MISHNA 2.3

le fonctionnement rabbinique de consensus et son prolongement chrétien orthodoxe.

original hébreu

הקורא את שמע ולא השמיע לאוזנו, יצא; רבי יוסי אומר, לא יצא. קרא ולא דיקדק באותותיה, רבי יוסי אומר, יצא; רבי יהודה אומר, לא יצא. הקורא למפרע, לא יצא. קרא וטעה, יחזור למקום שטעה.

traduction très littérale

récite Shema et ne a pas rendu audible à son oreille, sort. Rabbi Yosé dit ne sort. Récite ne méticuleux dans énonciation des lettres, Rabbi Yosé dit sort. Rabbi Yehouda dit ne sort. Récite incorrectement, ne sort. Lit et erre, retourner au lieu que erra.

traduction fluide

Si on récite le Shema sans rendre audible on a accompli. Rabbi Yosé dit qu’on a pas accompli. SI on récite sans être méticuleux dans l’énonciation des lettres, Rabbi Yosé dit qu’on a accompli. Rabbi Yehouda dit qu’on a accompli. Si on récite incorrectement, on a pas accompli. Si on lit et qu’on se trompe, on revient au lieu où l’on s’est trompé.


Commentaire/Analyse



au-delà du sujet à proprement parler, à savoir comment doit-être réalisée la prière du Shema, cette huitième mishna est intéressante car elle met en évidence la notion de consensus, si importante dans le monde rabbinique, mais aussi chrétien orthodoxe. Le texte nous dit que si l’on a pas rendu audible sa prière, elle est tout de même valide. Mais vient ensuite une mention très intéressante : un certain Rabbi Yosé pense le contraire. Comment se lit ce passage ? Cela veut dire que le consensus valide la prière non audible, mais qu’un rabbin dont l’opinion était contraire a tout de même vu sa position notée. Rabbi Yosé a donc du se plier à l’avis de tous les autres, mais son opinion a traversé le temps. Tous les rabbins n’étaient pas d’accord sur ce point. Et c’est un classique rabbinique : il y a des disputes, puis vient le consensus rabbinique qui tranche d’une façon ou d’une autre.

Le consensus est une notion complexe et fragile. Comment s’établit-il ? Le principal artisan est le temps. Il n’y a pas qu’en matière religieuse que le consensus est finalement un état assez complexe à définir. Cela requiert aujourd’hui des discussions, des tables rondes, des ateliers, etc. Dans le domaine religieux, et plus précisément l’Eglise, le consensus est immanent. Voilà un mot bien compliqué que je propose de préciser immédiatement. Est immanent à un être ce qui résulte de la nature même de cet être. Dire que le consensus est immanent à l’Eglise c’est dire que, sans que cela soit organisé, lorsque le temps est approprié, l’Eglise fait advenir un consensus. On me dira que l’Eglise, tout au contraire organise des conciles pour trancher les choses, dans des affrontements parfois violents. Ce n’est pas de cela dont il est question. Le concile vient pour rétablir une vérité qui avait été victime d’une usurpation externe. Par exemple, depuis toujours l’Eglise savait et enseignait que Marie était la Mère de Dieu. Nestorius a voulu innover contre cela et le concile d’Ephèse est venu rétablir la vérité. L’immanence du consensus est davantage liée à ce genre d’énoncé (qui nous vient du cinquième concile œcuménique cette fois) : « Nous vous assurons que nous nous en tenons d’une manière inébranlable aux décrets des quatre conciles, et que nous suivons en tout les saints Pères Athanase, Hilaire, Basile, Grégoire le théologien, Grégoire de Nysse, Ambroise, Théophile, Jean (Chrysostome) de Constantinople, Cyrille, Augustin, Proclus, Léon, et leurs écrits sur la foi orthodoxe ». Comment s’est établie cette liste des plus éminents docteurs de l’Eglise (pour reprendre une formulation latine) ? C’est l’immanence de l’Eglise qui reconnait un jour, avec le temps, dans l’évidence des choses, que ces théologiens particuliers se détachent du lot, qu’ils ont probablement reçu une grâce particulière. Un nom fait beaucoup débat aujourd’hui, dans les milieux orthodoxes : Augustin. Certains le fantasment en Père du grand schisme plutôt qu’en Père de la foi. Tout ceci a plus à voir avec l’aridité de la théologie orthodoxe d’académie, avec le modernisme, avec l’autodésignation de ce qui est orthodoxe, non comme une identité reçue, mais bel et bien comme une identité créé et nouvelle. On reçoit l’orthodoxie, on ne la définit pas. Augustin en fait partie.