Il se passe deux évènements majeurs lors de ce troisième jour : la réunion des eaux permettant l’apparition de la terre que nous dirons donc émergée, puis la création de tout le règne végétal.

La réunion des eaux



Voici les versets en français :
9 Dieu dit: Que les eaux qui sont au-dessous du ciel se rassemblent en un seul lieu, et que le sec paraisse. Et cela fut ainsi.
10 Dieu appela le sec terre, et il appela l’amas des eaux mers. Dieu vit que cela était bon.
11 Puis Dieu dit: Que la terre produise de la verdure, de l’herbe portant de la semence, des arbres fruitiers donnant du fruit selon leur espèce et ayant en eux leur semence sur la terre. Et cela fut ainsi.
12 La terre produisit de la verdure, de l’herbe portant de la semence selon son espèce, et des arbres donnant du fruit et ayant en eux leur semence selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon.
13 Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le troisième jour.

Concentrons nous d’abord sur les deux premiers versets qui décrivent le premier évènement : l’apparition du continent émergé.

Voyons l’hébreu littéral :
9 וַיֹּ֣אמֶר אֱלֹהִ֗ים יִקָּו֨וּ הַמַּ֜יִם מִתַּ֤חַת הַשָּׁמַ֙יִם֙ אֶל־מָק֣וֹם אֶחָ֔ד וְתֵרָאֶ֖ה הַיַּבָּשָׁ֑ה וַֽיְהִי־כֵֽן׃
10 וַיִּקְרָ֨א אֱלֹהִ֤ים׀ לַיַּבָּשָׁה֙ אֶ֔רֶץ וּלְמִקְוֵ֥ה הַמַּ֖יִם קָרָ֣א יַמִּ֑ים וַיַּ֥רְא אֱלֹהִ֖ים כִּי־טֽוֹב׃

Littéralement on a :
9 et dit Elohim : que soient rassemblées les eaux de sous les cieux vers un lieu unique et que soit vu le sec et cela fut ainsi
10 Et il cria Elohim au sec eretz et le rassemblement des mers il cria mers. Et il vit Elohim que bon.

Il est intéressant de noter que dans le second jour, Dieu n’a pas dit que cela était bon. Ce n’est que lorsque cette division entre les eaux du haut et du bas a finalement été suivie du rassemblement des eaux du bas que Dieu a considéré cela bon. Il semble évident de considérer que cela est bon par rapport au but poursuivi dans la création, à savoir offrir un lieu parfait pour sa créature à venir. Comme il n’a pas créé l’homme comme une créature aquatique, l’eau recouvrant toute terre ne pouvait pas être quelque chose de bon. Par contre, l’eau mise à un endroit permettant de dégager une terre accueillante pour l’homme, cela est bon. Il est intéressant de montrer que le texte postule une suprématie divine sur les eaux. En effet, Dieu s’est choisi ses premiers serviteurs dans des régions où l’eau n’était pas la chose la plus abondante. Il eut donc été possible dans des contextes idolâtres de diviniser l’eau, s’attirer les bonnes grâces du dieu de la pluie ou autres choses du genre. Moïse exprime que les eaux sont soumises à la volonté de ce dieu qui passe alliance avec Israël : il dit aux eaux d’aller en un lieu, et elles obéissent.
Les eaux sont sommées d’aller dans un seul lieu, et sont nommées mers. Dans ce que nous connaissons du monde de façon certaine aujourd’hui, il est évident qu’il y a plusieurs mers, plusieurs océans. Bref, toutes les mers, pas plus que toutes les terres ne sont en un lieu unique. Mais ça, c’est regarder le monde d’après le déluge et oublier justement à quel point le déluge fut un cataclysme profond pour notre environnement. Là où les théories de tectonique de plaques imaginent une pangée, un continent unique très très ancien, ce verset nous permet de conclure sans grand risque d’erreur, qu’avant le déluge, tous les continents n’en faisaient qu’un seul, et qu’en même temps les mers entouraient ce continent unique. C’est donc ainsi qu’est le monde en ce troisième jour : un continent unique au centre du monde, entourée par une vaste mer.


Que disent nos Saint Pères sur cet ordre primordial du monde, et ce retrait des eaux ?

Commençons avec Saint Jean Chrysostome qui écrit : « Considérez ici, mes chers frères, l’ordre et la suite des œuvres divines. Moïse nous avait dit dès le commencement que la terre était invisible et informe, parce qu’elle était couverte par les ténèbres et les eaux. C’est pourquoi au second jour Dieu sépara les eaux par le firmament qu’il appela ciel, et au troisième il ordonna que les eaux qui étaient sous le ciel, c’est-à-dire le firmament, se rassemblassent en un seul lieu, afin que leur retraite laissât la terre à découvert. Et cela se fit ainsi. C’est parce que les eaux couvraient toute la surface de la terre que le Seigneur leur commanda de se réunir en un seul lieu; et alors l’aride put se montrer. Voyez comme l’historien sacré nous découvre graduellement la beauté de l’univers! Et il fut fait ainsi, dit-il. Comment? Selon les ordres du Seigneur. Il dit, et la nature obéit soudain. Car il appartient à Dieu de régler toutes les créatures selon sa volonté. ».

On notera avec intérêt que Chrysostome appelle créature des choses que l’on ne nomme pas habituellement ainsi. On a tendance à réserver aux animaux ou aux humains l’appellation créature. Il est donc très intéressant de voir ici le saint docteur nommer créatures les créations de Dieu, précisément à un moment où ni les animaux ni les humains n’ont encore été créés. Et ceci rejoint quelque chose de très profond qu’on peut trouver dans le texte hébreu sur la création des végétaux. Je le garde donc pour ce moment précis.

Saint Basile prend la peine de répondre à cette question qui pourrait surgir : pourquoi les eaux ont-elles eu besoin de l’ordre de Dieu pour se retirer de la terre ? Elles obéissent naturellement à cela et n’ont pas eu besoin d’ordre divin pour se retirer des terres les plus hautes… Basile déclare « Que d’embarras ne m’avez-vous pas donnés dans ce qui précède en me demandant pourquoi la terre était invisible, tandis que tous les corps sont naturellement empreints d’une couleur, et que toute couleur est sensible aux yeux ? Nous vous disions alors , mais cette réponse ne vous paraissait peut-être pas suffisante, que la terre était invisible par rapport à nous, et non par sa nature, parce qu’elle était couverte d’un amas d’eaux qui la cachaient toute entière. Écoutez maintenant l’Écriture qui s’explique elle-même : Que les eaux se rassemblent , et que l’élément aride paraisse. Les voiles sont retirés , afin que la terre qu’on ne voyait pas devienne visible. On demandera peut-être encore pourquoi ce qui est naturel à l’eau , d’être portée en bas, les livres saints l’attribuent à un ordre du Créateur. Tant que les eaux se trouvent sur une surface égale, elles restent immobiles , parce qu’elles n’ont pas où couler : lorsqu’elles rencontrent une pente, aussitôt les premiers flots prennent leur course suivis par d’autres qui viennent occuper leur place, et ainsi de suite sans interruption. Le premier flot s’avance toujours poussé par celui qui est postérieur; et le cours est d’autant plus rapide que les eaux qui coulent sont plus pesantes , et que le lit où elles se portent est plus incliné. Si donc telle est la nature des eaux, il était inutile de leur donner l’ordre de se rassembler dans un même lieu, puisqu’elles devaient absolument se porter d’elles-mêmes vers le lieu le plus bas , et ne s’arrêter que lorsqu’elles servent toutes de niveau: car il n’est point de plaine aussi unie que l’est la surface d’une eau tranquille. On fait une autre objection; on demande comment les eaux ont reçu l’ordre de se rassembler dans un même lieu, lorsqu’il y a visiblement plusieurs mers très distinguées les unes des autres par leur position.
A la première question qui nous est faite , voici ce que nous répondons. Sans doute , après l’ordre du souverain Maître, vous avez bien reconnu les mouvements de l’eau: vous avez vu qu’elle coule en tous sens ; que, toujours mobile , elle se porte naturellement vers les lieux enfoncés et qui vont en pente. Mais avant que cet ordre lui eut donné la faculté de courir , vous ne saviez pas par vous-même et personne ne vous avait appris quelle était sa vertu propre. Songez que la voix divine produit la nature, et que l’ordre donné d’abord à un être créé, lui a assigné pour la suite son rapport avec les autres êtres. Le jour et la nuit ont été créés ensemble : depuis cette époque , ils ne cessent pas de se succéder l’un à l’autre, et de diviser le temps en parties égales. Que ses eaux se rassemblent. Les eaux ont reçu l’ordre de courir ; et toujours pressées par cet ordre , elles ne se fatiguent jamais dans leur course. Je parle ici de celles des eaux dont le sort est de couler. Les unes coulent d’elles-mêmes , telles que les fontaines et les fleuves; les autres sont rassemblées et fixées dans un même lieu. Mais je parle maintenant des eaux qui sont en mouvement. Que les eaux se rassemblent dans un même lieu. Lorsque vous êtes assis sur le bord d’une fontaine qui produit des eaux abondantes, ne vous est-il jamais venu à l’esprit de vous demander ? Quel est celui qui fait jaillir cette eau du sein de la terre? quel est celui qui la pousse en avant ? quels sont les réservoirs dont elle part ? quel est le lieu où elle va ? comment cette fontaine ne tarit-elle pas ? comment la mer ne se remplit-elle pas ? Tout cela dépend de la première parole. De-là les eaux ont reçu la faculté de courir. Dans toute l’histoire des eaux, rappelez-vous cette parole: Que les eaux se rassemblent. Il fallait qu’elles courussent pour aller se rendre au lieu qui leur était destiné , et qu’arrivées à ce lieu , elles restassent en place et n’allassent pas plus loin. C’est pour cela que, suivant les paroles de l’Ecclésiaste , les fleuves vont à la mer, et que la mer n’est point remplie ( Ecclés. 1. 7.). Les eaux coulent en vertu de l’ordre de Dieu, et la mer est renfermée dans des bornes d’après cette première loi : Que les eaux se rassemblent dans un même lieu. Les eaux ont reçu l’ordre de se rassembler dans un même lieu, de peur que se répandant hors des espaces qui les reçoivent , changeant toujours de place , passant d’un lieu dans un autre , elles ne viennent de proche en proche à inonder tout le continent. »

Ainsi, Basile explique que les eaux n’ont pas été créé avec un comportement défini. Ce comportement leur a été affecté ensuite. C’est une façon à la fois étonnante et élégante de répondre, mais qui fait tout à fait sens. On remarquera aussi que le texte ne dit pas que les eaux se sont précipitées pour obéir à l’ordre divin. C’est Basile qui ajoute ces détails. D’où les prend-t-il ? De l’écriture, tout simplement. Le psaume 103, lu aux vêpres, ne dit-il pas « 6 Tu l’avais couverte de l’abîme comme d’un vêtement, Les eaux s’arrêtaient sur les montagnes; 7 Elles ont fui devant ta menace, Elles se sont précipitées à la voix de ton tonnerre. 8 Des montagnes se sont élevées, des vallées se sont abaissées, Au lieu que tu leur avais fixé. 9 Tu as posé une limite que les eaux ne doivent point franchir, Afin qu’elles ne reviennent plus couvrir la terre. »
Basile voit le verset 7 du psaume comme explication, Augustin de son côté plaide pour une modification de la géographie, afin de réaliser l’ordre divin, ce qui est donné par le verset 8. Ainsi, ce n’est pas seulement l’eau qui obéit, mais aussi le monde qui collabore avec Dieu pour que son ordre soit exécuté : « 26. Maintenant, où se rassemblèrent les eaux, s’il est vrai qu’elles étaient auparavant répandues sur toute la, surface de la terre? En quel endroit, dis-je, se rassemblèrent les eaux qui furent écartées pour faire paraître la terre? S’il existait sur la terre quelque lieu sec où les eaux pussent s’amasser, le sol était déjà découvert et l’abîme n’en couvrait pas toute la surface. Si elles la couvraient tout entière, quel peut être le lieu où elles se réunirent, afin de laisser la terre à sec? Furent-elles soulevées dans l’espace, à peu près comme une moisson qu’on bat dans l’aire et qui, portée sur le vent, s’amoncelle en un tas et laisse à découvert le sol qu’elle cachait auparavant? Mais comment ne pas renoncer à cette pensée, en voyant la mer former une vaste plaine et, après les tempêtes qui élèvent ses flots comme des montagnes, redevenir unie comme une glace? Il arrive que la mer découvre un peu au loin ses rivages; mais on ne saurait nier qu’en se retirant d’un côté, elle ne s’étende d’un autre et qu’elle ne revienne sur les bords qu’elle a quittés. Où donc la mer pouvait-elle se retirer, pour laisser apparaître les continents, puisque les flots couvraient toute la surface de la terre? L’eau qui couvrait la terre, aurait-elle été comme une légère vapeur, et, en se condensant pour former un amas, aurait-elle laissé en différents endroits le sol à découvert? On pourrait dire encore que la terre, s’abaissant en larges et profondes vallées, put offrir de vastes réservoirs où les flots amoncelés se précipitèrent, et qu’ainsi le sol apparut aux endroits abandonnés par les eaux. »

On voit donc ici encore, un monde créature, comme ce qui a été annoncé par Chrysostome. Et bien, cette notion de monde créature est évidente, dans le texte hébreu de la création de la végétation.



La création du règne végétal


Voyons l’hébreu littéral pour les trois versets consacrés à cela.
11 וַיֹּ֣אמֶר אֱלֹהִ֗ים תַּֽדְשֵׁ֤א הָאָ֙רֶץ֙ דֶּ֔שֶׁא עֵ֚שֶׂב מַזְרִ֣יעַ זֶ֔רַע עֵ֣ץ פְּרִ֞י עֹ֤שֶׂה פְּרִי֙ לְמִינ֔וֹ אֲשֶׁ֥ר זַרְעוֹ־ב֖וֹ עַל־הָאָ֑רֶץ וַֽיְהִי־כֵֽן׃
12 וַתּוֹצֵ֨א הָאָ֜רֶץ דֶּ֠שֶׁא עֵ֣שֶׂב מַזְרִ֤יעַ זֶ֙רַע֙ לְמִינֵ֔הוּ וְעֵ֧ץ עֹֽשֶׂה־פְּרִ֛י אֲשֶׁ֥ר זַרְעוֹ־ב֖וֹ לְמִינֵ֑הוּ וַיַּ֥רְא אֱלֹהִ֖ים כִּי־טֽוֹב׃
13 וַֽיְהִי־עֶ֥רֶב וַֽיְהִי־בֹ֖קֶר י֥וֹם שְׁלִישִֽׁי׃


Ce qui se traduit du point de vue littéral :
11 : Et il dit Elohim que soit couverte la terre (de) verdure, herbe semant semence, arbre-fruit faisant fruit selon son espèce, qui (ait) en lui sa semence sur la terre ! Il en fut ainsi !
12 : la terre produisit (de la) verdure, de l’herbe semant semence selon son espèce, et arbre faisant fruit qui (a) sa semence en lui selon son espèce. Elohim vit que (cela était) bon.
13 : il fut soir, il fut matin – jour troisième.


Au premier jour de la création il y a eu deux actes divins : la création des cieux et de la terre, puis la création de la lumière. Au second jour, encore deux actes : la création du firmament et la séparation des eaux au dessus et au dessous de ce firmament. Enfin, lors de ce troisième jour, Dieu reste dans cette dynamique : il vient de faire émerger le sec, et son deuxième acte souverain sera de créer la végétation. Enfin pas exactement. Il délègue. Vous l’aurez remarqué : il demande à la terre de faire cela. Il lui donne un ensemble d’ordres à suivre au verset 11, et elle exécute au verset 12. La fin du verset 12 indique d’ailleurs que Dieu est satisfait du résultat.
L’hébreu montre une petite nuance de taille qui n’apparaît pas dans le grec, et qui n’est donc pas mise en avant par les Pères du monde grec. Le latin de la Vulgate conserve ce petit détail d’une certaine façon, mais je n’ai rien vu dans le monde patristique latin qui permette de définir une base patristique à ce que laisse à penser le texte. De quoi s’agit-il ? Dieu demande à la terre, au verset 11 de produire des arbres-fruits faisant fruit. L’hébreu ne dit pas arbre fruitier mais arbre-fruit. Et au verset 12 la terre produit des arbres qui produisent des fruits. On a perdu quelque chose entre l’ordre et l’exécution de l’ordre. Dieu a demandé des etz péri osé peri et la terre produit des etz osé péri. Dieu a demandé des etz péri et la terre a fait des etz. En latin, dans la Vulgate de Saint Jérôme, on a la demande de « et lignum pomiferum faciens fructum juxta genus suum » et la réponse est « lignumque faciens fructum » ce qui indique également une différence entre l’ordre et l’exécution de l’ordre. Ce que peut laisser penser le texte est que la terre a désobéi et qu’elle a donc une forme de conscience. Je sais que cela sonne terriblement païen et animiste. Qu’est-ce que l’animisme ? Il s’agit de cette croyance du fait que tout objet, qu’il soit objectivement vivant comme un animal, mais aussi les éléments de la nature comme les végétaux, les minéraux, le vent, la pluie, etc, est animé (d’où le terme animisme) d’une force vitale et qu’il convient donc de leur vouer un culte. Si la dernière proposition est clairement idolâtre et non orthodoxe, et tout à fait anti-biblique, la première mérite toute notre attention. Cela revient finalement à se demander ce qu’est la vie, ce qu’est l’empire de la vie, et comment cette vie se positionne vis à vis de Dieu dans un processus de rébellion et de chute, ou dans un processus de participation à la vie divine. Il convient aussi de ne pas confondre animisme et panthéisme, car le panthéisme postule que tout est un, ce que l’animisme ne dit pas de façon unanime. Car on l’aura compris, les phénomènes animistes sur notre terre sont multiples et variés. Il ne s’agit pas ici d’essayer de faire une improbable jonction entre animisme et orthodoxie. Il s’agit ici d’essayer de comprendre le monde de façon orthodoxe. Je rappelle les postulats de cette réflexion, qui sont tout de même très faibles, et qui donc nous appellent à une grande prudence. Le texte grec, qui est normatif ne fait pas mention d’une terre consciente ni rebelle. Le texte latin montre un léger changement, mais les Pères latins, qui ne travaillaient d’ailleurs pas tous unanimement sur le texte de Jérôme, n’en font à priori pas mention. Reste le texte massorétique. C’est à dire un texte du 10ème siècle. Nous savons que les Pères de l’Église ont toujours considéré le texte hébreu avec une grande estime, lui réservant une place particulière. Mais rien ne nous dit que le texte massorétique en notre possession est ce texte. Ce qui doit éveiller notre prudence est ce qui pourrait être anti-chrétien. Par exemple, dans les psaumes, il y a des manipulations massorétiques tout à fait grossières. La Torah semble intacte. Il est probable que même dans leur aveuglement coupable, ils n’auraient pas osé y toucher. Et donc la Torah fait état d’une terre qui désobéit. Donc elle serait consciente, douée de volonté, et l’exerçant librement. Ce qui permettrait mieux de comprendre d’ailleurs pourquoi la terre se retrouve maudite lors de la chute. En effet, pourquoi Dieu maudirait-il une terre inerte, inanimée ? On comprend mieux qu’il maudisse une terre consciente et ayant désobéi, comme l’homme et comme la femme. Je ne parle même pas du serpent…
Acceptons un moment que la terre soit vivante, consciente. D’une autre façon que nous et que les animaux. Voyons où cela nous emmène. Cela veut dire que chez les animistes, et dans les traditions dites primordiales, il y a une intuition qui est bonne à la base et qui est ensuite déviée. Ce ne serait pas étonnant. On peut difficilement avoir tort à 100 %. Il n’y a rien dans le biblique qui aille contre cette idée. Dieu communique jalousement sur le fait d’être le seul et unique Dieu. Il dit que les autres dieux sont des démons (ps 95:5), et que les idoles sont de pierres ou de bois : elles ne parlent pas, ne voient pas, n’entendent pas. Ceux qui chantent le polyeleos régulièrement sont familiers avec cela. Mais cela attaque la nécessité animiste de l’adoration d’éléments de la nature, mais en rien cela n’attaque le fait d’avoir une vie à divers niveaux de conscience dans la nature. Pouvons nous, à notre niveau, constater cela dans la nature ? Il y a bien quelques expériences réalisées sur des plantes qui semblent mieux apprécier Mozart que les formes extrêmes de Hard Rock. Je ne sais pas si on peux en conclure grand-chose. Que disent les Pères ? Je n’ai trouvé qu’une mention d’Augustin, très peu définitive sur le sujet : « une simple vie, une vie semblable à celle que l’on prête à la vigne, aux arbres et à tous les végétaux : si toutefois on peut prouver que les plantes aient une vie. Et pourtant il est des hérétiques assez aveugles pour les croire capables, non-seulement de sentir par le moyen du corps, c’est-à-dire de voir, d’entendre, de discerner le chaud et le froid, mais même de raisonner et de connaître nos pensées: mais ceci est l’objet d’une autre question. ». Il semble faire mention ici d’un paganisme teinté d’animisme, qui fait des extrapolations vers lesquelles je ne me suis pas aventurées : est-ce que les rosiers de votre voisine connaissent vos pensées ? Rien n’est moins sûr… Bref, concluons sur le fait que nous ne pouvons conclure, mais restons ouverts sur cette possibilité que le monde qui nous entoure soit à sa façon vivant. Qu’est-ce que cela change ? Beaucoup de choses au final. Cela veut dire prendre soin de la création, la respecter, rechercher le plus possible l’harmonie. Il ne s’agit pas de devenir vegan, sombrer dans le new age ou je ne sais quoi. Il s’agit d’élargir notre compréhension de ce mystère qu’est la vie. Déjà, je pense que beaucoup ont compris qu’une forêt n’est pas qu’une grande possibilité de meubles ikea. Mais ici, il s’agit de voir de façon encore plus élevée. Une forêt peut être le lieu d’une forme de conscience, une modalité de la vie du monde. Une des spécificité de la théologie orthodoxe, est de présenter ce qui est connu sous le nom des « énergies divines incréées », qu’on associe souvent à Saint Grégoire Palamas. On se pose rarement la question de la réception et de l’action de ces énergies divines dans le monde. Dieu passe-t-il son temps à transpercer de vie un monde principalement mort et inerte, ou bien tout de la réalité n’est-il pas plus ou moins vivant ?


Passons aux commentaires patristiques sur la création des végétaux, et commençons comme cela est devenu notre habitude par Saint Jean Chrysostome. « Et Dieu dit : Que la terre produise les plantes verdoyantes avec leur semence, et les arbres avec des fruits qui, chacun selon son espèce, renferment en eux-mêmes leur semence, pour se reproduire sur la terre. Et il fut fait ainsi. Que signifient ces derniers mots : “ Et il fut fait ainsi? “ Ils nous apprennent qu’à l’ordre du Seigneur, la terre se hâta d’épancher ses productions et de faire éclore le germe de toutes les plantes. La terre produisit donc, dit Moïse, des plantes qui portaient leur graine suivant leur espèce, et des arbres fruitiers qui renfermaient leur semence en eux-mêmes, chacun suivant son espèce. Et qui n’admirerait ici, mon cher frère, comment la parole divine a tout opéré sur la terre? Et en effet, il n’y avait point encore d’homme qui la cultivât et qui, pour la couvrir de sillons, pliât le bœuf au joug de la charrue; mais elle entendit le commandement du Seigneur et soudain produisit les plantes et les arbres. D’où nous apprenons qu’aujourd’hui encore, ce sont bien moins les soins, les travaux et les fatigues du laboureur qui fertilisent la terre, que les ordres que le Seigneur lui intima dès le commencement.
Au reste, l’Écriture, pour rendre d’avance l’ingratitude des hommes vraiment inexcusable, nous révèle avec soin l’ordre et la suite des œuvres de la création. Elle veut ainsi réprimer la témérité et l’extravagance de ceux qui nous donnent leurs rêveries pour des réalités, et qui soutiennent que la coopération du soleil était nécessaire à la production des plantes et des fruits. D’autres attribuent ces effets à l’influence des astres; mais l’Esprit-Saint nous enseigne que, bien avant la création du soleil et des astres, la terre, obéissant à la parole divine, avait, sans nul concours étranger, produit d’elle-même les plantes et les arbres; il lui avait suffi d’entendre cette parole : Que la terre produise les plantes verdoyantes. Suivons donc les traces de la sainte Écriture, et condamnons hautement ceux qui s’élèvent contre ses divins enseignements. Quoique les hommes cultivent la terre, et, à l’aide d’animaux domestiques, s’appliquent à l’agriculture; quoique les saisons leur soient favorables et que tout concoure à satisfaire leurs désirs, si Dieu ne répand sa bénédiction, ils s’épuiseront en d’inutiles travaux. Oui, ni les sueurs, ni les fatigues du laboureur ne deviennent fécondes si le Seigneur, du haut du ciel, n’étend sa main et ne leur donne un heureux accroissement. Mais, qui ne serait ravi d’étonnement et d’admiration en voyant comment cette parole : Que la terre produise des plantes verdoyantes, pénétra jusque dans les profondeurs de la terre et l’émailla comme d’un riche tapis par la variété des fleurs qui en couvrit la surface. Ainsi la terre qui naguère était brute et inculte, se revêtit soudain d’une brillante parure, et rivalisa de beauté avec le firmament. Et en effet, de même que celui-ci devait bientôt resplendir du feu des astres, la terre s’embellissait par la variété des fleurs ; en sorte que le Créateur lui-même loua son propre ouvrage. Et Dieu, dit l’Écriture, vit que cela était bon. »
Chrysostome attire ici notre attention sur le fait que la nature n’a pas besoin d’être cultivée par l’homme pour que la végétation se répande partout. La nature est totalement autosuffisante. IL suffit d’observer les forêts pour voir leurs subtils et savants équilibres. Ensuite, Chrysostome s’attaque, presque prophétiquement, à tous ceux qui vont dire que cet ordonnancement de la création ne suit pas les règles de la nature : les plantes ont besoin du soleil pour grandir. Mais Chrysostome parle ici de la production des plantes. Cette production précède le soleil de 24h tout au plus, et le soleil qui est nécessaire arrive juste après. Le soleil est donc nécessaire à la croissance des plantes, mais pas à leur création. Ainsi, nous avons ici un enseignement biblique et patristique sur l’agriculture la plus intelligente à exercer dans le monde : nous sommes clairement appelés à nous souvenir que la nature se débrouille très bien sans nous, et qu’elle a un mode de fonctionnement qu’on devrait prendre pour inspiration, puisque venant de la terre elle-même, validé par Dieu. Ainsi, dans la nature, personne ne laboure. Le labour est une décision humaine. Le labour est stupide. Jamais une forêt n’est labourée, et pourtant les choses y poussent en abondance.
Saint Basile ne reste pas longtemps sur les problématiques purement végétales : « Que la terre produise. Figurez-vous la terre encore froide et stérile , qui , par cette unique parole et ce simple ordre , est fécondée tout-à-coup, et se hâte de produire des fruits. Représentez-vous-la déposant en quelque sorte un vêtement triste et lugubre, en prenant un autre plus gai, se parant de ses propres ornements, faisant éclore de son sein une multitude de plantes diverses. Je veux vous inspirer une grande admiration pour les choses créées, afin que partout où vous rencontrerez quelque espèce de production, elle vous frappe et vous ramène au Créateur. D’abord, lorsque vous voyez l’herbe des champs et sa fleur, songez à la nature humaine, et rappelez-vous la comparaison qu’emploie le sage Isaïe : Toute chair, dit-il, est comme l’herbe, et toute la gloire de l’homme est comme la fleur de l’herbe (ls. 40. 6. ). Cette comparaison a semblé au Prophète la plus propre à exprimer la brièveté de notre vie, l’instabilité et la fragilité des joies et des prospérités humaines. L’homme qui aujourd’hui jouit d’une santé brillante, que les délices ont nourri et engraissé, dont le teint fleuri répond à la fleur de la jeunesse, qui est plein de force et de vigueur, dont on ne peut soutenir la fougue ; ce même homme, demain, n’est plus qu’un objet de pitié, flétri par le temps ou consumé par la maladie. Cet autre est remarquable par son opulence, il est environné dune troupe de flatteurs, escorté d’un grand nombre de faux amis qui ambitionnent ses bonnes grâces, et de paroles dont les manières ne sont pas moins fausses ; soit qu’il sorte de sa maison, soit qu’il y revienne, il traîne à sa suite une foule d’esclaves empressés de lui rendre divers services : le faste dont il s’entoure excite l’envie de tous ceux qui le rencontrent. Aux richesses, ajoutez la puissance, les honneurs accordés par le prince, le respect des nations, le commandement des armées, un héraut qui marche devant lui en criant, des lecteurs armés de faisceaux qui impriment la crainte au peuple, les prisons, les confiscations de biens, les derniers supplices qui redoublent la frayeur dans l’âme de ceux qu il commande quelle est la fin de tout cela ? Une seule nuit, une seule fièvre, une seule maladie enlève cet homme du milieu des hommes , le dépouille de tout cet appareil théâtral ; et toute sa gloire semble n’avoir été qu’un vain songe. C’est donc avec raison que le prophète compare la gloire humaine à la fleur la plus fragile. ». Basile se sert de cette parole de Dieu à Isaïe, reprise par Saint Pierre dans une de ses épîtres, fragilité annoncée dans les psaumes. L’homme est aussi fragile qu’un brin d’herbe.
Puis Basile aborde un sujet capital : est-ce qu’il existait déjà des signes de chute dans les plantes ? « Que la terre produise , dit l’Écriture, des arbres fruitiers qui portent du fruit, et qui renferment leur semence en eux-mêmes selon leur espèce et leur ressemblance sur la terre. A cette parole on vit paraître une immense quantité de bois épais ; on vit sortir tous les arbres, soit ceux qui sont de nature à s’élever à la plus grande hauteur, les pins, les sapins, les cèdres, les cyprès et autres ; soit ceux qui servent pour les couronnes, les rosiers, les myrtes, les lauriers ; soit toutes les espèces d’arbustes. Tous les arbres qui n’avaient pas encore paru sur la terre, y prirent l’être en un instant, chacun avec des caractères particuliers, avec des différences visibles, qui les font reconnaître et qui les distinguent de ceux dont l’espèce n’est pas la même. Toutefois la rose était sans épine : l’épine a été ajoutée depuis à la beauté de cette fleur, afin que la peine, pour nous, soit près du plaisir, et que nous puissions nous rappeler la faute qui a condamné la terre à nous produire des épines et des ronces.

Mais, dit-on, la terre a reçu l’ordre de produire des arbres fruitiers, qui portent des fruits sur la terre et qui aient leur semence en eux-mêmes : cependant nous voyons plusieurs arbres qui n’ont ni fruits, ni semences. Nous dirons à cela que les arbres les plus précieux ont obtenu une mention principale. Ensuite, à bien examiner, on verra que tous les arbres ont une semence, ou une vertu qui en tient lieu. Les peupliers blancs et noirs, les saules, les ormes et autres arbres de même nature , paraissent au premier coup d’œil ne porter aucun fruit; mais si on les considère attentivement, on verra que chacun d’eux a une semence. Une graine cachée sous les feuilles, à laquelle on a donné un nom particulier, tient lieu de semence. Tous les arbres qui viennent de branches plantées en terre, jettent de-là, pour la plupart, des racines. Peut-être aussi que des rejetons à la racine tiennent lieu de semence, rejetons que les cultivateurs des arbres arrachent et plantent pour multiplier l’espèce.
Au reste, comme nous l’avons déjà dit, l’Écriture n’a cru devoir citer que les arbres qui sont les plus propres à conserver nos jours, ceux qui devaient enrichir l’homme de leurs fruits et lui procurer une vie plus abondante : par exemple, la vigne qui produit le vin, lequel est fait pour réjouir le cœur de l’homme; et l’olivier, qui donne pour fruits l’olive, dont l’huile qu’on en exprime répand la joie sur le visage (Ps. 103. 15.). Que d’effets produits sur le champ par la nature ont concouru au même but: la racine de la vigne, les sarments qui verdissent recourbés, et qui sont répandus en grand nombre sur la terre, la fleur, les tendrons, les grappes de raisin! La seule vigne, regardée avec intelligence, peut vous donner une idée de toute la nature. Vous vous rappelez, sans doute, la comparaison du Seigneur; vous savez qu’il se nomme lui-même la vigne, son Père le vigneron ( Jean. 15. 1.), et que nous autres qui sommes entrés dans l’Église par la foi, il nous appelle les sarments. Il nous exhorte à produire beaucoup de fruits, de peur que, condamnés à être stériles, nous ne soyons livrés au feu. Partout il compare les âmes humaines à des vignes. Mon bien-aimé, dit-il par un de ses Prophètes, avait une vigne dans un lieu élevé, gras et fertile (Is. 5. 1.). J’ai planté une vigne , dit-il ailleurs , et je l’ai enfermée d’une haie (Matth. 21, 33.). Il appelle vigne les âmes humaines qu’il a entourées d’une haie, sans doute de la force des préceptes et de la garde des anges. L’ange du Seigneur, dit David, environnera ceux qui le craignent (Ps. 33. S.). Ensuite il nous a donné des prophètes, des apôtres, des docteurs, qui sont comme des palissades dont il nous a environnés, dans l’Église. Il a élevé et exalté nos esprits par les exemples des hommes anciens et bienheureux, sans permettre qu’ils restassent étendus par terre, dignes d’être foulés aux pieds. Il veut que les embrassements de la charité, comme les mains de la vigne, nous attachent à notre prochain, qu ils nous fassent reposer en lui, et que, prenant notre essor, nous nous élevions jusqu’à la cime des plus grands arbres. Il demande que nous nous laissions enfouir. Or, l’âme est enfouie lorsqu’elle s’est dépouillée des sollicitudes de ce monde qui appesantissent nos cœurs. Celui donc qui a déposé l’amour charnel et le désir des richesses, qui regarde comme vile et méprisable la malheureuse passion de la vaine gloire , celui-là est comme enfoui, et respire après avoir secoué le poids des affections vaines et terrestres. En suivant toujours la même comparaison, nous devons encore prendre garde de jeter trop de bois et de feuilles, c’est-à-dire, de vivre avec faste et de rechercher les louanges du siècle; nous devons porter des fruits et n’étaler nos œuvres qu’aux yeux du véritable vigneron. Pour vous, soyez comme un olivier qui porte du fruit dans la maison de Dieu (Ps. 51. 10.). Ne vous dépouillez jamais de l’espérance, mais que le salut fleurisse toujours en vous par la foi. Vous imiterez la verdure perpétuelle et la fécondité de cet arbre, si dans tous les temps vous faites des aumônes abondantes. »

Dans ce long et superbe développement, Basile nous rappelle qu’il n’y a pas que les métaphores de berger et de moutons qui soient source d’enseignement dans la relation entre Dieu et l’homme. La vigne, en étant observée permet également de tirer un enseignement. Ainsi, pour Basile, la chose est claire : Dieu parle à l’homme au travers du monde.

Finissons avec Saint Augustin. Il écrit « 34. « Et Dieu dit : Que de la terre sortent des herbes portant, selon leur espèce, une semence d’où puissent naître des herbes semblables; que la terre donne des arbres qui portent du fruit renfermant la semence propre à les reproduire selon leur espèce. » Après la formation de la terre et de la mer, Dieu leur a donné leurs noms et a approuvé son œuvre, ce qu’il ne faut pas entendre de plusieurs actes successifs, comme nous l’avons remarqué plus d’une fois, car on ne doit d’aucune sorte attribuer à l’ineffable action de Dieu le besoin de se développer dans les intervalles du temps; mais ici on ne lit pas tout aussitôt, comme pour les deux jours précédents : « Le soir se fit puis le matin et il y eut un troisième jour. » Mais on voit une nouvelle opération : « Que de la terre sortent des herbes portant, selon leur espèce, une semence d’où puissent naître des herbes semblables: que la terre donne des arbres qui portent du fruit renfermant la semence propre à les reproduire selon leur espèce. » Rien de pareil n’a été dit ni de la lumière qui brille à nos yeux, ni du firmament, ni de l’eau, ni de la partie aride. Aussi bien la lumière n’a pas de lignée qui lui succède; du ciel -ne naît pas un autre ciel; de nouvelles terres, de nouvelles mers ne sortent pas de la terre et de la mer pour les remplacer. S’il a donc fallu dire ici : « portant semence selon leur espèce, renfermant une semence selon leur espèce et pour la reproduction d’êtres semblables; » c’est qu’il s’agit de choses qui en périssant laissent à d’autres, produites par elles, leur forme et leur ressemblance. » Dans cette première moitié de commentaire sur ces versets, Augustin remarque judicieusement que la lumière n’engendre pas de lumière. La terre n’engendre pas de terre. Le ciel non plus. Les végétaux sont les premières créations divines qui puissent s’engendrer. Cela ne pose pas ici le problème de la mort mais bien du renouvellement. Cela signifie bien que cette nature, bien que cela ne soit pas son unique fonction, répond aux besoins alimentaires des créatures animales et humaines qui vont venir bientôt. La végétation se voit donc créée comme une source inépuisable pour eux.
Augustin poursuit : « 35. Or tous les végétaux dont il est parlé ici sont de telle sorte sur la terre qu’ils y tiennent par la racine, en font la continuation, et néanmoins s’en séparent de quelque manière. Aussi bien je pense que dans le récit, le nom de terre conserve la signification qu’il a dans le passage précédent, puisque les choses dont il s’agit ont été faites le même jour que cette terre parut. Dieu cependant par un nouvel ordre commande à la terre de les produire. Puis viennent encore les mots : « Et il fut fait ainsi » et après les mots : « Il fut fait ainsi; » nous trouvons comme plus haut le détail même de l’exécution : « La terre donna de l’herbe portant, selon son espèce, une semence d’où devait naître de l’herbe semblable, et des arbres portant du fruit qui renfermait en lui-même la semence propre à les reproduire selon leur espèce. » Et enfin on lit de nouveau : « Dieu vit que cela était bon. » Ainsi donc la terre et les plantes apparaissent dans un seul jour, et cette double parole de Dieu sert à les distinguer. S’il n’en a pas été de même pour la distinction de la terre et de la mer; c’est, je crois, parce qu’il fallait mieux marquer des choses qui naissent et meurent et dont les espèces se propagent par une suite de reproductions séminales. Ou bien est-ce parce que la terre et la mer ont pu être formées simultanément, non-seulement dans la création idéale et rationnelle où tout s’est fait à la fois, mais même dans leur apparition sensible et leur réalité corporelle; tandis que les arbres et toutes les plantes ne pouvaient naître, à moins que la terre où elles devaient germer ne les eût précédés? est-ce pour cela qu’il fallait un nouvel ordre de Dieu afin de marquer la distinction de la terre et des végétaux, qui néanmoins devaient être faits le même jour que la terre, d’autant qu’ils y tiennent par la racine et en sont pour ainsi dire la continuation? Mais on peut demander aussi pourquoi Dieu ne leur a pas donné des noms. Cette omission vient-elle de leur multitude, qui empêchait de les désigner chacun par un nom particulier? La question trouvera mieux sa réponse plus loin, quand nous remarquerons d’autres choses encore que Dieu n’a point nommées, comme il a nommé la lumière, le ciel, la terre et la mer : «Alors eut lieu le soir, puis le matin et il y eut un troisième jour. » »
Augustin a déjà évoqué ce sujet, mais il revient dessus, signe qu’il a compris son importance : le nom des choses. Un même mot peut signifier plusieurs choses dans l’Ecriture. C’est en cela que l’Ecriture s’adresse à des gens intelligents. On peut très bien lire et ne pas comprendre. Prenons un exemple : le terme Elohim peut parfois signifier Dieu. Là où nous en sommes du récit, Elohim n’a rien signifié d’autre. Puis dans le livre de l’exode, Dieu, parlant à Moïse lui dit qu’il sera un Elohim pour Pharaon. Ainsi Elohim veut parfois dire Dieu, puis parfois maître. Augustin, connaît ce piège, entre guillemets, des Ecritures. Il ne s’agit pas pour Dieu de nous piéger dans ce qu’il inspire aux écrivains sacrés, Dieu préserve, mais bien, en créateur du langage d’utiliser la richesse d’expression. Puis Augustin va plus loin et remarque que tout jusqu’ici a reçu un nom. Mais les végétaux n’ont pas eu droit à cette distinction. Et ceci prend sens dans la compréhension de la création une fois achevée. Ainsi, répondons favorablement à l’invitation du docteur d’Hippone. Voyons ce que nous réserve les 3 autres jours pour comprendre ce qui se joue ici.
J’espère que cette longue page web vous a appris des choses. Qu’elle vous a donné envie de lire les Ecritures. De lire les Pères et d’aller voir de quels textes sont pris les extraits qui sont rapportés ici. Pour Saint Jean Chrysostome, cela est extrait de ses homélies sur la Genèse, tout simplement. Pour Saint Basile, cela est extrait de l’Hexameron. Et enfin pour Augustin, nous puisons ici dans deux sources principales : commentaire littéral sur la Genèse, et commentaire littéral inachevé sur la Genèse.