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De la raillerie et de la plaisanterie

(1) La raillerie et la plaisanterie naissent d'une fausse opinion et manifestent une imperfection soit dans le railleur, soit dans le raillé. Elles reposent sur une fausse opinion, parce qu’on suppose que celui dont on se moque est la première cause de ses actions et qu'elles ne dépendent pas (comme les autres choses) de la nature de Dieu d’une manière nécessaire. Elles supposent une imperfection dans le moqueur, car de deux choses l'une : ou la chose dont il se moque mérite la raillerie, ou elle ne la mérite pas ; si elle ne la mérite pas, c'est évidemment un travers de railler ce qui n'est pas à railler ; si elle la mérite, c'est donc que le railleur reconnaît dans sa victime une imperfection quelconque ; mais alors ce n'est pas par la raillerie, mais par de bons conseils, qu’on doit chercher à le corriger.

(2) Quant au rire, il appartient à l'homme, en tant qu'il remarque en lui-même quelque chose de bon : c'est donc une espèce de joie, et nous n'avons rien à en dire que ce que nous avons dit de la joie ; je parle de ce rire qui part d'une certaine idée, et non de celui qui est excité par le mouvement des esprits et qui n'a aucun rapport au bien et au mal.

(3) Enfin, nous n'avons rien à dire de l'envie, de la colère et de l'indignation, si ce n'est qu'on veuille bien se souvenir de ce que nous avons dit sur la haine.



Commentaire/Analyse




La partie sur la raillerie se passe de commentaire. Elle est parfaitement recevable. Le rire en soi est un sujet plus intéressant. Qu’est-ce qui provoque le rire ? Il a même été avancé par certain qu’il s’agissait du propre de l’homme. Le propre de l’homme dans une perspective orthodoxe est de pouvoir s’unir à Dieu. Mais le rire reste une composante très humaine (même si l’on croit discerner un rire chez certains animaux).

On pourrait se poser la question suivante : est-ce que le Christ a ri ? a-t-il même souri ? Certains protestants rigoristes, arguant du fait qu’aucun passage ne démontrant cela de façon explicite, prohibaient toute sorte de manifestation relative au rire, ou à la joie. La théologie orthodoxe s’est battue avec acharnement contre toutes les diverses et nombreuses hérésies qui se sont attaquées à l’humanité du Christ. Est-ce que dire que le Christ n’a jamais ri ou souri n’est pas au final une attaque (de moindre ampleur bien entendu) contre l’humanité du Christ ? Les évangiles nous montrent principalement un Christ tragique. La vie est tragique. L’enjeu est tragique. Nous jouons tous notre place au ciel ou en enfer. Le Christ est le seul rempart, le seul échappatoire contre les flammes. Et il y aura des gens en enfer. C’est absolument tragique de le voir, et d’être impuissant par rapport à ça. Les évangiles se concentrent sur l’essentiel.

Spinoza dit du rire « Quant au rire, il appartient à l’homme, en tant qu’il remarque en lui-même quelque chose de bon : c’est donc une espèce de joie… ». Nous savons que cette citation est fausse, car le Christ qui est la bonté même n’aurait alors jamais cessé de rire. Une fois de plus, l’écueil de Spinoza reste encore et toujours le même. Spinoza voit le rire dans la relation à soi-même, dans la contemplation de quelque chose en soi. La vie nous montre que le rire est surtout issu de la relation avec l’autre. Cela peut être un rire de moquerie, ce qui marque une relation abîmée. Cela peut aussi marquer une qualité positive de la relation. Même si l’évangile ne le cite pas explicitement, il est peu probable que le Christ fut dans une humeur tragique aux noces de Cana ou en serrant les enfants dans ses bras. Comme tout homme, il a un rire issu de sa relation à l’autre, et comme sa relation fut tout amour, il a bien évidemment partagé la joie de ces noces, ou la joie d’écouter des discours enfantins.