De Laodicée (~363) à Constantinople (381)
Période avant le concile de Constantinople de 381
Nous sommes donc en 363. Après la mort de Julien l’apostat, c’est le général Jovien qui monte sur le trône. C’est un chrétien fidèle. Il rappelle d’exil Athanase. Il le charge d’une mission, qui aux yeux de l’empereur, pourrait ramener la paix dans l’Eglise : il lui demande de rédiger un traité exposant précisément la doctrine de l’Eglise concernant la Trinité. Athanase convoque alors un concile à Alexandrie, afin de rédiger de façon synodale une lettre, que la patrologie a conservé sous le nom « Ad Jovianum ». Athanase expose dans ce traité la foi de l’Eglise. Il rappelle que la foi de Nicée est la seule foi véritable, héritée des apôtres et prêchée depuis le départ, reçue de façon universelle, malgré « les ariens peu nombreux et impuissants contre elle ». Ce traité est de plus intéressant, car il expose la doctrine orthodoxe du Saint-Esprit, une donnée de première importance pour l’histoire de l’Eglise. Chez Athanase, comme dans toute dogmatique orthodoxe, il n’y a entre le Fils et l’Esprit aucune relation d’origine. Le Père est la source de l’un et l’autre. Comme l’explique le Père Wladimir Guettée « l’action éternelle du Père à l’égard du Fils est appelée génération ; à l’égard de l’Esprit, procession ou émanation. Ces deux actions coéternelles sont désignées dans le langage humain par deux expressions différentes; mais cette diversité, incompréhensible comme l’essence divine elle-même, n’empêche pas que le Père ne soit l’unique principe à l’égard du Saint-Esprit comme à l’égard du Fils. » (histoire de l’Eglise, tome 3, p 297). Il précise un peu plus loin, quelque chose qui explique cette problématique du filioque que nous verrons plus en détail au moment approprié : « il n’y a entre le Fils et l’Esprit de relation que pour l’acte extérieur de l’envoi, de la mission, de la communication à l’humanité. » (ibid p 299). Quittons les cimes de la dogmatique, pour revenir à l’histoire, ses tumultes et ses revirements.
Tous les partis s’adressèrent au nouvel empereur pour faire reconnaître leur position et le bien-fondé de leur théologie. Mais le trouble qu’avait laissé s’installer Constance n’allait pas se poursuivre avec Jovien. Il se déclara immédiatement pour le omoousios de Nicée. Acace de Césarée, arien convaincu, n’en était pas moins quelqu’un de conscient du donné politique. Il s’allia avec Mélèce d’Antioche, et en 363, faisant écho au concile d’Alexandrie, avec 25 autres évêques, ils firent reconnaître solennellement le credo de Nicée.
En 364, après seulement quelques huit mois de pouvoir, l’empereur Jovien meurt subitement. Saint Jean Chrysostome a la certitude qu’il fut empoisonné par ses gardes, mais il existe d’autres théories chez les historiens, tel que l’étranglement. En tout cas, sa mort n’est pas naturelle. L’élite militaire et politique romaine choisit un autre général pour lui succéder : le général Valentinien. Il s’agissait d’un chrétien pieux et sincère : sous Julien, il avait choisi d’être dégradé et emprisonné plutôt que d’apostasier. On pourrait donc croire que la saine doctrine serait protégée, comme sous Jovien. Mais Valentinien choisit de diviser l’administration impériale en deux, gardant l’occident sous son contrôle direct, et nomma son frère Valens, empereur d’orient. Valens était arien, et de plus farouchement anti-orthodoxe. Les historiens qualifient son arianisme de fanatique. Il était sous l’influence d’Eudoxe, le patriarche de Constantinople d’alors, qui était particulièrement hétérodoxe. Stationné à Antioche, Valens fit expulser Mélèce, mais bizarrement, ne fit rien de négatif contre Paulinus, l’autre évêque orthodoxe de la ville (vous vous souvenez que la situation orthodoxe à Antioche était compliquée, avec deux évêques orthodoxes différents, en communion avec des évêques parfaitement orthodoxes en occident ou en orient selon les cas). Valens usa de tout son pouvoir pour favoriser l’évêque arien Euzoius. Tous ceux qui refusaient de communier avec lui étaient chassés, voire tués. Tous les évêques qui avaient été exilé par Constant furent de nouveau pourchassés par Valens. Athanase d’Alexandrie, ou Basile de Césarée dont la renommée allait grandissante durent leur salut à la révolte d’un général, Procopius, qui changea un certain temps les priorités de Valens. Mais une fois le séditieux et ses partisans massacrés, les persécutions reprirent. Valens faisait placer aux sièges importants, des évêques acquis à la cause arienne. Devant la situation, en 366, des évêques orientaux décidèrent d’aller voir le Pape Libèrius et l’empereur d’occident Valentinien pour faire états des graves persécutions religieuses qu’ils subissaient. Mais le sort rendit la chose impossible. De son côté Valentinien était sous l’influence religieuse de l’évêque de Milan, Auxentius, un arien déguisé en orthodoxe, qui était violemment combattu par Hilaire de Poitiers, mais sans succès auprès de l’empereur. Lorsque les ambassadeurs arrivèrent, si une rencontre avait pu avoir lieu, elle aurait probablement avortée grâce aux manœuvres d’Auxentius. Mais une révolte de germains entraîna le départ de Valentinien à la guerre. Les légats orientaux se tournèrent vers Libèrius, mais celui-ci les identifia comme semi-ariens, à cause de leur passé dans l’arianisme et refusa de les rencontrer. Ils durent signer moultes déclarations par rapport à leur passé et par rapport à la foi nicéenne avant que Libèrius ne les rencontre et ne leur remette un document attestant de l’orthodoxie nicéenne de l’occident. Ce document ne fut pas unanimement reçu en orient, on s’en doute bien. Les orthodoxes furent empêchés de se réunir en concile pour le recevoir officiellement, tandis que les ariens se réunirent de nouveau, et condamnèrent le omoousios.
Une situation troublée suivit le décès du Pape Libèrius à Rome. Vous vous souvenez que Libèrius avait été exilé quelques années auparavant, lorsque l’empereur d’occident chassait les orthodoxes. Pendant cet exil, un certain Félix avait été placé sur le trône romain. Après la mort de Félix, Libèrius avait réussi à faire la paix avec les partisans de Félix. Un de ceux-ci, le prêtre Ursinus, fut sacré évêque de Rome par l’évêque Paul de Tibur, l’actuelle Tivoli, tout près de Rome. Quasiment en même temps, d’autres sacrèrent Damase, le diacre de Libèrius. Certains documents dépeignent Damase comme un homme violent qui fit tout pour empêcher Ursinus d’accéder au trône romain. Certains documents décrivent la même chose concernant Ursinus. Une lutte sanglante eut lieu dont Damase sortit finalement vainqueur. Une chose semble sûre, par les descriptions des historiens, est que Damase ne vivait pas vraiment dans une pauvreté monastique. Il s’habillait de façon luxueuse et mangeait des mets couteux et sophistiqués.
Les persécutions continuaient en orient. Nous avons des textes de Saint Basile, où il se lamente sur l’état de l’Eglise, où il enjoint Saint Athanase d’Alexandrie de rallier les évêques occidentaux à leur cause et de solutionner le problème du schisme à Antioche, ville aux deux évêques orthodoxes. La lettre de Basile est intéressante au niveau de Marcel d’Ancyre : pour la première fois il est fait mention négativement de Marcel d’Ancyre, dépeint ici comme un hérétique, alors que jusqu’ici il avait été défendu par les orthodoxes. Enfin Basile écrivit également directement à Damase, qu’il considérait donc comme le Pape véritable. Damase, recevant les demandes d’Athanase et de Basile réunit alors un concile à Rome, ou 90 évêques italiens affirmèrent solennellement que la foi unique de l’Eglise universelle ne pouvait pas se considérer autrement que comme celle de Nicée. Damase prit également ses responsabilités concernant Auxentius qui fut condamné. Celui-ci, bénéficiant de la protection de l’empereur demeurera en place à Milan jusqu’à sa mort. Peu après ce concile de Rome, en 373, saint Athanase mourut. Il mourut donc dans une période de persécution. Saint Grégoire de Nazianze a fait l’éloge de Saint Athanase. Voici un extrait du texte : « Il ne donna pas beaucoup de temps aux sciences humaines, mais, en revanche, il approfondit tellement les saintes Ecritures que personne n’en acquit une connaissance plus complète. Sa science et ses vertus le firent choisir pour occuper le plus haut degré du sacerdoce, et il fut mis à la tête du peuple d’Alexandrie, ce qui est la même chose que si je disais qu’il fut mis à la tête du monde entier. Je ne pourrais pas dire s’il obtint cette haute dignité comme récompense de sa vertu, ou pour qu’il fût la source et la vie de son Eglise. Il fut pour elle comme une fontaine où elle put se désaltérer, un feu purifiant, dans lequel le bon grain des dogmes vrais fut séparé des fétus des erreurs; le Verbe trouva en lui un guerrier qui combattit avec lui, et l’Esprit-Saint un homme qui respira pour lui. Il fut choisi pour occuper le trône de Marc par le libre suffrage des fidèles, c’est-à-dire par le moyen spirituel et apostolique, et non par ces brigues et ces intrigues dont nous avons été si souvent témoins. Il a été le successeur de la piété de Marc aussi bien que de son trône; il en était ainsi très-rapproché et c’est par là qu’il lui a véritablement succédé. Celui qui professe la même doctrine est vraiment l’associé du même trône. Celui qui professe une doctrine contraire est un ennemi et non un successeur, quoique assis sur le même trône. Ce dernier n’a que le titre de successeur; l’autre possède la vraie succession.»
Valens profita de la mort du géant d’Alexandrie pour placer un pion à lui, nommé Lucius, à la croyance arienne, à la place de Pierre, le successeur que s’était choisi la population et le clergé. Pierre s’enfuit à Rome afin d’échapper à un Lucius, dont les méthodes rappelaient celles de Grégoire l’usurpateur. Celui-ci trouva d’ailleurs le renfort du comte Magnus, envoyé par l’empereur, et d’Euzoius, l’arien qui trônait à Antioche. Valens édicta un décret condamnant tous ceux qui professaient la foi de Nicée. Ceci conduisit à nombre d’exécutions que supervisa Euzoius avant de retourner à Antioche. Lucius comprit que le problème durerait tant que les moines du désert continueraient à professer la foi de Nicée. Il fit donc arrêter et déporter un grand nombre de moines. Il les envoya sur une île, gardés par des païens, mais ceux-ci se convertirent en voyant les moines accomplir des miracles. Lucius préféra alors les laisser repartir au désert, se disant probablement qu’ils feraient ainsi, moins de mal à sa cause. Des problèmes semblables frappèrent Constantinople. Partout la population était nicéenne, le clergé était nicéen, et Valens n’avait réussi finalement à installer que quelques évêques courtisans, acquis à sa cause arienne, mais sans véritable assise populaire. Valens était en fin de compte isolé et n’osa pas aller plus loin que d’exiler les évêques et prêtres trop récalcitrants. Il se heurta ainsi nommément à Basile de Césarée et Grégoire de Nazianze. Depuis la mort d’Athanase, ils étaient les fer de lance de la foi nicéenne en orient. Valens, en visite à Césarée, fit comparaître Basile devant son préfet, mais celui-ci resta ferme, malgré les menaces à peine voilées. Basile se retrouva naturellement en prison, mais au même moment le fils de Valens, Galatis, tomba gravement malade et sa mère, l’impératrice fit un songe lui révélant que la cause des tourments de son fils étaient dus à un évêque injurié à tort. Valens fit venir Basile : « Si ta foi est la bonne, prie pour que mon fils ne meure pas. ». Basile répondit « Empereur, si tu veux adhérer à la même foi que moi et rendre la paix à l’Eglise, ton fils vivra. ». Valens refusa et Galatis mourut peu après.
Deux événements très positifs eurent ensuite lieu. Le premier dans la ville de Milan, avec celui qui allait devenir saint Ambroise de Milan. Il était le fils d’un préfet des Gaules. Il grandit à Rome dans une famille chrétienne et ses deux auteurs chrétiens de prédilection étaient saint Basile de Césarée et Didyme l’aveugle. Embrassant une carrière profane, il fut d’abord avocat puis nommé gouverneur de Milan. C’est en raison de son action comme gouverneur qu’il fut choisi. En effet, suite à la mort d’Auxentius, cet évêque arien qui avait les faveurs de l’empereur Valentinius, la ville de Milan était divisée en deux entre ariens et nicéens. Les deux partis étaient inconciliables pour l’élection d’un candidat. Ambroise, en tant que gouverneur, tint aux deux partis, dans la cathédrale de Milan un discours plein de conciliation, appelant les deux à élire le plus digne et d’éviter toute division. Une voix s’éleva alors dans la foule demanda à ce qu’il soit élu évêque. Malgré toutes ses excuses pour éviter cette charge, il fut finalement fait évêque. Ce n’était pas un choix très avisé pour les ariens, car Ambroise se révéla être, en plus d’un grand saint, un nicéen intraitable. En quelques années, l’arianisme disparut de Milan. Peu de temps après cette élection providentielle à Milan, Valentinius mourut. Les deux fils de Valentinius, Gratianus et Valentianus appuyèrent l’orthodoxie nicéenne, ainsi que l’évêque Damase à Rome, dont vous vous souvenez la situation compliquée. Gratianus, en tant qu’empereur d’occident, établit même un décret pour asseoir définitivement l’autorité de Damase : il pouvait juger les autres évêques sans pouvoir lui-même être jugé par les autres évêques. Un concile se tint à Rome pour assainir la situation toujours très troublée. Une déclaration du concile est à noter : « Il ne faut pas que notre frère Damasus soit de pire condition que ceux au-dessus desquels il est élevé par la prérogative du siège apostolique, quoiqu’il leur soit égal dans le ministère. Dès que vous-même l’avez jugé innocent, il ne doit pas être soumis aux jugements dont vous avez exempté les évêques. S’il a bien voulu se soumettre au jugement des évêques, on ne doit pas trouver là un prétexte de le calomnier. ». Le concile rappelle très clairement que les fonctions épiscopales sont égales mais que Rome jouit d’une dignité supérieure. Dater historiquement la naissance de l’hérésie papiste est une chose compliquée. Le décret de Gratianus est néanmoins une date importante dans cette longue marche vers le schisme et l’hérésie. On voit que le pouvoir séculier a joué un rôle déterminant dans ce processus, en donnant des prérogatives et des pouvoirs tout à fait inédits.
Mais Gratianus fit également de bonnes choses pour l’Eglise : il fit rappeler tous ceux que Valens avait expulsé, fit chasser les ariens des églises, et interdit toute réunion manichéenne, photinienne ou eunoméenne. Mais Gratianus, après la mort de Valens en 378 ne pouvait gérer seul l’empire, menacé aussi bien en orient qu’en occident. Il fit donc venir un général d’Espagne pour le charger de la partie orientale ; il s’agissait de Théodose. Basile de Césarée mourut peu de temps après Valens, le 1er janvier 379, mais il eut tout de même le temps de voir le triomphe de l’orthodoxie en Orient, grâce aux actions de Théodose. Saint Grégoire de Nazianze vint à Constantinople, devenue, sous l’influence des hommes placés par Valens, une place forte arienne. Celui-ci établit demeure dans l’église de la résurrection. Il n’y vint pas pour en devenir évêque, mais pour terrasser l’hérésie arienne. Les traces de ces discours nous sont parvenues dans l’ouvrage appelés « discours théologiques ». Très rapidement, les hérétiques qui se trompaient de bonne foi furent recadrés. Les ariens ne pouvant rien sur le plan théologique, philosophique et rhétorique, tant Grégoire les surpassait, ne purent faire autrement pour le contrer que d’exciter une populace et provoquer une émeute la veille de Pâque afin de l’emmener devant le préfet et l’y faire accuser. Sans succès. Théodose, agacé de cette situation et de ce genre d’événements émis le décret suivant : tous ceux qui ne suivaient pas la doctrine professée par le patriarche Damase de Rome et Pierre d’Alexandrie seraient poursuivis et condamnés comme hérétiques. Ce décret fut envoyé spécialement à Constantinople. Son action fut immédiate. Tous les ambitieux devinrent subitement parfaitement nicéens.