Lightfoot (traduction et commentaire du chapitre 15) : Yavné et l'Eglise
Projections historiques
Jabneh. Jamnia
...Pliny doth dispose the towns here in this order; -- "Azotus, the two Jamnes, Joppe." -- R. Benjamin, in the order backward, thus, -- "Joppah, Jabneh, Azotus." That is Jabneh with this author, that is Jaminia with the other.
A remembrance of this place is in 2 Chronicles 26:6: but the chief fame of it is for the Sanhedrim, that was placed there, both before the destruction of Jerusalem and after.
Rabban Gamaliel, St. Paul's master, first presided there. Under whom came forth that cursed form of prayer, which they called "The prayer against heretics," composed by Samuel the Little, who died before the destruction of the city. Gamaliel died eighteen years before the Temple was destroyed; and his son Rabban Simeon succeeded him, who perished with the city.
Jerusalem being destroyed, Rabban Jochanan Ben Zaccai obtained of Titus the conqueror, that he might still receive and retain the Sanhedrim of Jabneh: which being granted by him, Jochanan himself was first president there; and after him, Rabban Gamaliel the second: and after him, R. Akibah. And this place was famous above all the other universities, except only the latest of all, -- viz. Tiberias: so that "The vineyard of Jabneh" became a proverb. "For there they sat in order, as a vineyard." And it is reported, "that there were there three hundred classes of scholars, -- or, at least, eighty." How long time Rabban Jochanan sat here, is doubted.
There are some, who attribute to him two years only; and others five: with whom we consent. This Rabban Jochanan I very much suspect to be the same with that John, mentioned Acts 4:6. Omitting those things, which were done by him, while he remained at Jabneh, -- let me produce his dying words, as they are recited by his friends: "When Rabban Jochanan Ben Zaccai now lay languishing, his scholars came to visit him: whom he seeing began to weep. To whom they said, 'O thou light of Israel, thou right-hand pillar, thou strong hammer, whence are those tears?' To whom he replied, 'If men were about to carry me before a king of flesh and blood, who today is here, and tomorrow is in his grave, -- if he were angry with me, his anger is not everlasting; if he should cast me into bonds, his bonds are not eternal; if he should kill me, his killing would not be eternal: and I might perhaps pacify him with words, or soften him with a gift. But they are ready to lead me before the King of kings, the Lord, holy and blessed, who lives and lasts for ever, and for ever and ever; who if he be angry with me, his anger is eternal; if he bind me, his bond is eternal; if he kill me, his killing is eternal; and whom I cannot either appease with words, or soften with a gift. And moreover, there are two ways before me, one to paradise, another to hell; and I know not which way they will lead me. Should I not therefore weep?'" Ah! the miserable and fainting confidence of a Pharisee in death!
Rabban Gamaliel of Jabneh, a busy and severe man, succeeded Jochanan. Being to be slain with his father, Rabban Simeon, -- by the intercession of Rabban Jochanan he was delivered. Being also sought for to be slain, when Turnus Rufus (in Josephus, Terentius Rufus) ploughed up the floor of the Temple, he was delivered by a way scarcely credible. Sitting in Jabneh he removed R. Akibah, head at that time of the school of Lydda, from his headship; and he at last was removed from his, and over him was placed R. Eleazar Ben Azarias. R. Akibah succeeded him, and sat forty years, and died a fool, being deceived by Ben Cozba, and slain with him: and the university was removed from Jabneh to Usha.
"Jabneh stands two parsae" (that is, eight miles) "from Azotus: and was at last called Ivelyn." They are the words of Benjamin, in his Itinerary [p.51].
traduction
Yavné. Jamnia
Pline positionne les villes dans cet ordre : « Azotus, les deux Yavnés, Joppe. ». R. Benjamin, dans l’ordre inverse, donc « Joppah, Yavné, Azotus ». C’est Yavné avec cet auteur, et c’est Jaminia avec l’autre.
Un souvenir de ce lieu se trouve dans 2 Chr 26:6, mais la renommée principale est due au Sanhédrin, qui fut placé ici, à la fois avant et après la destruction de Jérusalem.
Rabban Gamaliel, le maître de Saint Paul, a présidé en premier ici. Sous qui est sortie cette prière en forme de malédiction, qu’ils appelaient « la prière contre les hérétiques », composée par Samuel le petit, qui mourut avant la destruction de la ville. Gamaliel mourut 18 ans avant que le temple ne fut détruit ; et son fils Rabban Siméon lui succéda, et périt avec la cité.
Jérusalem étant détruite, Rabban Yokhanan Ben Zakkai obtint de Titus le conquérant, qu’il pourrait tout de même recevoir et conserver le Sanhedrin de Yavné : ce qui étant accordé par lui, Yokhanan lui-même fut là le premier président ; Et après lui Rabban Gamaliel le second : et après lui, Rabbi Akiba. Et ce lieu fut fameux au-dessus de toutes les autres universités, à part seulement la plus récente de tous – à savoir Tibériade : ainsi, l’expression « la vigne de Yavné » devint un proverbe. « car ils étaient assis de façon ordonnée, comme dans une vigne ». Et on rapporte « qu’il y avait là trois cent classes d’érudits, ou au moins quatre-vingts ». Combien de temps Rabbi Yokhanan siéga là est mis en doute.
Il y en a qui ne lui attribuent que deux ans ; d’autres cinq : que nous suivons. Ce rabbi Yokhanan que je suspecte fortement d’être le même que ce Jean, mentionné en Act 4:6. En omettant ces choses, qui furent faites par lui, lorsqu’il resta à Yavné, -- laissez-moi produire ses derniers mots, telles qu’elles sont récitées par ses amis : « Lorsque Rabban Yokhanan Ben Zakkai gisait maintenant languissant, ses élèves vinrent le visiter : ceux qui le virent commencèrent à pleurer. Ils lui dirent : ‘Ô toi lumière d’Israël, toi colonne de droiture, toi marteau puissant, que sont ces larmes ?’A quoi il répondit ‘si les hommes allaient me porter devant un roi de chair et de sang, qui est là aujourd’hui, et qui demain est dans sa tombe, -- s’il était en colère avec moi, sa colère n’est pas éternelle’ ; S’il devait m’enchaîner, ses chaînes ne sont pas éternelles ; s’il devait me tuer, son meurtre ne serait pas éternel ; et je pourrai peut-être le pacifier avec des paroles, ou l’adoucir avec un présent. Mais ils m’emmènent devant le roi des rois, le Seigneur, saint et béni, qui vit et demeure pour toujours et pour les siècles des siècles. Qui s’il est en colère, l’est d’une colère éternelle ; qui s’il m’enchaîne, le fait avec une chaîne éternelle ; qui s’il me tue, me tue éternellement ; Et que je ne peux apaiser par des mots ni adoucir par un présent. Et de plus, il y a deux voies devant moi : une mène au paradis, l’autre à l’enfer ; et je ne sais pas sur quel chemin ils vont me mener. Ne devrais-je donc pas pleurer ?’ Ah la confiance misérable et évanouie du pharisien face à la mort !
Rabban Gamaliel de Yavné, un homme occupé et sévère, succéda à Yokhanan. Devant être tué avec son père, Rabban Simeon, -- il fut délivré par l’intercession de Rabban Yokhanan. Etant également recherché pour être assassiné par Turnus Rufus (chez Josèphe Turnus Rufius) a creusé le sol du Temple et fut délivré d’une manière à peine croyable. Résidant à Yavné, il enleva R. Akiba, tête de l’école de Yavné de cette époque, de sa direction ; Il fut relevé de la sienne et remplacé par R. Eleazar Ben Azarias. R. Akiba lui succéda, demeura 40 ans, et mourut fou, trompé par Ben Cozba, et tué avec lui : l’université partit de Yavné pour Usha.
« Yavné se tient à parsae » (c’est-à-dire, 8 miles) « d’Azotus : et elle fut au final appelée Ivelyn ». Ce sont les mots de Benjamin, dans son itinéraire [p 51].
Commentaire/Analyse
Ce texte de Lightfoot est très intéressant pour qui s’intéresse et à l’histoire du monde rabbinique et à l’histoire du christianisme. Souvent, lorsqu’on les lit, on ne parvient pas à les relier. Lorsque l’on débute dans cet exercice, on peine à voir les implications respectives des deux mondes. On pourrait même être tenté d’abandonner en se disant qu’après tout, l’Eglise naissante n’a eu quasiment aucun impact sur le monde juif : le monde rabbinique semble bouleversé exclusivement par l’empire romain.
Déjà, il ne faut pas être abusé par la façon d’écrire des rabbins. Leur façon de ne pas parler ouvertement et directement de Jésus puis de ses disciples est une façon de le minorer. Cette école rabbinique pharisienne était très divisée si on la considère seule. D’ailleurs le texte de Lightfoot rapporte bien toutes les révolutions de palais. Seul point commun de tous ces rabbins : leur rejet du Christ. Leur rejet s’accompagnant d’un grand mépris, ils n’ont pas voulu en dire grand-chose, de façon à communiquer l’idée suivante : il n’est rien.
Mais l’on peut néanmoins restaurer les choses sous leur ombre. Une première source utile sera le livre des Actes, avec Rabban Gamaliel qui est décrit de façon plutôt positive :
« Mais un pharisien, nommé Gamaliel, docteur de la loi, estimé de tout le peuple, se leva dans le sanhédrin, et ordonna de faire sortir un instant les apôtres. » (Act 5:34)
« je suis Juif, né à Tarse en Cilicie; mais j’ai été élevé dans cette ville-ci, et instruit aux pieds de Gamaliel dans la connaissance exacte de la loi de nos pères, étant plein de zèle pour Dieu, comme vous l’êtes tous aujourd’hui. » (Act 22:3)
Ce Gamaliel, maître de Saint Paul, est celui dont parle Saint Paul, qui mourut avant la destruction de Jérusalem par les romains. Il ne doit pas être confondu avec l’autre Gamaliel, qui succéda à Yokhanan Ben Zakkai. Gamaliel est le premier lien de ces deux histoires.
Lightfoot propose ici un deuxième lien tout à fait intéressant. Yokhanan Ben Zakkai, figure ô combien importante serait donc le Jean de Act 4 :6 « avec Anne, le souverain sacrificateur, Caïphe, Jean, Alexandre, et tous ceux qui étaient de la race des principaux sacrificateurs. ». Ainsi, Lightfoot relie l’histoire chrétienne primitive et le développement pharisien rabbinique qui eut lié précisément à Yavné. Ce lien absolument génial, impossible à prouver, mais tout de même très plausible, montre que Jean/Yokhana faisait partie de cette élite religieuse juive qui lutta de toute ses forces contre le développement du christianisme. Cet affrontement fut une constante. Il semble raisonnable de dire que ceci est même le moteur principal de l’histoire humaine depuis cette époque.