Texte originel grec

ἤτοι ὅ γ᾽ ὣς εἰπὼν κατ᾽ ἄρ᾽ ἕζετο: τοῖσι δ᾽ ἀνέστη
Κάλχας Θεστορίδης οἰωνοπόλων ὄχ᾽ ἄριστος,
ὃς ᾔδη τά τ᾽ ἐόντα τά τ᾽ ἐσσόμενα πρό τ᾽ ἐόντα,
καὶ νήεσσ᾽ ἡγήσατ᾽ Ἀχαιῶν Ἴλιον εἴσω
ἣν διὰ μαντοσύνην, τήν οἱ πόρε Φοῖβος Ἀπόλλων:
ὅ σφιν ἐὺ φρονέων ἀγορήσατο καὶ μετέειπεν:
ὦ Ἀχιλεῦ κέλεαί με Διῒ φίλε μυθήσασθαι
μῆνιν Ἀπόλλωνος ἑκατηβελέταο ἄνακτος:
τοὶ γὰρ ἐγὼν ἐρέω: σὺ δὲ σύνθεο καί μοι ὄμοσσον
ἦ μέν μοι πρόφρων ἔπεσιν καὶ χερσὶν ἀρήξειν:
ἦ γὰρ ὀΐομαι ἄνδρα χολωσέμεν, ὃς μέγα πάντων
Ἀργείων κρατέει καί οἱ πείθονται Ἀχαιοί:
κρείσσων γὰρ βασιλεὺς ὅτε χώσεται ἀνδρὶ χέρηϊ:
εἴ περ γάρ τε χόλον γε καὶ αὐτῆμαρ καταπέψῃ,
ἀλλά τε καὶ μετόπισθεν ἔχει κότον, ὄφρα τελέσσῃ,
ἐν στήθεσσιν ἑοῖσι: σὺ δὲ φράσαι εἴ με σαώσεις.
τὸν δ᾽ ἀπαμειβόμενος προσέφη πόδας ὠκὺς Ἀχιλλεύς:
‘θαρσήσας μάλα εἰπὲ θεοπρόπιον ὅ τι οἶσθα:
οὐ μὰ γὰρ Ἀπόλλωνα Διῒ φίλον, ᾧ τε σὺ Κάλχαν
εὐχόμενος Δαναοῖσι θεοπροπίας ἀναφαίνεις,
οὔ τις ἐμεῦ ζῶντος καὶ ἐπὶ χθονὶ δερκομένοιο
σοὶ κοίλῃς παρὰ νηυσί βαρείας χεῖρας ἐποίσει
συμπάντων Δαναῶν, οὐδ᾽ ἢν Ἀγαμέμνονα εἴπῃς,
ὃς νῦν πολλὸν ἄριστος Ἀχαιῶν εὔχεται εἶναι.

Traduction philologique

Or, lui ainsi ayant parlé, alors s'assit. À eux alors se leva
Calchas, fils de Thestor, des devins de loin le meilleur,
qui savait les choses qui sont, les choses qui seront, et les choses avant qu'elles soient,
et les navires guida des Achéens vers Ilion à l'intérieur,
par cette divination, laquelle lui donna Phœbus Apollon.
Qui à eux bien-pensant, parla dans l'assemblée et dit :
Ô Achille, tu m'ordonnes, à moi cher à Zeus, de parler,
la colère d'Apollon, du souverain qui frappe de loin :
Donc je parlerai : mais écoute et jure-moi,
vraiment de bon cœur avec tes paroles et tes mains me protéger.
Donc je parlerai : mais écoute et jure-moi,
vraiment de bon cœur avec tes paroles et tes mains me protéger.
Car je pense qu’un homme s'irritera, qui beaucoup sur tous
les Argiens commande et à lui obéissent les Achéens.
Car plus puissant est le roi quand il s'irrite contre un homme inférieur.
Car même s'il réprime sa colère ce même jour,
mais aussi ensuite il garde rancune, jusqu'à ce qu'il accomplisse,
dans son cœur (poitrine) : mais toi, réfléchis si tu me sauveras.
Et en réponse lui dit le rapide aux pieds Achille :
Rassuré, dis très clairement l’oracle, tout ce que tu sais.
Non, par Apollon cher à Zeus, à qui toi, Calchas,
en priant, aux Danaens, les oracles tu dévoiles,
personne, tant que je vis et regarde la terre,
à toi près des nefs creuses les mains lourdes ne portera,
de tous les Danaens, pas même si Agamemnon tu nommes,
lui qui maintenant beaucoup se vante d’être le meilleur des Achéens.

Traduction proposée

Ainsi parla Achille, puis il s'assit. Alors se leva Calchas, fils de Thestor, le plus grand des devins, celui qui connaissait le passé, le présent et l'avenir, et qui guida les nefs des Achéens vers Ilion, grâce à son art de la divination, un don que lui avait accordé Apollon, le dieu lumineux.
Prenant la parole avec sagesse, il s'adressa à eux :
"Ô Achille, toi qui es cher à Zeus, tu me demandes de révéler la cause de la colère d'Apollon, ce dieu qui frappe de loin. Eh bien, je vais parler, mais écoute-moi et jure de me protéger de tout cœur, par tes paroles et tes actes. Car je prévois que mes paroles vont provoquer la colère d'un homme puissant, celui qui commande sur tous les Argiens et à qui obéissent les Achéens. Car il est dangereux de s'attirer la fureur d'un roi, surtout lorsqu'il est supérieur en puissance. Même s'il calme sa colère pour un jour, il n'en garde pas moins rancune dans son cœur jusqu'à ce qu'il puisse se venger. Réfléchis bien, Achille, si tu es prêt à me sauver."
Achille aux pieds rapides lui répondit :
"Parle sans crainte et dis-nous tout ce que tu sais des oracles. Par Apollon, cher à Zeus, qui t'inspire, Calchas, lorsque tu révèles les prophéties aux Danéens, je te le promets, tant que je vivrai et que je foulerai cette terre, aucun homme parmi tous les Danéens n'osera lever la main contre toi près des nefs, même si tu dois nommer Agamemnon, celui qui se vante d'être le plus grand des Achéens."




Contexte

Avant de passer au commentaire proprement dit, voyons les éléments qui permettent de mieux comprendre le texte. Calchas est avec Achille, le personnage central de ces versets. Il s’agit d’un devin, du meilleur qui soit d’après Homère. Pourtant, les fragments de commentaire de la petite Iliade (que l’on doit à Leschès de Pyrrha) nous décrivent sa défaite face à un certain Mopsos. Spéculation personnelle : la petite Iliade est un midrash de l’iliade. Toujours est-il que Calchas doit son don à Apollon en personne, et a une ascendance prestigieuse : il est le petit fils de l’argonaute Idmon, devin de son état, et le fils de Thestor, également devin, et qui accompagna son père dans la fameuse expédition de Jason. Ainsi, l’Iliade nous place dans un contexte où Calchas n’est pas n’importe qui.
Les grecs constatent la fureur d’Apollon, et il est donc normal de demander au devin le plus illustre, tenant justement son pouvoir de lui, le pourquoi de cette haine du dieu Apollon envers eux. C’est ce qu’Achille veut connaître.
Homère utilise les termes d’achéens, de argiens et de danéens. On peut se demander s’il y a des nuances. A priori, ces trois termes sont interchangeables et désignent la même chose pour Homère. Façon subtile pour le poète de nous montrer une union des grecs et d’éviter les lourdeurs des répétitions. Le terme danéen fait très certainement référence à Danaoi, un roi légendaire d’Argos de dimension mythologique. Achéens renvoie à « achaoi » qui désigne la région grecque de l’Achaïe. Enfin argiens renvoie à la ville d’Argos, une ville importante de la Grèce antique.

Passons maintenant à l’analyse proprement dite, en miroir avec le biblique.

Commentaire


Le rôle du devin est ici très proche de celui du prophète de l’AT. Apollon joue un rôle direct dans la colère qui cause la peste. Ainsi la compréhension de la volonté divine est cruciale pour éviter ou atténuer les désastres causés par les dieux. Le prophète biblique n’est pas seulement en relation avec le divin, mais aussi avec le politique. En cela Calchas nous renvoie à Moïse, Elie, ou encore Jérémie. Ces prophètes furent porteurs d’un message difficile à accepter pour le souverain ou par le peuple. Jérémie, comme ici Calchas, est réticent à annoncer au roi de Jérusalem la destruction prochaine de la ville. Jérémie le fera malgré le danger. Calchas le fera grâce à la protection d’Achille.

Le grand guerrier grec recoure ici au serment. La nature et le formalisme de son serment le rendent absolu et inébranlable. C’est un second parallèle biblique très fort. On se souvient de Jonathan, fils de Saül, qui promet de protéger David contre la fureur de son propre père. Les deux s’opposent à une menace royale.

La dimension de la vérité est également très forte ici. Calchas, comme Jonas, est d’abord réticent à accomplir sa mission. Mais la volonté divine finit par être tout l’horizon du prophète et du devin. Avec tous ces parallèles et ressemblances, nulle surprise que la partie non philosophique de la culture grecque fut un formidable tremplin pour une christianisation de la société.