Marie dans l'histoire de l'Eglise

Ce dernier texte consacré à la Theotokos, sera consacrée à Marie dans l’histoire et principalement l’histoire de l’Eglise. La première donnée historique à regarder est le lieu de résidence de Marie après l’Ascension du Seigneur. Certains auront peut-être été étonnés d’entendre dans le synaxaire de la dormition que celle-ci avait eu lieu à Jérusalem, puisqu’une légende persistante veut que Marie ait vécu avec l’apôtre et évangéliste Jean dans une maison à Ephèse que l’on peut visiter aujourd’hui. Voyons les données de l’histoire et restons humbles devant le manque de certitude absolue.

Le lieu, en actuelle Turquie est extrêmement visité et est nommé « Meryemana Kultur Parki ». Les éléments qui penchent pour la résidence en Turquie sont les suivants : Jean a adressé dans son apocalypse une lettre à 7 églises présentes dans cette zone et rien relativement à la terre sainte. Saint Paul a aussi envoyé des lettres à des personnes dans cette zone géographique précise. Saint Jean a écrit son apocalypse grâce à une vision reçue dans l’île de Patmos, non loin de la Turquie. Tout ceci semble tendre vers le fait que les personnages marquants de l’Eglise avaient quitté la terre sainte pour aller résider sous d’autres cieux.

Le lien entre Marie et Jean est connu : Jésus en Croix les confie l’un à l’autre. C’est ensuite que les choses deviennent floues. Le synaxaire nous assure qu’elle a fait sa Dormition à Jérusalem.

L’élément maintenant qui plaide contre la résidence à Ephèse est que la maison en question est en fait connue, non pas par la tradition, mais par la vision d’une moniale augustinienne catholique romaine, Anne Catherine Emmerich. Elle est née en 1774 et morte en 1824. C’est une sorte de Maria Valtorta avant l’heure. Elle a tout un ensemble de visions, et ces visions sont notées par un poète allemand, Clemens Brentano. Elle aurait eu tout un ensemble de visions, principalement des événements du Nouveau Testament. Une des visions a donné l’emplacement de la maison de saint Jean et Marie à Ephèse. Ces visions ont donné lieu à 16000 pages manuscrites. Anne Catherine Emmerich est béatifiée par Jean Paul II en 2004. Elle est assez représentative de cette tendance catholique à être une religion d’apparitions mariales et de visions de mystiques. C’est de ce genre de choses que viennent les hérésies du cœur immaculé, qu’il soit de Marie ou de Jésus, l’Immaculée Conception de Marie, et autres sornettes romaines. Mais revenons au prétendu domicile de Marie à Ephèse. Peut-être a-t-elle séjourné à Ephèse, mais pas dans cette maison-là. La maison que les gens visitent est une rénovation opportune des turcs, réalisée en 1950. C’est coup double pour eux, puisqu’aux pèlerins chrétiens s’ajoutent les pèlerins musulmans qui ont un respect important pour Marie dans leur hérésie mahométane.

Alors comment démêler le vrai du faux ? il faut laisser de côté les choses douteuses, comme les visions, et revenir aux données de la tradition. Qu’écrivent les Pères sur le sujet ? Tous les apocryphes du deuxième au quatrième siècle donnent Jérusalem. Saint Denis l’Aréopagite place la tombe à Gethsémané. Nous avons des documents qui relatent les choses réalisées par les pèlerins. Un document montre que l’on faisait visiter le sépulcre de Marie à Jérusalem aux pèlerins arméniens au cinquième siècle. Saint Grégoire de Tours, saint Sophronie patriarche de Jérusalem, saint Germain patriarche de Constantinople, saint André de Crète, et Bède le Vénérable pour les plus connus donnent tous Jérusalem comme lieu de Dormition et Gethsémané comme lieu de sépulture. Le voile de Marie a toujours été vénéré à cet endroit dans l’antiquité. Néanmoins, les saints Père du concile d’Ephèse, ont justement choisi Ephèse, et pas Jérusalem pour défendre Marie contre l’hérésie nestorienne. Dans une des lettres du concile, les pères témoignent du fait que Jean et Marie ont résidé à Ephèse. Un traducteur français a un peu rapidement placé un « ont leurs tombe à Ephèse » qui n’est pas dans les documents originaux.

Que conclure de tout cela ? Jean et Marie sont partis vivre à Ephèse. Pour une raison inconnue, ils sont revenus ensuite vivre à Jérusalem. Marie a alors fait sa Dormition avant la destruction du Temple. Jean repartira ensuite définitivement à Ephèse plus tard, car il semble évident que l’apocalypse est postérieur à la Dormition de Marie. Il est probable que les voyages ont été suscité par les dangers et les persécutions des saducéens et pharisiens contre l’Eglise naissante. En fonction des accalmies, les retours étaient possibles. Ce ne sont que des supputations bien évidemment.

Mais voilà. Je pense que l’on peut conclure pour une résidence plus ou moins longue à Ephèse et une Dormition à Jérusalem.



J’ai évoqué le concile d’Ephèse. C’est le deuxième grand artéfact historique à étudier relativement à Marie. Ce concile se tint en 431 et comme expliqué dans le premier texte, le sujet était de savoir si Marie devait être nommée Theotokos, Mère de Dieu. Le sujet est en fait avant tout christologique, même s’il est aussi question de Marie. J’en ai donné tous les éléments dans le premier texte, et je vous invite donc à vous y reporter pour revoir les éléments de nature dogmatique. Disons simplement pour conclure sur ce point, qu’à Ephèse, au cinquième siècle, les saints Pères du concile n’ont rien fait d’autre que de préserver dans la conscience de l’Eglise ce que l’Eglise avait toujours dit de Marie et du Christ. Il n’y a pas d’innovation théologique aux conciles. Il n’y a que les idiots ou les hérétiques pour croire cela. Et bien évidemment, rien n’empêche un hérétique d’être idiot. Marie a toujours été priée et vue comme la Mère de Dieu dans les siècles précédents. Saint Cyrille d’Alexandrie nous a néanmoins laissé des textes qui permettent de préciser davantage les choses du point de vue théologique.

Puis pendant des siècles le rôle et la place de Marie seront laissés intacts par les hérétiques, avant que les catholiques romains ne se décident à imaginer cette absurde théologie nommée « immaculée conception de Marie ». Ephèse eut lieu en 431 et le patriarche de Rome a publié le document concernant l’immaculée conception en 1854. Environ 15 siècles de tranquillité pour la toute pure. Nous ne pouvons ici rentrer dans le détail de cette innovation théologiue romaine. Rappelons simplement les points fondamentaux : selon cette hérésie romaine, Marie aurait été conçue en dehors du péché originel. Il ne faut surtout pas confondre cela avec la conception virginale du Christ, qui est selon la tradition de l’Eglise, le moment où le Christ est conçu sans le péché. Dans l’enseignement patristique auquel se rattache naturellement le monde orthodoxe, Marie est purifiée au moment de l’annonciation, lorsqu’après avoir accepté la volonté divine, l’Esprit Saint descend sur elle. L’immaculée conception dans le monde romain est la marque indéniable d’une déviation à cause de la piété. C’est paradoxal mais c’est ainsi. Marie est tellement admirable, que pour faire son éloge, certains se sentent obligé de gonfler encore ses mérites. Ici le paradoxe est double, car en voulant exalter Marie, les catholiques romains la diminuent. En effet la vision orthodoxe est bien plus exaltante : Marie, entachée de la souillure originelle comme toute fille d’Adam, héritant d’une nature blessée, inclinant vers le péché et la corruption, a choisi librement, à chaque instant de son existence de ne jamais pécher et de toujours demeurer soumise à Dieu. C’est bien plus merveilleux que de la voir extraite de l’humanité et plus soumise au péché comme les autres êtres humains.

Et enfin, dernier point dans l’histoire de l’Eglise, la différence entre Assomption et Dormition. Vous vous souvenez qu’au 15 août, les orthodoxes fêtent la Dormition. Et pourtant, ceux qui vivent en France le savent bien, le 15 août s’appelle l’Assomption. Et il s’agit ici plus qu’une différence d’appellation. Il y a derrière cela aussi une différence d’approche théologique. Ce n’est pas aussi important ou grave que pour l’immaculée conception, mais cela mérite d’être noté.

Nous avons montré les points importants de la Dormition lors du texte sur la partie liturgique : Marie meurt d’une mort naturelle, son âme est recueillie par le Christ et elle ressuscite ensuite le troisième jour pour être emmenée au ciel où elle intercède continuellement pour nous. La vue catholique se focalise principalement sur le moment où elle est physiquement emmenée au ciel sans jamais répondre à la question de savoir si elle est passée par la mort avant cela. La définition dogmatique romaine, qui est très récente concernant l’assomption, puisqu’il s’agit de 1950 ne répond pas à cette question. Il y a eu plusieurs déclarations romaines acceptant le principe de sa mort à ce moment, mais cela ne fait pas partie des déclarations jugées infaillibles par les romains. Il est probable que ce flou romain soit lié à l’immaculée conception de Marie. En effet, puisque la mort est le salaire du péché, et que pour Rome Marie n’a rien du tout à voir avec le péché, sa mort devient absurde. Dans la vue orthodoxe, elle n’a pas de péché personnel, mais elle a bien le péché naturel. Ce péché a été nettoyé au moment de l’incarnation du Christ en son sein, mais les conséquences du péché, dont la vieillesse et la mort demeurèrent, comme pour toute personne, et donc dans une vision holistique orthodoxe, la mort de Marie est tout à fait logique.

Il me semble important de bien considérer la mort de Marie. En effet, Marie montre à chacun ce que son Fils a rendu possible. La mort n’est plus cette grande angoisse, ce vide sans retour, mais devient avec la grâce de Dieu, un moment paisible, dont il ne convient plus d’être effrayé, car le Christ est ressuscité des morts, et par sa mort il a vaincu la mort. A ceux qui sont dans les tombeaux, il a donné la vie.

Un dernier petit mot du point de vue philologique : « Theotokos » signifie, du point de vue tout à fait littéral, « celle qui enfanta Dieu », et non pas « Mère de Dieu ». Bien sûr, enfanter revient à dire que l’on est la mère, mais je pense que chacun saisit la nuance. Le fait de rendre Theotokos en « Mère de Dieu » est tellement admis que l’on laisse de côté cette évidence philologique, d’autant plus que la théologie orthodoxe travaille souvent sur la notion de relation, à cause de la Trinité, et que Mère est une relation. Bref, tout cela pour dire que l’histoire philologique orthodoxe francophone, et même presqu’universelle, nous demande de considérer Theotokos comme « Mère de Dieu », lorsque les saints Pères grecs de l’antiquité utilisaient le terme, ils y donnaient peut-être parfois un autre sens, davantage lié à la nature humaine, car le grec est bien évidemment capable de rendre « Mère de Dieu » : il s’agit de « Μητέρ τοῦ Θεοῦ ».

Voilà qui conclut cette série de cinq billets pour Marie. Cette sainteté exceptionnelle et cette place tout à fait particulière dans l’histoire sainte nous a obligé à faire ainsi car il y avait tant à dire. Nous espérons que vous avez appris des choses. Nous vous attendons avec impatience dans les catacombes, où nous pourrons prier ensemble à la toute pure : « Il est digne, en vérité, de te célébrer, ô Mère de Dieu, toujours bienheureuse et toute-immaculée, et mère de notre Dieu. Toi, plus vénérable que les Chérubins, et incomparablement plus glorieuse que les Séraphins, qui sans corruption enfantas Dieu le Verbe, toi, véritablement Mère de Dieu, nous te magnifions. »