Le troisième concile oecuménique

Introduction

En 381 n’eut pas seulement lieu le second concile œcuménique, mais également le concile d’Aquilée en actuelle Italie, qui réunissait des évêques principalement occidentaux, et ayant pour sujet les positions ariennes de deux évêques d’actuelle Albanie. L’évêque le plus actif fut sans conteste saint Ambroise de Milan. Il obtint la déposition des évêques ariens et fit appel au pouvoir de l’empereur pour que les évêques soient remplacés par des évêques véritablement orthodoxes. Probablement en constatant que l’arianisme était encore puissant et qu’il fallait purger une bonne fois pour toute cette hérésie du corps de l’Eglise et protéger les fidèles, Théodose organise deux conciles : un à Constantinople de nouveau et un à Rome, en 382. Il semblerait que Théodose avait imaginé un grand concile à Rome, réunissant également les évêques orientaux. Le but était de réaffirmer solennellement les vérités de Nicée, mais surtout de trancher sur le cas d’évêques que certains voyaient comme ariens, tel Cyrille de Jérusalem, dont je rappelle qu’il avait rejoint des évêques semi-ariens à cause des problématiques de formulation. Les termes désignant nature et personnes n’avaient pas encore trouvé leur utilisation définitive. Certains orthodoxes pouvaient donc cataloguer Cyrille de Jérusalem comme arien, alors qu’il était en fait orthodoxe. Les évêques orientaux trouvèrent plus simple d’envoyer une lettre aux évêques romains. Voici la lettre, disponible chez Theodoret et rapportée par le Père Guéttée, qui présente un intérêt historique et théologique :

La lettre des évêques orientaux au synode romain de382

« Aux seigneurs très-honorés, aux révérendissimes frères et collègues Damasus, Ambrosius et autres saints évêques assemblés dans la grande ville de Rome, le saint synode des évêques orthodoxes assemblés dans la grande ville de Constantinople,

Salut dans le Seigneur!

Nous croyons inutile de vous raconter, comme si vous les ignoriez, les malheurs dont les ariens nous ont accablés alors qu’ils étaient puissants. Nous ne pensons pas, en effet, que Votre Piété qui a dû y compatir, s’en soit si peu occupée que nous soyons obligés de lui en donner connaissance. Nos calamités étaient telles qu’elles n’ont pu rester inconnues. La mémoire de nos persécutions est encore trop fraîche pour que non-seulement ceux qui les ont supportées, mais encore ceux qui ont dû y prendre part par charité, aient pu les oublier. Hier encore, on peut le dire, ou avant-hier, des milliers d’exilés revenaient à leurs Eglises ; on rapportait les restes de ceux qui étaient morts loin de leur patrie ; quelques-uns, en arrivant, étaient reçus à coups de pierre et mouraient comme le bienheureux Etienne, trouvant dans leur patrie des traitements pires que ceux dont ils avaient souffert en terre étrangère. Plusieurs ont supporté de si affreux supplices qu’ils portent encore sur leurs membres les stigmates du Christ. Qui pourrait dire les pertes éprouvées par les villes et les particuliers, les proscriptions, les pièges, les injures, les emprisonnements dont nous avons eu à souffrir? Véritablement les calamités sont tombées sur nous en trop grand nombre; c’était sans doute pour la punition de nos péchés que Dieu les permit; et c’est dans sa bonté qu’il nous envoya ces épreuves. Nous devons donc remercier Dieu qui a instruit ses serviteurs au moyen de ces afflictions et qui, dans sa miséricorde, nous en a délivrés.

Nous avons été fort occupés à restaurer les églises ; nous avons eu besoin de beaucoup de temps et de travail pour guérir le corps de l’Église, épuisé pour ainsi dire par une longue maladie et le rappeler à son ancienne santé. Tout en étant délivrés des violences de la persécution et quoique mis en possession des Eglises dont les hérétiques nous avaient dépouillés, nous avons beaucoup à souffrir des loups qui, chassés des bergeries, entraînent des brebis dans les forêts, tiennent des assemblées ennemies, excitent des émeutes, et cherchent à nuire aux Églises par tous les moyens. En de telles circonstances nous avions besoin de tout notre temps.



Aujourd’hui que, par la grâce de Dieu, vous êtes assemblés en concile à Rome, obéissant à vos sentiments d’amour fraternel, vous nous avez fait inviter à votre assemblée, comme membres du même corps, par les lettres d’un très-religieux empereur; nous désirerions ardemment avoir les ailes de la colombe pour voler vers vous ; mais nous obéirions ainsi plutôt à nos désirs qu’aux intérêts de nos Églises qu’il nous faudrait abandonner.

L’année dernière, lorsque le très-pieux empereur Théodose eût reçu les lettres du concile d’Aquilée, nous n’étions préparés que pour un voyage à Constantinople et nous n’apportions que pour le concile tenu en cette ville, l’adhésion des évêques qui étaient restés dans leurs Églises. Nous ne savions pas alors que nous serions invités à faire un plus long voyage, et nous ne l’avons appris qu’à Constantinople. Nous avons donc été obligés de vous déléguer seulement nos très honorés frères et collègues, les évêques Cyriacus, Eusebius et Priscianus, pour vous attester notre union avec vous et notre zèle pour la saine doctrine, promulguée à Nicée de Bythinie par trois cent dix-huit Pères, et pour laquelle nous avons supporté les persécutions, les cruautés des empereurs et des juges.

En ce qui concerne l’administration particulière des Églises, la coutume et la décision des saints Pères de Nicée, ont établi que, dans les provinces, les évêques de la province fassent les ordinations épiscopales, en adjoignant, s’ils le veulent, les évêques des provinces limitrophes. Nous vous faisons savoir que les Eglises sont administrées ainsi chez nous, et que c’est ainsi qu’ont été établis les évêques des plus illustres Eglises. C’est ainsi que pour l’Église de Constantinople que nous pouvons appeler nouvelle, puisque nous venons de l’arracher à l’hérésie, le très-pieux et très-vénérable Nectarius a été choisi pour évêque dans un concile œcuménique, en présence du très-religieux empereur Théodose avec l’assentiment unanime du clergé et du peuple. Pour la très-antique et vraiment apostolique Eglise d’Antioche de Syrie, où le vénérable nom de chrétien a été prononcé pour la première fois, tous les évêques de la province et du diocèse d’Orient se sont réunis pour ordonner évêque le très-vénérable et très-pieux Flavianus, avec le consentement de toute l’Eglise qui n’avait qu’une voix pour le louer. Nous vous faisons savoir également que le très vénérable et très pieux Cyrille, est évêque de Jérusalem, l’Eglise Mère de toutes les Eglises ; autrefois il fut ordonné canoniquement par les évêques de la province, et, en plusieurs lieux, il a combattu contre les ariens.

En ce qui concerne le Mémoire des Occidentaux, nous reconnaissons aussi comme orthodoxes, tous ceux qui, à Antioche, professent l’égale divinité du Père, du Fils et du saint Esprit. La foi de Nicée nous apprend à croire au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, par conséquent à une seule et même divinité, puissance et nature du Père, du Fils, et du Saint-Esprit, à une dignité égale et à une puissance également éternelle en trois hypostases absolument parfaites ou en trois Personnes parfaites. En sorte, que ni l’hérésie de Sabellius qui mélange les hypostases, c’est-à-dire ne tient pas compte des particularités, ne peut être admise, ni le blasphème des eunoméens, des ariens et des pneumatomaques ne peut être conservé avec quelque raison, lui qui divise l’Être, la nature et la Divinité, et à la Nature incréée, égale en nature et également éternelle, veut ajouter une autre nature, née dans la suite ou créée ou étrange. Nous conservons aussi intégralement la doctrine de l’Incarnation de Notre-Seigneur, admettant que l’économie de la chair n’est ni séparée de l’âme ni séparée de l’intelligence ou imparfaite, reconnaissant le Logos de Dieu parfait de toute éternité et devenu dans les derniers temps homme parfait pour l’amour de notre salut. </i>»

Le Père Guettée précise, concernant le « mémoire des occidentaux » : « On a beaucoup disserté pour savoir quel était ce mémoire. On a vu précédemment par une lettre du concile d’Aquilée, ce que l’on avait décidé en Occident, touchant la succession du siège d’Antioche. Les Occidentaux avaient envoyé aux Orientaux un mémoire à ce sujet. La base de ce mémoire était que : Les partisans de Meletios et de Paulinus étant tous orthodoxes, reconnaîtraient comme leur pasteur légitime, le survivant des deux. En Orient, on admettait l’orthodoxie des deux partis, mais on ne pouvait admettre la décision anticanonique de l’Occident par rapport à l’épiscopat légitime; car, pour cet épiscopat légitime, il fallait l’élection du clergé et du peuple et l’ordination par les évêques de la province. La décision des Occidentaux blessait ces règles canoniques. »

premières tensions orient – occident

On peut noter dès 382 quelques petites tensions entre orient et occident. L’orient reprochait probablement à l’occident une certaine tiédeur dans l’aide apportée lors des persécutions. Les visions n’étaient pas en accord sur qui devait gouverner à Antioche et comme l’occident s’entêtait à refuser la communion à certains évêques antiochiens, Constantinople avait condamné cette attitude. Le Pape à Rome était Damase, ce qui n’aidait pas, car Damase était plus proche du pouvoir que de la vérité. Plus intéressé par les rivalités d’alcôve que par la prédication exemplaire de la charité et de l’humilité. Chacun pourra aller voir son parcours pour s’en convaincre. Ce qui est intéressant, est que Damase est aussi un des pionniers de cette folle idée de la primauté romaine.

le concile de 383 et la position des novatiens

En 383, Théodose convoqua encore un concile à Constantinople. Ce concile est assez original dans sa forme, puisqu’il convoqua non seulement les orthodoxes en la personne de Nectarius et Agelius, mais aussi les ariens en la personne de Démophile, ancien évêque de Constantinople, les pneumatistes représentés par Eleuse de Cyzique, les eunoméens représentés par Eunomius en personne. Il est intéressant de s’arrêter quelques instants sur Agélius. Il était l’évêque des novatiens à Constantinople. On se souviendra que les novatiens avaient formés un schisme qui dura quelques siècles, à partir du prêtre Novatien, un prêtre romain du 3ème siècle. La cause principale du schisme était l’attitude envers les lapsis, ceux qui avaient nié le Christ pendant les persécutions. L’orthodoxie avait pris la voie douce, choisissant de réintégrer les lapsi après pénitence, tandis que les novatiens, plus rigides, considéraient qu’il ne fallait pas les réintégrer dans l’Eglise. Les historiens de l’Eglise nous apprennent à cette occasion, combien étaient cordiales les relations entre Agélius et Nectarius, le patriarche de Constantinople. Lors du concile, dans la vision de Théodose, les deux représentaient les orthodoxes. Théodose demanda à chacun de rédiger une profession de foi. Il les lu soigneusement, et déchira en signe de condamnation toutes celles qui ne venaient pas du parti orthodoxe. Ceci marque un tournant important : enfin, l’empire ne se fait plus le promoteur de l’hérésie, mais le défenseur de la vérité doctrinale. Théodose fit promulguer une loi défendant aux évêques non orthodoxes d’en établir de nouveaux. Certains évêques non orthodoxes furent privés de leurs droits civiques ou bannis selon les cas. Beaucoup d’hérétiques revinrent dans l’orthodoxie cette année-là. On pourra s’interroger sur la qualité de leur christianisme, sur la rigueur de leur doctrine et sur la pureté de leurs motifs, mais l’empereur, tel un nouveau Constantin cherchait surtout une stabilité religieuse pour l’empire. Théodoret nous précise d’ailleurs que cette loi n’avait pour objet que d’effrayer les non orthodoxes car elle ne fut jamais mise en application.

L’empereur d’occident, Valentinianus, tout en étant lui-même chrétien, était moins rigoureux et cohérent que Théodose. Il envisageait de légiférer pour permettre au paganisme d’avoir, comme le christianisme, la protection de l’état et la liberté religieuse. Ambroise de Milan lui écrivit la lettre suivante, pour lui mettre les points sur les i, comme on dit : « De même que tous ceux qui font partie de l’empire romain combattent pour vous, empereurs et princes de la terre, ainsi vous combattez vous-mêmes pour le Dieu Tout-Puissant et la sainte foi. Il n’y aura aucune sûreté si chacun n’adore pas véritablement le vrai Dieu, c’est- à-dire, le Dieu des chrétiens, c’est le seul vrai Dieu qui doive être adoré du fond du cœur, car les dieux des gentils sont des démons, selon la sainte Ecriture.



la lettre de saint Ambroise à l’empereur d’occident

« Tu es empereur très-chrétien, je m’étonne donc du bruit qui court que tu dois donner des ordres pour relever les autels des faux dieux, et subvenir aux frais des sacrifices profanes.

Ceux qui n’ont jamais épargné notre sang et qui ont détruit nos églises, se plaignent des secours que nous obtenons, ils demandent pour eux des privilèges, eux qui, sous Julien, sont allés jusqu’à nous refuser le droit de nous instruire et de parler, et qui, même sous des empereurs chrétiens, sont parvenus à rendre illusoires les privilèges qui nous étaient accordés. Vous ne pouvez prendre, sans commettre un sacrilège, la décision que l’on vous demande et je vous supplie de n’y pas souscrire. »

l’édit de Théodose et la religion impériale

Il sera peut-être important de faire un petit retour dans le passé pour parler de l’édit de Thessalonique, que Théodose prit en 380, avant le concile de Constantinople. Parfois appelé édit de Théodose, cet édit est souvent considéré par certains historiens comme la promulgation du christianisme orthodoxe comme religion impériale. En fait, il faut bien noter que ni Sozomène, ni Grégoire de Nazianze qui ont rédigé des éloges pour l’empereur ne parle de cet édit. C’est pour la simple et bonne raison qu’il ne concernait d’un point de vue légal, que la seule ville de Thessalonique. C’était un moyen pour Théodose d’affirmer sa foi nicéenne dans un contexte local troublé. Plus intéressant, concernant Théodose, est son excommunication par Ambroise de Milan en 390. Une émeute avait éclaté en la ville de Thessalonique, et malgré une promesse de gestion pleine de charité, Théodose, emporté par un tempérament colérique fit un massacre. Se présentant à l’église, à Milan, Théodose, n’ayant pas pris pleinement conscience de son crime dit à Ambroise : « le roi David a été plus coupable que moi, puisqu’il joignit l’adultère au meurtre. » « Si vous l’avez imité dans le meurtre, imitez-le dans sa pénitence ». L’empereur accepte alors de s’humilier publiquement et de passer plusieurs mois avec les pénitents avant de pouvoir réintégrer sa place dans l’Eglise. Théodose se distingua de façon continue pour sa lutte contre l’hérésie. Le fait le plus marquant est probablement la destruction du temple égyptien dédié à Sérapis, remplacé par une église. Théodose meurt en 395 et fut, au quatrième siècle, le plus grand promoteur de l’orthodoxie nicéenne avec Constantin. Avant de mourir, il essaya en 391, sans succès de mettre fin au schisme d’Antioche. Mélèce et Paulin étaient morts, mais les deux avaient un successeur et cela permettait à ce schisme absurde de perdurer.

On notera en 391, à Hippone, la tenue d’un concile qui promulgue différents canons. Le canon 40 donne la liste des livres qui peuvent recevoir le titre d’Ecriture Sainte et être lus en église. L’apocalypse de Jean en fait partie. Augustin était prêtre lors de ce concile et y participa.

éléments hérétiques menant au nestorianisme, premières condamnations de l’origénisme

On peut aussi considérer que l’origénisme commence à apparaître plus clairement à la fin du quatrième siècle. Mais le nestorianisme ne vient pas non plus de nulle part. Théodore de Mopsueste, avait réalisé une forme de synthèse des hérésies passées. Le Père Guettée écrit : « Jusqu’alors, les hérétiques qui s’attaquaient au fils de Dieu ou au Saint-Esprit, étaient classés en trois groupes principaux : les ariens qui niaient la divinité du Christ, et ne faisaient de lui qu’un homme, orné de privilèges exceptionnels; les apollinaristes qui niaient l’humanité du Christ, et enseignaient que cette humanité avait été plus apparente que réelle; enfin les macédoniens ou pneumatomaques qui niaient la divinité du Saint-Esprit. Eunomius était le grand théologien de ce dernier parti et il continua à dogmatiser, après le concile œcuménique de 381, comme avant ce concile qui avait condamné ses erreurs. Théodore de Mopsueste voulut concilier les ariens et les apollinaristes. Il admettait avec les premiers que le Christ était une hypostase ou une personne humaine ; il ajoutait, avec les apollinaristes, qu’il était une hypostase ou une personne divine. Il y avait donc en Jésus-Christ deux personnes : ce qui constitue l’hérésie Nestorienne. » (l’histoire de l’Eglise dans le monde, tome IV, p 102). Théodore de Mopsueste était également un immense admirateur d’Origène. Le nom qui fait également débat dans cette naissance de l’origénisme est celui de saint Grégoire de Nysse. Certains ont un peu rapidement fait de Grégoire un origéniste. Origène suscita des débats très animés. Jérôme et Ruffin se déchirèrent sur le sujet. En 399 se tint probablement le premier concile à traiter le cas de l’origénisme. C’est l’archevêque Théophile d’Alexandrie qui présida ce concile. Deux autres conciles, tenus à Jérusalem et à Chypre suivirent de peu, avec le même résultat : la condamnation de l’origénisme.