’agit probablement ici du cas d’une fête dont l’heure de fin empêche de réaliser les prières de none. En ce cas, demande le canon, la même prière doit avoir lieu. Donc, concrètement, si une fête dépasse l’heure de none, les prières de none sont repoussées à vêpres.

Canon19 : « Il faut, en particulier, aussitôt après l’homélie de l’évêque dire la prière sur les catéchumènes et après la sortie des catéchumènes dire la prière sur les pénitents, et après que ceux-ci auront reçu l’imposition des mains et seront sortis, alors seulement on dira les trois prières pour les fidèles, la première à voix basse, la seconde et la troisième à haute voix. Ensuite on se donnera paix : après que les prêtres auront donné la paix à l’évêque, les laïcs se la donneront aussi et alors on offrira le saint sacrifice. Il ne sera permis qu’aux seuls clercs consacrés d’approcher de l’autel et d’y communier. »

Commentaire : ce canon est assez prescriptif pour la liturgie et nous donnent de nombreuses indications sur les différentes étapes de la divine liturgie au quatrième siècle. On comprend déjà que la prédication avait systématiquement lieu juste après la lecture du jour, ce qui semble parfaitement logique. Aujourd’hui, certaines paroisses font la prédication à la fin, ce qui a le désavantage de couper la logique de la liturgie dans ses deux grands blocs : liturgie de la parole, liturgie eucharistique. La prédication a plus de sens lorsqu’elle conclue la liturgie de la parole. On voit également dans le canon, toute la logique vis-à-vis des fidèles : ils sont les seuls à rester pour la liturgie eucharistique. Les autres sortent.

Canon20 : « Le diacre ne doit pas s’asseoir en présence du prêtre, ou ne le faire que sur invitation de celui-ci. De la même manière seront honorés les diacres par les sous-diacres et par tous les clercs. »

Commentaire : ce canon se passe de commentaire.

Canon21 : « Les sous-diacres ne doivent pas prendre place dans le diaconicon, ni toucher les vases sacrés. »

Commentaire : ce canon est intéressant dans le sens où il nous fait nous interroger sur ce lieu que personne ne connait aujourd’hui : le diaconicon. Est-ce le mot de l’époque pour désigner la sacristie ? Puisqu’on y parle de vase sacré, c’est plus que probable. Mais alors, cela revient à empêcher le sous-diacre de faire son office, à savoir assurer toute la logistique auprès du prêtre et ou du diacre afin de leurs faciliter l’acte liturgique. Ceci implique de pouvoir manipuler les vases sacrés. Il est donc probable que ce canon ne demande ceci que pour le moment solennel de la liturgie qui voit dans la forme ancienne du rite byzantin, les vases apportés avec une grande solennité.

Canon22 : « Le sous-diacre ne doit pas porter l’orarion ni quitter sa place à la porte. »

Commentaire : l’orarion est ce qui est souvent désigné en français par le mot étole. Lors de la liturgie, le sous-diacre garde les portes, et une de ses fonctions dans la liturgie antique était de faire sortir les catéchumènes et les pénitents au moment approprié.

Canon23 : « Les lecteurs et les chantres ne doivent pas porter l’orarion pour lire ou pour chanter. »

Commentaire : aucun commentaire particulier ici, sauf que l’on peut voir que les choses ont énormément évolué du point de vue liturgique, par rapport à ce groupe de canons. Aujourd’hui, les sous-diacres ont une étole, et vont, s’ils assistent un évêque, bien évidemment bouger de leur place d’origine à la porte.

Canon24 : « Les clercs consacrés depuis les prêtres jusqu’aux diacres et la suite des rangs ecclésiastiques, jusqu’aux sous-diacres, aux lecteurs, aux chantres, aux exorcistes ou aux portiers, ou ceux de la classe des ascètes, ne doivent pas entrer dans une taverne. »

Commentaire : ceci est la reprise du canon 54 des apôtres, qui précisait que l’on pouvait y déroger pour la nécessité du voyage.

Canon25 : « Les sous-diacres ne doivent pas distribuer le pain ni bénir le calice. »

Commentaire : il semble difficile de croire que les sous-diacres se soient un jour pris pour des clercs majeurs. Il semble plus probable que ce canon soit un rappel à ces derniers, voulant prévenir une possible délégation. Il y a des choses qu’un clerc majeur ne peut pas déléguer, et qu’il doit assumer en personne. Même si la situation décrite est différente, ce canon fait un peu écho au canon 18 de Nicée où les diacres communiaient les prêtres. Rappelons donc ce qu’ordonnaient les constitutions apostoliques : l’évêque (ou le prêtre s’il n’y a pas d’évêque) distribuait à chacun le pain consacré en disant « le corps du Seigneur », et le diacre distribuait le calice en disant « le sang du Christ, le calice de vie ». On voit que là aussi, liturgiquement, les choses ont bien changé depuis.

Canon26 : « Celui qui n’y a pas été promu par l’évêque ne doit exorciser ni dans les églises, ni dans les maisons. »

Commentaire : Balsamon précise ici dans son commentaire qu’il faut comprendre « exorciser » comme « catéchiser les incroyants ». Quelle que soit la fonction visée, on comprend ici que c’est l’évêque qui distribue les rôles, et personne ne peut s’improviser quoi que ce soit. Un précédent canon demandait déjà à ce que l’on laisse les chantres désignés comme tels chanter, car ils ont reçu la formation adéquate. Il parait audacieux d’aller contre le grand Balsamon, qui fut je le rappelle diacre de la cathédrale sainte-Sophie, premier prêtre de l’église des blachernes à Constantinople, et commentateur des canons de l’Eglise à la demande de l’empereur byzantin Manuel Ier. Néanmoins, si chacun doit attendre d’avoir la bénédiction de l’évêque pour témoigner de la foi orthodoxe, pour faire découvrir le Christ à un athée ou à un juif, ou à un musulman, ou pour faire découvrir l’orthodoxie à un catholique romain ou à un protestant, il y a des opportunités de conversion et de salut qui se perdent. Certes, il convient de connaître son sujet, mais si cela est le cas, pourquoi attendre une bénédiction formelle, qui serait très probablement accordée ? En ce cas, le terme « exorciser », s’il devait être compris telle que nous le comprenons au premier abord fait alors plus de sens. Que quiconque ne s’amuse pas à taquiner les démons, et que l’on laisse cela à des personnes formées, de façon adéquate.

Canon27 : « Les clercs consacrés, les autres clercs et les laïcs invités à une agape, ne doivent pas en emporter une partie chez eux, pour ne pas déshonorer l’état ecclésiastique. »

Commentaire : ce canon rappelle le devoir d’exemplarité du clergé. Car, très franchement, pourquoi ne pas emmener ensuite chez soi, le surplus d’agapes festives, offertes de bon cœur ? Car l’âme humaine est ainsi faite, que l’on trouvera toujours à critiquer, et le clergé doit tout faire pour être au-dessus de toute critique. Et faire partie du clergé, c’est de toute façon, ne pas être comme tout le monde.

Canon28 : « On ne doit point célébrer dans les églises de paroisse ou dans les autres églises ce qu’on nomme les agapes, ni servir des repas ou donner un banquet dans la maison de Dieu. »

Commentaire : dans la continuité du canon précédent, on comprend qu’il y avait parfois du désordre dans les églises (dans la dimension « bâtiment » du terme) et qu’il convenait d’y mettre un peu d’ordre.

Canon29 : « Les chrétiens ne doivent pas judaïser et garder le repos du sabbat, mais travailler ce jour-là; ils préféreront garder le repos, si possible, le jour du Seigneur, en leur qualité de chrétiens. S’ils persistent à judaïser, qu’ils soient anathème auprès du Christ. »

Commentaire : écho du canon 16 avec les églises judaïsantes. Judaïser, signifie dans l’optique chrétienne, continuer à pratiquer des ordonnances de la loi mosaïque en leur donnant une dimension sotériologique. L’erreur des judaïsant était double : la loi n’a jamais eu de dimension sotériologique (c’est-à-dire qu’elle n’est pas une condition de salut, salut offert seulement en Christ), et de plus la loi mosaïque était le fardeau du peuple juif, et il est quelque peu absurde de vouloir se charger d’un fardeau qui ne vous concerne pas, surtout lorsque l’on a rien à y gagner. L’injonction de travailler n’est certainement pas normative ici pour nous. En effet, on doit se placer dans le cadre où la personne ne pouvait choisir qu’un seul jour de repos dans la semaine, et la personne, ignare dans sa religion choisissait le samedi au lieu du dimanche. C’est pour cela qu’il faut travailler le samedi, c’est pour pouvoir ne pas travailler le dimanche. Aujourd’hui, pour nous en France qui ne travaillons que 5 jours par semaine, il n’est pas question de devoir travailler afin de respecter ce canon. Il s’agit de ne pas prendre sur soi le joug du shabbat, alors que c’est la croix du Christ qui nous a justement libéré de tout cela.



Canon30 : « Les clercs consacrés, les autres clercs et les ascètes ne se baigneront pas avec des femmes, car c’est là le premier des reproches faits aux païens. »

Commentaire : on pourrait croire ici qu’il s’agit du bain du baptême, et de la nécessité de la présence des diaconesses. Mais le concile in Trullo (Canon 77) a repris ce canon en indiquant bien qu’il s’agit de bains publics. On peut donc considérer que cela est une recommandation ascétique. En effet, les clercs ne sont pas les seuls concernés.

Canon31 : « On ne doit pas se marier avec des hérétiques quels qu’ils soient, ni leur donner en mariage ses fils et filles, à moins qu’ils ne promettent de se faire chrétiens. »

Commentaire : Voici donc le canon qui éclaire d’une lumière particulière la possibilité des mariages mixtes. En effet, la plupart des personnes ayant une attitude très rigide sur le mariage considère que tout a été dit de façon définitive dans le concile In Trullo, canon 72 : « Qu’il ne soit pas permis à un homme orthodoxe de s’unir à une femme hérétique, ni à une femme orthodoxe d’épouser un homme hérétique et si pareil cas s’est présenté pour n’importe qui, le mariage doit être considéré comme nul et le contrat matrimonial illicite est à casser, car il ne faut pas mélanger ce qui ne se doit pas, ni réunir un loup a une brebis. Si quelqu’un transgresse ce que nous avons décidé, qu’il soit excommunié. Quant à ceux qui étant encore dans l’incrédulité, avant d’être admis au bercail des orthodoxes, s’engagèrent dans un mariage légitime, puis, l’un d’entre eux ayant choisi la part la meilleure vint à la lumière de la vérité, tandis que l’autre fut retenu dans les liens de l’erreur sans vouloir contempler les rayons de la lumière divine, si l’épouse incroyante veut bien cohabiter avec le mari croyant, ou vice versa le croyant avec la non-croyante, qu’ils ne se séparent pas, car selon le divin apôtre, “le mari non croyant est sanctifié par sa femme, et la femme non croyante est sanctifiée par son mari”. ». Mais le concile In Trullo considère aussi que les canons du concile de Laodicée sont licites et expriment le fonctionnement de l’orthodoxie. Ceci est établi via le canon 2 d’In Trullo : « Nous confirmons aussi tous les autres saints canons, qu’édictèrent nos saints et bienheureux pères, c’est-à-dire, les trois cent dix-huit saints pères réunis à Nicée, ceux d’Ancyre, de plus ceux de Néocésarée, de même ceux de Gangres, de plus ceux d’Antioche de Syrie, et aussi ceux de Laodicée de Phrygie; » Nous avons ici deux possibilités de compréhension :

  • 1 : In Trullo englobe Laodicée mais par son canon 72 il efface l’économie rendue possible à Laodicée.
  • 2 : In Trullo englobe Laodicée et englobe également sans la rappeler l’économie de Laodicée, que l’on doit avoir à l’esprit

Le premier cas est très improbable, car dans une logique traditionnelle, si l’on reçoit quelque chose du passé, ce n’est pas pour le modifier, surtout si on l’a reçu avec respect et gravité, comme il convient à un canon. Incorporer en modifiant ce n’est pas très traditionnel. Il faudra donc privilégier la seconde possibilité. Ainsi, avec la dynamique du concile In Trullo, il convient de considérer que la norme, ce qui est recherché avant toute chose, c’est le mariage entre orthodoxes. Aujourd’hui qu’il existe en plus toute une cacodoxie, car c’est ainsi qu’il convient de nommer cette orthodoxie qui foule les canons aux pieds, ou bien reste en communion avec ceux qui foulent les canons aux pieds, ce qui revient exactement au même, le mariage doit être considéré entre vrais orthodoxes. C’est Laodicée qui donne l’économie applicable à cette norme canonique : si l’un des deux conjoints est dans l’hérésie au moment des noces, le mariage peut être autorisé par l’évêque sur la condition de la promesse de conversion. C’est une démarche risquée, mais également un chemin de mission et de conversion éprouvé.

Canon32 : « On ne doit pas recevoir les eulogies des hérétiques, car ce sont plutôt des malédictions que des eulogies. »

Commentaire : Il y a un jeu de mots dans le grec. Eulogies se dit ευλογιαι et malédictions ici est αλογιαι. Il y a donc un effet de consonnance. Αλογιαι peut aussi se traduire par folies selon le contexte. L’eulogie est aussi bien une parole d’éloge, de bénédiction, une louange que l’offrande du pain béni. Il semble plus probable que l’on parle de bénédiction ici, que cela soit un pain béni, ou une parole de bénédiction dans un contexte religieux, qu’il soit en assemblée ou même en dehors. Par exemple, pour être tout à fait concret, on ne demande pas la bénédiction d’un prêtre catholique ou cacodoxe lorsque l’on est orthodoxe.

Canon33 : « On ne doit pas prier en commun avec les hérétiques et les schismatiques. »

Commentaire : redite des canons 10 et 45 des Apôtres. Le canon 10 disait « Si quelqu’un communie dans la prière avec un excommunié, même dans une maison privée, qu’il soit aussi excommunié. ». Le canon 45 disait « L’évêque, le prêtre ou le diacre qui ne fait que prier avec des hérétiques doit être excommunié; mais s’il leur a permis d’exercer leurs fonctions de clerc, qu’il soit déposé. ». Je ne vais pas me répéter concernant les prières communes dans le cadre de l’œcuménisme.

Canon34 : « Aucun chrétien ne doit laisser d’honorer les martyrs du Christ, pour s’en aller honorer les faux martyrs, c’est-à-dire les martyrs hérétiques, ou ceux qui sont devenus chefs des hérétiques, car ceux-ci sont loin de Dieu. Celui donc qui se rend chez eux, qu’il soit anathème. »

Commentaire : ce canon fait écho au neuvième canon qui interdisait de se rendre à la tombe d’un martyr d’un culte non orthodoxe. Les historiens disent que ce sont les nombreux martyrs du montanisme qui nécessitèrent la rédaction de ce canon précis. Le commentaire de Balsamon permet de différencier ce canon du neuvième. Le canon 9 est pour le cas d’un orthodoxe qui recherche une aide spirituelle ou un miracle auprès d’un martyr non orthodoxe. Ce canon 34 donne le cas d’un orthodoxe qui a sciemment et consciemment abandonné les martyrs du Christ.

Canon35 : « Les chrétiens ne doivent pas abandonner la gloire de Dieu et son église pour s’en aller invoquer les anges et faire des réunions en leur honneur; cela est défendu. S’il y a donc quelqu’un qui s’adonne à cette idolâtrie occulte, qu’il soit anathème, parce qu’il a oublié notre Seigneur Jésus Christ et qu’il a passé à l’idolâtrie. »

Commentaire : Saint Paul, dans son épître aux Colossiens disait déjà de ne pas succomber à la tentation du culte des anges. Laodicée est si proche de Colosse, puisqu’il s’agit de la même région de Phrygie, que l’on peut considérer que le conseil à l’un s’applique également à l’autre. Théodoret de Cyr témoigne, en commentant ce canon, d’églises phrygiennes dédiées à St Michel. Il convient de rappeler ici que l’Eglise ne prohibe pas la vénération des anges mais bien l’adoration des anges. Les trois anges les plus présents dans la liturgie orthodoxe sont Gabriel, Michel et Raphaël. Les anges restent des intercesseurs tout à fait éminents et reconnus comme tel, mais ce sont les déviations et les excès que le canon veut prévenir.

Canon36 : « Les clercs consacrés et les clercs inférieurs ne doivent être ni sorciers ni magiciens ni mathématiciens, ni astrologues, ni fabriquer ce qu’on nomme des amulettes, qui sont des chaînes pour leurs âmes; ceux qui en portent nous ordonnons qu’ils soient jetés hors de l’église. »

Commentaire : les mathématiciens ici sont des numérologues. Il ne s’agit pas ici de combattre la science, mais plutôt les superstitions. La seule chose recevable qu’un clerc ou même un chrétien doit porter autour du cou est la croix du Christ, seul instrument de salut.

Canon37 : « On ne doit accepter des Juifs ou des hérétiques aucun cadeau de fête, ni célébrer des fêtes avec eux. »

Commentaire : les deux canons suivants vont nous montrer que les juifs sont une catégorie canonique à part, bien qu’étant des hérétiques.

Canon38 : « On ne doit pas accepter des Juifs des azymes, ni communier à leurs impiétés. »

Commentaire : même si ce canon se passe de commentaire, on remarquera que dans les autres canons, l’orthodoxie considère toujours des pains, et parle ici d’azymes, donc de pains non levés. Il est donc facile de conclure que la pratique de pain non levé des catholiques romains est tout sauf traditionnelle et canonique.

Canon39 : « On ne doit pas prendre part aux fêtes des païens, ni communier à leur athéisme. »

Commentaire : il est important de comprendre de quelle type de fête il s’agit. Il semble évident de considérer que nous sommes dans le cadre religieux. Le canon doit donc se comprendre comme étant une interdiction pour tout chrétien de participer à une procession en l’honneur d’une divinité des panthéons grecs, romains, égyptiens, perses, etc. Il ne s’agit pas ici de prohiber la participation à des fêtes profanes qui peuvent avoir des dimensions patriotiques ou corporatives, liées à des professions que peuvent d’ailleurs exercer des chrétiens dans la cité. Il convient de choisir cela avec discernement. Par exemple, il ne serait pas cohérent pour un chrétien orthodoxe sérieux sur la doctrine de fêter d’une quelconque façon le 14 juillet, puisqu’il s’agit de l’instauration d’un régime athée et anti-chrétien meurtrier et totalitaire.

Canon40 : « Les évêques convoqués à un synode ne doivent pas dédaigner l’invitation, mais s’y rendre et y dire ou apprendre ce qui peut servir au bien des fidèles et des autres. Si quelqu’un dédaigne l’invitation, celui-là se met dans son tort, à moins qu’il ne soit empêché par quelque chose d’extraordinaire. »

Commentaire : Les cas d’empêchement licites sont liés à la maladie. On comprend que les évêques sont redevables de répondre aux convocations de leur métropolite, de leur patriarche, de leur empereur, en fonction de la nature du synode. Les commentateurs précisent que l’évêque absent peut être tenu responsable de cette absence par le synode qui voulait son suffrage.

Canon41 : « Un clerc consacré ou un clerc inférieur ne doit pas voyager sans être muni de lettres canoniques. »

Commentaire : on retrouve ici la logique du concile de Sardique, qui comptait limiter au maximum les voyages des évêques, voyages vus comme des occasions de participer à des choses mondaines et non pas spirituelles. Les synodes impliquent les voyages, et il faut donc que l’évêque puisse justifier de son déplacement.

Canon42 : « Un clerc consacré ou un clerc inférieur ne doit pas entreprendre un voyage sans l’autorisation de son évêque. »

Commentaire : la peine encourue était déjà connue depuis le 12ème canon des apôtres : l’excommunication. Les membres du clergé doivent réaliser qu’ils ne s’appartiennent plus.

Canon43 : « Les sous-diacres ne doivent pas même pour un peu de temps, quitter les portes pour prendre part à la prière. »

Commentaire : ceci nous renvoie au canon 22 de ce même concile. Cela nous interroge sur l’ordre utilisé pour promulguer les canons et la logique sous-jacente, quelque peu déroutante. En tout cas, les commentaires voient ce canon comme plutôt défensif, ayant pour but d’empêcher les uniates et les infidèles d’entrer.

Canon44 : « Les femmes ne doivent pas entrer dans le sanctuaire. »

Commentaire : canon très compliqué pour ceux qui imaginent une orthodoxie avec des femmes prêtres, afin de rendre une juste offrande au dieu de l’égalité homme-femme.

Canon45 : « On ne doit pas admettre au baptême après la seconde semaine du carême. »

Commentaire : la logique ici est de préserver la dynamique ascétique du grand carême. On parle de quelqu’un qui pourrait s’inscrire dans le catéchuménat, mais de façon plus simple, puisqu’il n’aurait pas à faire les efforts ascétiques des deux premières semaines de jeûne, et de la semaine des laitages. Quelqu’un devenant catéchumène doit parcourir toute la route qui mène à la Pâque, et pas seulement la moitié.

Canon46 : « Ceux qui se préparent au baptême doivent apprendre par cœur le symbole de la foi et le réciter le jeudi de la grande semaine à l’évêque ou aux prêtres. »

Commentaire : Ceci est bien évidemment valide pour les gens qui ne seraient pas baptisés lors de la semaine sainte. Le baptême implique la pleine conscience et la pleine adhésion à ce qui est dit dans le Credo.

Canon47 : « Ceux qui ont reçu le baptême lors d’une maladie, puis s’en sont relevés, doivent apprendre le symbole de la foi et se rendre compte qu’ils ont reçu un don divin. »

Commentaire : il est probable que le cas ici est d’avoir donné le baptême à quelqu’un de tellement affaibli par la maladie, qu’il ne pouvait pas réciter le Credo et affirmer ainsi son adhésion à la foi chrétienne. Il a, en quelque sorte, été baptisé malgré lui, comme un petit enfant. Il doit donc, une fois sorti de l’épreuve de la maladie, réciter le Credo, afin de réaliser l’affirmation attendue.

Canon48 : « Ceux qui ont été baptisés doivent être oints du chrême céleste et devenir participants du royaume du Christ. »

Commentaire : on prend souvent la chrismation comme un usage oriental, mais on voit avec ce canon qu’il n’en est rien. Il s’agit aussi d’un strict respect des règles de l’Eglise et de la logique sous-jacente à ses sacrements. Juste après la triple immersion, le baptisé est oint d’une huile sainte particulière, appelée saint-chrême, qui a été préparée par l’évêque. L’usage moderne de la confirmation, usage occidental, a totalement perdue la logique sacramentaire, puisque depuis Pie X, le baptisé communie avant sa confirmation. Les occidentaux avaient séparés immersion et chrismation afin de renforcer la présence de l’évêque dans le rituel. Ainsi, la confirmation était donnée par celui-ci, vers 12-13 ans, mais l’enfant peut commencer à communier, chez les romains, à partir de 7 ans, ce qui n’a plus aucun sens.

Canon49 : « Pendant le carême on ne doit pas offrir le pain du saint sacrifice, si ce n’est le samedi et le dimanche. »

Commentaire : il faut comprendre ici, qu’en dehors des samedis et dimanches, on ne réalise pas la consécration des saints dons, ce qui est trop joyeux. D’où le recours aux présanctifiés, qui est une liturgie particulière, où l’on va réaliser la sanctification des saints dons, mais en en gardant une partie pour les autres jours.

Canon50 : « On ne doit pas rompre le jeûne le jeudi de la dernière semaine et déshonorer par là tout le carême; mais on doit jeûner tout le carême dans la xérophagie. »

Commentaire : il devait probablement y avoir des personnes qui rompaient le jeûne lors du jeudi, pour le repas de la Cène. Le canon rappelle que le jeûne doit se poursuivre jusqu’à la Résurrection.

Canon51 : « Pendant le carême on ne doit pas célébrer les anniversaires des martyrs, mais ne les commémorer que les samedis et les dimanches. »

Commentaire : la dynamique ici est la suivante. La célébration d’un grand saint, d’un grand martyr, amène une joie qui n’est pas appropriée pour le grand carême. Néanmoins, même le grand carême ne peut effacer les particularités des samedis et dimanche. On peut donc réaliser, lors de ces deux jours, ces célébrations particulières. Les offices y sont donc complets, contrairement aux autres jours.

Canon52 : « Pendant le carême on ne doit célébrer ni mariage, ni fête de naissance. »

Commentaire : la logique du canon précédent est ici évidente. Pas d’office apportant de la joie pendant les rigueurs du carême. Bien évidemment, mariage et naissance sont des moments de grande joie. On les remet donc à plus tard pour monter vers Pâque.

Canon53 : « Les chrétiens qui assistent aux noces ne doivent se livrer ni à des sauteries, ni à des danses, mais assister avec décence au repas ou au dîner, comme il convient à des chrétiens. »

Commentaire : ce canon peut paraître un peu austère au premier abord, car il change considérablement la façon dont on imagine de façon normale le déroulement de la fête d’un mariage. Mais il convient de se souvenir que ceci ne concerne pas exclusivement le clergé, mais bien tout chrétien. En étant respecté, les mariages pourraient cesser d’être ces réunions bruyantes et ennuyeuses, et bien redevenir l’image des noces entre Dieu et l’homme.

Canon54 : « Les clercs consacrés et les clercs inférieurs ne doivent pas, lorsqu’ils assistent à des noces ou à des banquets, rester pour voir certains jeux, mais se lever et partir avant l’entrée des acteurs des jeux de noces. »

Commentaire : ici, on revient à une distinction clergé/laïc. Il faut donc voir le caractère d’exemplarité de la chose. Un mariage bien organisé prêtera donc attention à ne pas avoir une attraction qui puisse faire partir momentanément une partie des invités. C’est ici le caractère lascif de certaines danses qui est visé.

Canon55 : « Les clercs consacrés et les clercs inférieurs ne doivent pas mettre en commun de l’argent pour célébrer des banquets; les laïcs non plus. »

Commentaire : il faut retrouver ici la notion antique du banquet pour comprendre que l’Eglise ne prohibe pas le plaisir de partager une table entre convives, autour de discussions agréables. Le banquet était le moment d’une démonstration de richesse, de pouvoir. L’esprit en est tout sauf modeste.

Canon56 : « Les prêtres ne doivent pas entrer dans le sanctuaire et y prendre place avant que n’y entre l’évêque; à moins que l’évêque ne soit empêché ou en voyage. »

Commentaire : ce canon sera le bon prétexte pour rappeler, comme l’expliquait saint Ignace d’Antioche, que l’évêque, dans sa communauté, figure le Christ. On pourra aussi rappeler de façon utile que le prêtre est là pour officier au nom de l’évêque, en son absence. Dans le cas de la présence de l’évêque, celle du prêtre devient tout à fait superficielle et secondaire.

Canon57 : « On ne doit pas ordonner des évêques, mais des visiteurs dans les bourgs et les villages; ceux qui y ont déjà été ordonnés ne doivent rien faire sans l’avis de l’évêque de la ville. De même les prêtres ne doivent rien faire sans l’avis de l’évêque. »

Commentaire : les visiteurs dont il s’agit sont les chorévêques. Ce sont des évêques auxiliaires, subordonnés en tout à l’évêque principal, de la même façon que les prêtres. Plusieurs canons déjà étudiés mettaient l’accent sur la nécessité de ne pas créer un évêque pour un petit bourg, afin de ne pas susciter le mépris vis-à-vis de cette charge.

Canon58 : « Les évêques et les prêtres ne doivent pas offrir le sacrifice dans des maisons particulières. »

Commentaire : il s’agit bien évidemment du sacrifice eucharistique. Les commentateurs grecs précisent que le sacrifice dans la cadre d’une domus ecclesiae est tout à fait possible, mais dans une pièce qui sert d’oratoire. Le but est très probablement de ne pas réaliser cela dans une pièce profane de type cuisine.

Canon59 : « On ne doit pas lire dans l’église des psaumes composés d’autorité privée, ni des livres qui ne sont pas canoniques, mais les seuls livres canoniques de l’Ancien et du Nouveau Testament. Voici les livres que l’on doit lire et qui font autorité: de l’Ancien Testament : I. La Genèse du monde; 2. l’Exode de l’Egypte; 3. le Lévitique; 4. les Nombres; 5. le Deutéronome; 6. Josué; 7. les Juges, Ruth; 8. Esther; 9. le premier et le second des Rois; 10. le troisième et le quatrième des Rois; 11. le premier et le second des Paralipomènes; 12. le premier et le second d’Esdras; 13. le livre des 150 Psaumes; 15. Les Proverbes de Salomon; 15. l’Ecclésiaste; 16. le Cantique des Cantiques; 17, Job; 18. les douze Prophètes; 19, Isaïe; 20. Jérémie. Baruch, les Lamentations et les Lettres; 21. Ezéchiel; 22, Daniel. Ceux du Nouveau Testament sont les suivants: quatre évangiles, selon Matthieu, selon Marc, selon Luc et selon Jean; les Actes des apôtres; les sept lettres canoniques, c’est-à-dire une de Jacques, deux de Pierre, trois de Jean et une de Jude; quatorze lettres de Paul : une aux Romains, deux aux Corinthiens, une aux Galates, une aux Éphésiens, une aux Philippiens, une aux Colossiens, deux aux Thessaloniciens, une aux Hébreux, deux à Timothée, une à Tite et une à Philémon. »

Commentaire : le but de ce canon est de donner la liste autorisée des textes lisibles en église. Il ne s’agit pas de bannir la lecture de tout autre texte, Dieu préserve. Par exemple, il existe aussi des psaumes de Salomon, texte connu de la littérature inter-testamentaire. Ces psaumes étaient connus de certains pères et des érudits de certaines disciplines théologiques et philologiques. De même pour les textes retenus comme formant le canon biblique. On pourra noter l’absence de plusieurs livres dans l’AT tels que les Macchabées, Judith, Tobie, etc, et surtout dans le NT, l’apocalypse de Jean. Ce canon précis est absent de nombreux recueils canoniques, principalement en occident. La raison probable en est la suivante : les canons bibliques étaient déjà existants dans certaines zones géographiques, et variaient quelque peu. Les canonistes devaient probablement laisser la priorité à d’autres listes de livres reconnus. Nous avons à notre disposition de nombreuses listes, chez les Pères de l’Eglise qui témoignent des livres qu’ils considèrent comme inspirés, et ces listes varient à la marge. Les textes majeurs sont tous présents, et c’est souvent l’apocalypse qui manque, et certains textes chrétiens primitifs comme le pasteur d’Hermas qui peuvent être reconnus comme faisant partie des textes du NT.