MISHNA 2.7

A QUI SONT DUES LES CONDOLEANCES ?

original hébreu

וכשמת טבי עבדו, קיבל עליו תנחומין. אמרו לו, לא לימדתנו שאין מקבלין תנחומין על העבדים. אמר להם, אין טבי עבדי כשאר כל העבדים, כשר היה.

traduction très littérale

et quand mort tabi esclave de lui, accepta sur lui condoléances. dirent pour lui, ne nous a enseigné que il n'y a pas coutumes condoléances sur les esclaves. dit à eux, il n'y a pas tabi esclave mon comme tous les esclaves, casher il fut.

traduction fluide

Lorsqu'il perdit Tabi, son esclave, il accepta les condoléances. On lui dit : « Ne nous as-tu pas enseigné qu'il n'est pas d'usage d'accepter des condoléances pour les esclaves ? » Il répondit : « Tabi, mon esclave, n'était pas comme les autres, il était vertueux. »



Commentaire/Analyse


Première chose à élucider : mais qui est donc ce Tabi, cet esclave hors du commun, qui pousse Rabban Gamliel à un tel éloge ? Dans la mishna Succah 2:1 on apprend que Tabi était cananéen et qualifié d’expert en Torah. Voici le passage : « Rabbi Shimon a dit, contrairement à l’opinion de Rabbi Yehuda : Il y a eu un incident impliquant Tavi, l’esclave cananéen de Rabban Gamliel, qui dormait sous le lit, et Rabban Gamliel a dit avec légèreté aux anciens : Avez-vous vu mon esclave Tavi, qui est un érudit en Torah et sait que les esclaves sont exemptés de la mitsva de la soucca ? »


Puisque l’on parle de Gamaliel, il est toujours bon de savoir duquel il est question. En effet il y a trois Gamliel (ou Gamaliel, cela revient au même).

Le premier est Gamaliel l’ancien. C’est lui qui est mentionné dans le NT. Il est le petit-fils d’Hillel l’ancien, et c’est le maître de saint Paul dans les choses de la Loi. Appelons le Gamaliel I pour la clarté.

Le second est Rabban Gamaliel de Yavneh. C’est un personnage capital dans la construction du judaïsme rabbinique via l’académie de Yavneh. C’est de lui dont il est question ici. C’est lui qui parle dans cette mishnah. Appelons le Gamaliel II pour la clarté.

Et le troisième est Rabban Gamaliel (sans autre mention distinctive). Il fait également partie de la dynastie pharisienne d’Hillel. Le titre de Rabban dont il jouit ainsi que Gamaliel II indique qu’il a été Nassi, à savoir président du Sanhedrin. Appelons le Gamaliel III pour la clarté.

Fin de la digression et revenons à Tabi. La Gemara Yoma 87A le déclare même digne d’ordination rabbinique et le Talmud de Jérusalem indique qu’il portait les téfilines. La coutume pour les funérailles juives de cette époque antique était la suivante. Après la mise en terre du mort, ses proches restaient un moment immobile pour que tout ceux qui avaient assisté aux funérailles puissent venir leur offrir leur condoléances. Ici, comme Tabi était un esclave, ce moment particulier n’était pas requis. Pourtant Gamaliel II s’était mis à un endroit propice, montrant ainsi à tout le monde qu’il attendait d’éventuelles condoléances. Le développement rabbinique qui interdit ce que fait Gamaliel II est présent dans le traité Berakhot du Talmud de Babylone page 16B. Les commentaires rabbiniques plus tardifs expliquent ainsi cette interdiction : comme il est interdit pour un juif d’épouser une non juive et vice versa, il pourrait y avoir méprise. Si on rend les hommages funèbres à un non juif, il pourrait être faussement considéré comme juif et un de ses enfants pourrait alors épouser un juif ou une juive. Le cas est totalement théorique et improbable, mais cela illustre bien la gymnastique intellectuelles des sages de la Mishna et du Talmud.

Et finalement Gamaliel répond que comme Tavi était un spécialiste de la Torah, cette interdiction (que d’ailleurs certains reçoivent simplement comme un usage et pas une interdiction formelle) ne s’applique plus. En effet, les condoléances ne se reçoivent que pour les parents. Mais Le traité Shabbat 105B enseigne que tout spécialiste de la Torah doit être considéré comme notre parent. Voici le passage : « La Guémara demande : N’avons-nous pas appris dans la Mishna : Sur son parent décédé ? La Guémara répond : En réalité, la Mishna, qui dit qu’il est exempté, fait référence à son propre mort ; cependant, elle fait référence à ces proches qui ne sont pas soumis à l’obligation de pleurer selon la loi de la Torah. La Guémara demande : Et même ainsi, si le défunt est un érudit en Torah, il est obligé de déchirer son vêtement en signe de tristesse à cause de sa mort, comme il a été enseigné dans une baraïta : Lorsqu’un érudit en Torah meurt, tous sont ses proches. La Guémara demande : Est-il venu à l’esprit que tous sont ses proches ? Dites plutôt : Chacun est considéré comme son proche, dans le sens où chacun déchire son vêtement en signe de tristesse à cause de lui, et chacun porte son épaule en signe de deuil, et chacun mange le repas du pleureur à cause de lui sur la place publique comme le font les pleureurs. La mort d’un érudit en Torah est une perte personnelle pour chaque Juif. La Guemara répond : Il était seulement nécessaire que la Mishna enseigne cette halakha dans le cas où la personne décédée n’est pas un érudit en Torah. »

Cette approche est très intéressante et montre comment, dans certains cas, pour le judaïsme rabbinique, l’ordre social peut être malmené pour des considérations religieuses. On retrouve bien ici ce rapport où le judaïsme rabbinique redécouvre des concepts chrétiens mais en les intégrant dans une proportion infinitésimale. Le christianisme intègre ceci simplement dans le fait d’être chrétien. Il n’est pas indispensable d’être un grand spécialiste de la Bible ou de la tradition chrétienne. Il suffit d’être chrétien. C’est ce que Paul expliquait à Philémon : « Peut-être a-t-il été séparé de toi pour un temps, afin que tu le recouvres pour l’éternité, non plus comme un esclave, mais comme supérieur à un esclave, comme un frère bien-aimé, de moi particulièrement, et de toi à plus forte raison, soit dans la chair, soit dans le Seigneur. » (Phi 15-16). Ici Paul, pour ceux qui n’ont pas le contexte, demande à Philémon, le maître d’un esclave nommé Onésime, de ne plus le voir comme un esclave, mais comme un frère. Et il n’y a pas de raison que l’esclave a à remplir comme chez les rabbins. Simplement parce que c’est ainsi que Dieu veut son monde.