Dixième fragment d'Anaximandre : science et symbolisme
Texte original grec du fragment (et traduction)
Ἀ. τὸν μὲν ἥλιον ἴσον εἶναι τῇ γῇ, τὸν δὲ κύκλον, ἀφ' οὗ τήν ἐκπνοὴν ἔχει καὶ ὑφ' οὗ περιφέρεται, ἑπτακαιεικοσαπλασίω τῆς γῆς.
traduction proposée
Anaximandre disait que le soleil est égal à la terre, et qu’en même temps l’anneau sur lequel il est porté et expire, est vingt-sept fois plus grand que la terre.
Commentaire/Analyse
Anaximandre, dans le champ de l’observation scientifique réalise ici deux affirmations, les deux fausses : l’égalité de circonférence entre terre et soleil, ainsi que le rayon orbital de celui-ci. Mais le concept d’anneau d’Anaximandre est très intéressant, car il matérialise la trajectoire de révolution des astres. Du fait du progrès de l’observation et des avancées scientifiques, nous savons que l’univers est empli de constantes. Et ces constantes n’ont que rarement un caractère mathématiquement immédiatement accessible de type 3 ou 5, mais il s’agit plutôt de réalités mathématiques plus complexes telles que pi.
Alors que penser de ce 27 d’Anaximandre, si simple, si basique ? Un auteur, diablement anti-religieux voyait chez Anaximandre la première pensée authentiquement scientifique, et des fulgurances dans ce domaine tel que le fait que la terre « flotte » dans l’espace sans qu’aucune force ne permette ce phénomène. Anaximandre avait réussi à penser la situation de la terre sans penser que le phénomène de gravitation et de chute des corps ne vienne perturber cela. Cet auteur croyait découvrir ceci dans ce fragment, déjà analysé, dans le quatrième fragment. Il est fort probable qu’il ait raison. Mais cet auteur, Carlo Rovelli, s’enflammait en même temps pour dire qu’il s’agissait pour l’humanité d’une étape indispensable pour la sortie des ténèbres religieuses. Ceci est moins sûr, ne serait-ce que dans les objectifs et les références d’Anaximandre. En effet, dans un autre fragment, également analysé, Anaximandre analyse l’origine des éclairs et le fait dans une façon que chaque spécialiste (à l’exception notable de l’auteur qui ignore la religion, dans les deux sens du terme) voit comme une allusion à Hésiode. Qui est Hésiode ? Il s’agit d’un écrivain contemporain à Homère, et qui est la deuxième plus grande influence culturelle de la Grèce antique, car il a écrit le recueil central de la mythologie grecque. Il ne s’agit pas de dire qu’Hesiode est l’inventeur de la mythologie grecque. Il s’agit plutôt de considérer que celui-ci a formalisé les récits mythologiques d’une façon qui faisait autorité chez les grecs, probablement d’une façon qui a à voir avec l’exercice même du culte rendu aux divinités grecques. Hésiode rend compte des éclairs comme ayant une origine divine. Anaximandre reprend exactement les mêmes termes, dans le même ordre pour décrire le phénomène. La probabilité statistique du phénomène étant hautement improbable, tous les spécialistes de la pensée présocratique s’accordent à dire qu’Anaximandre cite Hésiode. Est-ce une façon pour lui de ramener Zeus dans le champ de la nature, ou que Zeus contrôle la nature ? Difficile de faire parler le philosophe sur une base documentaire aussi pauvre. En tout cas, les chiffres qui parsèment sont œuvres semblent davantage symboliques que scientifiques.
Carlo Rovelli, comme tout auteur irreligieux, s’est probablement enflammé un peu vite… Anaximandre savait parfaitement que la terre et le soleil ne partagent pas un facteur de révolution de 27. Il a davantage voulu exprimer la perfection mathématique de la création. C’est ce que l’on retrouve dans les nombres qu’il expose tout au long de ses fragments. Les spécialistes ont débattu du fait que ces nombres exprimaient une perfection mathématique, architecturale, musicale, symbolique, religieuse, etc. Ainsi Anaximandre est probablement moins le témoin d’une humanité qui s’émancipe des ténèbres de l’ignorance, de la religion et de la superstition (la vulgate moderniste biberonnée dans les loges maçonniques), que le témoin d’une intelligence aigüe, originale, exigeante qui s’exprime selon les idiomes de son temps. On peut aussi se prendre à rêver sur le fait suivant : la science primordiale d’Adam et Eve dans le jardin d’Eden, transmise après la chute, a été transmise sous quelque forme, dont le biblique serait la trace la plus éminente, et de par la justice divine, chaque civilisation a été exposée à une dose égale de vérité primordiale, vérité perdue plus ou moins selon les égarements de chacun et les circonstances historiques. Ainsi la Grèce aurait été à l’époque d’Anaximandre encore bien exposée à des bribes de vérités (probablement enfouies dans l’œuvre d’Homère) et Anaximandre en aura été un (re)découvreur doué et astucieux.