Théologie Dogmatique - Macaire Boulgakov

Introduction - Tome 1

Outre les principaux dogmes insérés dès le commencement dans les symboles de la foi, et développés dans les conciles œcuméniques, il y en eut d'autres qui, à la même époque, et à l'occasion de nouvelles hérésies, furent développés dans des conciles provinciaux, et confirmés plus tard par le sixième concile œcuménique, in Trullo; tels furent : le dogme du péché originel, celui de la grâce, celui de la nécessité du baptême pour les enfants (déc. 123-13o du concile de Carthage), et celui du sacrement de la confirmation ou de l'onction du chrême (concile de Laodicée, déc. 48); ces mêmes dogmes furent également confirmés par les saints Pères dans leurs nombreux écrits particuliers, dont plusieurs, fort estimables, sont cités avec approbation dans ce même concile in Trullo(1). (Déc. 2.) Ainsi s'accomplit la seconde, la plus importante période de l'explication et du développement des dogmes chrétiens dans l'Église : la plus importante déjà, parce qu'ici les dogmes furent développés et fixés dans des conciles œcuméniques infaillibles; puis, parce qu'on y détermina les dogmes fondamentaux qui renferment ou d'où dérivent tous les autres ; qu'on y confirma définitivement, pour tous les siècles, un seule modèle de foi, invariable, comme fondement de toute la Théologie dogmatique; qu'on y fixa même et régla avec exactitude la langue théologique de l'Église. C'est pour cela que la sainte Église orthodoxe d'Orient confesse clairement ce qui suit : « Nos dogmes et la doctrine de notre Église d'Orient ont été d'ancienne date examinés, légalement et pieusement fixés et confirmés par les saints conciles œcuméniques; il est défendu d'y rien ajouter ou d'en rien retrancher. Aussi ceux qui désirent s'entendre avec nous sur les dogmes divins de la foi orthodoxe doivent-ils se soumettre et se conformer, en toute simplicité de cœur et docilité, sans examen ni curiosité, à tout ce qui a été fixé et établi par l'ancienne tradition des saints Pères, et confirmé par les saints conciles œcuméniques, depuis le temps des Apôtres et de leurs successeurs les Pères inspirés de notre Église (1). »

Ce n’est pas à dire néanmoins que la cessation des conciles oecumnéiques ait mis fin au développement des dogmes dans l’Eglise Orthodoxe. Non, ce développement n’a pas cessé ; parce qu’il n’y a pas eu de terme aux erreurs ni aux hérésies. Les principales de ces erreurs, ce furent d’abord celles de l’Eglise romaine, qui la séparèrent de l’Eglise œcuménique : l’Orient orthodoxe rassembla plus d’une fois contre elle des conciles, et rédigea à ce sujet des exposés de foi fort exacts ; ensuite les erreurs des protestants dans leurs différentes sectes, qui souvent dans la même Eglise, furent l’objet de l’examen des pasteurs réunis en conciles, et auxquels ces derniers opposèrent en même temps des décisions de foi explicites, pour sauvegarder la pureté de l’Orthodoxie. C'est ainsi que se formulèrent, dans l'Église d'Orient, deux professions de foi très-circonstanciées, dans lesquelles celles des anciens conciles œcuméniques sont développées en détail contre les erreurs et les hérésies survenues par la suite. Nous voulons parler de la Profession de foi orthodoxe de l'Église catholique et apostolique d'Orient, et de la Lettre des Patriarches de l'Église catholique orthodoxe sur la foi orthodoxe (1). D'après ces deux professions de foi, la première surtout, on composa aussi depuis aux mêmes fins, tant en Russie que dans l'Orient orthodoxe, des Exposés de la foi ou Catéchismes, parmi lesquels nous comptons en première ligne le Grand Catéchisme chrétien de l'Eglise catholique orthodoxe d'Orient, revu et approuvé par le saint synode dirigeant. On ne peut assurer que le développement des dogmes chrétiens ait cessé même alors : il ne cessera pas tant que dureront les erreurs contre les dogmes, tant que se maintiendra, par conséquent, la nécessité où se trouve l'Église de fixer et d'expliquer ses dogmes pour garantir l'orthodoxie de nouvelles erreurs (2).

  1. pour plus de détail sur ce livre voir l’introduction à la théologie orthodoxe p149
  2. On peut voir par là ce qu’il faut penser des reproches adressés par les écrivains de Rome à l’Eglise orthodoxe de l’Orient. Cette Eglise, à les entendre, s’est condamnée à l’immobilité et tuée en quelque façon, parce qu’elle se tient rigoureusement et d’une manière exclusive aux sept anciens conciles œcuméniques, et qu’elle repousse l’organe vivant que l’Eglise, cette institutrice infaillible, lui présente dans la personne du Pape. Oui, l’Eglise orthodoxe s’appuie en effet d’une manière ferme et inébranlable sur les sept conciles œcuméniques, comme les sept colonnes sur lesquelles la sagesse divine a bâti sa demeure (Pro IX 1). L’Eglise orthodoxe n’a jamais altéré ni rejeté un seul des dogmes confirmés par les conciles œcuméniques : voilà pourquoi elle s’appelle orthodoxe. Mais, en même temps, elle eut toujours et elle a encore un organe vivant pour exprimer sa doctrine infaillible : c’est la voix de tous ses pasteurs, ce sont leurs conciles. Bien plus, se conformant toujours en tout point aux sept conciles œcuméniques et aux anciens saint Pères, elle ne cessa en aucun temps d’exposer avec plus de détail, à l’occasion de nouvelles hérésies et des nouvelles erreurs qui venaient à paraître, ses dogmes immuables, pour servir de règle aux orthodoxes : ainsi en usa-t-elle d’abord contre les erreurs de l’Eglise romaine, et plus tard contre celles des protestants. L’Eglise orthodoxe de l’Orient vit donc, et agit jusqu’à ce jour, précisément de la même manière que faisait l’ancienne Eglise œcuménique, au moment où s’en sépara le patriarcat romain.



Commentaire/Analyse





Le développement théologique est presqu’en soi un mystère sur les relations entre le créé et l’incréé. En effet, il est acquis pour tous que tous les hommes sont parfaitement libres, que Dieu ne viole jamais leur liberté d’aucune sorte et pourtant Dieu annonce souverainement sa victoire finale et sa maîtrise complète du déroulement de l’histoire. Comment articuler les deux ? c’est impossible à un esprit humain. Moins intriguant, quoique tout à fait étonnant quand on y pense un instant, Macaire Boulgakov énonce l’existence d’un développement de la théologie. Comme si nous découvrions régulièrement de nouvelles choses en théologie. Le problème ici est que nous avons reçu la théologie du Christ en personne, et il a tout donné. Nous ne sommes pas une religion à mystères où les choses se découvrent progressivement. Tout est là.

Le travail nécessaire à embrasser ce tout, est déjà énorme : il convient de très bien connaître les Ecritures, l’histoire de l’Eglise, son droit canonique, les écrits des Pères de l’Eglise, sa liturgie. Et une fois que tout ceci est présent à l’esprit on peut à la fois voir ce que le Christ a légué et voir qu’effectivement il existe une sorte de développement.

Et ceci est un piège immense. C’est le piège dans lequel est tombé l’Eglise romaine, comme l’explique Macaire Boulgakov ici : cette idée folle que l’on peut amener des nouveautés dans ce que le Christ a confié. Si on peut énumérer ces nouveautés du côté romain ce serait l’immaculée conception de Marie, la suprématie romaine et son infaillibilité. Tout ceci n’a jamais été transmis par le Christ et s’oppose plutôt frontalement avec ce que le Christ a transmis. En ce sens, ces innovations sont des hérésies. Alors, quel est le développement côté orthodoxe ?

Et bien il s’agit d’une action ô combien pastorale. Il s’agit de réagir aux hérésies que suscite le Diable tout au long de l’histoire, pour apporter une déclaration officielle sur laquelle puisse se baser les chrétiens soucieux, mais qui n’ont pas le temps justement d’acquérir ce bagage biblique, historique, canonique, patristique et liturgique. L’Eglise orthodoxe s’est prononcée sur des innovations romaines et protestantes pour les réfuter et pour apporter à chaque fois la position orthodoxe. Et ceci est un travail qui ne prendra pas fin, en tout cas jusqu’à ce que le Christ revienne en gloire !!!