Réfutation du Torahisme : partie 2 sur 4 (la Loi de Moïse chez les Gentils, et son accomplissement en Christ)

La Loi concernait-elle tous les hommes ?
Examinons maintenant une assertion centrale des torahistes : la torah s’adresserait selon eux à toutes les nations. Un français, aujourd’hui, pour suivre le Christ, aurait besoin de l’observer car elle lui était également destinée. Le récit de l’Exode témoigne :
« Moïse monta vers Dieu: et l’Éternel l’appela du haut de la montagne, en disant: Tu parleras ainsi à la maison de Jacob, et tu diras aux enfants d’Israël: Vous avez vu ce que j’ai
fait à l’Égypte, et comment je vous ai portés sur des ailes d’aigle et amenés vers moi. Maintenant, si vous écoutez ma voix, et si vous gardez mon alliance, vous m’appartiendrez entre
tous les peuples, car toute la terre est à moi; vous serez pour moi un royaume de sacrificateurs et une nation sainte. Voilà les paroles que tu diras aux enfants d’Israël. » (Ex 19:3-6).
Ceci est juste avant que Dieu ne rencontre Moïse et lui donne les commandements. Est-ce que l’on voit Dieu, en même temps qu’il donne ceci aux israélites, ordonner la même chose aux amalécites, aux amorites, et à tous les peuples qu’Israël rencontre dans le livre de l’Exode ? jamais. Lorsque le Deutéronome déclare :
« Lorsque ton fils te demandera un jour: Que signifient ces préceptes, ces lois et ces ordonnances, que l’Éternel, notre Dieu, vous a prescrits? tu diras à ton fils: Nous étions
esclaves de Pharaon en Égypte, et l’Éternel nous a fait sortir de l’Égypte par sa main puissante. » (Dt 6:20-21) on voit bien que cette loi ne s’adresse qu’à ceux qui furent esclaves en Egypte et leurs descendants, et certainement pas à la terre entière. Si le Lévitique demande à l’israélite de ne surtout pas se mélanger avec les autres peuples, cela n’a absolument aucun sens si la Torah était pour tous les peuples. Nous n’avons aucune trace de Dieu demandant aux autres peuples de la terre de manger casher.
La pirouette des torahistes à ce sujet est de dire que les israélites, en sortant d’Egypte étaient accompagnés d’une multitude de gens d’autres nations. Ces gentils furent les représentants des nations païennes et par eux, l’humanité entière a reçu la Torah. L’Ecriture témoigne que des païens ont accompagnés les israélites :
« Une multitude de gens de toute espèce montèrent avec eux; ils avaient aussi des troupeaux considérables de brebis et de bœufs. » (Ex 12:38). L’Ecriture ne dit pas qu’ils étaient également au pied du Sinaï quand fut donnée la Loi, mais il est raisonnable de le supposer. Mais la Loi ne fut donnée qu’aux israélites. Que d’autres personnes des nations aient été présentes ne change rien à ce que déclare l’Ecriture. Dieu la destine aux enfants de Jacob. Les gentils sont témoins. Rien de plus. A cela, de ce que j’ai vu, les torahistes répondent : certains commandements concernent aussi les étrangers qui vivaient parmi les israélites. C’est vrai. Voyons ce que dit l’Ecriture :
« Toute l’assemblée d’Israël fera la Pâque. Si un étranger en séjour chez toi veut faire la Pâque de l’Éternel, tout mâle de sa maison devra être circoncis; alors il s’approchera
pour la faire, et il sera comme l’indigène; mais aucun incirconcis n’en mangera. La même loi existera pour l’indigène comme pour l’étranger en séjour au milieu de vous. » (Ex 12:47-49). Cette
distinction semble aller davantage dans le sens orthodoxe que le sens torahiste d’ailleurs. Car si on reprend tout le passage de l’institution de la Pâque, cela commence par une
interdiction : « L’Éternel dit à Moïse et à Aaron: Voici une ordonnance au sujet de la Pâque: Aucun étranger n’en mangera. » (Ex 12:43). Et c’est ensuite que Dieu met en place
une dérogation pour permettre à l’étranger résidant parmi les israélites et voulant manger la Pâque. La Loi garde à plusieurs endroits cette distinction claire entre israélite et
étranger. Cela rend caduque toute vision universaliste de la Torah. Lorsque Dieu proclame des commandements qui se veulent universels, il le précise, comme ici :
« Vous aurez la même loi, l’étranger comme l’indigène; car je suis l’Éternel, votre Dieu. » (Lv 24:22). Concrètement, le français qui veut suivre Jésus, comment lit-il la Torah
? comme étant un israélite à qui Dieu s’adresse en premier lieu ? ou en s’identifiant aux étrangers qui résident parfois parmi les israélites et qui s’il veut participer à leurs
célébrations est soumis à quelques obligations ? Quand il lit ce commandement
« Vous ne mangerez d’aucune bête morte; tu la donneras à l’étranger qui sera dans tes portes, afin qu’il la mange, ou tu la vendras à un étranger; car tu es un peuple saint pour l’Éternel, ton Dieu. Tu ne feras point cuire un chevreau dans le lait de sa mère. » (Dt 14:21). Très pratiquement ? il en mange ou il en mange pas ? Par rapport au commandement sur l’intérêt des prêts : il peut demander un intérêt ou pas ?
La Loi depuis la Pentecôte
Regardons maintenant quel est le statut de la Loi de Moïse depuis la Pentecôte. La distinction antérieure entre Juifs et Gentils est abolie : « vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus Christ. Et si vous êtes à Christ, vous êtes donc la postérité d’Abraham, héritiers selon la promesse. » (Gal 3:27-29). Il faut donc considérer non pas la Loi pour les Gentils et la Loi pour les Juifs. Pourtant, on voit avec le concile de Jérusalem, que l’abolition de cette distinction n’est pas immédiate pour les apôtres. On abolit pas 1500 ans de tradition religieuse en un instant. Mais il est clair dès le départ, contrairement à ce que les torahistes prétendent, que la Loi de Moïse ne s’applique pas aux Gentils. Quelques dispositions particulières, mais pas la Loi. Si on somme tout ceci et que l’on regarde ce qui en ressort du point de vue logique : la Loi de Moïse passe du domaine de l’obligatoire au domaine de la coutume. Si un Juif ne veut plus observer le Shabbat, il le peut. Si un Gentil veut observer Shabbat, il le peut. Ça, c’est la situation juste après la Pentecôte. Aujourd’hui le droit canon de l’Eglise interdit ces éléments rituels structurants de la Loi mosaïque, afin de prémunir les gens contre l’erreur des torahistes. Je l’ai déjà expliqué, je n’y reviens pas. En tout cas il est assez fascinant de constater la proximité religieuse des torahistes avec ces Juifs de Judée qui voulurent conserver la Loi de Moïse et la faire observer par tous : « Quelques hommes, venus de la Judée, enseignaient les frères, en disant: Si vous n’êtes circoncis selon le rite de Moïse, vous ne pouvez être sauvés. » (Act 15:1). Que l’Eglise, a une époque où elle est essentiellement juive fasse le choix de ne pas imposer la Loi de Moïse aux Gentils est un signe d’une grande force qui devrait faire réfléchir les torahistes sur le caractère biblique de leur doctrine. Certains torahistes affirment que les quatre obligations que leur impose le concile de Jérusalem était une sorte de base minimale pour démarrer dans la Loi de Moïse, loi qui devait ensuite progressivement être totalement suivie. Une fois encore, les Écritures ne vont pas dans ce sens. Et surtout, pour démarrer dans le judaïsme, il ne faut surtout pas faire l’impasse sur le Shabbat et la cacheroute.

L’accomplissement de la Loi selon saint Matthieu
Les torahistes ici répondront que s’ils sont mis en difficulté par le livre des Actes, l’inverse est vrai de l’Evangile de Matthieu. Jésus y fait son célèbre sermon sur la montagne dans lequel il affirme qu’il n’est pas venu pour abolir la Loi. Il me semble que ces versets sont les versets les plus importants en soutien d’une vision torahiste :
« Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir. Car, je vous le dis en vérité, tant que le ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu’à ce que tout soit arrivé. Celui donc qui supprimera l’un de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire de même, sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux; mais celui qui les observera, et qui enseignera à les observer, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux. Car, je vous le dis, si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. » (Mt 5:17-20)
Le verbe accomplir du verset 17 est un point crucial de la problématique. En effet, Jésus ne dit pas qu’il vient pour abolir. Mais il n’utilise pas le verbe signifiant obéir ou observer. Il utilise le verbe accomplir. C’est fondamental à comprendre. Cet accomplissement a le sens d’une observance mais qui serait totale et parfaite. Si on repense à Pierre au concile de Jérusalem qui disait que la Loi était impossible à observer entièrement et correctement, c’est précisément ce que dit Jésus ici : il est venu lui pour tout observer, tout réaliser de cette Loi. Et la Loi a tout un ensemble de dispositions relatives à l’expiation. Le sang rachète les péchés. Jésus, en offrant son sang réalise de façon totale et absolue cette expiation qui n’était que partielle via les animaux. C’est par sa mort qu’il a accompli la Loi. On comprend bien qu’il ne pouvait être que le seul à réaliser cela. Tout juif pieux avant lui qui aurait tenté cela aurait rendu un sacrifice vain et donc une expiation sans valeur, puisque ce juif pieux, malgré toute sa bonne volonté aurait toujours un ou deux péchés à se reprocher. A minima, il aurait la tâche du péché originel qui le souille, quoi qu’il fasse. Une chose d’ailleurs que les torahistes semblent ne pas voir : Jésus ne dit pas qu’il vient pour accomplir la Loi de Moïse, il dit qu’il vient accomplir la Loi et les Prophètes. Façon juive de dire qu’il vient pour accomplir toute l’Ecriture. Il vient également pour respecter ce qui est attendu de la part du Messie. C’est d’ailleurs un thème très fort chez Matthieu qui en parle plusieurs fois, comme ici :
« Mais tout cela est arrivé afin que les écrits des prophètes fussent accomplis. Alors tous les disciples l’abandonnèrent, et prirent la fuite. » (Mt 26:56)
Ensuite j’aimerai demander aux torahistes, car je ne l’ai jamais entendu clairement, comment ils lisent ce passage énigmatique pour leur doctrine, au verset 18 : « jusqu’à ce que tout soit arrivé ». Ils sont aveuglés et ne voient que le début du verset qui dit en substance « rien ne changera jamais dans cette loi » et ils oublient la condition que Jésus place : on ne changera rien jusqu’au moment où une condition sera remplie. Croit-on que Jésus parle de choses qui ne se produisent jamais ? Jésus n’est pas un rhéteur qui fait un effet de manche. Il enseigne. La Loi aura une fin. Avant on y touche pas et on la respecte comme la prunelle de nos yeux. Puis un moment, quelque chose arrive. Et là, les choses changent. Jésus ne dit pas ce que c’est et même si j’affirme que c’est la résurrection, les torahistes pourront me dire que je n’ai rien prouvé. J’ai juste dit ce que je croyais. Soit. Mais on peut aussi dire que le ciel et la terre ne sont pas passés. Mais si quelque chose a changé dans la Loi, alors ce mystérieux événement qui devait arriver est arrivé. La Loi de Moïse dit
« Aaron offrira son taureau expiatoire, et il fera l’expiation pour lui et pour sa maison. Il égorgera son taureau expiatoire. Il prendra un brasier plein de charbons ardents ôtés de dessus l’autel devant l’Éternel, et de deux poignées de parfum odoriférants en poudre; il portera ces choses au-delà du voile; il mettra le parfum sur le feu devant l’Éternel, afin que la nuée du parfum couvre le propitiatoire qui est sur le témoignage, et il ne mourra point. Il prendra du sang du taureau, et il fera l’aspersion avec son doigt sur le devant du propitiatoire vers l’orient; il fera avec son doigt sept fois l’aspersion du sang devant le propitiatoire. Il égorgera le bouc expiatoire pour le peuple, et il en portera le sang au-delà du voile. Il fera avec ce sang comme il a fait avec le sang du taureau, il en fera l’aspersion sur le propitiatoire et devant le propitiatoire. C’est ainsi qu’il fera l’expiation pour le sanctuaire à cause des impuretés des enfants d’Israël et de toutes les transgressions par lesquelles ils ont péché. Il fera de même pour la tente d’assignation, qui est avec eux au milieu de leurs impuretés. » (Lv 16:11-16).
On voit ici clairement qu’il est demandé de faire un sacrifice animal. Pourtant, saint Paul, ou son disciple qui a écrit l’Epitre aux Hébreux affirme
« Voici l’alliance que je ferai avec eux, après ces jours-là, dit le Seigneur: Je mettrai mes lois dans leurs cœurs, et je les écrirai dans leur esprit, il ajoute: et je ne me souviendrai plus de leurs péchés ni de leurs iniquités. Or, là où il y a pardon des péchés, il n’y a plus d’offrande pour le péché. » (Heb 10:16-18).
Ainsi on passe du Lévitique qui demande un sacrifice, de façon renouvelée, à Hébreux qui dit qu’il n’y a plus de sacrifice expiatoire. Donc ce quelque chose qui était attendu et qui protégeait la Loi s’est passé. Chacun est libre de croire ce dont il s’agit, mais il est bien évident qu’il s’agit de la Croix. Le Christ l’a dit sur la croix justement, et Jean l’a rapporté. Tout est accompli. C’est fini. Donc cette protection du verset 18 ne tient plus. La Loi a changé. C’est la vision de l’Eglise. C’est la vision des apôtres. C’est la vision des évangélistes.
Pour les plus entêtés dans le torahisme, on pourra doubler la démonstration. Dans la Loi de Moïse, la circoncision est un point important. Chaque enfant mâle doit être circoncis le huitième jour. C’est tellement fondateur que la Bible ensuite s’exprime par les termes circoncis et incirconcis pour désigner Juifs et non Juifs. Il s’est pourtant passé quelque chose pour que Paul puisse écrire
« Quelqu’un a-t-il été appelé étant circoncis, qu’il demeure circoncis; quelqu’un a-t-il été appelé étant incirconcis, qu’il ne se fasse pas circoncire. La circoncision n’est rien, et l’incirconcision n’est rien, mais l’observation des commandements de Dieu est tout. » (1 Co 7:18-19)
S’il ne s’est rien passé qui abolisse la Loi, comment le concile de Jérusalem ose proclamer
« Car il a paru bon au Saint Esprit et à nous de ne vous imposer d’autre charge que ce qui est nécessaire, savoir, de vous abstenir des viandes sacrifiées aux idoles, du sang, des animaux étouffés, et de l’impudicité, choses contre lesquelles vous vous trouverez bien de vous tenir en garde. Adieu. » (Act 15:28-29).
Le concile ne prend aucune mesure pour perpétuer la circoncision et l’imposer aux païens. Aux plus récalcitrants je mets en avant « de ne vous imposer d’autre charge que ce qui est nécessaire » qui englobe la circoncision pour la repousser. Il n’y a pas de sous-entendu où elle pourrait perdurer.
Le cas de la circoncision de Timothée est intéressant. Paul explique bien que c’est pour ne pas avoir de problème lors de la prédication auprès des juifs. Paul s’en explique ouvertement ici
« Car, bien que je sois libre à l’égard de tous, je me suis rendu le serviteur de tous, afin de gagner le plus grand nombre. Avec les Juifs, j’ai été comme Juif, afin de gagner les Juifs; avec ceux qui sont sous la loi, comme sous la loi (quoique je ne sois pas moi-même sous la loi), afin de gagner ceux qui sont sous la loi; avec ceux qui sont sans loi, comme sans loi (quoique je ne sois point sans la loi de Dieu, étant sous la loi de Christ), afin de gagner ceux qui sont sans loi. J’ai été faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver de toute manière quelques-uns. Je fais tout à cause de l’Évangile, afin d’y avoir part. » (1 Co 9:19-23).
Mais ce qu’il pense réellement de la circoncision, il l’exprime ici
« Car, en Jésus Christ, ni la circoncision ni l’incirconcision n’a de valeur, mais la foi qui est agissante par la charité. » (Gal 5:6) et plus encore ici
« Voici, moi Paul, je vous dis que, si vous vous faites circoncire, Christ ne vous servira de rien. » (Gal 5:2)
Autre manifestation de ce changement : lorsque Paul dans la lettre aux romains déclare
« Cependant, à certains égards, je vous ai écrit avec une sorte de hardiesse, comme pour réveiller vos souvenirs, à cause de la grâce que Dieu m’a faite d’être ministre de Jésus Christ parmi les païens, m’acquittant du divin service de l’Évangile de Dieu, afin que les païens lui soient une offrande agréable, étant sanctifiée par l’Esprit Saint. » (Rm 15:15-16).
Le terme qu’il utilise pour ministre en grec, est λειτουργός référence Strong 3011,
qui véhicule l’idée de prêtre. Paul ici déclare être prêtre de Jésus-Christ. Le même terme λειτουργός est d’ailleurs utilisé dans l’épître aux Hébreux, au chapitre 8 pour désigner
en tant que synonyme de grand prêtre ici « Le point capital de ce qui vient d’être dit, c’est que nous avons un tel souverain sacrificateur, qui s’est assis à la droite du trône de
la majesté divine dans les cieux, comme ministre du sanctuaire et du véritable tabernacle, qui a été dressé par le Seigneur et non par un homme. ». Paul est prêtre du Christ comme
Christ est prêtre dans le sanctuaire céleste. Mais pourtant, tout le monde se souvient que pour être prêtre en Israël il faut être de la tribu de Lévi. Paul est de la tribu de
Benjamin. Il s’est donc passé quelque chose dans la Loi, pour que ceci soit simplement possible… D’ailleurs, il n’y a pas que Paul qui soit prêtre : Pierre nous déclare que nous
sommes tous prêtres.

Précisions sur le grec des Evangiles
Pour qu’aucun doute ne subsiste, il faut revenir sur les fameux versets dans l’Evangile de Matthieu. « Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir. Car, je vous le dis en vérité, tant que le ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu’à ce que tout soit arrivé. » (Mt 5:17-18). Le « tant que » est l’adverbe grec ἔως, de référence Strong 2193. Il véhicule plutôt ici une idée de « jusqu’à ». Jusqu’à ce que la terre et le ciel ne passent est plus proche de l’idée de Matthieu. Ici on peut le lire soit métaphoriquement soit littéralement. On peut dire que c’est métaphorique, comme Jésus était assurément métaphorique en nous disant 5 versets en arrière : vous êtes le sel de la terre. Il est bien évident que nous ne sommes pas du sel. 4 versets en arrière il nous dit que nous sommes de la lumière. Mais nous ne sommes pas de la lumière. Ce sont des images. Donc si on reste dans le registre métaphorique, c’est juste pour marquer l’importance de la chose, l’importance de sa mission. C’est du même niveau d’importance que la création du monde, la création du ciel et de la terre. Ou alors on peut choisir de le lire de façon littérale. Ce n’est pas parce que Jésus a utilisé deux métaphores qu’il reste pour toujours coincé dans les images métaphoriques. Matthieu met deux ἔως, et c’est donc très certainement pour les lier. Jusqu’à ce que la terre et le ciel passe est lié à jusqu’à ce que tout soit accompli. Mais nous avons vu qu’il y a eu de multiples changements dans la Loi. Cela nous oblige alors à avoir la lecture littérale suivante : jusqu’à ce que la terre et le ciel ne passent tenez ceci pour vrai et pour central : rien ne disparaîtra de la Loi jusqu’à ce que tout soit accompli. J’ai paraphrasé ici le verset 18 pour le rendre compréhensible selon une lecture littérale.

Nuance entre accomplissement et abolition
Il ne nous reste plus qu’à expliciter en détail, en profondeur, la nuance entre abolition et accomplissement. Car cet accomplissement ressemble tout de même fort à une abolition alors que Jésus nous dit qu’il n’en est rien. Si Jésus avait aboli la Loi, bien que j’ai du mal à imaginer la chose et ses modalités, il aurait explicité la chose, en disant que la Loi est abolie. Prenons une image pour simplifier le propos. Imaginons que vous soyez redevable d’une amende à l’état parce que vous avez accompli une action répréhensible qui vous a valu cette amende. Vous devez à l’état une somme absolument colossale et vous êtes bien en peine de pouvoir payer. L’équivalent d’une abolition de la Loi, dans le cadre de cette image, serait le fait que l’amende soit supprimée. Vous avez en votre faveur une décision de justice incroyable et inattendue : l’amende est supprimée. Vous n’avez rien à payer. Ce n’est pas ce qu’il s’est passé avec l’accomplissement de la Loi de Moïse. Je rappelle quel est le but de la Loi, ce vers quoi elle tend principalement : la mise en lumière de la dette contractée vis-à-vis de Dieu au travers de tout un ensemble de demandes et d’interdictions qui ne sont pas respectées, et le rachat de cette dette via une expiation réalisée au moyen du sang. Prenons un parallèle légal avec la loi profane : la loi vous dira qu’il est interdit de rouler à plus de 50 km/h en ville, et que le fait de rouler au-delà de cette limite vous coûte des points et de l’argent, ce qui efface en quelque sorte l’infraction. La Loi de Moïse c’est pareil, mais sur le plan existentiel. Vous avez tout un ensemble de commandements positifs et négatifs qui vous montrent l’étendue du problème entre vous et Dieu, et une fois que vous avez bien compris qu’entre vous et Dieu il y avait quelque chose d’irrémédiablement cassé, il y a la méthode pour renouer le lien : l’expiation par le sang d’une victime innocente et qui n’a rien à voir avec les fautes. La Loi tend vers cela. Accomplir la Loi c’est réaliser ce sacrifice. Je reviens sur mon image. La loi n’est pas abolie car l’amende n’a pas été annulée. La Loi a été accomplie, car un généreux millionnaire philanthrope, qui n’a rien à voir avec le mal que vous avez fait et l’amende que vous avez reçue, décide de payer l’amende à votre place. L’amende est payée. La loi est accomplie. Vous n’avez plus à payer l’amende. C’est comme cela qu’il faut voir la dynamique entre abolition et accomplissement. Les torahistes pourront retorquer qu’ici je donne mon interprétation libre et personnelle des choses en déclarant « Accomplir la Loi c’est réaliser ce sacrifice ». Je ne fais en fait que paraphraser le Christ dans un passage de saint Luc : « Puis il leur dit: C’est là ce que je vous disais lorsque j’étais encore avec vous, qu’il fallait que s’accomplît tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes, et dans les psaumes. Alors il leur ouvrit l’esprit, afin qu’ils comprissent les Écritures. Et il leur dit: Ainsi il est écrit que le Christ souffrirait, et qu’il ressusciterait des morts le troisième jour, et que la repentance et le pardon des péchés seraient prêchés en son nom à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. Vous êtes témoins de ces choses. » (Lc 24:44-48). Jésus fait ici très explicitement référence à cet accomplissement. Il leur rappelle qu’il avait annoncé cet accomplissement, justement dans l’Evangile de Matthieu, lors du sermon sur la montagne. Et il leur montre, dans les Ecritures comment était annoncé cet accomplissement, ce à quoi il correspondait : la Passion et la Résurrection. Donc nous sommes bien dans la réalisation du sacrifice – la Passion -, et dans ses conséquences cosmiques glorieuses : la Résurrection. Et je rappelle encore une fois, que le Christ n’accomplit pas la Torah seule, mais bien toutes les Ecritures. C’est très clair ici. Comment le Christ peut-il accomplir une prophétie sinon en réalisant ce qui avait été prophétisé ? On voit bien ici qu’il ne s’agit pas de l’obéissance de Jésus à la Loi de Moïse comprise dans ses dispositions contraignantes et normatives pour la vie quotidienne. Jésus a accompli la Loi et les Prophètes parce qu’il est monté sur la croix et a répandu son sang pour l’expiation universelle.
Importance de la Loi aujourd’hui
Ceci entraîne une réflexion sur le statut de la Loi, dans nos vies, aujourd’hui, au regard de tout ce qui a été dit. La Loi mosaïque n’a plus ce caractère d’obligation dans notre existence. Mais la Loi ne disparait pas totalement du paysage. Déjà, comme Paul nous le rappelle « Toute Écriture est inspirée de Dieu, et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice, afin que l’homme de Dieu soit accompli et propre à toute bonne œuvre » (2 Tm 3:16-17) et donc ne serait-ce que dans sa présence dans nos Ecritures saintes, nous lisons la Loi, nous essayons de comprendre la Loi, nous méditons la Loi, nous imaginons ce que c’est que vivre sous son autorité. Mais elle nous montre à quel point nous sommes abimés par le péché, à quel point nous avions besoin d’un sauveur. Elle témoigne donc contre nous, nous dirige vers Jésus, nous enseigne à propos de Dieu, nous fait grandir en sagesse et en morale, et elle nous appelle à nous dépasser en aimant notre prochain comme nous même. Et ceci ne pose aucun problème avec la confirmation que Paul apporte dans son épître aux romains au chapitre 3 : « Anéantissons-nous donc la loi par la foi? Loin de là! Au contraire, nous confirmons la loi. » (Rm 3:31). Ici un torahiste vous dira que Paul appelle à l’observance mosaïque. Ce qui est incohérent lorsque l’on considère tous les autres versets où il fait le contraire. Gardons sa cohérence à Paul et partons du principe qu’il est constant dans sa pensée. Qu’a-t-il voulu dire ici ? Pour comprendre un verset il faut toujours le remettre dans son contexte. Revenons donc quelques versets en arrière : « Mais maintenant, sans la loi est manifestée la justice de Dieu, à laquelle rendent témoignage la loi et les prophètes, justice de Dieu par la foi en Jésus Christ pour tous ceux qui croient. Il n’y a point de distinction. » (Rm 3:21-22). Vous remarquerez le « mais maintenant » qui indique que ce fameux changement est bien intervenu. Avant que Jésus n’accomplisse la Loi, la Loi était le seul moyen de trouver la justification aux yeux de Dieu. C’était l’enseignement de Moïse : « Nous aurons la justice en partage, si nous mettons soigneusement en pratique tous ces commandements devant l’Éternel, notre Dieu, comme il nous l’a ordonné. » (Dt 6:25). Mais maintenant, cette justification est accessible via la foi. Cette justification est d’autant plus universelle maintenant que le problème était universel : « Car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu; » (Rm 3:23). Dans ces versets « et ils sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est en Jésus Christ. C’est lui que Dieu a destiné, par son sang, à être, pour ceux qui croiraient victime propitiatoire, afin de montrer sa justice, parce qu’il avait laissé impunis les péchés commis auparavant, au temps de sa patience, afin, dis-je, de montrer sa justice dans le temps présent, de manière à être juste tout en justifiant celui qui a la foi en Jésus. » (Rm 3:24-26) Paul rappelle que cette justification se reçoit gratuitement, et que cette justification est très paradoxale parce qu’elle est en même temps un acte de justice. Les péchés impunis étaient toutes les offenses pour lesquelles Dieu ne punissait pas immédiatement les pécheurs. La punition a été appliquée mais sur la personne de Jésus Christ. Paul l’explique plus clairement dans ce passage : « Et c’est pour cela qu’il est le médiateur d’une nouvelle alliance, afin que, la mort étant intervenue pour le rachat des transgressions commises sous la première alliance, ceux qui ont été appelés reçoivent l’héritage éternel qui leur a été promis. » (Heb 9:15). Toutes les fautes des israélites méritaient parfois la mort, mais c’était un animal qui avait été sacrifié à la place, comme une sorte d’avance dérisoire dans le remboursement d’une dette.

Explication de la « confirmation » de la Loi par Paul dans son épître aux romains
Paul poursuit son raisonnement : « Où donc est le sujet de se glorifier? Il est exclu. Par quelle loi? Par la loi des œuvres? Non, mais par la loi de la foi. » (Rm 3:27). Effectivement si quelqu’un rembourse à notre place une dette, ce n’est pas vraiment la situation la plus évidente pour pérorer. Avons-nous résolu nous-mêmes nos problèmes ? aucunement. Le mérite revient entièrement à quelqu’un d’autre. Le fait que le Christ nous sauve par le don de son sang n’abolit en rien ce que la Loi accuse en nous. Cela manifeste simplement notre impuissance radicale à pouvoir nous sauver nous-même selon le paradigme de la Loi. Paul exprime cela de cette façon : « Car nous pensons que l’homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi. » (Rm 3:28). Et si maintenant cette justification devient accessible par un acte de foi, alors elle n’est plus réservée seulement à Israël. Ce cheminement intellectuel est complètement logique. C’est pourquoi Paul enchaine de la sorte : « Ou bien Dieu est-il seulement le Dieu des Juifs? Ne l’est-il pas aussi des païens? Oui, il l’est aussi des païens, puisqu’il y a un seul Dieu, qui justifiera par la foi les circoncis, et par la foi les incirconcis. » (Rm 3:29-30). La Loi était absolument centrale pour nous montrer que nous étions impuissants à obtenir la moindre justification. La compréhension de cette impuissance radicale ne pouvait que nous conduire à considérer que cette justification ne viendrait pas de nous, mais de Dieu, et qu’elle serait donc un don totalement gratuit. Paul résume cela de façon foudroyante, trois chapitres plus loin : « Car le salaire du péché, c’est la mort; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle en Jésus Christ notre Seigneur. » (Rm 6:23). La Loi sert donc l’Evangile en ce qu’elle empêche tout mérite illusoire sur la façon dont nous sommes sauvés. Et donc, avec tout ceci à l’esprit, relisons maintenant le verset 31 : « Anéantissons-nous donc la loi par la foi? Loin de là! Au contraire, nous confirmons la loi. » (Rm 3:31). Il est bien évident que si la Loi change de statut, elle ne disparait pas complètement. Elle reste comme cette marque permanente qui nous indique la nécessité de l’Evangile. Elle n’est donc pas anéantie, mais bien confirmée. SI l’Evangile est le médicament, la Loi est le test positif de notre infection par le virus du péché qui nous indique sans cesse que nous devons absolument nous en tenir à notre médicament. Mais faire des tests n’a jamais guéri personne. Mais personne ne guérit s’il n’a pas conscience de sa maladie. La Loi révèle la maladie, mais seul l’Évangile guérit.